Howard Phillips Lovecraft
LA MAISON DE LA SORCIÈRE
The Dreams in the Witch-House, 1932
Paru dans Weird Tales, juillet 1933
Publication du groupe « Ebooks libres et gratuits » – http://www.ebooksgratuits.com/
Table des matières
À propos de cette édition électronique
Étaient-ce les rêves qui avaient amené la fièvre ou la fièvre les rêves, Walter Gilman n’en savait rien. Derrière tout cela était tapie l’horreur sourde, purulente, de la vieille ville, et de l’abominable mansarde moisie, à l’abri d’un pignon, où il étudiait, écrivait et se colletait avec les chiffres et les formules quand il ne se retournait pas dans son maigre lit de fer. Son oreille devenait d’une sensibilité surnaturelle, intolérable, aussi avait-il depuis longtemps arrêté sur la cheminée la pauvre pendule dont le tic-tac finissait par lui sembler un fracas d’artillerie. La nuit, les mouvements indistincts de la ville obscure au-dehors, les sinistres galopades de rats dans les cloisons vermoulues, et le craquement des poutres invisibles de la maison séculaire lui donnaient à eux seuls l’impression d’un pandémonium de stridences. Les ténèbres grouillaient toujours de sons inexplicables – et pourtant il tremblait parfois que ces bruits-là ne cessent pour faire place à certains autres, plus assourdis, qu’il soupçonnait de rôder derrière eux.
Il vivait dans l’immuable cité d’Arkham, hantée de légendes, où les toits en croupe tanguent et ploient les uns contre les autres au-dessus des greniers où se cachaient les sorcières pour échapper aux soldats du roi, dans le sombre passé de la province. Aucun endroit de cette ville n’était plus imprégné de souvenirs macabres que la chambre au pignon où il logeait – car c’étaient cette maison, cette chambre qui avaient abrité aussi la vieille Keziah Mason, dont nul n’a jamais pu expliquer l’évasion in extremis de la prison de Salem. C’était en 1692 – le geôlier devenu fou bredouilla qu’un petit animal à fourrure, aux crocs blancs, s’était échappé de la cellule de Keziah, et Cotton Mather lui-même fut incapable d’interpréter les courbes et les angles barbouillés sur la pierre grise des murs avec un liquide rouge visqueux.
Peut-être Gilman aurait-il dû moins s’acharner dans ses études. Le calcul non euclidien et la physique quantique suffisent à fatiguer n’importe quel cerveau ; et quand on y ajoute le folklore, en essayant de déceler un étrange arrière-plan de réalité à plusieurs dimensions sous les allusions morbides des légendes gothiques et les récits extravagants chuchotés au coin de la cheminée, peut-on s’attendre à éviter le surmenage intellectuel ? Gilman venait de Haverhill, mais ce fut seulement à Arkham, après son inscription à l’université, qu’il commença à associer ses mathématiques aux légendes fantastiques de la magie ancienne. Quelque chose dans l’air de la vénérable ville travailla obscurément son imagination. Les professeurs de Miskatonic lui avaient vivement conseillé de se détendre, allégeant à dessein son programme sur certains points. Par ailleurs, ils l’avaient empêché de consulter les vieux livres suspects traitant de secrets interdits qu’on gardait sous clé dans une cave à la bibliothèque de l’université. Autant de précautions qui vinrent trop tard, de sorte que Gilman eut de terribles aperçus du redoutable Necronomicon d’Abdul Alhazred, du fragmentaire Livre d’Eibon, et du livre interdit de von Juntz, Unaussprechlichen Kulten, à mettre en corrélation avec ses formules abstraites sur les propriétés de l’espace et les relations entre les dimensions connues et inconnues.
Il savait que sa chambre se trouvait dans la vieille Maison de la Sorcière – en fait c’était pour cela qu’il l’avait prise. On trouvait dans les archives du comté d’Essex beaucoup de documents sur le procès de Keziah Mason, et ce qu’elle avait avoué sous la contrainte devant le tribunal d’Oyer et Terminer[1] avait fasciné Gilman plus que de raison. Elle parlait au juge Hathorne de lignes et de courbes qu’on pouvait tracer pour indiquer les voies qui menaient à travers les murs à des espaces différents au-delà du nôtre, et elle laissait entendre qu’on utilisait fréquemment ces lignes et ces courbes lors de certaines assemblées nocturnes dans la sombre vallée de la Pierre Blanche de l’autre côté de Meadow Hill et sur l’île déserte de la rivière. Elle avait aussi parlé de l’Homme Noir, du serment qu’elle avait prêté et de son nouveau nom secret, Nahab. Puis, ayant tracé ces formules sur les murs de sa cellule, elle avait disparu.
Gilman, qui croyait d’étranges choses au sujet de Keziah, avait éprouvé une émotion bizarre en apprenant que sa demeure était encore debout après plus de deux cent trente-cinq ans. Quand il sut quelles rumeurs couraient en secret à Arkham sur la présence persistante de Keziah dans la vieille maison et les rues étroites, les marques irrégulières de dents humaines laissées sur certains dormeurs dans telle ou telle maison, les cris d’enfants entendus vers la veille du Premier-Mai et de la Toussaint, la puanteur souvent observée dans le grenier de la vieille maison après ces périodes redoutables, enfin le petit animal velu aux dents aiguës qui hantait le bâtiment délabré et la ville, venant flairer curieusement les gens aux heures noires d’avant l’aube, alors il résolut de s’y installer à tout prix. Il fut aisé d’y obtenir une chambre ; car la maison, ayant mauvaise réputation, était difficile à louer, et vouée depuis longtemps aux petits loyers. Gilman n’aurait su dire ce qu’il espérait y trouver, il savait seulement qu’il voulait habiter la demeure où on ne sait quelle circonstance avait donné, plus ou moins soudainement, à une vieille femme quelconque du XVIIe siècle l’intuition de perspectives mathématiques qui dépassaient peut-être les recherches modernes les plus poussées de Planck, de Heisenberg, d’Einstein et de Sitter.
Il examina la charpente et le plâtre des murs pour y chercher des traces de dessins secrets à tous les endroits accessibles où le papier s’était décollé, et en une semaine il parvint à se faire donner la mansarde est où l’on prétendait que Keziah préparait ses sortilèges. Elle était libre dès son arrivée – car personne ne tenait jamais à y rester longtemps – mais le propriétaire polonais avait renoncé à la louer. Pourtant il n’arriva rien de particulier à Gilman jusqu’à l’époque de la fièvre. Aucune ombre de Keziah ne traversa les mornes couloirs et les logements, aucun petit animal velu ne se glissa pour le flairer dans son aire lugubre, et pas le moindre signe des incantations de la sorcière ne vint récompenser sa recherche incessante. Il allait parfois se promener dans l’obscur labyrinthe des ruelles non pavées aux relents de moisissure où de mystérieuses maisons brunes, sans âge, penchées et chancelantes, le lorgnaient ironiquement à travers d’étroites fenêtres à petits carreaux. Il savait que d’étranges choses s’étaient produites là autrefois, et une vague impression, derrière les apparences, suggérait que tout, de ce monstrueux passé – au moins dans les venelles les plus étroites, les plus sombres et tortueuses –, n’était pas complètement mort. Il alla aussi une ou deux fois en barque jusqu’à l’île malfamée de la rivière, et fit un croquis des angles singuliers formés par les alignements moussus de pierres levées grises, dont l’origine était si mystérieuse et d’une si lointaine antiquité.
La chambre de Gilman était de bonne taille mais d’une forme bizarrement irrégulière ; le mur nord s’inclinait sensiblement vers l’intérieur de la pièce, d’un bout à l’autre, tandis que le plafond bas descendait en pente douce dans la même direction. À part un trou de rat évident et les traces d’autres trous qu’on avait bouchés, il n’y avait pas d’accès – ni vestiges de quelque moyen de passage – menant à l’espace qui devait exister entre le mur oblique et la muraille extérieure verticale sur la face nord de la maison, bien que celle-ci vue du dehors révélât l’emplacement d’une fenêtre condamnée depuis très longtemps. La soupente au-dessus du plafond – qui devait avoir un plancher oblique – était également inaccessible. Lorsque Gilman grimpa sur une échelle jusqu’à la partie horizontale du grenier, couverte de toiles d’araignées, au-dessus du reste de la mansarde, il découvrit les marques d’une ancienne ouverture, hermétiquement close de lourdes planches fixées par les solides chevilles de bois familières aux charpentiers de l’époque coloniale. Mais aucun effort de persuasion ne put décider l’impassible propriétaire à le laisser explorer aucun de ces deux espaces clos.
À mesure que le temps passait, sa fascination grandit pour le mur et le plafond anormaux de sa chambre ; car il commença à lire dans leurs angles étranges une signification mathématique qui semblait offrir de vagues indices concernant leur but. La vieille Keziah, se dit-il, devait avoir d’excellentes raisons d’habiter une pièce aux angles singuliers ; n’était-ce pas grâce à certains angles qu’elle prétendait franchir les limites du monde spatial que nous connaissons ? Son intérêt se détourna peu à peu des vides inexplorés derrière les surfaces obliques, puisqu’il apparaissait maintenant que le propos de ces surfaces s’adressait au côté où il se trouvait déjà.
La menace de fièvre cérébrale et les rêves s’annoncèrent au début de février. Depuis quelque temps, les angles bizarres de la chambre de Gilman semblaient avoir sur lui un effet étrange, presque hypnotique ; et tandis qu’avançait le triste hiver, il se surprit à fixer de plus en plus intensément le coin où le plafond incliné vers le bas rejoignait le mur incliné vers l’intérieur. À peu près à la même époque, son incapacité à se concentrer sur ses études universitaires l’inquiéta énormément, et son appréhension avant l’examen de fin de semestre devint extrême. Mais la sensibilité excessive de son ouïe n’était pas moins gênante. La vie était devenue une perpétuelle et intolérable cacophonie, à laquelle s’ajoutait constamment la terrifiante impression que d’autres sons – peut-être venus de régions au-delà de la vie – attendaient, vibrant juste au seuil de l’audible. Si outrés que puissent être les bruits réels, ceux des rats dans les vieilles cloisons étaient les pires. Leur grattement semblait parfois non seulement furtif mais voulu. Quand il venait du mur oblique nord il s’y mêlait une sorte de cliquetis sec – et lorsqu’il semblait sortir de la soupente fermée depuis un siècle au-dessus du plafond oblique, Gilman se raidissait comme s’il redoutait quelque horreur qui n’attendait que le moment de s’abattre pour l’engloutir complètement.
Les rêves outrepassaient toutes les bornes de la raison, et Gilman y devinait la résultante de ses études conjointes en mathématiques et en folklore. Il avait trop médité sur les régions imprécises que ses formules lui faisaient pressentir au-delà des trois dimensions connues, et sur la possibilité que la vieille Keziah – guidée par on ne sait quelle influence – en ait réellement découvert la clé. Les archives jaunies du comté rapportant son témoignage et celui de ses accusateurs suggéraient diaboliquement des notions étrangères à l’expérience humaine – et les descriptions du redoutable petit être velu qui lui servait de démon familier étaient terriblement réalistes malgré leurs détails incroyables.
Cette créature, pas plus grosse qu’un rat de bonne taille, et que les gens de la ville appelaient curieusement « Brown Jenkin », devait être le fruit d’un cas remarquable d’hallucination collective, car en 1692 onze personnes affirmaient l’avoir aperçue. Il courait aussi des rumeurs récentes qui déroutaient et troublaient par leur concordance. Les témoins parlaient d’un animal à long poil, au corps de rat, mais dont la tête barbue aux dents pointues exprimait une malveillance humaine tandis que ses pattes ressemblaient à de minuscules mains d’homme. Il servait de messager entre Keziah et le diable, se nourrissant du sang de la sorcière – qu’il suçait comme un vampire. Sa voix était une sorte de gloussement répugnant et il parlait toutes les langues. Parmi les étranges monstruosités que Gilman voyait en rêve, rien ne lui inspirait plus de terreur et d’écœurement que cet avorton hybride et impie, dont l’image traversait ses visions sous une forme mille fois plus détestable que tout ce que lui avaient fait imaginer à l’état de veille les vieux témoignages et les modernes on-dit.
Les rêves de Gilman étaient en général des plongées à travers des abîmes infinis de crépuscule indiciblement coloré et de sons au déconcertant désordre ; des abîmes dont les propriétés physiques et gravitationnelles, comme les relations avec sa propre essence, échappaient à toute tentative d’explication. Il ne marchait ni ne grimpait, ne volait ni ne nageait, sans non plus ramper ni se tortiller ; mais il faisait toujours l’expérience d’un mode de déplacement mi-volontaire et mi-involontaire. Il pouvait difficilement juger de sa propre position, car la vue de ses bras, de ses jambes et de son torse semblait toujours empêchée par une étrange perturbation de la perspective ; mais il sentait que son organisme et ses facultés subissaient d’une manière ou d’une autre une prodigieuse mutation et une propulsion oblique – non sans certains rapports grotesques avec ses proportions et ses moyens normaux.
Les abîmes, loin d’être vides, étaient peuplés de masses de substance aux nuances inconnues, présentant des angles indescriptibles, dont les unes semblaient organiques et d’autres inorganiques. Quelques-uns des objets organiques pouvaient éveiller de vagues souvenirs au fond de sa mémoire, bien qu’il ne parvînt pas à former une idée consciente de ce que par dérision ils lui rappelaient ou lui suggéraient. Dans les rêves plus récents, il commença à distinguer des catégories selon lesquelles les objets organiques semblaient se répartir, et qui impliquaient, pour chaque cas, des espèces radicalement différentes de comportement et de motivation. L’une de ces catégories lui parut réunir des objets un peu moins illogiques et aberrants que les autres dans leurs mouvements.
Tous ces objets – organiques ou non – échappaient totalement à la description ou même à la compréhension. Gilman comparait quelquefois les masses inorganiques à des prismes, des labyrinthes, des grappes de cubes et de plans, des constructions cyclopéennes ; et les êtres organiques le frappaient diversement comme des groupes de bulles, de pieuvres, de mille-pattes, d’idoles hindoues vivantes et d’arabesques compliquées saisies d’une sorte d’animation ophidienne. Tout ce qu’il voyait était indescriptiblement menaçant et horrible ; et chaque fois qu’une des entités organiques semblait par ses mouvements déceler sa présence, il éprouvait une peur atroce, profonde, qui généralement le réveillait en sursaut. Il n’en savait pas plus sur le déplacement des entités organiques que sur le principe de ses propres mouvements. Avec le temps, il observa un nouveau mystère : certaines entités avaient tendance à apparaître brusquement dans le vide, ou à disparaître totalement avec la même soudaineté. Le tumulte de cris, de grondements qui envahissait les abîmes défiait toute analyse quant à la hauteur, au timbre ou au rythme ; mais il semblait synchrone avec de vagues changements dans l’apparence de tous les objets indéterminés, organiques ou inorganiques. Gilman redoutait sans cesse qu’il n’atteigne quelque intolérable degré d’intensité au cours de l’une ou l’autre de ses mystérieuses fluctuations qui revenaient toujours, impitoyablement.
Mais ce n’était pas dans ces tourbillons de totale étrangeté qu’il voyait Brown Jenkin. L’épouvantable petit monstre était réservé à des rêves plus clairs et plus saisissants qui l’attaquaient au moment même où il allait sombrer au plus profond du sommeil. Couché dans le noir, il luttait pour rester éveillé quand une faible lueur dansante faisait miroiter la chambre séculaire, soulignant d’une brume violette la convergence des plans obliques qui avait capté insidieusement son esprit. L’horreur surgissait du trou de rat dans le coin de la pièce et trottinait vers lui sur le plancher aux larges lames affaissées, son petit visage humain barbu exprimant une hideuse avidité – mais heureusement, ce rêve se dissipait toujours avant que la bête ne fût à portée de fourrer son museau contre lui. Elle avait des canines atrocement longues et acérées. Gilman s’efforçait chaque jour de boucher le trou de rat, mais chaque nuit les occupants réels des cloisons rongeaient l’obstacle, quel qu’il fût. Il avait une fois prié le propriétaire d’y clouer une plaque de fer-blanc, mais la nuit suivante les rats creusaient un nouveau trou – et ce faisant ils poussèrent ou traînèrent dans la chambre un drôle de petit os.
Gilman ne parla pas de sa fièvre au médecin, sachant qu’il ne pourrait pas passer ses examens si on l’envoyait à l’infirmerie alors qu’il avait besoin de tout son temps pour réviser. En fait, il échoua en calcul différentiel et en études supérieures de psychologie générale, mais il garda l’espoir de rattraper le temps perdu avant la fin du trimestre. Ce fut en mars que survint un élément nouveau dans les rêves plus clairs du premier sommeil, et la figure cauchemardesque de Brown Jenkin s’accompagna d’une forme floue qui en vint peu à peu à évoquer une vieille femme voûtée. Cette innovation l’inquiétant plus qu’il n’aurait su le dire, il finit par conclure que c’était l’image d’une vieille mégère qu’il avait réellement rencontrée deux fois dans l’obscur labyrinthe des ruelles proches des quais abandonnés. À chacune de ces apparitions, le regard fixe, malveillant, sardonique et apparemment sans but de la sorcière l’avait fait frissonner, surtout la première fois, lorsqu’un énorme rat traversant comme une flèche l’entrée ombreuse d’une venelle toute proche le fit sans raison songer à Brown Jenkin. À présent, se dit-il, ces peurs nerveuses se reflétaient dans ses rêves désordonnés.
Que la vieille maison eût une influence néfaste, il ne pouvait le nier ; mais les traces de sa curiosité morbide du début l’y retenaient. Il se disait que seule la fièvre était responsable de ses chimères nocturnes, et que la fin de l’accès le libérerait des monstrueuses visions. Elles étaient, néanmoins, abominablement frappantes, convaincantes, et il lui restait au réveil le sentiment d’avoir éprouvé beaucoup plus de choses qu’il ne se le rappelait. Il avait l’atroce certitude d’avoir parlé dans ces rêves oubliés avec Brown Jenkin et la vieille femme, qui le pressaient de venir avec eux pour rencontrer un troisième personnage doué d’une puissance supérieure.
Vers la fin de mars, il se remit aux mathématiques, mais les autres matières l’ennuyaient de plus en plus. Il s’était découvert un don intuitif pour résoudre les équations riemanniennes, et stupéfiait le Pr Upham par sa compréhension des problèmes de la quatrième dimension et d’autres qui laissaient sans voix tout le reste de la classe. Un après-midi, il y eut une discussion sur l’existence possible de courbures insolites de l’espace, et de points théoriques d’approche ou même de contact entre notre partie du cosmos et diverses autres régions aussi éloignées que les étoiles les plus lointaines ou les abîmes transgalactiques eux-mêmes – ou même aussi fabuleusement distantes que les unités cosmiques expérimentalement concevables au-delà du continuum espace-temps einsteinien. Gilman traita ce thème avec une aisance qui remplit d’admiration toute l’assistance, même si certaines de ses hypothèses proposées à titre d’exemple ne firent qu’encourager les perpétuels bavardages sur la bizarrerie de sa nervosité et de sa solitude. Ce qui fit hocher la tête aux étudiants fut le ton sérieux de sa théorie selon laquelle un homme – doué de connaissances mathématiques dépassant de l’avis général toutes les probabilités d’acquisition humaine – pourrait passer volontairement de la terre à tout autre corps céleste situé à l’un d’une infinité de points précis du modèle cosmique.
Un tel passage, dit-il, ne demanderait que deux étapes ; d’abord la sortie de la sphère à trois dimensions que nous connaissons, et ensuite le retour à la sphère à trois dimensions en un autre point, peut-être à une distance infinie. Que cela pût être réalisé sans perdre la vie était concevable dans beaucoup de cas. Tout être de n’importe quelle région de l’espace à trois dimensions pouvait probablement survivre dans la quatrième dimension ; et sa survie lors de la seconde étape dépendrait de la région étrangère de l’espace à trois dimensions qu’il choisirait pour sa rentrée. Les habitants de certaines planètes pouvaient vivre sur certaines autres – même si celles-ci appartenaient à des galaxies différentes, ou à des phases dimensionnellement similaires d’autres continuums espace-temps – bien que naturellement il doive exister des quantités considérables de corps ou de zones d’espace inhabitables les uns pour les autres, même s’ils sont mathématiquement juxtaposés.
Il était possible aussi que les habitants d’un monde de dimensions données puissent survivre à l’entrée dans beaucoup de mondes inconnus et incompréhensibles à dimensions supplémentaires ou indéfiniment multipliées – qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur du continuum espace-temps donné – et que la réciproque soit également vraie. C’était là un sujet de conjectures, bien qu’on puisse être à peu près certain que le type de mutation impliqué par le passage d’un système dimensionnel donné au système suivant plus élevé n’entraînerait pas la destruction de l’intégrité biologique telle que nous l’entendons. Gilman ne trouva pas d’arguments très clairs pour étayer cette dernière hypothèse, mais son imprécision sur ce point fut largement compensée par sa clarté sur d’autres sujets complexes. Le Pr Upham goûta particulièrement sa démonstration de la parenté des mathématiques supérieures avec certains moments du savoir magique transmis à travers les âges depuis une indicible antiquité – humaine ou préhumaine – où la connaissance du cosmos et de ses lois était plus vaste que la nôtre.
Vers le 1er avril, Gilman s’inquiéta sérieusement car son état fébrile persistait. Il fut aussi contrarié d’apprendre par d’autres locataires qu’il était somnambule. Il quittait souvent son lit, disait-on, et l’occupant de la chambre en dessous entendait craquer son plancher à certaines heures de la nuit. Cet homme prétendait qu’on marchait également avec des chaussures ; mais il se trompait sûrement puisque Gilman retrouvait toujours le matin ses souliers ainsi que tous ses effets exactement à leur place. On pouvait s’attendre à toutes sortes d’illusions auditives dans cette vieille maison malsaine – Gilman lui-même n’était-il pas certain de percevoir, même en plein jour, d’autres bruits que les grattements de rats, venant des vides obscurs de l’autre côté du mur oblique et au-dessus du plafond en pente ? Son oreille d’une sensibilité maladive commençait à surprendre des pas étouffés en haut dans la soupente condamnée depuis toujours, et l’impression en était parfois d’un réalisme angoissant.
Cependant il se savait devenu somnambule car à deux reprises on avait trouvé sa chambre vide la nuit, bien que ses vêtements n’aient pas bougé. Il avait là-dessus le témoignage de Frank Elwood, le seul de ses camarades que la pauvreté obligeait à loger dans cette maison sordide et malfamée. Elwood ayant travaillé bien après minuit était monté lui demander son aide pour une équation différentielle. Après avoir frappé sans obtenir de réponse, il s’était permis d’ouvrir la porte non verrouillée, pensant dans son cruel embarras que son hôte ne lui en voudrait pas d’avoir été doucement réveillé. Mais Gilman n’était pas là – et informé de ce qui s’était passé il se demanda où il avait bien pu aller, pieds nus, en pyjama. Il résolut d’approfondir la question si le phénomène se reproduisait, et songea à répandre de la farine sur le plancher du corridor pour voir où le conduirait la trace de ses pas. La porte était la seule issue envisageable, car l’étroite fenêtre ne menait nulle part où l’on pût poser le pied.
À mesure qu’avril passait, son ouïe aiguisée par la fièvre fut importunée par les prières gémissantes d’un monteur de métiers à tisser, un superstitieux qui demeurait au rez-de-chaussée et qu’on appelait Joe Mazurewicz. Il racontait de longues histoires incohérentes à propos du fantôme de la vieille Keziah et de la bête fureteuse aux longs poils et aux crocs aigus, qui le hantaient si atrocement parfois que seul son crucifix d’argent – donné tout exprès par le père Iwanicki de l’église Saint-Stanislas – lui procurait quelque répit. Il priait à présent parce que le sabbat des sorcières approchait. La veille du Premier-Mai, c’était la nuit de Walpurgis, où les plus noirs suppôts de l’enfer parcouraient la terre et où tous les esclaves de Satan s’assemblaient pour des rites et des forfaits innommables. C’était toujours un moment terrible à Arkham, même si les gens de Miskatonic Avenue et de High ou Saltonstall Street prétendaient n’en rien savoir. Il se ferait des horreurs – et un ou deux enfants disparaîtraient probablement. Joe savait tout cela, car dans son pays natal sa grand-mère tenait ses histoires de sa propre aïeule. C’était le temps de prier et d’égrener son chapelet. Depuis trois mois Keziah et Brown Jenkin n’approchaient pas de la chambre de Joe, ni de celle de Paul Choynski, ni d’aucune autre – et cela ne présageait rien de bon lorsqu’ils se tenaient ainsi à distance. Ils devaient préparer un mauvais coup.
Le 16 avril, Gilman passa chez un médecin, et fut surpris d’apprendre que sa température n’était pas si élevée qu’il l’avait craint. Le docteur le soumit à un interrogatoire serré et lui conseilla de voir un spécialiste des maladies nerveuses. Réflexion faite, il se félicita de n’avoir pas consulté le médecin de l’université, plus curieux encore. Le vieux Waldron, qui avait déjà fait réduire ses activités, l’aurait mis au repos – et c’était impossible alors qu’il sentait si proches les extraordinaires solutions de ses équations. Il était certainement tout près de la frontière entre l’univers connu et la quatrième dimension, et qui sait jusqu’où il irait ?
Mais au moment même où ces pensées lui venaient à l’esprit, il se demanda d’où il tenait son étrange confiance. Ce sentiment redoutable d’imminence n’était-il dû qu’aux formules dont il couvrait des pages jour après jour ? Les pas imaginaires, doux, furtifs, là-haut dans la soupente condamnée minaient sa volonté. Il avait aussi maintenant l’impression grandissante qu’on cherchait sans cesse à le persuader de faire une chose abominable à laquelle il ne pouvait se résoudre. Et que signifiait ce somnambulisme ? Où allait-il parfois la nuit ? Qu’étaient ces sons faiblement suggérés qui de temps à autre semblaient filtrer au travers du désordre affolant des bruits identifiables, même en plein jour, en pleine conscience ? Leur rythme ne correspondait à rien de connu sur terre, sinon peut-être à la cadence d’une ou deux psalmodies de sabbat dont on ne doit pas parler, et il craignait quelquefois que ce ne fût un écho du tumulte de grondements et de cris qui emplissaient les abîmes totalement étrangers du rêve.
Cependant, les rêves, eux, devenaient atroces. Dans la phase préliminaire plus claire, la vieille sorcière était d’une netteté infernale, et Gilman savait que c’était bien elle qui l’avait effrayé dans le quartier des taudis. On ne pouvait se méprendre sur son dos voûté, son long nez, son menton ridé, et ses informes vêtements bruns étaient bien ceux qu’il se rappelait. Son visage exprimait hideusement la jubilation mauvaise, et quand il s’éveilla il entendait encore une voix croassante qui persuadait et menaçait. Il devait, disait-elle, rencontrer l’Homme Noir et les accompagner tous devant le trône d’Azathoth au cœur de l’ultime Chaos. Il devait signer de son sang le livre d’Azathoth et adopter un nouveau nom secret à présent que ses recherches indépendantes étaient allées si loin. Ce qui l’empêchait de les suivre, elle, Brown Jenkin et les autres devant le trône du Chaos, où les flûtes au son maigre jouent avec indifférence, c’était qu’ayant vu le nom « Azathoth » dans le Necronomicon, il le tenait pour un mal primordial dont l’horreur défiait toute description.
La vieille surgissait toujours du vide près de l’angle où l’oblique vers le bas rejoignait l’oblique vers l’intérieur. Elle semblait se cristalliser en un point plus proche du plafond que du plancher, et elle était chaque nuit un peu plus proche et plus distincte avant que le rêve ne change. Brown Jenkin lui aussi se rapprochait à la fin, et ses crocs blanc jaunâtre luisaient terriblement dans cette mystérieuse phosphorescence violette. Son détestable gloussement suraigu se gravait de plus en plus dans la tête de Gilman, qui se rappelait au matin comment il avait prononcé les mots « Azathoth » et « Nyarlathotep ».
Dans les rêves plus profonds tout se précisait également, et Gilman sentait que les abîmes crépusculaires autour de lui étaient ceux de la quatrième dimension. Ces entités organiques dont les mouvements paraissaient moins manifestement aberrants et gratuits devaient être des projections de formes vivantes de notre planète, y compris d’êtres humains. Quant aux autres, il n’osait pas même s’interroger sur ce qu’elles pouvaient être dans la ou les sphères dimensionnelles auxquelles elles appartenaient. Deux des êtres mouvants les moins déroutants – un assez gros agrégat de bulles iridescentes plus ou moins sphériques et un polyèdre beaucoup plus petit aux couleurs inconnues et dont les angles changeaient à vue d’œil – semblaient remarquer sa présence, le suivant ou flottant devant lui tandis qu’il évoluait parmi les prismes gigantesques, les labyrinthes, les grappes de cubes et de plans, les constructions cyclopéennes ; et tout le temps le tumulte de cris et de grondements ne faisait que croître, comme s’il eût approché d’un monstrueux paroxysme d’une intolérable intensité.
Dans la nuit du 19 au 20 avril survint un fait nouveau. Gilman se déplaçait un peu malgré lui dans les abîmes crépusculaires, précédé de l’agrégat de bulles et du petit polyèdre flottants, quand il fut frappé par des angles étrangement réguliers formés par les arêtes d’une gigantesque grappe de prismes à côté de lui. En une seconde il se retrouva hors de l’abîme, tremblant sur le flanc d’une colline rocailleuse baignée d’une intense lumière verte. Il était pieds nus, en vêtements de nuit, et quand il essaya de marcher il s’aperçut qu’il pouvait à peine lever un pied. Un tourbillon de vapeur dérobait tout à sa vue au-delà du sol en pente, et il se contracta à l’idée des sons qui pourraient s’élever de cette vapeur.
Puis il vit deux silhouettes ramper laborieusement vers lui : la vieille femme et le petit être velu. La mégère fit un effort pour se mettre à genoux et croisa les bras d’une façon singulière, tandis que Brown Jenkin désignait une certaine direction, d’une patte hideusement anthropoïde qu’il élevait avec une visible difficulté. Poussé par une impulsion dont il ignorait l’origine, Gilman se traîna dans le sens indiqué par l’angle des bras de la vieille et de la patte du petit monstre, et il n’avait pas fait trois pas qu’il se retrouvait dans les abîmes nébuleux. Les formes géométriques grouillaient autour de lui, et il se mit à tomber vertigineusement, interminablement. Pour finir, il se réveilla sur son lit dans la mansarde aux angles déments de la vieille maison mystérieuse.
Se sentant bon à rien ce matin-là, il n’assista à aucun de ses cours. Un attrait inconnu orientait ses yeux sans motif apparent, de sorte qu’un espace vide sur le plancher retenait invinciblement son regard. À mesure que le temps passait, le point de convergence de ses yeux aveugles se déplaça, et vers midi il avait surmonté l’impulsion de fixer le vide. À deux heures il sortit pour aller déjeuner, et en parcourant les étroites ruelles de la ville, il se surprit à tourner toujours au sud-est. Il dut se forcer pour s’arrêter dans une cafétéria de Church Street, et après le repas, il ressentit l’étrange attirance, plus puissante encore.
Tout compte fait, il lui faudrait consulter un neurologue – peut-être y avait-il un rapport avec son somnambulisme –, mais en attendant il pourrait au moins essayer de rompre cet envoûtement morbide. Sans doute réussirait-il encore à échapper au magnétisme ; il se dirigea donc résolument dans le sens contraire et remonta péniblement Garrison Street vers le nord. Lorsqu’il atteignit le pont sur le Miskatonic, il fut pris d’une sueur froide, et se cramponna à la rampe de fer pour regarder en amont l’île malfamée dont les antiques alignements de pierres levées ruminaient leur morosité sous le soleil de l’après-midi.
Brusquement, il sursauta. Car il y avait sur cette île désolée une silhouette vivante clairement distincte, et un second coup d’œil lui apprit que c’était certainement la bizarre vieille dont la sinistre image avait un effet si désastreux sur ses rêves. Près d’elle les hautes herbes bougeaient, comme si quelque autre créature s’y glissait sur le sol. Au moment où la vieille se tourna vers lui, il quitta précipitamment le pont pour aller se réfugier dans les ruelles labyrinthiques des quais de la ville. Malgré l’éloignement de l’île, il sentait qu’un mal invincible et monstrueux pouvait émaner du regard sardonique de cette créature voûtée, sans âge, vêtue de brun.
L’attrait du sud-est persistait, et il fallut à Gilman une formidable énergie pour se traîner jusqu’à la vieille maison et monter l’escalier branlant. Pendant des heures il demeura assis, silencieux, désœuvré, et ses yeux peu à peu se tournèrent vers l’ouest. À six heures, son oreille sensible perçut les prières gémissantes de Joe Mazurewicz deux étages en dessous, et, désespéré, il prit son chapeau pour repartir dans les rues dorées par le couchant, se laissant mener par l’impulsion qui l’entraînait désormais droit au sud. Une heure plus tard, la nuit le trouva en pleine campagne au-delà de Hangman’s Brook, à la lueur des étoiles printanières qui scintillaient devant lui. Son envie de marcher se muait doucement en un ardent désir de bondir dans l’espace en un élan surnaturel, et il comprit brusquement où était la source de ce magnétisme.
Elle était dans le ciel. Un point précis parmi les étoiles avait un droit sur lui et le réclamait. Cela se trouvait apparemment entre Hydra et Argo Navis[2], et il comprit qu’il était poussé dans cette direction depuis son réveil peu de temps après l’aube. Dans la matinée, ce point se trouvait sous ses pieds ; l’après-midi il montait au sud-est, et maintenant il était à peu près au sud mais poursuivait sa course vers l’ouest. Que signifiait ce nouveau phénomène ? Allait-il devenir fou ? Combien de temps cela durerait-il ? Rassemblant à nouveau son courage, Gilman se retourna et regagna péniblement la sinistre vieille maison.
Mazurewicz l’attendait à la porte, à la fois impatient et réticent, pour lui chuchoter une rumeur superstitieuse toute fraîche. Il s’agissait du « feu des sorcières ». Joe ayant fait la fête la veille au soir – c’était le jour des Patriotes au Massachusetts – était rentré après minuit. Levant les yeux sur la façade de la maison, il crut d’abord que la fenêtre de Gilman était obscure ; puis il aperçut la lueur violette à l’intérieur. Il voulait avertir le gentleman, car tout le monde savait à Arkham que c’était la lumière magique de Keziah qui accompagnait Brown Jenkin et le fantôme de la vieille elle-même. Il n’en avait encore jamais parlé, mais il le fallait maintenant parce que cela signifiait que Keziah et son démon familier hantaient le jeune homme. Comme Paul Choynski et Dombrowski, le propriétaire, il avait cru voir à plusieurs reprises cette lumière filtrer par les crevasses de la soupente condamnée au-dessus de la chambre du jeune gentleman, mais ils avaient tous convenu de ne rien dire. Pourtant, le gentleman ferait mieux de prendre une autre chambre et de demander un crucifix à quelque bon prêtre comme le père Iwanicki.
Tandis que l’homme continuait à radoter, Gilman sentit une terreur sans nom le saisir à la gorge. Il avait beau savoir que Joe devait être à moitié soûl quand il était rentré la nuit précédente, cette mention de la lumière violette à la fenêtre de la mansarde prenait un sens effroyable. Cette sorte de lueur chatoyante dansait toujours autour de la vieille femme et du petit être velu dans les rêves clairs et saisissants qui servaient d’introduction à sa plongée dans les abîmes inconnus, et penser qu’une autre personne pût voir à l’état de veille la luminescence onirique était absolument irrecevable pour la raison. Mais où le bonhomme aurait-il pris une idée aussi bizarre ? Gilman lui-même aurait-il parlé dans son sommeil tout en parcourant la maison ? Joe affirmait que non – mais il faudrait s’en assurer. Peut-être Frank Elwood saurait-il quelque chose, bien qu’il lui coûtât de l’interroger.
La fièvre – les rêves déments – le somnambulisme – les illusions de l’ouïe – le magnétisme d’un point dans le ciel – et maintenant ce doute d’avoir en dormant dit quelque folie ! Il fallait interrompre les études, voir un neurologue, et se prendre en main. En arrivant au deuxième étage, il s’arrêta devant la porte d’Elwood mais le jeune homme était absent. Il continua à contrecœur jusqu’à sa mansarde et s’assit dans le noir. Son regard était toujours attiré vers le sud, et il se surprit en outre à tendre l’oreille, à l’affût de quelque bruit dans le grenier fermé au-dessus, en imaginant plus ou moins qu’une néfaste lueur violette filtrait à travers une fissure minuscule dans le bas plafond oblique.
Cette nuit-là, pendant son sommeil, la lumière violette se répandit sur lui, plus intense que jamais, et la vieille sorcière ainsi que le petit monstre velu – s’approchant encore davantage – se moquèrent de lui avec des gestes démoniaques et des glapissements inhumains. Il fut heureux de sombrer dans les abîmes crépusculaires au vague grondement, malgré la présence obsédante du conglomérat de bulles iridescentes et du petit polyèdre kaléidoscopique qui l’irritait et l’inquiétait. Puis vint le changement avec l’apparition au-dessus et au-dessous de lui d’immenses plans convergents d’une substance glissante – changement qui s’acheva dans un délire fulgurant, un torrent de lumière inconnue d’outre-monde, où le jaune, le carmin, l’indigo se mêlaient follement, inextricablement.
Il était à moitié couché sur une haute terrasse aux balustrades fantastiques dominant une jungle illimitée d’incroyables pics barbares, de plans en équilibre, de dômes, de minarets, de disques horizontaux posés sur des faîtes, et d’innombrables formes plus extravagantes encore – certaines de pierre, d’autres de métal – qui resplendissaient magnifiquement sous l’éclat brûlant d’un ciel polychrome. Levant les yeux, il vit trois formidables disques de flamme, chacun d’une teinte différente, et à différentes hauteurs au-dessus d’un horizon courbe infiniment lointain de montagnes basses. Derrière lui les gradins des plus hautes terrasses s’élevaient dans le ciel aussi loin que pouvait aller son regard. La ville en bas s’étendait à perte de vue, et il espéra qu’il n’en monterait aucun son.
Le dallage d’où il se releva sans effort était fait d’une pierre veinée, polie, qu’il fut incapable d’identifier, et les carreaux étaient taillés selon des angles singuliers qui lui parurent moins asymétriques que dictés par une symétrie surnaturelle dont il ne pouvait saisir les lois. La balustrade, à hauteur de poitrine, était raffinée et fabuleusement ouvragée, tandis que le long de la rampe se succédaient à de courts intervalles des figurines grotesques d’un travail exquis. Elles semblaient faites, comme la balustrade elle-même, d’une sorte de métal luisant dont la couleur était indiscernable dans ce chaos éblouissant. Elles représentaient un corps strié en forme de tonneau portant de minces bras horizontaux divergeant comme les rayons d’une roue autour d’un anneau central, et des protubérances ou bulbes verticaux prolongeant le sommet et la base du tonneau. Chacune de ces protubérances était le moyeu d’un système de cinq longs bras plats effilés en triangle, disposés comme ceux d’une étoile de mer – presque horizontalement, mais légèrement incurvés à l’opposé du tonneau central. La base de la protubérance inférieure tenait à la longue rampe par un point si frêle que plusieurs figurines s’en étaient détachées et manquaient. Elles mesuraient environ quatre pouces et demi de haut, et les bras pointus leur donnaient un diamètre maximum de deux pouces et demi.
Lorsque Gilman se leva, les dalles parurent brûlantes à ses pieds nus. Il était absolument seul, et son premier mouvement fut de marcher jusqu’à la balustrade pour contempler la vue vertigineuse de l’interminable cité cyclopéenne presque deux mille pieds plus bas. Prêtant l’oreille, il crut entendre un tumulte rythmé de faibles voix flûtées, musicales, d’un registre tonal très étendu, qui montait des rues étroites au-dessous de lui, et il regretta de ne pouvoir discerner leurs habitants. Devant le paysage, la tête lui tourna au bout d’un moment, au point qu’il serait tombé sur le dallage s’il ne s’était instinctivement cramponné à la superbe balustrade. Sa main droite tomba sur l’une des figurines, dont le contact parut lui rendre un peu son aplomb. Mais ce fut trop pour la finesse exotique de la ferronnerie, et la statuette hérissée de pointes se brisa net sous son étreinte. Encore étourdi, il continua de la serrer tandis que son autre main trouvait une prise sur la rampe lisse.
Alors son ouïe hypersensible perçut une présence derrière lui, et il se retourna pour regarder à l’autre bout de la terrasse nue. Cinq silhouettes approchaient doucement bien que sans précautions apparentes, dont deux étaient la sinistre vieille et le petit animal velu aux terribles dents. Les trois autres lui firent perdre conscience – car ces entités vivantes de huit pieds de haut étaient exactement semblables aux figurines hérissées de la balustrade, et se déplaçaient en agitant comme des araignées la série inférieure de leurs bras d’étoile de mer.
Gilman se réveilla dans son lit, trempé d’une sueur froide, avec une sensation de brûlure au visage, aux mains et aux pieds. Se levant d’un bond, il se lava et s’habilla en toute hâte, comme s’il lui fallait à tout prix quitter la maison le plus vite possible. Il ne savait pas où il voulait aller, mais il sentait que cette fois encore il devrait sacrifier ses cours. L’étrange attrait vers ce point du ciel entre Hydra et Argo avait disparu, mais un autre plus puissant encore prenait sa place. Il lui fallait à présent aller vers le nord – infiniment au nord. Il redoutait de traverser le pont d’où l’on voyait l’île déserte du Miskatonic, aussi prit-il celui de Peabody Avenue. Il trébucha très souvent, car ses yeux et ses oreilles étaient rivés sur un point extrêmement élevé dans le ciel bleu et vide.
Au bout d’une heure environ, ayant retrouvé un peu son sang-froid, il s’aperçut qu’il était loin de la ville. Autour de lui s’étendait le morne désert des marécages salés, et devant lui la route étroite menait à Innsmouth – la vieille cité à moitié abandonnée que les gens d’Arkham répugnaient si étrangement à visiter. Bien que l’attrait du nord n’ait pas diminué, il y résista comme il l’avait fait à l’autre, et découvrit finalement qu’il arrivait presque à les équilibrer. Il revint péniblement en ville, prit un café à un comptoir et se traîna à la bibliothèque publique où il feuilleta sans but les magazines. Il rencontra des amis qui s’étonnèrent de le voir brûlé par le soleil, mais il ne leur dit rien de sa promenade. À trois heures il alla déjeuner dans un restaurant, constatant dans l’intervalle que le magnétisme s’était atténué ou peut-être partagé. Après cela il tua le temps dans un cinéma bon marché, à revoir indéfiniment le même stupide spectacle sans y prêter la moindre attention.
Vers neuf heures du soir, il prit machinalement le chemin du retour et entra d’un pas hésitant dans la vieille maison. Joe Mazurewicz gémissait d’inintelligibles prières, et Gilman se hâta de monter à sa mansarde sans s’arrêter pour voir si Elwood était là. Dès qu’il eut allumé l’électricité, ce fut le choc. À la faible lumière de l’ampoule il vit aussitôt sur la table ce qui n’aurait pas dû s’y trouver, et un second regard ne laissa aucune place au doute. Couchée sur le flanc – car elle ne pouvait tenir debout seule –, c’était la figurine exotique hérissée de pointes que dans son rêve monstrueux il avait détachée de la fabuleuse balustrade. Aucun détail ne manquait. Le corps strié en forme de tonneau, les minces bras rayonnants, les protubérances à chaque extrémité, et les branches plates d’étoile de mer, légèrement incurvées, qui partaient de ces protubérances – tout y était. À la lumière électrique, la couleur semblait une sorte de gris irisé veiné de vert, et Gilman dans sa stupéfaction et son horreur s’aperçut que l’une des protubérances s’achevait par une cassure déchiquetée à l’endroit où elle était d’abord fixée à la rampe de son rêve.
Seul l’état d’hébétude auquel il était enclin l’empêcha de hurler. Cette fusion du rêve et de la réalité était intolérable. Encore sous le choc, il saisit l’objet hérissé et descendit en chancelant chez Dombrowski, le propriétaire. Les prières gémissantes du superstitieux monteur de métiers résonnaient toujours dans les couloirs moisis, mais Gilman ne s’en souciait plus. Le propriétaire était là et le reçut aimablement. Non, il n’avait jamais vu cet objet et ne savait rien à son sujet. Mais sa femme lui avait dit qu’elle avait trouvé une drôle de chose en étain dans un des lits en faisant les chambres à midi, et c’était peut-être ça. Dombrowski l’appela et elle arriva en se dandinant. Oui, c’était bien ça. Elle l’avait trouvé dans le lit du jeune gentleman – du côté du mur. Ça lui avait paru très bizarre, mais bien sûr le jeune gentleman avait des tas de choses bizarres dans sa chambre – des livres, des bibelots et puis des dessins et des notes sur des papiers. Elle ne savait rien du tout là-dessus.
Gilman remonta donc l’escalier, l’esprit bouleversé, convaincu qu’il rêvait encore ou que son somnambulisme poussé à un degré incroyable l’avait entraîné à des déprédations dans des lieux inconnus. Où avait-il pris cet objet invraisemblable ? Il ne se rappelait pas l’avoir vu dans aucun musée d’Arkham. Cela s’était produit quelque part pourtant ; et son image, lorsqu’il s’en était emparé dans son sommeil, avait dû susciter l’étrange rêve de la terrasse et de sa balustrade. Demain il mènerait une enquête prudente – et verrait peut-être un neurologue.
En attendant il essaierait de garder des traces de son somnambulisme. Dans l’escalier et sur le palier du premier il sema un peu de farine qu’il avait empruntée au propriétaire en lui avouant franchement son intention. Il s’était arrêté au passage à la porte d’Elwood, mais il n’avait pas vu de lumière chez lui. Une fois dans sa chambre, il posa sur la table l’objet bardé de pointes, et totalement épuisé physiquement et mentalement, il se coucha sans prendre le temps de se déshabiller. Dans le grenier fermé au-dessus du plafond oblique il crut entendre un faible grattement et un pas feutré, mais il était trop troublé pour y prendre garde. Le mystérieux attrait du nord redevenait très puissant, bien qu’il semblât venir maintenant d’un point situé plus bas dans le ciel.
Dans l’éblouissante lumière violette du rêve, la vieille femme et le monstre velu aux dents longues revinrent et plus distinctement que jamais. Cette fois ils l’atteignirent réellement, et il se sentit saisi par les griffes desséchées de la sorcière. Il fut tiré du lit, jeté dans l’espace vide, et pendant un moment il entendit un grondement rythmé et vit grouiller autour de lui les fluctuations crépusculaires des abîmes confus. Mais ce fut très court car il se retrouva bientôt dans un petit espace rudimentaire, aveugle, où des poutres et des planches grossières se rejoignaient au faîte juste au-dessus de sa tête, et un curieux plancher s’abaissait obliquement sous ses pieds. Posés d’aplomb sur des étais, des meubles bas pleins de livres à tous les degrés d’antiquité et de désintégration, et au milieu une table et un banc, apparemment cloués sur place. De petits objets de forme et de nature inconnues étaient rangés sur le haut des rayons, et dans l’ardente lumière violette Gilman crut voir un double de la forme hérissée de pointes qui lui avait posé une si cruelle énigme. Sur la gauche, le plancher s’interrompait brusquement au bord d’un gouffre noir, triangulaire, d’où émergea bientôt, après une série de petits bruits secs, le détestable petit monstre velu aux crocs jaunes et au visage d’homme barbu.
La mégère au sourire grimaçant étreignait toujours sa victime, et devant la table était assis un personnage que Gilman n’avait jamais vu – un homme grand, maigre, d’un noir d’encre mais sans aucun caractère négroïde ; totalement chauve et imberbe, il portait pour tout vêtement une robe informe d’une lourde étoffe noire. La table et le banc dissimulaient ses pieds, mais il devait être chaussé, car on entendait un bruit sec chaque fois qu’il changeait de position. L’homme ne parlait pas et ses traits minces et réguliers étaient absolument dépourvus d’expression. Il désignait seulement un livre d’une taille prodigieuse qui était ouvert sur la table, tandis que la mégère fourrait une énorme plume d’oie grise dans la main droite de Gilman. Sur tout cela pesait un climat de peur affolant, qui fut à son paroxysme lorsque le monstre velu grimpa aux vêtements du dormeur jusqu’à ses épaules puis descendit le long de son bras gauche, et enfin le mordit brusquement au poignet juste au-dessous de sa manche. Au moment même où le sang jaillissait de la blessure, Gilman s’évanouit.
Il se réveilla le matin du 22 avec une douleur au poignet gauche, et vit que sa manche était brune de sang séché. Ses souvenirs étaient très confus, mais la scène avec l’Homme Noir dans l’espace inconnu se détachait de façon frappante. Les rats avaient dû le mordre pendant son sommeil, suscitant le coup de théâtre de son effroyable rêve. Ayant ouvert la porte, il constata que la farine était intacte sur le plancher du couloir, à part les larges empreintes du gros lourdaud qui logeait à l’autre bout du grenier. Il ne s’agissait donc pas de somnambulisme cette fois. Mais il fallait faire quelque chose au sujet de ces rats. Il en parlerait à son propriétaire. De nouveau il tenta de boucher le trou à la base du mur oblique, en y enfonçant un chandelier qui semblait à peu près de la bonne taille. Ses oreilles bourdonnaient abominablement comme si elles gardaient l’écho de quelque horrible bruit entendu dans ses rêves.
Tout en se levant et en changeant de vêtements, il essaya de se rappeler ce qu’il avait rêvé après la scène dans l’espace illuminé de violet, mais rien de précis ne prenait corps dans son esprit. Cette scène elle-même devait se rapporter au grenier condamné au-dessus de sa tête, qui avait d’abord assailli son imagination avec tant de violence, mais les dernières impressions étaient faibles et nébuleuses. C’étaient des évocations des vagues abîmes crépusculaires, et au-delà d’eux, d’abîmes plus vastes et plus noirs encore – où étaient absentes toutes suggestions immuables de formes. Il y avait été conduit par le conglomérat de bulles et le petit polyèdre toujours sur ses talons ; mais, comme lui-même, ils s’étaient changés en mèche de brume laiteuse, à peine lumineuse dans ce vide plus lointain des ultimes ténèbres. Quelque chose les y avait précédés – un flocon plus gros qui se condensait par moments en ébauches de formes indéfinissables, et il lui sembla qu’au lieu d’avancer en ligne droite, ils avaient suivi les courbes et les spirales étrangères d’un tourbillon de l’éther soumis à des lois inconnues de la physique et des mathématiques de tout cosmos imaginable. Finalement, s’étaient esquissées d’immenses ombres bondissantes, une monstrueuse pulsation mi-auditive, et la modulation aigre et monotone d’une flûte invisible – mais ce fut tout. Gilman jugea que cette dernière idée lui était venue de ce qu’il avait lu dans le Necronomicon au sujet d’Azathoth, l’entité sans esprit qui régit l’espace et le temps depuis un trône noir curieusement entouré au centre du Chaos.
Lorsque son poignet sanglant fut lavé, la blessure se révéla insignifiante, et Gilman fut intrigué par la disposition des deux minuscules morsures. Il lui vint à l’esprit qu’il n’y avait pas de sang sur le dessus-de-lit où il s’était étendu – et c’était surprenant étant donné l’importance des taches sur sa manche et sa peau. Avait-il marché dans sa chambre pendant son sommeil, et le rat l’avait-il mordu alors qu’il était assis sur une chaise ou arrêté dans quelque position moins prévisible ? Il chercha dans tous les coins des taches ou des traînées brunes, mais n’en trouva aucune. Il vaudrait mieux, se dit-il, répandre la farine à l’intérieur de la pièce autant qu’à l’extérieur – bien qu’au fond son somnambulisme ne fût plus à démontrer. Il savait qu’il marchait la nuit – et toute la question maintenant était d’y mettre fin. Il fallait demander son aide à Frank Elwood. Les étranges appels de l’espace paraissaient atténués ce matin, mais un autre sentiment les remplaçait, encore plus inexplicable. C’était une impulsion confuse et pressante à fuir sa situation actuelle, sans la moindre idée de la direction précise qu’il voulait suivre pour s’échapper. En prenant sur la table la figurine hérissée, il s’imagina que le vieil attrait du nord reprenait un peu de force ; mais il n’en fut pas moins entièrement dominé par le nouveau désir si déconcertant.
Il descendit l’image armée de pointes chez Elwood, se cuirassant contre les jérémiades du monteur de métiers qui s’élevaient du rez-de-chaussée. Elwood était là, Dieu merci, et se montra passionné. Ils avaient le temps de bavarder un peu avant de sortir pour le petit déjeuner et l’université. Gilman s’empressa donc de donner libre cours à ses derniers rêves et à ses craintes. Son hôte fut très compréhensif et convint qu’il fallait agir. Il fut frappé des traits tirés, de l’air égaré de son visiteur, et remarqua l’étonnant coup de soleil que d’autres avaient déjà trouvé anormal la semaine précédente. Néanmoins, il avait peu de chose à dire. Il n’avait pas été témoin des crises de somnambulisme de Gilman, et ne savait rien de la singulière figure. Un soir, pourtant, il avait entendu une conversation entre Mazurewicz et le Canadien français qui logeait juste au-dessous de Gilman. Ils se confiaient leurs terribles craintes à l’approche de la nuit de Walpurgis, dans quelques jours seulement, et échangeaient des commentaires apitoyés sur le pauvre jeune homme condamné. Desrochers, le voisin du dessous, parlait des bruits de pas entendus la nuit chez Gilman, avec et sans chaussures, et de la lumière violette qu’il avait vue un soir où il était monté à pas de loup pour regarder par le trou de serrure de Gilman. Mais quand il avait aperçu cette lumière par les fentes autour de la porte, il n’avait plus osé regarder, disait-il à Mazurewicz. Il avait aussi entendu parler à voix basse – et comme il se préparait à donner des détails ses propos étaient devenus un murmure inaudible.
Elwood ne pouvait imaginer ce qu’avaient raconté ces deux bavards superstitieux, mais il supposait que leur imagination avait été excitée d’abord par les déambulations et les bavardages nocturnes de Gilman endormi, et ensuite par la proximité de la veille du Premier-Mai, traditionnellement redoutée. De toute évidence Gilman parlait dans son sommeil, et le guet de Desrochers devant le trou de serrure montrait bien que l’histoire fantastique de la lueur violette du rêve s’était répandue. Ces gens simples imaginaient vite qu’ils avaient vu les choses bizarres dont ils avaient entendu parler. Quant au plan d’action – Gilman devrait descendre dans la chambre d’Elwood et éviter de dormir seul. Elwood, s’il était éveillé, l’alerterait chaque fois qu’il se mettrait à parler ou à se lever en dormant. Il devrait aussi voir sans tarder un spécialiste. En attendant, ils iraient présenter la figurine hérissée dans les divers musées et à certains professeurs, tâchant de l’identifier, en prétendant l’avoir trouvée dans une décharge publique. Et puis Dombrowski devrait s’occuper d’empoisonner tous ces rats dans les murs.
Réconforté par la compagnie d’Elwood, Gilman assista aux cours ce jour-là. D’étranges impulsions le tourmentaient encore, mais il réussit admirablement à les écarter. Pendant ses heures de liberté il montra la bizarre figurine à plusieurs professeurs, qui tous s’y intéressèrent vivement, sans qu’aucun puisse jeter la moindre lumière sur sa nature ou son origine. Il dormit cette nuit-là sur un lit de camp qu’Elwood avait fait monter par le propriétaire dans la chambre du deuxième étage, et pour la première fois depuis des semaines il fut délivré de tout rêve inquiétant. Mais la fièvre persistait, et les lamentations du monteur de métiers avaient une influence démoralisante.
Pendant les quelques jours suivants, Gilman jouit d’une protection presque parfaite contre les phénomènes morbides. Il n’avait manifesté, disait Elwood, aucune tendance à parler ou à se lever pendant son sommeil ; et entre-temps le propriétaire avait mis de la mort-aux-rats partout. Le seul élément de trouble était le bavardage des étrangers superstitieux, dont l’imagination était surchauffée. Mazurewicz insistait sans cesse pour qu’il se procure un crucifix, et il finit par lui en imposer un qui, disait-il, avait été béni par le bon père Iwanicki. Desrochers, lui aussi, avait son mot à dire – en fait il affirmait avoir entendu des pas furtifs dans la chambre maintenant vacante au-dessus de lui pendant la première et la deuxième nuit où Gilman était absent. Paul Choynski croyait entendre des bruits dans les couloirs et l’escalier, et soutenait qu’on avait essayé d’ouvrir doucement sa porte, tandis que Mrs Dombrowski jurait qu’elle avait vu Brown Jenkin pour la première fois depuis la Toussaint. Mais ces témoignages naïfs n’avaient pas grand sens, et Gilman laissa le crucifix de métal bon marché négligemment pendu au buffet de son hôte.
Pendant trois jours, Gilman et Elwood firent le tour des musées de la ville pour tenter d’identifier l’étrange statuette à pointes, mais toujours sans succès. Partout cependant elle éveilla un profond intérêt ; car sa totale étrangeté était un défi formidable pour la curiosité des scientifiques. L’un des petits bras rayonnants fut détaché et soumis à une analyse chimique, dont les résultats demeurent un sujet de discussion dans le milieu universitaire. Le Pr Ellery trouva dans l’étonnant alliage du platine, du fer et du tellure ; mais il s’y mêlait au moins trois autres éléments d’un poids atomique élevé que la chimie s’avérait absolument incapable de classer. Non seulement ils ne correspondaient à aucun élément connu, mais pas même aux places vacantes réservées aux éléments probables dans la classification périodique. Aujourd’hui encore le mystère reste entier, et la figurine est exposée au musée de l’université de Miskatonic.
Le matin du 27 avril, un nouveau trou de rats apparut dans la chambre que partageait Gilman, mais Dombrowski l’obtura le jour même. Le poison restait sans effet, car les grattements et les galopades dans les murs étaient pratiquement inchangés. Elwood rentra tard cette nuit-là, et Gilman l’attendit. Il ne voulait pas s’endormir seul dans une chambre – d’autant plus qu’il avait cru apercevoir au crépuscule la répugnante vieille dont l’image s’était si horriblement imposée dans ses rêves. Il se demanda qui elle était, et ce qui près d’elle remuait une boîte de conserve sur un tas d’ordures à l’entrée d’une cour sordide. La mégère avait paru le remarquer et l’avait lorgné méchamment – ou peut-être se l’était-il imaginé.
Le lendemain, les jeunes gens se sentirent tous deux très fatigués, et se dirent qu’ils dormiraient comme des souches dès la nuit tombée. Dans la soirée, plutôt somnolents, ils discutèrent des recherches mathématiques qui avaient absorbé Gilman si complètement, dangereusement peut-être, s’interrogeant sur de probables rapports mystérieux avec la magie ancienne et le folklore. Ils parlèrent de Keziah Mason, et Elwood reconnut que Gilman avait scientifiquement de bonnes raisons de penser qu’elle était tombée sur un savoir inconnu de grande portée. Les cultes interdits auxquels appartenaient ces sorcières détenaient et transmettaient souvent des secrets surprenants qui remontaient à des temps immémoriaux ; il n’était pas impossible que Keziah connût réellement l’art de franchir les frontières dimensionnelles. La tradition souligne la vanité des barrières matérielles pour arrêter les déplacements d’une sorcière ; et qui sait d’où viennent les vieilles histoires de chevauchées nocturnes sur un manche à balai ?
Restait à prouver qu’un mathématicien moderne pût acquérir des pouvoirs semblables en poursuivant seul ses recherches. La réussite, ajoutait Gilman, pouvait mener à des situations périlleuses et inconcevables ; car nul n’était capable de prévoir quelles seraient les conditions de vie dans une dimension voisine mais normalement inaccessible. D’autre part, les perspectives pittoresques étaient fantastiques. Dans certaines zones de l’espace, le temps peut-être n’existait pas, et à condition d’y entrer et d’y demeurer on pourrait conserver indéfiniment sa vie et son âge ; ne jamais subir le métabolisme organique ni ses dégradations, sauf les petits risques encourus au cours des visites à son propre monde ou à des mondes comparables. On pourrait, par exemple, passer dans une dimension intemporelle et en ressortir aussi jeune qu’auparavant à quelque époque lointaine de l’histoire terrestre.
Quelqu’un y était-il jamais parvenu ? Il était bien difficile d’en juger avec plus ou moins de certitude. Les vieilles légendes sont vagues et ambiguës, et dans les temps historiques toutes les tentatives pour franchir les vides interdits semblent compliquées par de singulières et terribles alliances avec des êtres et des messagers venus d’ailleurs. Il y avait la figure immémoriale du représentant ou de l’envoyé de puissances cachées et redoutables – l’Homme Noir du culte des sorcières, et le Nyarlathotep du Necronomicon. Il existait aussi le problème déroutant des moindres émissaires ou intermédiaires – les quasi-animaux et les hybrides bizarres que les légendes décrivent comme les familiers des sorcières. En allant se coucher, tombant de sommeil, incapables de discuter davantage, Gilman et Elwood entendirent Joe Mazurewicz qui rentrait à la maison en titubant, à moitié ivre, et l’ardeur désespérée de ses prières gémissantes les fit frémir.
Cette nuit-là Gilman revit la lumière violette. Il avait entendu dans son rêve des bruits de griffes et de dents rongeuses dans les cloisons, et il lui sembla qu’un maladroit cherchait à tâtons le loquet. Puis il vit approcher sur le tapis la vieille femme et le petit monstre velu. Le visage de la harpie rayonnait d’une jubilation inhumaine, et la petite infection aux dents jaunes gloussait en désignant ironiquement au bout de la chambre Elwood qui dormait à poings fermés dans l’autre lit. Paralysé de terreur, Gilman n’eut pas même la force de crier. Comme la première fois, la hideuse mégère le saisit aux épaules, le tira de ses draps et le jeta dans l’espace vide. De nouveau l’infini hurlant des abîmes crépusculaires étincela devant lui, mais une seconde plus tard il se vit dans une ruelle inconnue, sombre, boueuse et puante, dont les vieilles maisons aux murs pourrissants se dressaient de tous les côtés.
L’Homme Noir était là, vêtu de sa robe, tel qu’il l’avait vu sous le toit pointu dans l’autre rêve, tandis que la vieille, plus proche, grimaçait avec un geste impérieux. Brown Jenkin, pris d’une sorte d’affectueux enjouement, se frottait aux chevilles de l’Homme Noir, en grande partie dissimulées par la boue épaisse. L’Homme Noir montra sans un mot une entrée obscure qui s’ouvrit sur la droite. La mégère grimaçante s’y engouffra, traînant Gilman à sa suite par sa manche de pyjama. Il y eut un escalier nauséabond aux craquements sinistres, où la vieille semblait répandre une vague lueur violette ; et enfin une porte donnant sur un palier. La sorcière tâta le loquet, ouvrit la porte et, faisant signe à Gilman de l’attendre, disparut dans les ténèbres.
L’oreille hypersensible du jeune homme perçut une affreuse plainte étouffée, et presque aussitôt la mégère sortit de la pièce portant une petite forme inerte qu’elle tendit au rêveur comme pour lui ordonner de la porter. La vue de cette forme et l’expression de son visage rompirent le sortilège. Trop hébété encore pour crier, il se précipita imprudemment dans l’escalier fétide et dehors dans la boue ; seul l’arrêta l’Homme Noir qui attendait et le prit à la gorge. Avant de perdre connaissance, il entendit, atténué, le gloussement aigu du petit monstre aux crocs acérés.
Le matin du 29, Gilman s’éveilla dans un maelström d’horreur. Au moment même où il ouvrit les yeux, il comprit qu’il se passait une chose effroyable, car il était à nouveau dans sa vieille mansarde au plafond et au mur obliques, affalé sur le lit maintenant défait. Sa gorge était inexplicablement douloureuse, et quand il fit effort pour s’asseoir, il constata avec une terreur grandissante que ses pieds et le bas de son pyjama étaient souillés de boue séchée. Sur le moment ses souvenirs restèrent désespérément brumeux, mais il ne put douter d’avoir marché dans son sommeil. Elwood était trop profondément endormi pour l’entendre et l’arrêter. Le plancher portait de confuses empreintes boueuses, mais bizarrement elles n’arrivaient pas jusqu’à la porte. Plus Gilman les considérait, plus il les trouvait étranges ; car outre les siennes, qu’il reconnaissait, il en était de plus petites, presque rondes – telles que pourraient en faire les pieds d’un grand siège ou d’une table, sauf que la plupart avaient tendance à se diviser par moitié. Il y avait encore de curieuses traces boueuses, celles de pattes de rat qui sortaient d’un nouveau trou et y rentraient. Gilman fut frappé de stupeur et craignit de devenir fou lorsque, gagnant le seuil en chancelant, il s’aperçut qu’il n’y avait aucune trace de boue dans le couloir. À mesure qu’il se rappelait son rêve hideux il s’affolait davantage, et les lugubres litanies de Joe Mazurewicz deux étages en dessous ajoutaient à son désespoir.
Descendant chez Elwood, il le tira enfin de son sommeil et lui raconta dans quelle situation il s’était retrouvé, mais son hôte n’avait aucune idée de ce qui avait pu se passer. Où Gilman était-il allé, comment était-il rentré dans sa chambre sans laisser de trace dans le couloir, et comment les empreintes boueuses qui évoquaient des pieds de meubles s’étaient-elles mêlées aux siennes dans la mansarde, cela dépassait l’imagination. Il y avait encore ces marques sur sa gorge, sombres, livides, comme s’il avait voulu s’étrangler. Il y posa les mains, mais elles n’y correspondaient pas même approximativement. Pendant qu’ils parlaient, Desrochers passa pour dire qu’il avait entendu un fracas épouvantable au-dessus de sa tête en pleine nuit. Non, il n’y avait eu personne dans l’escalier après minuit – mais juste avant il avait surpris des pas légers dans la mansarde, et une descente furtive qui ne lui avaient pas plu. Il ajouta que cette période de l’année était très néfaste à Arkham. Le jeune gentleman ferait sûrement mieux de porter le crucifix que Joe Mazurewicz lui avait donné. Même de jour on n’était pas en sécurité, car après l’aube il y avait eu des bruits étranges dans la maison – surtout le son grêle d’un pleur d’enfant vite étouffé.
Gilman suivit machinalement les cours ce matin-là, sans apporter aucune attention soutenue à ses études. Dans l’expectative, en proie à une atroce appréhension, il semblait s’attendre à recevoir un coup mortel. À midi il déjeunait au foyer de l’université quand, attendant le dessert, il ramassa un journal sur le siège voisin. Mais il oublia le dessert ; un article en première page le laissa sans force, le regard fou, à peine capable de régler son addition et de regagner en vacillant la chambre d’Elwood.
Il s’était produit un mystérieux enlèvement la nuit précédente dans le passage Orne, et l’enfant de deux ans d’une blanchisseuse un peu simple nommée Anastasia Wolejko avait complètement disparu. La mère, disait-on, le redoutait depuis un certain temps ; mais les raisons qu’elle donnait de ses craintes étaient si grotesques que personne ne les prit au sérieux. Elle prétendait avoir vu Brown Jenkin autour de la maison à plusieurs reprises depuis le début de mars, et elle avait compris, par ses grimaces et ses gloussements, que le petit Ladislas était marqué pour le sacrifice de l’épouvantable sabbat de la nuit de Walpurgis. Elle avait demandé à sa voisine Marie Czanek de venir coucher dans la chambre pour essayer de protéger l’enfant, mais Marie n’avait pas osé. Elle ne pouvait pas en parler à la police, qui ne croyait jamais ce genre de choses. Chaque année, aussi loin que remontassent ses souvenirs, des enfants avaient disparu de la même manière. Et son ami Pete Stowacki ne l’aiderait pas parce qu’il voulait se débarrasser de l’enfant de toute façon.
Mais ce qui donna des sueurs froides à Gilman fut la déclaration de deux fêtards qui étaient passés devant l’entrée du passage aussitôt après minuit. Ils reconnaissaient qu’ils étaient ivres, mais juraient tous deux avoir vu un trio bizarrement vêtu entrer furtivement dans le passage obscur. Il y avait, disaient-ils, un immense nègre en robe, une petite vieille en guenilles et un jeune Blanc en pyjama. La vieille traînait le jeune homme, tandis qu’aux pieds du nègre un rat apprivoisé se frottait en allant et venant dans la boue brune.
Gilman demeura assis tout l’après-midi sous le choc, et Elwood – qui avait entre-temps vu les journaux et en avait tiré de terribles conjectures – le trouva ainsi en rentrant. Cette fois ils ne pouvaient douter ni l’un ni l’autre qu’un piège hideux fût sur le point de se refermer sur eux. Entre les fantasmes du cauchemar et les réalités du monde objectif, il se nouait une relation monstrueuse, inimaginable, et seule une prodigieuse vigilance pouvait encore en prévenir les plus sinistres effets. Gilman devrait tôt ou tard consulter un spécialiste, mais le moment était mal choisi, alors que tous les journaux étaient pleins de cette affaire de rapt.
Ce qui s’était produit réellement restait un mystère insupportable, et pendant un certain temps Gilman et Elwood échangèrent à voix basse les théories les plus extravagantes. Gilman avait-il inconsciemment réussi au-delà de ses espérances dans ses recherches sur l’espace et ses dimensions ? S’était-il effectivement glissé hors de notre monde jusqu’à des points insoupçonnés et inconcevables ? En quels lieux – si lieux il y avait – était-il allé pendant ces nuits d’extranéité démoniaque ? Les grondants abîmes crépusculaires – le flanc vert de la colline – la terrasse brûlante – le magnétisme des étoiles – l’ultime tourbillon noir – l’Homme Noir – la ruelle boueuse et l’escalier – la vieille sorcière et l’horreur velue aux longs crocs – le conglomérat de bulles et le petit polyèdre – l’étrange coup de soleil – le poignet blessé – l’énigmatique figurine – les pieds boueux – les marques sur la gorge – les contes et les frayeurs des étrangers superstitieux – que signifiait tout cela ? Jusqu’à quel point cette affaire relevait-elle des lois de la raison ?
Ils ne dormirent ni l’un ni l’autre cette nuit-là, mais le lendemain ils manquèrent tous deux les cours et restèrent à somnoler. C’était le 30 avril, et avec le crépuscule viendrait le temps de l’infernal sabbat que redoutaient tous les étrangers et les vieillards crédules. Mazurewicz rentra à six heures, annonçant ce qu’on chuchotait à la filature : les réjouissances de Walpurgis se tiendraient dans le ravin obscur derrière Meadow Hill, là où se dresse la vieille pierre blanche sur une terre étrangement dépourvue de végétation. Certains avaient même averti la police qu’il fallait chercher là le petit Wolejko disparu, mais ils ne pensaient pas qu’on ferait quoi que ce soit. Joe insista pour que l’infortuné jeune gentleman porte son crucifix à chaîne de nickel, et Gilman le mit en le laissant pendre sous sa chemise, pour faire plaisir au gars.
Tard le soir, les deux jeunes gens somnolaient dans leurs fauteuils, bercés par la prière rythmée du monteur de métiers au rez-de-chaussée. Gilman écoutait dans son demi-sommeil, et son ouïe d’une acuité surnaturelle semblait à l’affût de certain murmure ténu et redoutable derrière les bruits de la vieille maison. Des souvenirs morbides du Necronomicon et du Livre Noir lui revinrent à l’esprit, et il se surprit à se balancer aux cadences infâmes qui marquaient, disait-on, les plus noires cérémonies du sabbat, et dont l’origine était étrangère au temps et à l’espace qui nous sont accessibles.
Il comprit bientôt ce qu’il essayait d’entendre – la psalmodie diabolique des officiants au loin dans la vallée noire. Comment savait-il si bien ce qu’ils attendaient ? Comment connaissait-il le moment où Nahab et son acolyte devaient leur présenter la coupe débordante qui viendrait après le coq et le bouc noirs ? Voyant qu’Elwood s’était endormi, il voulut l’appeler pour le réveiller. Mais quelque chose lui ferma la bouche. Il n’était plus son maître. Aurait-il donc signé le livre de l’Homme Noir ?
Alors son oreille fiévreuse, hypersensible, distingua les notes lointaines portées par le vent. Elles franchissaient des miles et des miles de collines, de champs et de ruelles, mais il les reconnaissait pourtant. Les feux devaient être allumés, les danses avaient dû commencer. Comment pourrait-il ne pas y aller ? Qu’était-ce donc qui l’avait pris au filet ? Les mathématiques – le folklore – la maison – la vieille Keziah – Brown Jenkin… et il vit à présent qu’un nouveau trou à rats s’ouvrait dans le mur près de son lit. Dominant la psalmodie lointaine et la prière proche de Joe Mazurewicz, un autre son lui parvint – un grattement discret mais résolu venant des cloisons. Il souhaita que les lampes électriques ne s’éteignent pas. Puis il vit au bord du trou le petit visage barbu armé de crocs – le maudit petit visage dont il saisit enfin l’abominable, l’ironique ressemblance avec la vieille Keziah – et il entendit tâtonner à la porte.
Le hurlant abîme crépusculaire étincela devant lui, il se sentit impuissant dans l’étreinte informe du conglomérat de bulles irisées. En avant, le petit polyèdre kaléidoscopique filait à vive allure, et dans le vide bouillonnant, un développement et une accélération du vague système tonal semblèrent annoncer un paroxysme indescriptible et insoutenable. Il pressentait ce qui allait arriver – l’explosion monstrueuse des chants walpurgiens, qui concentraient dans leur sonorité cosmique toute l’effervescence primitive, fondamentale, de l’espace-temps qui couve derrière les sphères de matière amoncelées, et jaillit toutefois en réverbérations rythmiques qui pénètrent atténuées tous les niveaux d’être et confèrent partout dans les mondes une terrible signification à certaines époques redoutées.
Mais tout cela disparut en un instant. Il se retrouva dans l’espace étroit au toit pointu illuminé de violet, avec son plancher oblique, les bibliothèques basses de livres anciens, la table et le banc, les objets bizarres, et le gouffre triangulaire à un bout. Sur la table était étendue une petite forme blanche – un enfant nu et inconscient – tandis que de l’autre côté la monstrueuse vieille, le regard mauvais, portait dans sa main droite un couteau luisant au manche singulier, et de sa main gauche une coupe en métal clair, de proportions insolites, couverte de dessins curieusement ciselés, et munie de deux fines anses latérales. Elle psalmodiait d’une voix rauque un rituel dont Gilman ne put comprendre la langue, mais qui rappelait un passage cité, non sans réserve, dans le Necronomicon.
Comme la scène devenait plus nette, il vit la mégère se pencher en avant pour lui tendre la coupe vide par-dessus la table et, incapable de contrôler ses propres mouvements, il se pencha à son tour, la saisit à deux mains, et remarqua ce faisant sa relative légèreté. Au même moment la figure répugnante de Brown Jenkin grimpa sur sa gauche au bord du sombre gouffre triangulaire. La sorcière alors lui fit signe de tenir la coupe dans une certaine position tandis qu’elle levait l’énorme et hideux couteau au-dessus de la petite victime blanche aussi haut que sa main droite pouvait se tendre. Le monstre velu aux longs crocs se mit à poursuivre en gloussant le rituel inconnu, la sorcière croassant des répons ignobles. Gilman sentit une répulsion intense, torturante, l’atteindre malgré la paralysie de son esprit et de ses facultés d’émotion ; la coupe légère trembla sous ses doigts. Une seconde plus tard, le mouvement du couteau sur le point de s’abattre rompit enfin le sortilège, il lâcha la coupe, qui rendit en tombant un son de cloche, et se précipita comme un fou, les mains en avant, pour empêcher le crime monstrueux.
En un instant, il remonta le plancher oblique en contournant la table et arracha le couteau aux griffes de la vieille ; il le jeta avec fracas par-dessus le bord de l’étroit gouffre triangulaire. Mais un instant de plus suffit à renverser la situation ; les griffes meurtrières se refermaient sur sa gorge, tandis que le visage desséché était convulsé par une fureur démente. Sentant la chaîne du modeste crucifix lui scier le cou, il se demanda dans le danger qui le menaçait quel effet la vue de l’objet lui-même produirait sur l’infernale créature. Elle était d’une force surhumaine, mais bien qu’elle continuât de l’étrangler, il réussit à saisir sous sa chemise et à brandir l’emblème de métal, après avoir brisé la chaîne.
En le voyant, la sorcière, manifestement prise de panique, relâcha son étreinte assez longtemps pour donner à Gilman une chance de la rompre entièrement. Il libéra son cou des griffes d’acier et aurait traîné la mégère jusqu’au gouffre si elle n’avait repris de nouvelles forces pour l’étrangler de nouveau. Cette fois il décida de lui rendre la pareille en s’attaquant à son cou. Avant qu’elle pût prévenir son geste, il lui passa la chaîne du crucifix autour de la gorge, et il l’eut bientôt serrée suffisamment pour lui couper le souffle. Pendant qu’elle se débattait dans les dernières convulsions, il se sentit mordu à la cheville : Brown Jenkin était venu à la rescousse. D’un violent coup de pied il envoya l’infection par-dessus le bord du gouffre et l’entendit gémir on ne sait où dans les profondeurs.
Ignorant s’il avait tué ou non la vieille sorcière, il l’abandonna sur le plancher où elle était tombée. Alors en se retournant, il vit sur la table ce qui faillit lui faire perdre ce qui lui restait de raison. Brown Jenkin, avec sa nature coriace et quatre petites mains d’une dextérité diabolique, n’était pas resté inactif pendant que la sorcière l’étranglait. Tous les efforts avaient été vains. Ce qu’il avait évité en détournant le couteau de la jeune poitrine, les crocs jaunes de la bête maudite l’avaient fait au poignet de la victime – et la coupe tout à l’heure sur le plancher était pleine maintenant près du petit corps sans vie.
Dans son délire onirique Gilman entendit la barbare, l’infernale psalmodie du sabbat, venant d’une distance infinie, et il sut que l’Homme Noir sans doute était arrivé. Des souvenirs confus se mêlant aux mathématiques, il crut détenir dans son subconscient les angles dont il avait besoin pour revenir au monde normal – seul et pour la première fois par ses propres moyens. Il était certain de se trouver dans le grenier condamné depuis toujours au-dessus de sa chambre, mais il doutait fort de pouvoir jamais s’échapper par le plancher oblique ou l’issue jadis barricadée. D’ailleurs, fuir un grenier de rêve ne le mènerait-il pas simplement dans une maison de rêve – projection anormale du lieu réel qu’il cherchait ? Il était absolument confondu de la relation entre rêve et réalité dans tout ce qu’il vivait.
Le passage à travers les abîmes confus allait être effrayant, car il y résonnerait la cadence walpurgienne, et il lui faudrait entendre enfin la pulsation cosmique jusqu’alors voilée qui lui inspirait une crainte mortelle. À présent déjà il discernait un ébranlement profond, monstrueux, dont il ne soupçonnait que trop le rythme. Au temps du sabbat elle montait toujours et gagnait les mondes pour appeler les initiés aux rites innommables. La moitié des psalmodies du sabbat étaient modelées sur ce battement vaguement perçu qu’aucune oreille terrestre ne pourrait supporter dans l’entière révélation de son ampleur. Gilman se demandait aussi s’il devait se fier à son instinct pour le ramener dans la bonne région de l’espace. Comment être sûr de ne pas atterrir sur ce flanc de colline éclairé de vert d’une planète lointaine, sur la terrasse en mosaïque au-dessus de la cité de monstres à tentacules quelque part au-delà de la galaxie, ou dans la spirale des noirs tourbillons de ce vide ultime du Chaos où règne l’indifférent Azathoth, sultan démoniaque ?
Au moment même où il plongeait, la lumière violette s’éteignit, le laissant dans une obscurité impénétrable. La sorcière – la vieille Keziah – Nahab – lui signifiait ainsi sa mort. Et mêlée à la psalmodie lointaine du sabbat et aux gémissements de Brown Jenkin en bas dans le gouffre, il crut entendre une autre plainte plus farouche monter de profondeurs inconnues. Joe Mazurewicz – les prières contre le Chaos Rampant devenaient un hurlement d’inexplicable triomphe – des mondes d’une réalité sardonique venaient heurter les tourbillons du rêve fébrile – Iä ! Shub-Niggurath ! Le Bouc aux Mille Chevreaux…
On retrouva Gilman sur le plancher de sa vieille mansarde aux angles bizarres, longtemps avant l’aube, car le terrible cri avait fait accourir aussitôt Desrochers, Choynski, Dombrowski et Mazurewicz, et avait même réveillé Elwood profondément endormi dans son fauteuil. Il était vivant, les yeux ouverts, le regard fixe, apparemment inconscient. Sa gorge portait les empreintes de deux mains meurtrières, et sa cheville gauche une affreuse morsure de rat. Son vêtement était horriblement froissé, et le crucifix de Joe avait disparu. Elwood tremblait, n’osant pas même imaginer quelle nouvelle forme avait pu prendre le somnambulisme de son ami. Mazurewicz semblait hébété à cause d’un « signe » qui lui était venu, disait-il, en réponse à ses prières, et il multiplia frénétiquement les signes de croix en entendant crier et gémir un rat derrière la cloison oblique.
Quand le rêveur fut installé sur son lit dans la chambre d’Elwood, on envoya chercher le Dr Malkowski – un praticien du quartier qui ne répétait pas les histoires si elles risquaient d’attirer des ennuis – et il fit à Gilman deux piqûres qui le détendirent en une sorte de somnolence presque naturelle. Dans la journée le malade reprit par moments conscience, et fit à voix basse à Elwood le récit décousu de son dernier rêve. Ce fut un effort pénible, et dès le début apparut un nouveau fait déroutant.
Gilman – dont les oreilles avaient tout récemment manifesté une sensibilité exceptionnelle – était maintenant complètement sourd. Le Dr Malkowski, rappelé d’urgence, apprit à Elwood que les deux tympans étaient crevés, comme s’ils avaient subi le choc d’un son formidable dont l’intensité dépassait les notions et la résistance humaines. Comment un son pareil avait-il pu être entendu au cours des heures précédentes sans réveiller toute la vallée du Miskatonic, cela dépassait l’honnête praticien.
Elwood écrivit sur un papier ce qu’il avait à dire, de sorte que la conversation continua sans trop de difficultés. Ne sachant que faire ni l’un ni l’autre dans une pareille confusion, ils conclurent qu’il valait mieux y songer le moins possible. Ils étaient d’accord cependant pour quitter cette vieille maison maudite aussitôt qu’ils le pourraient. Les journaux du soir parlèrent d’une descente de police juste avant l’aube dans un ravin derrière Meadow Hill où étaient réunis d’étranges noctambules, et rappelèrent que la pierre blanche y faisait l’objet depuis des siècles d’un respect superstitieux. Personne n’avait été pris, mais parmi les fugitifs dispersés on avait aperçu un nègre gigantesque. Dans une autre rubrique on déclarait qu’aucune trace n’avait été retrouvée du petit disparu, Ladislas Wolejko.
L’horreur suprême survint cette nuit-là. Elwood ne l’oublierait jamais, et il dut quitter l’université jusqu’à la fin du trimestre à cause de la dépression nerveuse qui en résulta. Toute la soirée il avait cru entendre les rats dans les cloisons, mais sans y faire grande attention. Puis, longtemps après que Gilman et lui se furent couchés, des cris atroces s’élevèrent. Elwood sauta du lit, alluma l’électricité et se précipita vers le lit de son hôte. Celui-ci émettait des sons véritablement inhumains, comme s’il était en proie à une torture indescriptible. Il se tordait sous les draps, et une large tache rouge commençait à apparaître sur les couvertures.
Elwood osa à peine le toucher, mais peu à peu les cris et les convulsions s’apaisèrent. À ce moment Dombrowski, Choynski, Desrochers, Mazurewicz et le locataire du dernier étage étaient massés sur le seuil, et le propriétaire avait envoyé sa femme retéléphoner au Dr Malkowski. Tout le monde hurla lorsque la forme d’un gros rat bondit soudain de sous les draps ensanglantés et fila à l’autre bout du plancher dans un trou voisin fraîchement ouvert. Quand le médecin arriva et entreprit de retirer ces effroyables couvertures, Walter Gilman était mort.
Il serait barbare de faire plus que suggérer ce qui avait tué Gilman. C’était pratiquement un tunnel qui traversait son corps – et son cœur avait été dévoré. Dombrowski, hors de lui devant l’échec de ses efforts incessants pour empoisonner les rats, renonça à toute idée de bail, et moins d’une semaine après il avait déménagé avec tous ses plus vieux locataires dans une maison miteuse mais moins ancienne de Walnut Street. Le plus dur pendant quelque temps fut de calmer Joe Mazurewicz ; car le monteur de métiers qui broyait du noir était incapable de rester sobre, et ne faisait que gémir et marmonner des histoires d’horreur et de fantômes.
Il semble que pendant cette dernière nuit atroce, Joe se soit penché pour regarder les traces de pattes sanglantes qui menaient du lit de Gilman au trou de rat voisin. Sur le tapis elles étaient très confuses, mais le plancher était à nu entre le bord du tapis et la plinthe. Là Mazurewicz avait découvert une chose monstrueuse – du moins il le croyait, car personne ne partageait tout à fait son avis malgré l’indéniable singularité des empreintes. Les traces sur le parquet étaient sans aucun doute extrêmement différentes des empreintes normales d’un rat, mais même Choynski et Desrochers refusèrent d’admettre qu’elles ressemblaient à celles de quatre minuscules mains humaines.
La maison ne fut plus jamais louée. Dès que Dombrowski l’eut quittée, la chape de l’irrémédiable abandon commença de s’étendre sur elle, car les gens l’évitaient à la fois pour son ancienne réputation et à cause de sa nouvelle puanteur. Peut-être la mort-aux-rats de l’ancien propriétaire avait-elle fini par agir, mais peu après son départ l’endroit devint une gêne pour le voisinage. Des fonctionnaires de la santé découvrirent que l’odeur venait des espaces clos au-dessus et à côté de la mansarde de l’est, et s’accordèrent à penser que le nombre de rats morts devait être considérable. Ils conclurent néanmoins qu’on perdrait son temps à ouvrir le toit pour désinfecter les recoins depuis longtemps condamnés ; car l’infection serait bientôt dissipée, et l’on n’était guère délicat dans le quartier. En fait il avait toujours couru de vagues rumeurs sur des puanteurs inexpliquées tout en haut de la Maison de la Sorcière aussitôt après la veille du Premier-Mai et de la Toussaint. Les voisins en ronchonnant acceptèrent le statu quo – mais l’odeur fétide n’en était pas moins un argument supplémentaire contre la maison. Finalement elle fut condamnée comme impropre à l’habitation par l’inspecteur des bâtiments.
Les rêves de Gilman et les incidents qui les accompagnèrent n’ont jamais été expliqués. Elwood, dont les réflexions sur toute l’affaire vous feraient parfois perdre la tête, revint à l’université l’automne suivant, et obtint son diplôme en juin. Il constata qu’on parlait beaucoup moins de spectres en ville, et en effet – malgré certaines rumeurs de ricanements fantomatiques dans la maison déserte, qui durèrent presque autant que le bâtiment lui-même – on ne conta plus à mi-voix aucune autre apparition de la vieille Keziah ni de Brown Jenkin après la mort de Gilman. C’est plutôt une chance qu’Elwood ne se soit pas trouvé à Arkham cette dernière année où certains faits réveillèrent brusquement les racontars locaux au sujet des horreurs passées. Bien sûr il en entendit parler un peu plus tard et souffrit d’indicibles tourments en de sombres et incertaines conjectures ; mais cela même était moins cruel que la présence concrète des choses et ce qu’il aurait pu voir.
En mars 1931, une tempête détruisit le toit et la grande cheminée de la Maison de la Sorcière, alors inoccupée, de sorte qu’un désordre de briques brisées, de bardeaux noircis et moussus, de planches et de poutres pourries s’effondra dans le grenier et en défonça le plancher. Tout l’étage au-dessous fut obstrué de débris, mais personne ne prit la peine de toucher à ce fatras jusqu’à l’inévitable démolition de la bâtisse délabrée. Cette dernière étape survint en décembre de la même année, et ce fut avec le déblaiement de l’ancienne chambre de Gilman par des ouvriers inquiets et réticents que les bavardages commencèrent.
Parmi les décombres qui avaient crevé l’ancien plafond oblique, plusieurs choses alertèrent les ouvriers, qui prévinrent la police. Par la suite la police à son tour prévint le coroner et plusieurs professeurs de l’université. Il y avait des os – sérieusement écrasés et brisés, mais manifestement humains – dont l’âge visiblement récent s’opposait de manière inexplicable à l’époque reculée où leur seule cachette possible, la soupente basse au plancher oblique, avait dû être fermée à toute présence humaine. Le médecin légiste déclara que certains appartenaient à un jeune enfant, alors que d’autres – mêlés à des lambeaux pourris d’étoffe brunâtre – étaient ceux d’une femme âgée, de petite taille et voûtée. Un tri minutieux des débris révéla aussi beaucoup de minuscules os de rats pris dans l’effondrement, ainsi que d’autres plus anciens rongés par de petits crocs d’une façon qui suscitait parfois bien des débats et des réflexions.
On découvrit d’autres objets, notamment les fragments confondus de beaucoup de livres et de papiers, mêlés à une poussière jaunâtre résultant de la désintégration de volumes encore plus vieux. Tous sans exception semblaient avoir trait à la magie noire sous ses formes les plus évoluées et les plus horribles ; la date assurément récente de certains documents reste toujours un mystère aussi insoluble que celui des derniers ossements humains. Plus énigmatique encore est la parfaite homogénéité de l’écriture archaïque, indéchiffrable, découverte sur une large gamme de papiers dont l’état et le filigrane indiquent des différences de datation de cent cinquante à deux cents ans. Aux yeux de certains, cependant, le plus mystérieux de tout est la diversité des objets totalement inexplicables – dont les formes, les matières, les styles de fabrication et les usages défiaient toute conjecture – et qu’on avait trouvés épars au milieu des débris, naturellement plus ou moins abîmés. L’un d’eux – qui intéressa vivement plusieurs professeurs de Miskatonic – est une horreur très endommagée, assez semblable à l’étrange figurine donnée par Gilman à l’université, mais plus grande, faite d’une singulière pierre bleuâtre au lieu de métal, et munie d’un socle aux angles insolites et aux hiéroglyphes incompréhensibles.
Archéologues et anthropologues essaient encore aujourd’hui d’expliquer les bizarres dessins ciselés sur une coupe écrasée en métal léger dont l’intérieur portait, quand on la trouva, de sinistres taches brunes. Les étrangers et les grands-mères crédules sont tous inépuisables au sujet du crucifix de nickel à la chaîne brisée mêlé aux débris, et dans lequel Joe Mazurewicz reconnut en tremblant celui qu’il avait donné au pauvre Gilman, des années plus tôt. Certains croient que ce crucifix a été traîné par les rats dans le grenier condamné, tandis que d’autres pensent qu’il a toujours été sur le plancher dans un coin de l’ancienne chambre de Gilman. D’autres encore, y compris Joe lui-même, ont des théories trop invraisemblables et extravagantes pour un jugement sensé.
Quand on abattit le mur oblique dans la chambre de Gilman, on s’aperçut que l’espace triangulaire autrefois fermé entre cette cloison et le mur nord de la maison contenait beaucoup moins de gravats, même proportionnellement à sa taille, que la chambre proprement dite ; mais on y trouva une épouvantable couche de matière plus ancienne qui paralysa d’horreur les démolisseurs. Bref, le sol était un véritable ossuaire fait de squelettes de petits enfants – certains assez récents, mais d’autres remontant par des degrés infinis jusqu’à une telle ancienneté qu’ils tombaient presque en poussière. Sur cette profonde strate osseuse reposait un couteau de grande taille, visiblement très ancien, et d’un dessin grotesque, exotique et surchargé – au-dessus duquel s’entassaient les débris.
Au milieu de cet amas, coincé entre une planche tombée et quelques briques cimentées provenant des ruines de la cheminée, un objet devait susciter à Arkham plus de trouble, de terreur dissimulée et de commentaires ouvertement superstitieux que tout ce qu’on avait découvert dans la maudite maison hantée. C’était le squelette à demi écrasé d’un énorme rat sans doute malade, dont les anomalies de forme sont toujours un objet de discussion et l’occasion aussi d’une singulière réserve parmi les membres de la section d’anatomie comparée de Miskatonic. On divulgua très peu de chose au sujet de ce squelette, mais les ouvriers qui l’avaient découvert parlaient à voix basse d’un air horrifié des longs poils brunâtres qui l’accompagnaient.
Les os des pattes minuscules, dit-on, dénotent des facultés de préhension plus caractéristiques d’un petit singe que d’un rat ; tandis que le crâne aux féroces crocs jaunes est absolument anormal, car vu sous certains angles il paraît la caricature monstrueuse d’un crâne humain en miniature. Les ouvriers se signèrent avec épouvante quand ils exhumèrent cette abomination, mais plus tard ils brûlèrent des cierges en témoignage de gratitude à l’église Saint-Stanislas, parce que ce gloussement suraigu de fantôme, ils étaient sûrs de ne plus l’entendre jamais.
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Octobre 2008
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