CHAPITRE XVI

 

Dundas s’éveilla le lendemain matin avec une claire conscience du lourd problème dont il allait devoir s’occuper, et comme préliminaires, il vida sa tête des difficultés qui l’attendaient. Mais bien qu’il eût pu éloigner de son esprit les questions pour le moment, il ne fit aucun effort pour ne pas penser à l’être inanimé qui constituait le centre de l’affaire ; même s’il l’avait voulu, il n’aurait pu le faire. Il se mit à ses besognes domestiques d’un cœur léger, et pour la première fois depuis de nombreux jours, il ne leur accorda pas une attention superficielle. Il se fit cuire un bon déjeuner et s’en régala. Puis, après avoir nettoyé la cuisine, il bourra sa pipe et, déambulant sur la véranda, les mains enfoncées dans les poches, il tint conseil avec lui-même.

 

Il avait atteint un point où il devait obtenir une aide extérieure. Pas un seul instant, il ne mit en question la certitude que la forme aujourd’hui inanimée et gisant sous le dôme de cristal ne pût être rappelée à la vie en suivant les directives du volume du coffret. Par malheur, il se reconnaissait incompétent à pratiquer lui-même l’opération nécessaire. Visiblement, c’était le travail d’un chirurgien. Il ressentit une profonde satisfaction à l’idée que le chirurgien dont il avait besoin était prêt à répondre à son appel et, de plus, était un copain de longue date et dont la fidélité n’était pas douteuse. Ceci représentait toutefois la moindre de ses inquiétudes. La question véritable était de savoir que faire de la dame de ses rêves quand elle aurait été rappelée à la vie. Il pouvait se fier absolument à Dick Barry en ce qui concernait son secret, mais le révéler à une femme quelconque était un tout autre problème. Lorsque serait connue l’existence de sa découverte, devenue alors propriété publique, il craignait que les autorités constituées ne viennent assumer le contrôle de la situation. Être privé de ses droits sur le contenu des galeries lui importait peu en regard de sa terreur d’être séparé de la femme qu’il estimait sienne par droit divin. Il pourrait, bien entendu, obtenir l’assistance de Doris ou de Kitty Barry, mais malgré une profonde admiration pour les vertueuses épouses de ses deux amis, il doutait de leur capacité à garder le secret jusqu’au moment où il serait prêt à divulguer sa découverte au monde. Plus, encore, sa ferme de célibataire était une cachette impossible pour son secret. De quelque côté qu’il se tournât, sa position était hérissée de points d’interrogation sans une seule réponse admissible.

 

À la fin, il trancha le nœud de tous ses problèmes en décidant de soumettre le cas à Barry et de pousser ce médecin ambitieux à pratiquer l’opération ; après quoi, les événements se règleraient bien d’eux-mêmes. Il avait dans l’idée que la personne qui était au centre de l’affaire lui ôterait finalement la décision des mains.

 

– Quoi qu’il en soit, se dit-il à voix haute, en tapotant sa pipe pour en vider les cendres, à chaque jour suffit sa peine. Je vais donner à Dick Barry quelque chose à se mettre sous la dent avant la fin du jour.

 

Billy Blue Blazes, dont la nature pétulante n’avait rien perdu de son effervescence en des semaines d’insouciance, comprit lorsqu’ils tournèrent vers Glen Cairn, ce matin-là, que son maître n’était pas d’humeur à batifoler. Il eut, avant d’arriver à destination, le temps de spéculer sur l’incertitude du tempérament humain.

 

Détail caractéristique, Dundas, en dépit d’un intérêt absorbant pour ses propres affaires, n’avait pas oublié de passer chez le seul confiseur de Glen Cairn. Après quoi il transmit Billy au palefrenier du club et se dirigea vers la résidence de son ami. Une plaque de cuivre d’un brillant aveuglant annonçait que Richard Barry, B. Sc., M. D., recevait en consultation de dix à onze heures et de vingt à vingt et une heures. Comme il était à peine plus de onze heures, Alan attraperait Barry avant son départ de la maison pour ses visites. Au moment, il franchissait le Portail, un piaillement joyeux d’enfant annonça sa présence à la mère ; se tenant sur la véranda, elle partageait inégalement son temps entre la couture et l’amusement de son rejeton exubérant. Alan souleva Barry jeune à cheval sur ses épaules et rejoignit Kitty. En voyant le visiteur s’annoncer, elle s’était écriée qu’elle n’était pas visible pour des étrangers. Dundas posa l’enfant gigotant aux pieds de sa mère et protesta que sa visite était purement en l’honneur de son fils, lequel n’entretenait pas en lui d’affreuses critiques conventionnelles.

 

– Vrai de vrai, Madame Kitty, je me suis tué au travail, je m’attendais à un peu de sympathie, et je suis accueilli par des insultes. Dommage ! L’autre poche, sacripant ! tu ne trouveras que des gants dans celle-ci.

 

Ceci s’adressait à l’image enfantine de son hôtesse, fourrageant à la recherche du résultat de sa visite à la confiserie.

 

– Non seulement vous nous négligez sans vergogne, Alan, mais vous ajoutez à vos méfaits en abîmant mon bébé. Donne-les à maman, Dickie, dit Kitty en regardant Dundas d’un air accusateur et en essayant de cajoler l’enfant qui berçait contre son cœur un sac de chocolats.

 

– Ne t’en sépare pas, Cœur-de-Lion, l’admonesta Alan d’un ton joyeux. Maman avalera tout, si tu le lui donnes.

 

Kitty jeta un coup d’œil méprisant à son visiteur, et arrangea un compromis diplomatique avec le bébé, Alan surveillant tout, en un silence amusé. Quand l’enfant s’éloigna en se dandinant, apaisé, sur la véranda, elle se retourna vers Alan d’un air sérieux.

 

– Vous savez, quelquefois, je pense que Dick n’en sait pas autant que moi sur les bébés. Il dit qu’il faut laisser le petit démon (un démon, en vérité ! quel genre de père est-ce là ?) manger tout ce qu’il veut. Qu’en pensez-vous ?

 

Alan gloussa.

 

– Je ne peux pas dire que j’aie maîtrisé moi-même le sujet. Toutefois, écartelé entre vous deux, le « démon» m’a l’air de se porter comme un charme, mais si jamais j’avais besoin d’un conseil médical, je ne viendrais pas chez votre mari.

 

– Alan ! dit Kitty, surprise et peinée.

 

– Voyez-vous, Madame Kitty, continua-t-il, pas ému le moindrement par sa protestation, ça démange Dick depuis longtemps de se mettre à l’ouvrage sur moi. Je lui ai fait tant de blagues et tant de fois qu’il attend le jour où il pourra pratiquer sur moi une opération bénigne sans anesthésie. Le scélérat assoiffé de sang espère se venger de cette façon-là.

 

Kitty sourit à l’explication.

 

– Cela ne m’étonne pas, vaurien. Je lui demanderai de vous donner un coup de scalpel de plus pour moi quand il en aura l’occasion. Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’examen ? Selon Mr Bryce, c’est la raison pour laquelle vous n’êtes pas venu en ville depuis presque deux mois, et George MacArthur a enjolivé encore la déclaration en disant que vous vous prépariez à entrer dans les Ordres.

 

Alan bénit silencieusement Bryce, tout en regrettant de ne s’être pas arrangé avec son ami pour prévoir le genre exact d’études qu’il était censé poursuivre.

 

– Je pencherais à croire que Mac a déclaré cela pour l’édification de John Harvey Pook. Eh bien, je ne suis pas prêt à faire basculer le révérend de sa chaire pour l’instant. Je désirais seulement achever certain travail que j’avais pris en mains et c’est pourquoi j’ai fait le mort. Mais j’ai presque terminé à présent. Où est Dick ? J’espère qu’il n’est pas parti déjà. Je suis venu le consulter.

 

Kitty le considéra d’un air anxieux.

 

– Oh, Alan, j’espère…

 

Dundas l’arrêta d’un rire.

 

– Est-ce que j’ai l’air d’un invalide ? Non, c’est une question professionnelle, mais elle ne me concerne pas.

 

Un moteur ronflant tourna sur l’allée et s’arrêta devant la porte d’entrée.

 

– Il paraît être prêt à s’envoler. J’espère qu’il aura un moment pour me voir.

 

Kitty le rassura sur ce point.

 

– Pour le moment je le sais, Dick n’a rien de pressant en vue. Il me disait justement ce matin que sa tournée, pour une fois, serait courte. Le voici.

 

Sur ces mots, son mari apparut. Le visage de Barry s’illumina de plaisir à la vue de Dundas. C’était un homme grand, plein de santé, aux cheveux roux et aux yeux bleus. Il n’était absolument pas beau, mais son visage allait droit au cœur de quiconque entrait en contact avec lui. Les femmes lui faisaient implicitement confiance, et les enfants et les chiens s’emparaient de lui à vue, quant aux hommes, ils déclaraient que le « Toubib » était un type épatant. En conséquence, sa carrière dans le pays était facilitée.

 

– Dun, mon vieux, je te croyais entré dans un monastère ou quelque chose de ce genre. Le comité du club est prêt à entamer une enquête sur ta conduite. Quoi de neuf ?

 

– De neuf, intervint Kitty, il est ici depuis dix minutes et il a déjà tenté de rendre ton fils malade avec des sucreries, il a voulu le faire désobéir à sa mère, et enfin il a émis des doutes sur tes qualifications professionnelles.

 

Les deux hommes rirent de ce réquisitoire.

 

– C’est une version déformée de mes faits et gestes, Dick, avec un substrat vaporeux de vérité. Je suis venu en réalité pour avoir une conversation professionnelle avec toi, si tu peux m’accorder un peu de ton temps ; mais ça prendra une heure au moins.

 

Barry lança un bref coup d’œil à son ami ; puis, se retournant rapidement, il dit à son domestique de ramener la voiture au garage.

 

– J’ai du temps à perdre, Dun. Viens dans mon cabinet.

 

Alan regarda Kitty.

 

– Vous m’excuserez, Madame Kitty.

 

– Bien sûr, pourvu que vous restiez à déjeuner.

 

– Je prévois plutôt que Richard Barry, M. D., etc., aura d’autres plans, aussi ferai-je une promesse conditionnelle, fut la réponse d’Alan comme les deux hommes se dirigeaient vers l’intérieur.

 

Dans le cabinet, Barry attira une chaise pour Alan, et s’assit lui-même à son bureau.

 

– De quoi s’agit-il, Alan ? demanda-t-il avec sérieux. Rien qui te concerne, j’espère. Bien que tu aies l’air un peu harassé.

 

Dundas secoua la tête.

 

– Je suis en parfaite santé, Dicky, mais… le fait est que je ne sais trop par où commencer.

 

Il se leva et se mit à arpenter la pièce lentement. Barry, connaisseur de la nature humaine, s’abstint de lui poser des questions.

 

– Prends ton temps, Dun.

 

Alan s’immobilisa devant le bureau.

 

– Écoute, Dick, si je ne te connaissais pas depuis que nous étions gamins, je ne me confierais pas à toi. Ce n’est pas seulement une question professionnelle, mais Dieu sait seul ce qui peut en découler. En d’autres circonstances, je ne t’aurais pas insulté en te demandant de me jurer solennellement que sous aucun prétexte tu ne divulgueras ce que je vais te confier sans ma permission expresse.

 

Barry fixa son ami.

 

– Alan, mon garçon, si n’importe qui d’autre m’avait demandé une telle promesse, j’aurais juré qu’il m’incombait de l’expulser à coups de bottes. Toutefois, dans ton cas, je te le promets, bien que ce ne soit pas du tout nécessaire.

 

– Ne te mets pas en rogne, Dick ; tu vas bientôt comprendre. Donc, j’attends de toi que tu viennes à « Cootamundra » pour pratiquer une opération délicate sur une jeune femme.

 

Barry se dressa lentement, et, les mains bien posées sur le bureau, il se pencha vers Alan. Il y eut un éclair dans ses yeux quand il parla.

 

– Tu me demandes de venir à « Cootamundra » pratiquer une opération délicate sur une jeune femme… Eh bien, Dundas, voici ma réponse ! je préférerais te voir crever !

 

Il parlait d’un ton bas, égal, mais il appuya sa réponse d’un grand coup de paume sur la table qui résonna et trembla.

 

Alan considérait son ami, bouche bée devant cette explosion. Et soudain il comprit et il fut plié d’un rire moqueur devant Dick dont le visage était plutôt sombre.

 

– Oh, Dicky, vieux saligaud ! Ainsi, tu pensais que… Richard, j’en rougis pour toi et pour l’estime que tu portes à la nature humaine.

 

– La nature humaine, mon œil ! grogna Barry, replongeant dans son siège, un peu calmé. Une mouche intelligente, sur le mur de cette pièce pendant un mois, apprendrait plus à ce sujet que toi dans toute ta vie. Remets-toi en route.

 

– C’est ma faute, j’ai commencé par le mauvais bout, dit Dundas, toujours souriant de ce qui venait de se passer.

 

Puis il se jeta sur sa chaise et, s’inclinant par dessus la table, il commença son histoire. Pendant un moment, Barry écouta en silence, mais bientôt il fut incapable de se contenir et intervint :

 

– Grand Dieu, Alan, est-ce une nouvelle blague, ou as-tu des araignées dans le plafond ? Essaies-tu de me faire avaler que lorsque tu es arrivé au bas de l’escalier dans cet endroit, les lumières étaient allumées ?

 

Il y avait un éclair de colère dans ses yeux. Alan le regarda un instant, pensif. Tout ce qui lui était arrivé graduellement et en réalité, à lui, était jeté devant Barry d’un seul coup et verbalement ; il devait en tenir compte.

 

– Dick, mon vieux, je ne sais pas comment t’expliquer, dit-il sérieusement, mais je n’ai jamais été aussi grave de ma vie. Je voudrais que tu m’écoutes jusqu’au bout. Alors je répondrai à toutes tes questions. Dis-toi bien que, chaque mot de mon récit est vrai, et je te convaincrai tôt ou tard… tôt si possible.

 

Dick s’installa confortablement sur son fauteuil.

 

– Mes excuses, mon vieux. Mon imagination n’est pas exactement aussi rigide que de la fonte, mais elle n’a pas non plus l’élasticité d’un gaz. Je ne t’interromprai plus.

 

Pourtant, à mesure qu’Alan avançait dans son histoire, l’esprit de Barry passait par des alternatives d’accès d’excitation et de prudentes estimations de l’état mental d’Alan, jusqu’au moment où, malgré lui, la sincérité de son copain et la précision des détails entraînèrent sa conviction. La relation de la découverte de la galerie de biologie le fit se dresser.

 

– Dun, si ceci n’est pas un fait indubitable, je t’assassinerai pour m’avoir ouvert les portes d’un paradis imaginaire. Dieu ! un endroit pareil où se déchaîner !…

 

– Dicky, je te le promets, tu y auras entrée libre, mais je doute que tu aies même envie d’y jeter un coup d’œil à présent quand tu auras entendu la fin, dit Alan, souriant devant l’excitation de son ami.

 

Il reprit alors le fil de son histoire. Il ne craignait plus de n’être pas cru, maintenant ; quelques détails avaient convaincu Dick qu’aucun profane n’aurait pu inventer cette aventure. À partir de là, il suivit l’histoire avec un intérêt haletant, jusqu’à ce qu’Alan, à présent réchauffé, en vînt au chapitre de l’ouverture du temple et à la forme étendue sur le divan. Là, il ne put plus se retenir :

 

– Bon Dieu, Alan, murmura-t-il, la voix tremblante, est-elle… est-elle…

 

Il ne pouvait trouver le mot.

 

– Mon vieux Dick, dit Alan solennellement, aussi sûr que nous vivons tous les deux, elle est vivante. Ce n’est pas une conjecture. Durant toutes ces ères – Dieu sait combien – elle est restée étendue là, attendant la main qui la rappellerait à la vie. Exposée là, dans toute sa merveilleuse et somptueuse beauté. Dick, quand tu la verras, tu comprendras pourquoi j’en suis fou. Vieux frère, si j’avais pu faire le nécessaire tout seul, je n’aurais jamais permis à un autre homme que moi de poser les yeux sur elle. Mais tu vas m’aider, Dick, je ne peux me fier à personne d’autre.

 

Barry s’était levé et se mettait à arpenter la pièce à pas rapides, nerveux.

 

– Alan ! sommes-nous fous tous les deux ? C’est incroyable… monstrueux. Je ne doute pas du reste, Alan, mais sur ce point, tu as dû te tromper. Si elle est humaine, il ne peut y avoir aucune trace de vie en elle. Elle doit être un chef-d’œuvre d’art consommé, mais humaine, non.

 

Dundas suivait des yeux les évolutions fiévreuses de son ami sans quitter son siège.

 

– Dick, dit-il avec calme, si elle est comme tu dis, alors j’ai donné mon âme et mon cœur à une effigie. Non, mon vieux, ils étaient certes étonnants, ces anciens constructeurs de merveilles, mais ils n’auraient pu construire une merveille comme elle. Pense à l’art et à l’habileté infinis avec lesquels elle était protégée. Tout le plan de ce bâtiment était arrangé pour sa sauvegarde. Dick, tu le feras pour moi ?

 

Barry s’immobilisa, tremblant d’excitation.

 

– Si je le ferai ? Grands dieux, mon vieux ! Je vendrais mon âme immortelle seulement pour regarder. Ce pourrait être la chose la plus énorme… c’est… gigantesque ! Pense… un article dans le Lancet ou le B. M. J… Pense à une conférence lors du prochain congrès médical…

 

– Pense à la promesse que tu m’as faite, interrompit froidement Alan. Dick, je n’entends pas te priver de l’honneur et de la gloire, mais tu devras attendre. Pour le présent, Dicky, ceci est un engagement strictement professionnel. Tu fixeras toi-même tes honoraires, mais tu viens à « Cootamundra » en qualité de conseiller médical jusqu’à ce que je sois prêt à révéler le tout. Après quoi, tu pourras écrire des articles, faire des conférences jusqu’à la semaine des quatre jeudis.

 

Le rappel à l’ordre fit redescendre Barry des nuages.

 

– Tu as raison, Alan. Dans mon excitation, j’avais oublié. Tu me dis de fixer moi-même mes honoraires ? Très bien. Pour honoraires, j’aurai libre accès à la galerie biologique. En revanche, je l’opèrerai, et je la prendrai en charge professionnellement, aussi longtemps qu’elle aura besoin de mes soins.

 

– Tope-là, Dicky. Quand pourras-tu t’en occuper ? demanda Alan, excité.

 

Barry jeta un coup d’œil à la pendule, sur cheminée.

 

– Midi et quart. Je peux achever mon travail et être à « Cootamundra » à deux heures et demie. Je téléphonerai à Walton pour lui demander de s’occuper des urgences qui pourraient survenir. C’est le minimum à faire pour rester en bons termes avec un rival détesté. Mais, tonnerre, Dun, il me tirera dessus à vue – et je l’aurai mérité – pour ne pas l’avoir appelé en consultation. C’est fort mal traiter un confrère de la brousse, mais on n’y peut rien.

 

Il pivota et s’affaira devant une armoire à instruments.

 

– Tu n’auras pas besoin de tes outils, Dick, dit Dundas qui observait par-dessus son épaule. Je parie qu’il y a là-bas la plus belle collection de scalpels que tu aies jamais vue.

 

– Oh, bien, répondit Barry en glissant une ou deux trousses dans son sac. Je les prends quand même à tout hasard. Tu ferais mieux de venir avec moi en voiture.

 

– Je ne crois pas, dit Alan. Je vais te précéder et préparer tout. Dis à Madame Kitty que je te nourrirai là-bas. Dieu seul sait combien de temps il faudra. À propos, Dick, et la question de la nourriture, pour elle ? Il lui faudra bien quelque chose à manger…

 

Barry fronça les sourcils, songeur, puis alla à son bureau.

 

– Le diable, c’est qu’il n’y a pas de précédent à ce cas. As-tu du lait, là-bas ? demanda-t-il en saisissant son stylo.

 

– Je peux en avoir, bien que je n’en boive pas moi-même.

 

– Bon. Procure-t-en un litre ou deux et apporte ceci au pharmacien, dit Dick en gribouillant une ordonnance. C’est une liste de choses dont on pourrait avoir besoin.

 

Il rêva un moment en silence.

 

– Vois-tu, Dun, je ne serais pas surpris qu’ils aient tout prévu pour une alimentation convenable. Certaines de ces armoires fermées dont tu me parlais…

 

Dundas prit la liste, et Barry saisit son sac.

 

– Pendant que tu seras là à m’attendre, règle donc ce sablier avec ta montre. Cela nous permettra de connaître le temps qu’il faut laisser passer entre les deux injections. Prêt ? Allons-y, alors, dit Dick par-dessus son épaule.

 

Mme Kitty, habituée comme toute femme de médecin à des bouleversements domestiques dus à la profession de son mari, apprit la nouvelle du départ immédiat de son hôte et de son époux avec une résignation philosophique. Elle stipula seulement que Dick devait manger quelque chose avec Alan à « Cootamundra ». Elle leur fit un signe de la main quand ils partirent, chacun de son côté, un peu étonnée de l’excitation visible de Dick malgré tous ses efforts pour la cacher. Elle se demandait aussi quelle pouvait être cette urgence, à laquelle Alan était mêlé. Car, son devoir ne lui permettait jamais la moindre question pouvant empiéter sur le travail de son mari.