Debout et roide, la respiration haletante, Alan évalua sa position avec minutie. Le palier sur lequel il était arrivé formait un élargissement du puits. Il était circulaire, de plus de douze mètres de diamètre, avec un plafond bas et des murs où n’apparaissait aucun ornement.
D’abord, un seul fait retint son attention à l’exclusion de tout autre. Droit devant lui, dans la partie opposée du palier, une ouverture dans le plancher menait à un appartement inférieur ; de cette ouverture provenait une lumière brillante, blanche et soutenue, qui dessinait une arche lumineuse clairement définie sur le mur situé en face de lui. Et cette arche de lumière encadrait l’ombre d’une forme humaine immobile. Combien de temps resta-t-il à fixer cela, Dundas ne le sut jamais, mais si longtemps que ce fût, la silhouette en ombre chinoise ne fit pas le moindre mouvement. Un bras levé et déformé par l’angle lumineux, elle restait là, immense et menaçante, comme pour le repousser.
Après des minutes qui lui parurent des heures, Alan rassembla tout son courage. Même s’il devait être très dur de continuer, il sentait qu’il ne pourrait pas s’en retourner sans avoir résolu le mystère de cette lumière. Doucement, prenant bien soin de ne faire aucun bruit, il posa sa lampe derrière lui, sur la marche ; puis il fit un pas avec précaution et se laissa aller sur les mains et les genoux en gardant ses yeux fixés sur l’ombre, le pistolet prêt à tirer instantanément. Centimètre par centimètre il se traîna sur le plancher dur et froid, s’immobilisa de temps à autre pour écouter. Enfin, il parvint à l’ouverture et avança précautionneusement jusqu’à ce que, en allongeant le cou, il puisse épier par-dessus le bord pour satisfaire sa curiosité lancinante.
Il demeura longtemps ainsi, avant de bouger à nouveau, bien que ce qu’il ait vu eût apaisé ses craintes ; l’étonnement le figeait sur place. Une volée de marches menait à un autre étage, dix mètres plus bas, à un appartement dont il ne pouvait apprécier la dimension. Exactement au-dessous de lui, sur le plancher, se dressait un tripode supportant ce qui apparaissait comme une boule de feu blanc, d’où la lumière émanait, par l’ouverture dans laquelle il regardait. Il ne s’agissait pas d’une lumière diffuse, elle était projetée par ce qui semblait être une puissante lentille.
Pendant un moment, Alan ne comprit pas d’où pouvait provenir l’ombre de la forme humaine qui se découpait sur le mur ; puis il s’aperçut qu’elle était projetée directement de la source lumineuse elle-même et était sans doute prévue pour se dessiner là ou elle serait visible de l’étage supérieur, dans le but d’infliger aux chercheurs ce qu’avait ressenti Dundas. Que ce système l’ait vraiment épouvanté, Alan l’admit à contrecœur, mais il ressentait quelque consolation à savoir que sa panique n’avait pas eu de témoin.
« Parbleu ! » pensa-t-il avec une grimace, « l’inventeur de ce petit jeu a remporté là un franc succès. Si cet esprit est quelque part en ce lieu, il a dû bien s’amuser à me voir regrimper l’escalier. »
Peu à peu, comme il examinait l’étage inférieur, un autre fait s’imposait à lui. Quelque part, au-delà de son angle de vision, se trouvait une autre source de lumière, différente de l’appareil du dessous. Elle n’était pas forte, mais diffuse, et ne faisait que souligner le dessin du plancher.
– Quelqu’un a laissé brûler la lumière, rumina-t-il. Ça doit faire une note salée. Grands dieux ! Ce serait marrant de se trouver avec une dette de plusieurs centaines de milliers d’années d’électricité.
L’idée l’égayait.
– Je me demande si je pourrais être tenu responsable ?… Quelle jolie petite affaire à plaider devant la Cour. Bon Dieu, pourtant, il n’y a rien d’étonnant. Ceux qui sont à l’origine de ce bâtiment en connaissaient un bout et ne tenaient pas à laisser tout ça à la portée du premier venu. Cette lumière, par exemple… je crois que je vais voir du pays avant d’en avoir terminé, pourvu…
Il s’arrêta, retournant ce qu’il savait déjà dans sa tête.
– … pourvu que je ne trébuche pas sur quelque petite invention bien agencée pour clore mes explorations.
Il s’assit et glissa le pistolet dans sa ceinture, persuadé que seule sa finesse le garderait des périls qui le guettaient dans sa tâche. Puis il se dirigea vers l’endroit où était tombée la barre à mine et, la prenant avec lui, revint à l’ouverture.
Il n’avait plus besoin de sa lampe, aussi l’abandonna-t-il où il l’avait déposée. Il commença à descendre dans la pièce inférieure, éprouvant chaque marche comme auparavant. Le plancher qu’il venait de quitter avait environ quinze centimètres d’épaisseur, et quand il atteignit la quatrième marche, il s’assit et regarda autour de lui. L’escalier sur lequel il se trouvait descendait abruptement en suivant le mur, de sorte que son premier coup d’œil lui permit d’inventorier tout ce qui l’entourait, et pendant longtemps il demeura immobile, ses pensées dans un état chaotique.
Il lui semblait avoir pénétré dans un vaste vestibule circulaire d’au moins vingt-cinq mètres de diamètre ; pièce dont les murs étaient rompus à intervalles réguliers par ce qui paraissait être six grandes portes translucides. Il pouvait voir nettement quatre d’entre elles d’où il était assis, prêt à s’imbiber d’une beauté qui dépassait tous ses rêves de beauté et de merveilles. Elles paraissaient composées d’un verre teinté par lequel la lumière qu’il avait remarquée s’écoulait, emplissant le vestibule d’un doux rayonnement. Malgré son éloignement, les dessins magnifiques des panneaux qui faisaient face, étaient parfaitement distincts. Il manquait de connaissances artistiques mais avait un amour de la beauté très développé ; et il était certain que rien ne pouvait approcher de ces panneaux translucides par la splendeur des couleurs ou du dessin.
Le rayonnement doux qui filtrait, montrait le vestibule à peu près vide, à part le tripode supportant la lentille du rayon de lumière coupant la demi-obscurité comme une épée de feu, et un autre objet dont il ne put préciser la nature avant d’avoir accoutumé sa vue à la pénombre. Il plissa les yeux, et peu à peu cet objet prit la forme d’un groupe sculptural de trois personnages sur un piédestal bas placé au centre de l’appartement. Bien qu’ils fussent situés assez près de lui, Alan ne put toutefois pas en déterminer les détails dans cet éclairage de cathédrale.
Une autre chose, en même temps, attirait son attention. Il l’avait déjà remarquée, mais trop occupé par d’autres objets pour que sa signification le frappe. L’escalier sur lequel il se tenait n’avait pas de balustrade. À la place, le plafond était relié à chaque marche, par deux minces barres de métal, pas plus épaisses qu’un crayon. Et assez rapprochées les unes des autres, pour empêcher un enfant même de passer entre elles, mais si fines qu’elles étaient presque indiscernables.
Dundas les regarda d’un air morose et soupçonneux.
« Diable ! que peut bien être la raison de ce truc-là ? » pensa-t-il. « Un autre tour infernal ? »
Après quelques minutes, il en toucha une avec précaution, s’attendant presque à un choc qui le récompenserait de sa curiosité ; mais il put les toucher avec impunité. Enhardi par son immunité, il en saisit une fermement et essaya sa résistance. Le résultat de sa tentative le prit par surprise, car malgré son apparence de fil de fer, elle résista, aussi rigide qu’une barre d’acier de trois centimètres, aux pressions les plus fortes qu’il put exercer.
– Ainsi donc, mes amis, murmura-t-il, on exige des visiteurs qu’ils empruntent les marches jusqu’en bas sans prendre de raccourci. À présent, si j’ai appris quelque chose au sujet de cet endroit béni, ces fils n’ont pas été installés là par mesure de sécurité. Il y a une autre raison, et je doute qu’elle soit agréable.
Il se leva et reprit sa descente, sondant les marches de sa barre à mine avec plus de circonspection que jamais. Les deux tiers du chemin furent franchis sans mal, et il commençait à penser qu’il avait mal jugé. C’est alors qu’il frappa de sa barre la dixième marche en partant du bas. Lorsqu’elle heurta la marche, quelque chose passa en un éclair, une seconde à peine, devant ses yeux, quelque chose qui siffla rageusement si près de son visage qu’il en fut presque effleuré. Il y eut un grand son clair de métal soumis à une tension gigantesque et un coup violent sur la barre qu’il tenait, au point qu’elle lui fut presque arrachée des mains. Puis un bruit de dégringolade sur les marches inférieures qui cessa sur le palier. Dundas sauta en arrière avec un cri de colère mêlée de surprise.
Qu’était-il arrivé ? La barre, dans sa main, semblait plus légère et plus courte, et il l’éleva jusqu’à ses yeux pour l’examiner. Près de trente centimètres du bout en avaient été coupés net en une section polie, comme s’il s’était agi de mastic, et c’est la partie détachée qui avait résonné en dégringolant les marches. En un instant, Alan comprit à quel point il avait été proche de la mort, et un frisson glacé le traversa.
– Les démons, murmura-t-il sauvagement. Les démons !
Il remonta, prit la lampe à acétylène qu’il avait laissée en arrière et revint sur les marches inférieures. Ne bougeant qu’avec un soin infini, il examina le mur au-dessus du point dangereux. Les rayons de la lumière éclatante lui montrèrent ce que ses yeux n’avaient pas décelé dans la demi-obscurité. Il y avait une étroite entaille verticale dans le mur et, en dirigeant la lumière vers le bas, il découvrit une entaille semblable le long de la marche correspondante. Il plaça la lampe à côté de lui et s’assit. Puis il se pencha en arrière, hors de la zone périlleuse, et appuya une fois encore la barre à mine sur la marche inférieure.
Sous la pression la plus légère, une grande lame blanche sortit en un éclair du mur et s’abattit, sectionnant une nouvelle fois la barre. La pensée de ce qui serait arrivé si la marche avait été enfoncée par son pied amena une sueur froide sur son front. Le génie démoniaque qui avait barré la voie frappa son cœur d’une terreur glacée. Alan savait que, sans ses précautions, il aurait rencontré là une mort terrible ; son corps mutilé serait maintenant étendu au pied de l’escalier dans la pénombre silencieuse. Le choc imposé à ses nerfs l’empêchait de penser ; il remonta, les jambes flageolantes et les sens hébétés. Il déboucha dans le soir qui tombait et ferma la porte du hangar derrière lui. Dans son cœur, se levait un profond sentiment de gratitude pour avoir été préservé de ce sort.
Ce soir-là, il prépara son repas dans un silence songeur. Il ne se laissa pas aller aux sifflements joyeux et aux chansons qui d’habitude accompagnaient ses derniers travaux de la journée. Quand il eut fini, quand tout fut en ordre, il s’assit et se mit à écrire. Il rapporta en détails minutieux chaque incident ayant marqué sa découverte et chaque danger qu’il avait rencontré jusqu’au point où il s’était arrêté.
Il était tard dans la nuit quand il eut terminé. Alors, il inséra les nombreux feuillets dans une enveloppe et écrivit sur celle-ci, en travers, d’une main ferme : « Si j’ai disparu, le contenu de cette lettre doit être lu avant de se lancer à ma recherche. » Il signa et data. Puis il plaça l’enveloppe en un endroit bien visible du manteau de la cheminée de façon à ce qu’elle ne puisse échapper à personne.
– Et maintenant, pensa-t-il, si je suis mis hors jeu, Bryce, ou quiconque viendra enquêter, courra moins de risques.
Enfin, assuré qu’il avait garanti les autres jusqu’à un certain point, sinon lui-même, il se mit au lit, complètement épuisé par une journée harassante.
Malgré sa fatigue, le sommeil attendu refusait de venir à son appel. L’émerveillement de sa découverte avait si bien marqué son esprit que, tous ses efforts ne pouvaient vider son cerveau de questions sans réponse. Le sentiment de fureur qu’il avait ressenti d’abord, à voir le piège mortel auquel il avait échappé, laissait place à un raisonnement plus calme. Quel que soit le mystère caché derrière ces grandes portes, il valait sûrement la peine prise à le garder.
Il s’aperçut que chaque difficulté rencontrée jusqu’à présent était susceptible d’une solution, que chaque obstacle était d’un genre qui arrêterait avec efficacité un envahisseur irraisonné ou inintelligent, et que derrière tout ceci se trouvait une évidence : tout avait été prévu pour empêcher le secret de ce lieu de tomber entre des mains indignes, soit par manque de courage, soit par manque d’entraînement mental capable de l’évaluer à sa propre valeur.
Alan eut un sourire quand il vit à quel point les événements de ces quelques jours l’avaient absorbé. Glen Cairn aurait aussi bien pu être situé à deux mille kilomètres de là, pour le peu qu’il y avait pensé. Ses amis et connaissances avaient été complètement oubliés. Il semblait s’être écoulé des années depuis qu’il n’avait revu Bryce, au lieu d’une semaine tout juste. Le lendemain était un dimanche, mais il savait que rien ne pourrait l’arracher à son travail. Il sentait qu’il devrait aller voir Marian, mais il comprit que, tant que le mystère ne serait pas résolu, il serait enchaîné ici.
Enfin, le sommeil le saisit, profond et paisible, et le soleil était levé depuis longtemps lorsque Dundas revint à la conscience.