CHAPITRE XXIV

 

Alan atteignit « Cootamundra » quelque peu calmé par sa course et déterminé à laisser Glen Cairn penser à sa guise jusqu’à ce qu’il soit prêt à éclairer la commune ulcérée. Le crépuscule, d’une douceur de velours, était tombé et la pleine lune commençait à grimper dans le ciel lorsqu’il en eut fini avec Billy et se dirigea vers la ferme. Certain qu’Hiéranie était arrivée avant lui, il avait l’intention d’aller tout droit au « temple » où il s’attendait à la trouver ; mais, arrivé tout près de la véranda, il la vit qui l’attendait dans l’ombre.

 

Il resta tête nue devant elle, et pendant un moment ni l’un ni l’autre ne parla. Ce fut la femme qui rompit le silence.

 

– Suis-je pardonnée ? demanda-t-elle, en tendant les deux mains.

 

Il y avait dans ses yeux splendides un adorable repentir, et les paumes levées au ciel plaidaient plus éloquemment encore que sa voix. Oublié, oubliées l’humiliation et la rage ; oubliés les reproches ; et son esprit fut délivré des ennuis désagréables de la journée. Les quelques mots avaient pansé chaque blessure.

 

– Oh, Hiéranie ! jeta-t-il, qu’y a-t-il à pardonner ? C’est moi qui suis à blâmer. J’aurais dû vous avertir. J’aurais dû vous faire comprendre. Pourrez-vous me pardonner ?

 

Une main douce pesa légèrement sur son bras.

 

– Oublions un moment, Alan. Est-ce là une nuit pour permettre aux ennuis de s’interposer entre nous ? Regardez !

 

Le clair de lune grandissant jetait son mystère sur eux. Sur les bas-fonds du fleuve flottaient des bandes de brume argentées, comme de longs bataillons d’esprits. La lumière d’argent, sur l’herbe humide de rosée, étendait devant eux un tapis de joyaux. Les rangées infinies de vignes nues étaient comme teintées d’une vapeur grise, et toutes les lignes dures s’adoucissaient et se mêlaient dans le paysage indistinct. Mais par-dessus tout, il y avait le silence des grands espaces… ce calme solennel qui n’existe que là où la nature n’a pas encore été touchée par l’œuvre de l’homme.

 

Il y eut un long silence. Alan croyait vivre dans un rêve. Sa main reposait toujours sur son bras, et elle restait absolument immobile, regardant dans la nuit. Se retournant, il leva les yeux vers son visage, et il lui sembla soudain qu’une grande vague d’amour et d’adoration se jetait sur lui, balayant toute trace de crainte et de doute. Sans la moindre honte, il s’abreuvait à sa beauté radieuse… cette beauté qui s’était emparée de son âme dès la première fois où ses yeux étaient tombés sur elle et qui paraissait avoir grandi avec l’écoulement des jours. Et maintenant, avec le mystère profond de ses yeux, elle semblait participer d’un charme inconnu de la terre. La légère pression de sa main blanche sur son bras le brûlait comme une flamme, et il sentait son corps trembler du désir sauvage de l’étreindre tout contre lui, et des paroles impossibles à exprimer faisaient trembler ses lèvres. Comme attirée par l’intensité de sa passion, elle tourna un peu la tête et leurs yeux se rencontrèrent. Un instant, la révélation qu’il y décela le laissa pétrifié. Et puis, il murmura son nom :

 

– Hiéranie ! Oh, Hiéranie, est-ce que…

 

Il s’interrompit, incapable de former les mots qui contenaient son destin. Les yeux d’Hiéranie plongèrent dans les siens, sans crainte, mais en eux brillait une nouvelle lumière éclatante.

 

– Alan, pourquoi avez-vous peur de dire les mots que votre cœur vous commande de dire ? Ou est-ce aux jeunes filles de votre race de déclarer leur amour aux hommes ?

 

Il saisit la main fine dans la sienne.

 

– J’ai gardé le silence, Hiéranie, mon amour, parce que je n’avais aucun espoir. Qui suis-je pour espérer ? Oh, amour dont je ne suis pas digne ! Il me suffisait d’être près de vous, d’entendre votre voix, de vous adorer de loin. Je vous aime, Hiéranie… je vous aime ! Oh, Hiéranie, prenez en pitié le cœur qui vous adore !

 

Il parlait encore que sa main libre se glissait autour de son cou et que les grands yeux gris, si braves naguère, s’adoucissaient en une timidité étrange. Alors, l’ombre des cils dissimula la confession qu’ils transmettaient. Et il sut ; avec un joyeux cri d’extase ses bras attirèrent Hiéranie à lui pour serrer son visage dans le creux de son épaule. Et pour un moment, le monde s’immobilisa. Puis, à sa prière chuchotée, elle releva la tête et leurs lèvres se joignirent.

 

Plus tard, bras dessus bras dessous et âmes mêlées, ils errèrent dans la nuit, au milieu d’un monde nouveau où seuls ils existaient ; et le disque de la lune jetait un regard sur la jeune fille de la race perdue et sur l’homme du présent qui se contaient l’un l’autre l’immortelle histoire muette. Ainsi, ils atteignirent enfin le fleuve et s’arrêtèrent pour se reposer ; Hiéranie assise sur un tronc d’arbre abattu et Alan à ses pieds.

 

Avec un petit rire, elle lui entoura le cou de ses bras et s’inclina sur lui pour le regarder dans les yeux.

 

– Oh, mon amour, sommes-nous raisonnables ? J’ai donné mon cœur et tout, mais, peut-être aurait-il été mieux que nous ne sachions pas comment finirait l’histoire ?

 

– Il n’y a jamais eu deux êtres plus raisonnables que nous, Hiéranie, répondit-il en saisissant la main qui lui caressait la tête et en l’approchant de ses lèvres. Douter du droit que nous avons d’être heureux serait presque un blasphème.

 

– Et pourtant, Alan…

 

Elle s’interrompit avec un léger soupir.

 

– Et pourtant ? demanda-t-il.

 

– Je possède un don, qui a été développé par des générations avant moi, celui de lire l’esprit des autres, et aujourd’hui, j’ai lu dans l’esprit d’une femme qui se tenait près de vous un amour pour vous, qui est aussi fort et aussi profond que le mien. Oh, Alan ! mon amour, je le dis parce que je vous aime – peut-être aurais-je mieux fait de rester à l’écart. Il se pourrait que votre bonheur soit plus grand, ici. Dites-moi ce qu’il y a entre elle et vous.

 

Simplement, en réponse, Dundas lui raconta l’histoire, sans en rien omettre, sans s’épargner lui-même.

 

– Vous voyez donc, dit-il à la fin, que ce qui aurait pu se produire appartient au passé. Je regrette – plus que je ne pourrais le dire, car je sais qu’elle est bonne – de l’avoir blessée peut-être ; mais, mon aimée, un homme peut-il lutter contre le véritable amour venu sans qu’il l’ait recherché ? Ne lui ferais-je pas plus de mal en allant vers elle, alors que chaque battement de mon cœur est pour vous, alors que chaque pensée de mon esprit se dirige vers vous ?

 

– Peut-être est-ce écrit, et peut-être devons nous suivre la voie qui nous est tracée ?

 

Elle lui sourit.

 

– Vous aviez raison de dire que nous étions des femmes et que nous ne pourrions jamais être autre chose ; car j’aurais presque pu la tuer quand j’ai ressenti son amour pour vous, alors même que je connaissais, dès le début, votre amour pour moi.

 

Alan rit en réponse.

 

– Cet amour semble nous ramener au début des choses, car moi aussi je pense de même à propos d’Andax, qui attend qu’on le libère. Que dira-t-il lorsqu’il saura que vous m’êtes promise ?

 

Hiéranie rapprocha sa tête et se pencha sur lui en souriant.

 

– Ainsi, mon grand amour, vous pensez qu’Andax pourrait me vouloir pour lui ? Vous n’avez nul besoin de croire cela. Andax… eh bien, ni lui ni aucun être de son sang n’a jamais accordé une pensée à l’amour. De son point de vue, nous avons, nous, les femmes, une pauvre valeur économique, et notre seul but, dans son esprit, est de perpétuer la race. Il sait, aussi, la loi qui nous a été imposée si nous survivions au cataclysme qui détruisit notre monde : nous ne devions pas nous marier entre nous. Quand viendra le temps, il me demandera de lui trouver une femme et, pourvu qu’elle atteigne un certain niveau physique et mental sur lequel je dois me renseigner, il ne s’inquiétera pas de l’air qu’elle aura et, probablement, il ne le remarquera même pas.

 

Elle haussa les épaules avec un rire.

 

– Ah, Alan ! ce ne sera pas un mari exigeant ; mais je n’envierai pas la femme qui sera choisie.

 

– Je ne pense pas qu’il doive être très attirant, répliqua Alan qui ressentait tout de même un poids sur le cœur.

 

– Et pourtant, répondit Hiéranie, des femmes se sont jetées aux pieds d’hommes du même sang, sont mortes pour eux, ont péché pour eux, sachant toutes qu’ils étaient aussi sensibles que des pierres. C’est trop vrai, Alan, nul développement ne fera de nous autre chose que des femmes.

 

– Que Dieu soit béni pour cela, dit Dundas. S’il en avait été autrement, vous seriez restée chez vous aujourd’hui au lieu d’exercer votre perversité en secouant mes amis de Glen Cairn.

 

Hiéranie rit sans bruit.

 

– Dites-moi, Alan. Pourquoi se sont-ils envolés comme des oiseaux devant un faucon ? Quel code ai-je tant outragé ? J’ai pu sentir la haine de ces femmes me heurter comme des pierres.

 

Dundas détourna les yeux en fronçant les sourcils.

 

– Pourquoi vous inquiéter de leurs pensées ? Elles sont ce qu’elles sont. Cher cœur, leur petitesse est-elle digne d’une seule de vos pensées ?

 

Elle lui mit la main sous le menton et lui releva le visage.

 

– Expliquez-moi, Alan.

 

Il baissa les yeux devant la clarté répandue soudain par ceux d’Hiéranie.

 

– Hiéranie, elles vous haïssent pour votre beauté, car elle les diminuait.

 

Mais elle avait un jugement plus sûr.

 

– Non, Alan ; je vois à présent. Elles m’ont condamnée comme impudique.

 

Elle parlait sans que sa voix tremble.

 

Il saisit ses mains blanches dans les siennes.

 

– Cher amour, j’aurais voulu vous épargner cette pensée…

 

Il s’interrompit misérablement, et laissa tomber sa tête sur ses genoux, mais elle la releva.

 

– Je comprends tout, maintenant, Alan. Vous ne devez pas vous en vouloir. Mais les femmes de ce monde sont donc telles que leur réputation ne résisterait pas au fait de vivre seule avec un homme, sans chaperon ? Leur pureté est-elle si faible ? Chez nous, une pensée aussi vile n’eût jeté la honte que sur celui qui l’aurait émise. Ah, Alan, votre monde a plus de chemin à faire encore que je ne pensais !

 

– C’est pourquoi j’ai essayé de vous empêcher de venir, cœur de mon cœur, dit-il avec amertume. En vérité, elles vous ont jugée comme elles se seraient jugées elles-mêmes. « Pardonnez-leur, car elles ne savent pas ce qu’elles font », transposa-t-il.

 

Elle laissa tomber son sourire sur lui en lui ébouriffant les cheveux avec tendresse.

 

– Je les plains, Alan ; peut-être qu’à nous deux nous pourrions leur enseigner une foi plus vaste, mais…

 

Elle s’arrêta un instant, et l’expression que prirent ses yeux le fit sursauter.

 

– Qu’y a-t-il, Hiéranie ? demanda-t-il.

 

Elle rit à nouveau.

 

– Je pensais qu’il valait mieux que je n’ai pas lu leurs pensées sur le moment, sinon elles auraient vite reçu une leçon telle qu’une vingtaine de vies auraient été trop courtes pour oublier.

 

– Une leçon leur aurait fait grand bien, je crois, répliqua Dundas. Mais, créatrice de merveilles, vous ne m’avez pas dit comment vous êtes venue là-bas et comment vous en êtes repartie, ô très précieuse.

 

– Vous n’avez pas deviné ? demanda-t-elle.

 

Il secoua la tête.

 

– Sauf que j’ai compris que vous vous déplaciez par des voies inconnues de moi.

 

Hiéranie se dressa et s’écarta de lui.

 

– Observez et vous comprendrez.

 

Et elle disparut d’où elle était. Il ouvrit la bouche ; bien qu’il ait soupçonné quelque chose de ce genre, le fait de voir la chose arriver réellement était étourdissant. Un instant, elle était devant lui à sourire, radieuse, et l’instant d’après elle avait disparu complètement. Il restait immobile lorsqu’il entendit un rire bas et doux à côté de lui, et deux bras s’enroulèrent tendrement et rapidement autour de son cou. Une seconde, il sentit sa chaude haleine, ses lèvres touchèrent ses joues légèrement, mais avant qu’il puisse l’entourer de ses bras, elle était repartie, et le rire moqueur et joyeux résonnait derrière lui.

 

S’il y avait eu un témoin à ce qui suivit, un témoin dépourvu de la clef du mystère, il serait reparti avec la ferme conviction que Dundas avait entièrement perdu la raison. Car au clair de lune, sur la rive du fleuve, avec un zèle et une persistance qui semblaient complètement injustifiables, il chassait une voix qui se moquait de lui et un rire qui résonnait comme de l’argent, ici, là, partout… Un instant elle était près de lui, et le suivant hors de portée de ses bras étendus. C’était un nouveau jeu, plus fascinant qu’on ne peut le dire. Parfois, ses mains frôlaient sa robe flottante, et une fois une mèche parfumée de ses cheveux palpita un instant sur son visage, mais toujours elle évitait ses mains passionnées. Jusqu’au moment où, essoufflé, il allait abandonner la chasse désespérée ; alors ses bras se refermèrent sur elle, et il se trouva en train de plonger les yeux dans ses yeux souriants. Ses douces lèvres rouges étaient aussi là pour lui demander pardon et recevoir leur juste punition.

 

– Pourtant, dit Hiéranie, alors qu’ils revenaient lentement vers la ferme, ce n’est encore qu’une partie du mystère. Il fallait que je disparaisse pour pouvoir vous montrer le reste.

 

Elle se tourna vers lui et lui fit signe de rester immobile.

 

– Ne vous cachez pas de nouveau, doux cœur, supplia-t-il.

 

Elle secoua la tête, mais ses yeux débordaient de malice.

 

– Non, je ne me cacherai pas, mais…

 

Elle éleva les deux mains jusqu’à sa poitrine, et puis, avec légèreté, sans effort, elle flotta au-dessus du sol. En un mouvement plein d’une grâce parfaite, elle se pencha comme pour nager dans les airs et tourna lentement autour de lui, puis, aussi doucement qu’elle s’était élevée, elle vint se poser près de lui.

 

– Alors, demanda-t-elle en riant, n’avez-vous rien à dire ?

 

Dundas secoua la tête.

 

– Je n’essaierai pas de dire quoi que ce soit, Hiéranie… bien que j’aie à moitié soupçonné quelque chose de ce genre, répondit-il. Mais dites-moi comment vous vous y prenez, et si je peux, aussi, apprendre cet art.

 

– L’art est facile à apprendre, répondit-elle. Un de nos savants a buté par hasard sur la cause véritable de la pesanteur, et après cela, les moyens de la contrôler furent découverts presque immédiatement. Depuis cette époque, le problème des voyages et des transports a été résolu une fois pour toutes. Comme tout le reste, c’était très simple.

 

– MacArthur a dit que vous étiez un ange égaré quand il vous a vue aujourd’hui, répliqua Dundas, mais il en aurait été absolument convaincu si votre arrivée à Glen Cairn n’avait pas été invisible. Je suis heureux, doux cœur, que le secret soit mien, pourtant, car je suis jaloux de tous les yeux qui vous voient. Cependant, merveille, il faudra bientôt que le monde sache tout de vous. Je déteste penser à ce qu’imaginent ces femmes, et j’ai hâte de pouvoir vous proclamer mienne devant elles.

 

Ils avaient atteint la ferme et il la serrait tendrement contre lui, ses bras blancs autour de son cou.

 

– Bientôt, Alan ; mais il nous faut d’abord délivrer Andax.

 

– Devons-nous attendre jusque-là ? plaida-t-il.

 

Une main douce caressa sa joue.

 

– Oh, mon amour, je le dois. Vous ne voudriez pas que je manque à la grande confiance mise en moi, à la mission qui m’a été confiée par les millions d’êtres qui ne sont plus ?

 

Il soupira.

 

– Vous avez raison et je dois être patient. Mais ce ne sera pas trop long ? demanda-t-il.

 

– Non, plus maintenant, répondit-elle doucement. Pas un moment de plus que nécessaire. Mon cœur est avec vous sur ce point.

 

– Mais nous aurons besoin d’aide, Hiéranie, même avant de le délivrer, il faudra apprendre au monde votre existence. Pour atteindre Andax là où il repose, il faudra monter une grande expédition avec peut-être des milliers d’aides, si sa grande sphère est enterré : l’endroit est presque inaccessible.

 

Elle sourit avec calme et dit :

 

– La grande expédition pour délivrer Andax sera composée de deux personnes, Alan et Hiéranie, peut-être trois si vous désirez voir Dick se joindre à nous.

 

– Voulez-vous dire que nous pourrions le faire seuls ? demanda-t-il, éberlué.

 

– Je le pourrais toute seule, répondit-elle, s’il n’y avait personne pour m’aider. Réfléchissez, Alan ; après tout ce que vous avez vu, supposez-vous que quelque chose ait été laissé au hasard ? Sous nos pieds se trouve, tout prêt à être assemblé, un appareil qui nous transportera en sécurité et rapidement en n’importe quel lieu de la terre. Et dans cet appareil, les moyens par lesquels nous pourrons trancher les montagnes en deux si nécessaire ; et ceci en tirant simplement un levier.

 

– Mais ne craignez-vous pas de ne pas retrouver l’endroit ? demanda-t-il.

 

– Avant même que nous partions, répondit-elle, je pourrai indiquer l’endroit avec une telle précision que, le moment venu, nous pourrons nous y poser exactement.

 

– Et puis, quand il aura été rappelé à la vie ?

 

– Pendant un certain temps, alors, je devrai rester à ses côtés.

 

Elle vit à ses yeux qu’il était désappointé.

 

– Non, Alan, rappelez-vous, ce ne sera pas pour longtemps. Ce qui m’a demandé des mois à apprendre ne lui prendra que des semaines, à lui. Nous aurons toute la vie devant nous. Et non pas quelques années, mais beaucoup, beaucoup d’années pleines de bonheur, car je peux vous les donner et je vous les donnerai.

 

– Excusez-moi, chérie. Je sais que je dois être patient, mais chaque jour qui se dresse entre nous représente un an pour moi.

 

– Ah, Alan ! et pour moi, donc ! Mais vous m’aiderez. La mission qui est la mienne est pour moi aussi sacrée que mon amour pour vous. Je ne serais pas digne de cet amour si je ne réussissais pas. Avant que mes yeux ne se ferment pour le long sommeil, je me suis engagée sur l’honneur à faire passer ma mission avant tout, et je dois m’y tenir.

 

– Alors, tout ce que je demande, c’est que vous acceptiez mon aide, et je vous suivrai où il vous plaira de me mener.

 

– C’est tout ce que je désire, Alan, répondit-elle. Quand viendra le temps, nous serons guidés par Andax. Je ne sais pas les plans qu’il forgera, mais il ne bougera probablement pas avant d’avoir maîtrisé tous les éléments du problème qu’il aura à affronter.

 

– Vous êtes bien sûre qu’il ne se dressera pas entre nous ? demanda-t-il, doutant toujours.

 

– Ceci, je peux le promettre. Même Andax n’oserait pas. Il est probable qu’il nous accordera dix ans de liberté pendant qu’il se préparera.

 

– Et alors ?

 

– Et alors, dit-elle en souriant, il y aura du travail à faire. Il est probable que, lorsqu’il aura décidé de sa voie, il se tiendra à l’arrière-plan et me laissera le travail. Alan, aimeriez-vous gouverner le monde ?

 

Il rit tristement.

 

– Je ne désire qu’un royaume, aimée, et c’est celui de votre cœur.

 

– Votre trône y est déjà dressé, mon amour, mais vous pouvez avoir les deux trônes. Réfléchissez, cœur de mon cœur, nous deux ensemble, et une puissance derrière nous telle qu’elle dépasse vos rêves, et derrière cette puissance un cerveau pour nous guider avec toute la sagesse et tout le savoir du monde disparu. Nous deux ensemble, et un monde à modeler et à former, non pour quelques brèves années mais peut-être pour un siècle, un siècle de pouvoir sans entraves.

 

Son visage s’empourpra et son cœur se mit à battre plus vite.

 

– Oh, séductrice ! Quel homme pourrait résister ?

 

– Aussi, à présent, tout ce qu’il nous reste à faire est de nous préparer. Pour un certain temps, peut-être un mois, vous serez mon professeur, puis nous trouverons l’autre sphère.

 

– Et alors ?

 

Elle dressa sa tête majestueuse.

 

– Alors nous pourrons tous deux affronter notre avenir côte à côte, jusqu’à la fin qui viendra ici, et puis au-delà, pour toujours.

 

Sa voix le fit frémir par son énergie.

 

– Un « toujours » qui ne se comptera pas en années, mais en éternité. Ah, mon amour ! Le plus grand de tous les dons est la pensée de cette éternité de bonheur. C’est écrit.

 

Il éleva ses mains, adorateur, à ses lèvres, et c’est ainsi qu’ils se séparèrent. Et longtemps après que sa silhouette eut disparu dans la nuit douce, le souvenir de ses mots le tint émerveillé par la splendeur de ce qu’ils promettaient.