C’est Jean-Marie.
Il revient flanqué de deux jolis cocos, Jean-Marie me fait un signe qui veut dire : je n’ai pas trouvé mieux. Chacun porte une musette pleine de choses à manger.
L’un est Robichon, dit Pirate, ravitailleur d’évadés, ancien maître de danse à Toulouse. L’autre s’appelle Biaise, dit Jambe de Laine, trimardeur de profession. Ce sont des interdits de séjour, deux libérés.
Ils n’ont pas une figure que j’aime bien. Pirate est habillé pauvrement, mais il est propre. Jambe de Laine est lamentable. Par les trous de ses hardes, je vois son sous-vêtement de tatouages. Nu-pieds, hirsute, barbe incolore, plus de dents ; sur le chef, une calotte informe qui, sans doute, fut un chapeau.
Pirate porte beau, Jambe de Laine approuve tout ce qu’il dit. Ils acceptent de nous ravitailler, mais « comme ils risquent gros, qu’ils ont à se défiler comme des chats-tigres, que tout est si cher ! ils exigent cent francs tout de suite, « afin de remercier Dieu qu’ils se soient, eux, Pirate et Jambe de Laine, trouvés sur notre chemin ».
– Vous pensez, ajoute Pirate, je devrais être à Toulouse à l’heure qu’il est. Je suis libéré depuis huit ans ; alors, si j’avais pu, depuis tant d’années, mettre huit cents francs de côté pour m’offrir le retour dans la belle France, vous ne m’auriez pas rencontré. Ça se paye, cela ! Ils demandent ensuite cent francs chacun de gratification quand ils auront trouvé le pêcheur pour nous conduire à l’Oyapok.
– Vous rêviez déjà de recommencer ?
– Pardi ! Jean-Marie est breton, moi, je suis lorrain, deux têtes de buis ! De plus, nous paierons double le prix des vivres. Quant aux gratifications, dit Pirate, en arrondissant un geste élégant, je les laisse à votre générosité !
Jean-Marie, indigné, lui dit :
– F… le camp, j’en trouverai d’autres ! Je crains la délation.
– Marché conclu ! fis-je. Alors Pirate :
– C’est bien pour vous que je le fais c’est le devoir d’un homme d’aider les évadés. Si j’étais riche, je vous soutiendrais pour rien.
Je paye.
Ils vident leurs musettes : pain, harengs saurs, beurre salé, chocolat, tabac, allumettes.
– Venez, disent-ils, on va vous présenter, près d’ici, à une vieille négresse solitaire qui sera bonne pour vous.