– Comme c’est curieux, fit Dieudonné de revivre tout ça, maintenant !
Nous étions toujours dans ma chambre, à Rio de Janeiro. Porte et fenêtre étaient ouvertes pour établir le courant d’air.
– Vous permettez que je ferme, dit-il. Nous aurons chaud, mais je pourrai parler plus à mon aise.
Il revint s’asseoir en face de moi…
– Le lendemain à la nuit, si vous aviez été toujours à Cayenne, vous auriez pu voir un forçat se diriger du côté du canal Laussat… C’était moi.
Cet endroit n’a pas changé. Il est encore le repaire de la capitale du crime. Je n’y allais jamais.
Peut-être la police aurait-elle compris si elle m’avait vu là.
Je regardai. Personne ne me suivait. Je traversai le pont en bois pourri. J’étais dans l’antre.
Je me rendais chez un Chinois. On me l’avait signalé comme un bon intermédiaire. Sa cahute était un bouge. On y jouait, on y fumait, on y aimait. Moi je venais pour m’évader.
Je pousse la porte. Aussitôt, un chien jappe, les quinquets à huile s’éteignent, des ombres disparaissent. Une jeune Chinoise, ma foi assez jolie, s’avance vers moi. Je dis le mot de passe. La fille appelle le patron. Les quinquets se rallument, les ombres reviennent, le jeu reprend. Et une espèce de drôle de petit magot apparaît : c’était mon homme.
– Je viens pour la « Belle », lui dis-je.
Il m’entraîne dans une chambre qui servait à tout. Il y avait un fourneau, une volière, un étau, un lit pour l’amour. La Chinoise nous avait suivis. Il ferme la porte soigneusement. Étonné, je regarde la femme, me demandant ce qu’elle vient faire entre nous deux. Le Chinois comprend, sourit et pose un doigt sur ses lèvres pour me faire savoir que la fille est discrète. Elle sort et rapporte le thé. Est-il au datura ?
– Qu’est-ce que le datura ?
– Vous savez bien, la plante dont on se sert en Guyane pour les vengeances, le mauvais café, quoi ! Alors, je retourne mes poches et je dis tout de suite : « Inutile, je n’ai pas d’argent sur moi. » Le magot sourit, la jolie petite guenon aussi, et, tous les deux, ils me disent : « Datura, pas pour toi ».
Le thé est bon. Au reflet du quinquet, la Chinoise apparaît coquine. Elle me lance des regards de femelle. Il s’agit bien de cela !
– Combien, patron, pour aller jusqu’à l’Oyapok ?
– Trois mille, plus deux cents pour les vivres, plus cent francs pour moi. Six passagers au maximum.
– Le pêcheur est-il sûr ?
– J’en réponds.
– Un blanc ?
– Un noir. Son nom est Acoupa. Si tu acceptes, il sera ici, demain à la même heure.
– À demain !
La Chinoise veut me retenir. Ma pensée est ailleurs. Je sors. Le sentier où je tombe est vaseux. J’avance en écrasant des crapauds-buffles.