À mesure que le temps passait, Alan se trouvait toujours plus sous la domination de la personnalité étonnante d’Hiéranie. Son association constante avec elle ajoutait sans cesse à l’amour passionné qu’il lui portait. Barry était son unique visiteur et il quittait rarement son vignoble. Tôt le matin, et jusqu’à tard dans la soirée, il passait son temps avec elle dans les galeries. Dick observait avec inquiétude l’aveuglement croissant de son ami. Il en ressentait un malaise et prévoyait que cette compagnie ne pouvait qu’aboutir à une catastrophe pour Alan. Malgré la profondeur de leur amitié, il n’osait pas aborder le sujet avec Dun. De plus, il sentait que même si Dundas acceptait un avertissement, celui-ci serait inutile. Il discernait pleinement l’effet que devaient produire la somptueuse beauté et le charme d’Hiéranie, et plus d’une fois, à sa propre honte, il se sentit frémir à un simple coup d’œil de ses doux yeux gris ou à l’effleurement de sa main, et il s’en voulut de son involontaire déloyauté envers Mme Kitty. Aussi devait-il se résigner à observer.
À certain point de vue, Alan était heureux. Il profitait pleinement de sa compagnie constante. En dépit de son esprit si supérieur, il la trouvait délicieusement féminine. Elle n’était pourtant nullement une créature lunatique. En toutes circonstances, elle montrait le même calme imperturbable, et parlait toujours de la même voix féminine et douce, et son comportement ne variait jamais non plus. Quelquefois, alors qu’ils étaient assis ensemble, elle demandait une pause à la leçon et, grâce à la maîtrise qu’elle avait du tableau de bord du « temple », elle remplissait la grande galerie d’une musique immortelle… une musique qui par sa splendeur élevait jusqu’au paradis l’âme d’Alan.
C’étaient là des jours à marquer d’une pierre blanche, et à se sentir plein de reconnaissance pour la joie de vivre qu’elle dispensait. D’un autre côté, lorsqu’il était éloigné d’elle, il était obsédé par des pressentiments sur son destin. Il sentait bien dans son âme qu’il était absolument indigne de devenir le compagnon de cet être radieux. Qui était-il pour aspirer à la première place dans son cœur ? Si profonde était son adoration pour elle que, sachant fort bien tout ceci, il savait aussi, bien que le coup dût briser sa vie, qu’il accepterait sa décision sans un murmure, si elle devait lui être contraire. Sans cesse, il refoulait les mots qui lui brûlaient les lèvres et qui décideraient de son sort.
La terreur d’une réponse qui marquerait pour lui la fin de toutes choses le retenait de parler. Dans son cœur, il savait qu’elle n’attendrait pas de lui qu’il considère leurs étranges relations comme une raison de ne rien dire en vertu de principes chevaleresques. Hiéranie était trop calmement distante et trop loyale envers elle-même pour se laisser troubler par les conventions. Il réalisait pleinement que, lorsque viendrait le temps où il ne pourrait plus se retenir de parler, la réponse lui serait donnée sans qu’elle pense à autre chose que leur intérêt à tous deux. Aussi continuait-il à vivre auprès d’elle, en des alternances d’espoir qui le laissait faible d’un désir insensé, et de crainte qui poussait son cœur au désespoir.
À la fin du troisième mois Hiéranie commença à leur parler du mystère de son existence, car elle avait réservé les révélations jusqu’à ce que Barry puisse les entendre. C’était un après-midi, et tous trois étaient assis ensemble dans le « temple ». La conversation avait porté sur la géologie et Barry venait de hasarder une opinion de seconde main sur le temps qui s’était écoulé depuis l’apparition de la vie sur la Terre.
– Ah, Dick, mon cher garçon…
Elle avait depuis longtemps adopté la façon dont Alan s’adressait à son ami.
– … qu’ils sont insensés dans leurs théories, vos savants ! Venez, je vais vous montrer.
Elle prit l’atlas d’Alan sur une table proche ainsi que celui de sa propre bibliothèque. Puis elle leur demanda à tous deux de la rejoindre sur le divan et là, les deux livres sur les genoux pour illustrer ce qu’elle allait dire, elle leur parla du passé du monde.
– Vous vous rappelez, Alan, que vous m’avez montré cette carte le lendemain du jour où vous m’avez rappelée à la vie ?
Ici, elle désigna la carte du monde.
– Pour aussi étrange qu’elle ait été pour moi alors, je savais ce qu’elle signifiait, bien que la carte à laquelle j’étais habituée soit très différente. Regardez, c’est ici…
Et elle ouvrit l’autre volume.
– Avant que mes yeux ne se ferment pour le long sommeil dans lequel vous m’avez découverte, tel était le monde que je connaissais. Voyez, bien qu’il ait été fortement changé, nombre de ses éléments demeurent familiers.
Leurs trois têtes se penchèrent sur les cartes et, de son index délicat, Hiéranie suivit les nombreux endroits qui demeuraient très semblables sur les deux cartes.
– Voulez-vous dire, Hiéranie, demanda Alan, que le monde a tellement changé ?
– Certes oui, il a changé, le vieux monde. Est-ce que l’un de vous peut m’en dire la cause ?
Elle les regardait, souriante, l’un après l’autre.
Dick secoua la tête.
– Je passe… Alan, à toi de jouer.
– Et vous, Alan ?
Sa main blanche lui effleura le bras.
– Expliquez à ce Dick, qui connaît tout, comment le vieux monde a été détruit pour que se construise sur ses ruines un nouveau monde.
Elle souriait en le regardant droit dans les yeux.
Alan secoua la tête à son tour, mais, avant qu’Hiéranie ne puisse reprendre la parole, il se lança.
– Attendez, pourtant. Peut-être ai-je une idée. Quelques-uns soutiennent qu’à une certaine époque l’axe de la Terre s’est déplacé, et que le choc a dû disloquer l’ensemble de sa surface. Cette théorie m’avait toujours paru fantastique, mais elle pourrait convenir.
Hiéranie rit doucement et, hochant la tête, elle se retourna vers Dick.
– Ah, Dick ! vous voyez qu’Alan sait aussi bien utiliser sa tête que son grand corps solide. Mon professeur est digne de son emploi.
– C’était donc bien la cause, Hiéranie ? demandèrent les deux hommes ensemble.
– Oui, c’est exactement ce qui est arrivé. Voici des ères et des ères, le monde était habité par une race d’êtres humains tout comme il l’est aujourd’hui. C’était une race qui avait passé par tous les essais et toutes les luttes par lesquels votre race est passée et continue à passer. Un jour, je vous en parlerai ; pour l’instant, il suffit de dire que cette race avait atteint les plus hauts sommets que l’humanité puisse atteindre, lorsque le cataclysme survint.
Elle s’arrêta un moment, comme si le tableau de ce merveilleux passé perdu l’attristait. Puis elle reprit la parole, et sa voix était à peine plus qu’un murmure.
– Notre peuple connaissait le coup qui nous menaçait bien avant qu’il ne nous frappe. Il était trop grand pour craindre pour lui-même ; mais il savait que, des cendres du monde aboli, une autre race s’élèverait. Il savait aussi que la nouvelle race devrait passer par les mêmes difficultés avant de gagner sa propre place au sommet. Ce qu’on déplorait, c’est que tous les grands travaux issus de nos cerveaux et de nos mains dussent périr définitivement. Que notre race ait pour destin de disparaître n’était rien en comparaison du danger de disparition de nos grands idéaux en même temps… Pouvez-vous imaginer ce que cela signifiait pour ceux qui avaient travaillé à cette grande œuvre, pour les hommes qui en connaissaient la valeur ? Peut-être pouvez-vous le comprendre en partie, mais pas totalement, à moins que vous ne connaissiez mon peuple, le peuple de ce monde disparu. Oh ! il y a si longtemps !… Et pourtant, cela me semble si proche…
Après un silence, elle se remit à parler.
– C’est ainsi qu’ils décidèrent une tentative désespérée afin de préserver leurs connaissances pour le bénéfice de gens qui étaient encore à venir. Ils n’avaient que deux cents ans pour cela. À peine le temps nécessaire, mais il suffit. En trois points soigneusement choisis de la Terre, ils bâtirent une grande sphère comme celle dans laquelle nous sommes à présent. Dans leur construction, ils apportèrent absolument tout de leur immense savoir, pour aboutir à leur but et les rendre invulnérables au gigantesque cataclysme. Dans chacune d’elles, quand tout fut prêt, ils réunirent un spécimen de tous leurs arts et de toutes leurs sciences. Les moyens de suspendre la vie étaient connus depuis de nombreuses générations, bien que peu utilisés. Alors, il fut décidé que, dans chaque sphère, une personne serait placée pour servir de lien entre le vieux et le nouveau monde.
– Pourquoi seulement une par sphère ? demanda Alan, qui suivait l’histoire avec un intérêt passionné.
– La question fut débattue à fond à l’époque, répondit-elle. Nous savions que, pour une période ordinaire, les corps pouvaient être conservés dans un état d’animation suspendue, mais il n’y avait aucune assurance que les ères qui devaient s’écouler avant la réanimation, si jamais elle avait lieu, ne réduiraient pas à néant la tentative. Notre peuple ne désirait pas condamner plus d’humains qu’il n’était nécessaire au risque d’un sort terrible. Les élus devraient faire face à tant de périls, et si terribles ! Aussi, à la fin, il y en eut trois de sélectionnés.
– Comment les choisit-on ? demanda Barry ardemment.
– En premier lieu, répondit-elle, on demanda des volontaires. Des milliers répondirent à l’appel. Ce n’était pas la pensée de se sauver eux-mêmes qui les poussait à se présenter. Chacun savait qu’il aurait à affronter bien des dangers s’il était choisi, des dangers pires que la mort promise à la race, mais aucun de nous ne craignait la mort. Pour nous, ce n’était qu’un incident. Non ; tous étaient animés par l’espoir qu’à la fin ce serait son lot, à lui ou à elle, de transmettre le flambeau d’une race mourante à celle qui n’était pas encore née… Par tout le monde, des conseils se tinrent, devant lesquels les candidats devaient se présenter, et les plus aptes étaient renvoyés devant un conseil central où le choix final était fait ; et c’est ainsi qu’il se trouva, à la fin, que moi, Hiéranie, je fus jugée digne de ce grand honneur. Pourquoi ? Le destin, je pense ; car parmi tant d’appelés, il ne devait y avoir que peu de différences.
– Hiéranie… dites-nous, intervint Barry. Vous dites qu’il y avait trois grandes sphères. Les autres… que sont-elles devenues ?
Elle se leva et se dirigea vers le tableau de bord qui avait été son premier souci le jour où elle avait été réveillée. Pivotant, elle fit face aux deux hommes.
– Les maîtres constructeurs qui ont conçu cet ouvrage n’ont rien laissé au hasard. Ce tableau de bord est en connexion perpétuelle avec ceux des deux autres sphères. Seule la destruction absolue pourrait rompre le lien. Écoutez !
Ses doigts se déplacèrent rapidement sur une partie du tableau. Puis elle s’immobilisa, les regardant toujours. Rien ne rompit le silence. Un moment plus tard, elle reprit la parole.
– Il n’y a pas de réponse à cet appel, et ainsi je sais que cette sphère-là n’a pas réussi à supporter la tension du cataclysme mondial.
De nouveau ses mains effleurèrent les boutons, et, cette fois-ci, la note claire et profonde d’une cloche répondit à sa pression.
– Vous entendez, s’écria-t-elle. Andax est vivant et attend qu’on le délivre.
Dundas et Barry la regardaient en silence. La nouvelle de l’existence d’une seconde sphère les affectait tous deux profondément, mais d’une manière différente. Pour Barry, apprendre qu’un autre être du genre d’Hiéranie pouvait être rappelé à la vie comme renfort accroissait le sentiment de malaise qui, déjà, le hantait. Alan, toutefois, ne voyait dans la nouvelle qu’une menace à son amour pour Hiéranie.
« Qu’arriverait-il, pensait-il, si un homme de sa race apparaissait sur la scène ? »
Sans nul doute, il serait pour elle un compagnon parfait à tous les points de vue.
« Quelle chance aurais-je devant un tel rival ? »
Cette pensée le traversait d’un sentiment de jalousie aveugle. Ce fut lui qui rompit le silence.
– Dites-moi, Hiéranie… cet Andax dont vous parlez… Est-ce le nom d’un homme de votre race, ou celui d’une femme ?
Hiéranie quitta le tableau de bord et revint vers eux.
– Andax ? dit-elle pensivement, en passant devant eux. Eh bien, Andax est un homme.
Elle les regarda tous deux tour à tour et sourit.
– C’est un homme, aussi, qu’il vous serait sans doute difficile de comprendre sans le connaître bien.
Elle se laissa aller dans un grand fauteuil sculpté en face d’eux.
– Lorsque j’ai dit que l’on avait demandé des volontaires pour le long sommeil, je ne me suis pas clairement exprimée. Il avait été décidé cent ans avant le grand désastre qu’un être de notre race devrait occuper chaque sphère, et à partir de cette époque jusqu’à ce que le choix soit fait, notre race se mit à l’œuvre pour que des représentants tout à fait aptes soient prêts lorsque le moment viendrait… Chaque génération fut observée avec un scrupule croissant. Le bien-être de l’individu encore à naître était presque une religion pour nous, que dis-je ? c’était bel et bien une religion. Un jour il en sera de même pour vous, quand vos yeux se seront ouverts. Chaque règle concernant le mélange des sangs humains avait été découverte longtemps auparavant, et nous connaissions le type d’homme que nous désirions procréer, aussi travaillons-nous dans ce but.
Elle fit pivoter son fauteuil et regarda, par-delà le portique du « temple » dont les rideaux étaient grands ouverts, par-delà la galerie, jusqu’à la statue qui se découpait dans le cadre formé par le seuil menant à l’antichambre. Elle fit un geste de la main pour désigner la statue.
– Voici l’homme qui, le premier, établit nos lois pour la création d’une race, et Andax descend directement de lui. Ah ! c’était un homme, et Andax en est une amélioration ; il est meilleur grâce à vingt générations de reproductions étudiées. Alan, pourquoi avez-vous l’air aussi furieux ?
Alan se reprit.
– À vrai dire, Hiéranie, je n’aime pas ce visage il a l’air absolument impitoyable.
Elle acquiesça d’un léger signe de tête.
– Oui, peut-être avez-vous raison. La lignée n’a en elle que peu de faiblesses. Mais cette race a fait beaucoup pour le monde. Les meilleurs d’entre nous en ont quelque chose en eux. J’ai de leur sang des deux côtés, pas énormément, mais assez pour le mentionner, et le sang du vieux docteur tient le reste en respect ; mais chez Andax, il est presque pur. J’ai grandi avec lui et je le connais bien. Il a intensifié en lui-même toutes les caractéristiques de la lignée. En apparence, il a le même front haut et le même cheveu rare, le nez fin et les narines larges, la bouche droite, sans lèvres, et les yeux d’acier étincelant.
Elle eut un petit rire.
– Nul de cette lignée n’a jamais eu de cœur. Ils portaient dans le thorax une pompe organique qui n’avait d’autre fonction que de maintenir en vie leur cerveau.
Barry écoutait avec un sentiment de crainte qu’il ne pouvait contrôler, mais, le cachant aussi bien qu’il le put, il déclara !
– Votre tableau n’est pas précisément fascinant, Hiéranie, j’imagine que ce ne serait pas là un compagnon sympathique.
Elle acquiesça de la tête.
– Andax ne plairait pas à beaucoup de gens. Il me tolérait. Il me considérait comme une idiote utile ; en fait, il me l’a avoué. Il a été mon professeur pour mon année de chirurgie, et j’ai passé, après cela, deux ans sous sa férule en technique. Cela le mettait en colère. Il disait que si je lui permettais de greffer un lobe du cerveau de son frère à mon cerveau, il me ferait gagner une année de cours, mais j’ai refusé.
Elle riait avec légèreté.
– C’est alors qu’il m’a dit que je ne serais jamais rien de plus qu’une idiote utile, et il était furieux parce que je me suis inscrite en droit et en littérature et non pas en sciences politiques et domestiques.
Elle s’arrêta un instant.
– Impitoyable est peut-être le mot juste, Alan. Froids, sans passion, et calculateurs, tous tant qu’ils étaient. Absolument inflexibles. Ils ne voyaient devant eux que leur but, et ils y allaient tout droit. Il n’y avait pas en eux la moindre pensée pour leur intérêt personnel, et nul désir de pouvoir ou de l’autorité en soi. Ils considéraient notre monde comme un simple champ d’expériences pour eux. Ils étaient stoïquement honnêtes même envers eux-mêmes.
« Andax, par exemple, aurait pratiqué la vivisection, sur moi ou sur n’importe qui, sans anesthésique s’il avait pensé que le résultat serait en fin de compte bénéfique pour la race, de même, qu’il se serait sacrifié lui-même pour une cause semblable. Et notez bien, mes amis, que je pourrais vous raconter bien des histoires sur leurs actions, des histoires pas très agréables à entendre, mais il n’y a jamais eu, de leur part, un acte, aussi terrible qu’il soit, qui n’ait pas entraîné une grande bénédiction par la suite. »
Un long moment, ils gardèrent le silence, les deux hommes plongés dans leurs pensées. Le portrait, brossé par Hiéranie, de cet être qui attendait sa libération les affectait tous deux profondément. Ce fut Barry qui parla :
– Cette autre sphère, Hiéranie, vous savez où elle est ? Pouvez-vous la retrouver ?
– Oui, répondit-elle, cela ne présentera aucune difficulté. Attendez, je vais vous montrer.
Elle prit les deux cartes sur la table et se pencha sur elles.
– D’après vos cartes et les miennes, j’ai délimité l’altération de l’axe ; le reste est facile.
Elle fit silence à nouveau, les yeux fermés, comme si elle calculait mentalement. Puis :
– Oui, ce doit être cela, grossièrement, à environ 74 degrés de latitude est et entre 36 et 37 degrés de longitude nord. À peu près ici.
Son doigt indiquait un point au nord de l’Inde. Alan regarda la carte de son atlas et posa son doigt sur le point désigné, puis laissa fuser un sifflement bas.
– Un joli coin, n’est-ce pas, Dick ? Juste au milieu de l’Himalaya, à environ six cents kilomètres au nord-ouest de Simla.
– Quel genre de pays est-ce, Alan ? demanda Hiéranie.
– C’est la plus grande chaîne de montagnes du monde. Une contrée presque impossible, sous les neiges éternelles et connue seulement en partie, répondit Dundas, l’esprit soulagé. Hiéranie, faire des recherches là serait sans espoir. Voyez, la sphère risque d’être enfouie sous deux mille mètres de montagne.
– Il est probable que vous avez raison, répondit-elle avec un calme imperturbable. C’est même presque certain, car, avant le cataclysme, cet endroit était un haut-plateau. Pourtant, notre travail sera simple. Une fois atteint le lieu, je pourrai localiser la position de la sphère avec une précision absolue, et le reste sera aisé.
– Même si elle est enterrée ? intervint Barry.
– La profondeur n’a pas d’importance du tout. Trois cents mètres ou trois mille, je dispose des moyens nécessaires. Vous comprendrez plus tard.
Sa calme assurance raviva le désespoir de ses auditeurs. Elle écarta le sujet d’un geste de la main.
– Nous aurons le temps de reparler d’Andax. D’abord, je dois être prête à le renseigner sur tout ce qu’il voudra savoir, et croyez-moi, il sera assoiffé de connaissances quand le moment sera venu.
Barry eut l’air ahuri et Hiéranie, remarquant son expression, se mit à sourire.
– Oh Dick ! Il y a tant de choses que vous ne savez pas encore. Qu’est-ce qui vous inquiète ?
– Je me demandais à l’instant quel âge a Andax, ou plutôt quel âge il avait quand il s’est endormi pour ce long sommeil.
– Nous sommes nés la même année, répondit-elle. Il a juste vingt-cinq ans. Les vingt-sept millions d’années ne comptent pas, ajouta-t-elle en riant. On ne me donnerait pas mon age, n’est-il pas vrai ?
Les deux hommes laissèrent échapper un cri. Les chiffres les pétrifiaient, mais une autre question dépassait leur compréhension. Ce fut Alan qui formula la question :
– Comment est-il possible qu’à cet âge il ait été votre professeur, comme vous l’avez dit, en chirurgie et en technique ?
– C’est très simple dès que vous avez compris les pouvoirs mentaux de l’homme. Il avait à peine quinze ans qu’il maîtrisait déjà toutes les sciences connues. Durant des générations, son cerveau avait été développé. Peut-être, poursuivit-elle en se tournant rapidement vers Barry, vous qui avez vu mon cerveau, Richard, et le vôtre… À présent, je peux vous donner une idée de la chose. Son cerveau est, comparativement, aussi développé par rapport au mien que l’est le mien par rapport au vôtre. Si vous pouvez réaliser ceci, vous voyez ce que je veux dire. Un effort mental qui ruinerait votre esprit traverserait le sien sans qu’il y attache d’importance.
Dick hocha la tête.
– Je vois, gloussa-t-il. Il m’a fallu six ans pour terminer mes études médicales. Je me demande combien de temps elles lui auraient pris ? Un mois environ, je suppose.
Hiéranie le considéra.
– En vérité, Dick, à en juger par votre cerveau, vous avez dû travailler dur pour réussir à temps.
La remarque était faite si simplement, et était de toute évidence si exempte de malice, que Dick se joignit aux hurlements de joie poussés par Alan, et, pour un moment, ils en oublièrent leurs pressentiments.
Alan et Barry obtinrent de cette manière leurs premières notions sur le passé du monde, et l’idée, pour aussi fragmentaire qu’elle fût, ne fit qu’ouvrir leur appétit d’en savoir plus.
Ce soir-là, avant de se séparer, les deux hommes restèrent silencieux, à songer. Ce ne fut qu’au dernier moment que Dundas parla :
– Dick, je n’aime pas penser à l’existence de cet Andax. Il me semble d’un calibre un peu gros pour le lâcher en liberté sur le monde.
Barry comprit la raison véritable qu’avait son ami de ne pas apprécier cette existence, mais la laissa passer sans commentaire.
– Je l’aime encore moins que toi, Alan, mais mon opinion est que nos désirs, sur ce point, ne seront pas pris en considération. Notre seul espoir est de tenter d’employer notre influence au mieux. Pour le reste, ce sera l’affaire des dieux. Bonne nuit.
Et il disparut dans la nuit au milieu d’une odeur de pétrole.