XIV
C’ÉTAIENT TROIS CHEMINEAUX DU BAGNE
Les trois chemineaux du bagne commencent une nouvelle « station ». Ils reprennent la mer pour descendre jusqu’à l’Amazone.
C’est là, sur ces rives de légende, que Belém est construit. Il leur reste en tout, le canoë payé, quatorze grammes d’or et un billet de dix milreis (trente-trois francs).
Pas de travail ; partant, pas de pain. Comme ils jeûnent, ils sont malades. Ils embarquent à Monténégro d’Amapa, où les mouches à dague, sans doute pour les guérir, leur font des pointes de feu. Celui qu’ils appellent l’Autre est à bout et geint dans le fond du canoë, entre deux ballots de poissons secs !
– Il délire tout le temps, reprend Dieudonné. « Non ! Non ! dit-il, vous ne ferez pas ça, monsieur le directeur ! »
Il est loin, le directeur, lui renvoie-t-on. Il est à Saint-Laurent-du-Maroni ! On va vers l’Amazone, tu entends, réveille-toi ! Il sort de son cauchemar pour y retomber.
Il nous faudra six jours de ce canot pour atteindre l’Amazone. Je les passe. Ce n’est que de la faim, – les durs matelots ne sont pas compatissants et mangent devant nous sans rien nous donner, – de la maladie, du chagrin, le chagrin de ceux qui n’ont pas la chance avec eux. Mais, dans l’histoire, cela n’est rien ; ce n’est pas plus que l’accompagnement monotone d’une guitare pour une chanson !