– Acoupa ! nous reculons ! fis-je subitement.
Nous tirons sur la corde de l’ancre. La corde vient seule. L’ancre est restée au fond. Nous reculons toujours. On mouille une grosse pierre. La pierre s’échappe de la corde : nous reculons.
J’avais emporté ma presse d’établi, pour travailler, sitôt libre ; je la sacrifie, nous l’attachons à la corde. La tension est trop forte, la corde casse. Nous reculons de plus en plus vite.
Nous pagayons à rebours avec tout ce qui nous tombe sous la main. Moi, avec mon rabot ; Jean-Marie avec une casserole ! Pittoresque à voir, hein ?
Nos efforts n’ont rien obtenu. Le courant nous a rejetés. Nous sommes face au dégrad des Canes.
Nous ancrons avec un bambou que nous plantons dans le fond. L’eau bientôt se retire et notre pirogue s’assied sur la vase. Nous pensons tous, alors, au banc des Français !
La nuit vient nous prendre comme ça.
Deverrer et Venet pleurent. Menœil, le vieux, est encore tout bouillant. C’est lui qui les remonte : « Je serais presque votre grand-papa, et pourtant, moi, je ris. Je sens une très bonne odeur ! Ma femme qui m’attend depuis vingt-neuf ans, cette fois, ne sera pas déçue. » Enfin, c’est ce qu’il disait !
Aussi loin que s’étende le regard, ce n’est plus qu’un banc de vase dont on ne voit pas la fin.
Nous décidons de sortir de là dès le lendemain au « montant », à la pagaie et à la voile. Les pagaies manquant, nous arrachons les bancs de la pirogue et nous taillons sept palettes. On pagayera à genoux, voilà tout !
– Maintenant, dormez, dis-je aux compagnons. Il faudra être forts demain. Je veillerai.
La nuit est froide. La lune bleuit les flaques d’eau qui sont restées sur la vase. La lanterne du dégrad des Canes le seul œil de cette côte réprouvée, cligne au loin.
Menœil ne s’est pas endormi. Deverrer rêve tout haut. Il dit : « Non, chef ! Non, chef ! Ce n’est pas vrai. » Il se débat encore avec la « Tentiaire », celui-là ! Venet est agité. Jean-Marie ronfle.
Acoupa grince des dents sur le tuyau de sa pipe.
La nuit passe. L’eau arrive. La pirogue frémit.
– Debout, vous autres !
Acoupa est déjà à la barre. Jean-Marie et Menœil sautent vers la voile ; et nous, nous luttons contre le montant qui veut nous rejeter encore.