CHAPITRE VII

 

La nature préleva tous ses droits sur son corps épuisé ; et il était presque neuf heures, le lendemain matin, quand Dundas se débarrassa de ses vêtements de nuit, s’insultant copieusement pour sa fainéantise. Il s’était éveillé plein de projets pour la journée qui s’ouvrait devant lui et, après avoir expédié la routine domestique, il se précipita vers le hangar avec une poignée d’outils. Il fixa sa lampe de manière à en obtenir le meilleur éclairage possible, puis, par un sondage soigneux, il délimita à la craie l’aire qui sonnait le creux sous son marteau et à laquelle il attribua environ trente centimètres de côté.

 

Alors il s’assit sur sa caisse, à l’intérieur de l’embrasure, et, avec le marteau et un ciseau à froid, il se mit à creuser. Il ne lui fallut pas longtemps pour découvrir l’exactitude de ses suppositions. Partout ailleurs, le mur défiait tout effort pour en égratigner la surface, mais à cet endroit, malgré l’absence de toute différence dans sa composition, le ciment était plus tendre ; sous ses coups puissants, il se fendillait et s’écaillait.

 

Bientôt, en s’acharnant sur un point précis, il avait creusé plus de deux centimètres, et soudain, à sa grande joie, un petit trou apparut, pas plus gros qu’une tête d’épingle. Quand son outil eut défoncé l’obstacle, le travail d’élargissement de cette ouverture fut plus facile. Le ciment sautait en plus grands morceaux sous le ciseau. En deux heures environ il avait élargi le trou suffisamment pour y passer la main, mais, malgré son impatience, il repoussa à plus tard l’examen de l’intérieur.

 

Au moment du déjeuner seulement, la moitié de l’endroit délimité ayant été nettoyée, il dirigea la lumière vers l’orifice, à son grand désappointement. À trois centimètres en dessous du ciment, une plaque métallique arrêtait le regard. Il s’aperçut qu’elle était amovible mais impossible à enlever avant d’avoir ôté toute la partie cimentée. À défaut d’autre résultat, ses difficultés l’avaient rendu philosophe. Il en était venu à admettre le fait que, quelle que soit l’intelligence responsable de cette énigme, elle avait opéré de manière à empêcher de violer aisément le secret. Pendant son travail, il avait toute latitude pour penser ; son cerveau était aussi occupé que ses mains.

 

« Si, pensait Alan, le responsable de l’aménagement d’un tel endroit a pris tant de soins à le protéger, ce qui est ainsi caché vaut bien la peine mise à le découvrir. On n’a jamais entendu parler d’une porte de coffre-fort pour fermer un hangar à charbon, par exemple. »

 

Aussi ne s’appesantissait-il pas sur ses déconvenues, et en allant déjeuner, il était certes préoccupé, mais nullement découragé.

 

Tout au long de l’après-midi son marteau résonna gaiement, mais si forte fût son ardeur, il comprit que la nuit ne verrait pas encore la fin de son labeur et que le jour suivant serait bien avancé lorsqu’il atteindrait son but.

 

Ceci admis, il s’arrêta plus tôt que d’habitude. Profitant de la proximité de Billy, il captura le poney réticent et, le cœur léger, ôta ses vêtements maculés de terre glaise pour les remplacer par un habit plus conventionnel.

 

« Bien sûr, se disait-il, je ne vais voir Seymour qu’au sujet de ma vendange. »

 

Ce gentleman aurait été très honoré, sans doute, de voir Alan se raser méticuleusement pour la seconde fois le même jour, de façon à se rendre présentable pour une visite strictement commerciale.

 

Dundas plissa les yeux, face au crépuscule, en prenant l’allée qui menait à la profonde véranda de la maison cachée sous les arbres. En approchant, il devina une silhouette vêtue de blanc dans la demi-obscurité. Quelques instants plus tard, la voix de Seymour le hélait :

 

– Heureux de vous voir, Alan ! J’espérais que quelqu’un se présenterait. Je suis abandonné.

 

En vérité, le démon de la malchance dut ricaner. Il n’y eut personne pour interrompre leur discussion d’affaires, car son hôte expliqua à Dundas que Mrs Seymour et Marian étaient parties le matin même à Ronga pour trois jours. Il fallut longtemps au jeune homme décontenancé pour cacher son désappointement, malgré l’évidente sincérité de l’accueil de Seymour. Enfin le sportif, en lui, vint à la rescousse ; après tout, passer la soirée à causer et fumer avec un homme qu’il aimait et respectait n’était pas une mauvaise conclusion à cette journée. N’était-il pas, de plus, le père de Marian ? Et ne voyait-il pas autour de lui l’influence même de Marian ? Pourquoi s’attrister ? Il y aurait d’autres nuits après celle-ci. Ainsi s’en revint-il chez lui, l’esprit apaisé.

 

Le lendemain matin, le résultat de son travail justifia ses suppositions relatives à la plaque de métal. Il découvrit que la niche avait exactement trente centimètres de côté, mais l’ajustage avait été si bien calculé que tant qu’un fragment de ciment resterait sur les bords, il serait impossible d’enlever la plaque. Fumant avec satisfaction, il se donnait de tout cœur à l’ouvrage, l’esprit toujours aussi occupé que les mains. Tous les côtés étaient nets et, enfin, il détacha les fragments qui tenaient encore aux coins jusqu’à ce que, par des cajoleries, il puisse attirer à lui la plaque métallique. Elle lui glissa entre les doigts et tomba en résonnant à ses pieds.

 

Aussitôt, Alan dirigea la lumière dans le creux. Il n’avait pas plus de douze centimètres de profondeur, compte tenu des trois centimètres de ciment déblayés, mais son exiguïté en contenait assez pour tirer d’Alan une brève exclamation de plaisir. Arrangés en carré tout au fond, il y avait quatre petits boutons brillants de métal, tous renvoyant les rayons de la lampe à acétylène en points lumineux. Chaque bouton se trouvait à l’extrémité d’une tige dépassant du mur, et chaque tige s’élevait au point d’intersection de deux profonds sillons qui constituaient une croix dans le ciment.

 

– Et voilà, dit doucement Alan. C’est le Sésame… à présent, il ne me reste plus qu’à entrer, ou peut-être n’est-ce que… Diable !

 

De l’index de sa main droite, il avait touché un des boutons. Il se retrouva au fond du puits dans une odeur malsaine de gaz d’acétylène, la lampe éteinte à côté de lui. Il se redressa avec peine, frottant les bosses qu’il avait récoltées dans sa culbute et se demandant si son corps secoué était encore en état.

 

– Eh bien, que je sois pendu si ce n’est pas une sale blague à jouer à un chercheur innocent… de l’électricité ! Et l’inventeur de tous les péchés seul sait combien de volts ! Non, mes amis, continua-t-il à l’intention des constructeurs inconnus, vous ne vouliez certainement pas que cette porte soit ouverte par un imbécile.

 

Il grimpa jusqu’à la surface pour examiner sa lampe, il la trouva intacte et en bon état de marche. Puis il se tourna et, regardant dans l’obscurité à ses pieds, demanda d’un ton blessé combien il restait de surprises en réserve pour lui. Rallumant la lampe, il redescendit vers l’embrasure. Les boutons scintillants clignèrent en retour quand il dirigea la lumière sur eux. Il installa la lampe derrière lui pour avoir les deux mains libres et regarda le creux d’un air revêche.

 

– Là, je me demande, se dit-il bientôt, si j’ai tout reçu en un seul coup ou si va ça continuer. J’aimerais bien m’y connaître en électricité.

 

Il avança l’index délicatement et effleura le même bouton. Bien que préparé à ce qui l’attendait, le choc qu’il ressentit le fit grogner de douleur et il faillit culbuter à nouveau. Il se frotta le bras jusqu’à ce qu’il cesse de vibrer.

 

– Savoir, c’est pouvoir, dit-il furieusement, mais le chemin qui mène à cet endroit est terriblement douloureux. Non, ce n’est certainement pas un lieu destiné à des idiots. Mais nous allons voir.

 

Il se leva et, grimpant jusqu’au niveau du sol, il s’en fut jusqu’à la ferme. Il parcourut des yeux les rayons de la bibliothèque et en tira un volume ; pendant un quart d’heure, il y plongea le nez. Enfin, il fit claquer le livre dans sa paume.

 

– J’aurais dû y penser plus tôt, si ma tête n’était pas un édredon, dit-il à haute voix.

 

Il se laissa aller dans un fauteuil, les mains dans les poches, et regarda par la fenêtre en sifflotant. Et soudain, il se dressa.

 

– C’est tout à fait ça !

 

Il alla dans sa chambre et en revint avec un vieil imperméable qu’il étala sur la table. Il le maintint bien à plat, et, avec son couteau de poche, il en découpa une bande de dix centimètres dans la partie inférieure, vers l’ourlet, qu’il examina avec soin.

 

– Oui, répéta-t-il, c’est tout à fait ça.

 

Et il se mit en devoir de couper cette bande en quatre parties d’une dizaine de centimètres de longueur, à quoi il joignit une pelote de ficelle avant de s’en retourner en hâte avec le tout dans le puits.

 

– À présent, les amis, dit-il en se rasseyant sur la caisse devant la niche, nous allons voir qui en sait le plus.

 

Tenant avec soin un morceau de tissu caoutchouté entre ses doigts, il appuya sur le bouton avec, comme il s’y attendait, un succès complet, car cet isolant tout simple remplissait son but. Il enveloppa alors bouton et tige avec le tissu et l’assujettit soigneusement au moyen de ficelle, travaillant avec précaution pour éviter à ses mains le contact avec les autres points dangereux. Puis il traita de la même manière les trois autres boutons et put alors les manier sans crainte.

 

Jusque-là, tout allait bien. Mais à quoi pouvaient servir les boutons ? Comment devait-on les manipuler ? Quelques pressions sous divers angles lui apportèrent la réponse. Chacun d’eux pouvait se déplacer dans quatre directions, car les tiges s’articulaient, en profondeur, sur un pivot qui permettait aux boutons de suivre les sillons en croix en haut, en bas, à droite ou à gauche. Cela compris Alan réalisa du même coup qu’il se trouvait aux prises avec un problème propre à déjouer ses efforts pendant longtemps. Que la porte soit actionnée par les boutons, il en était sûr, mais il était encore plus sûr d’affronter une serrure à la combinaison astucieusement prévue pour mettre sa finesse à rude épreuve avant de triompher. Il y avait, en tout, cinq positions, en comptant la verticale, dans lesquelles chaque bouton pouvait être placé. Et il y avait quatre boutons.

 

– Dieu me bénisse, vienne en aide, murmura Dundas. Je me demande de combien de milliers de variantes ces sacrés trucs sont capables. Devrai-je perdre mon temps sur ce problème jusqu’à avoir les cheveux blancs ? Cela me rappelle le cas des neuf hommes à placer dans un bateau. En pire.

 

Il se mit au travail après avoir prié silencieusement que la patience lui soit accordée, et il s’affaira à déplacer les leviers dans tous les sens, les plaçant systématiquement en rotation, de combinaison en combinaison, jusqu’à ce que ses bras lui fassent mal à force de rester dans la même position et jusqu’à ce que ses doigts lui refusent tout service. À la fin, il s’adossa au mur et bourra une pipe. Il avait été si occupé que le temps était passé sans qu’il le remarque ; mais la clameur de son estomac vide attira son attention. Il s’aperçut avec étonnement que la nuit était tombée pendant qu’il s’escrimait. La nuit de nouveau, et il était encore à l’extérieur ! Inutile de continuer, se dit-il. À moins de tomber sur la bonne combinaison par hasard, il pourrait passer des semaines ou des mois, avant d’épuiser toutes les variantes des leviers.

 

Raidi par la fatigue, il se hissa au niveau du sol et s’achemina vers la ferme, dégoûté par son échec. Il lui fallut un grand courage pour préparer un repas convenable, mais le bon sens prévalut et, enfin, il alla au lit en meilleure forme. Après tout, pensait-il, il n’avait passé que quelques heures à cette tâche, il aurait de la chance s’il obtenait le succès en autant de jours seulement.

 

Le lendemain matin, Alan repartit pour le hangar, de bonne humeur et déterminé à ne pas lâcher son travail même si les résultats se faisaient attendre. Il avait rechargé sa lampe et il se mit à l’œuvre en sifflant d’un cœur léger. Suivant sa première idée, il commença par numéroter les leviers de un à quatre, puis il les déplaça alternativement selon une rotation chiffrée, évitant ainsi de répéter des variantes. Tâche épuisante, mais il en rompait la monotonie en s’arrêtant de temps à autre pour fumer une pipe et étirer ses membres pris de crampes. Le temps passant, ses mouvements devinrent mécaniques. Penché en avant, le visage près du creux et les épaules appuyées au mur pour soulager son corps fatigué, il trouvait cette occupation plus éprouvante que le dur travail manuel qui l’avait précédée. Il pensait vaguement qu’il devait être l’heure du déjeuner, quand il sursauta. Il n’avait rien entendu, mais un sens plus subtil que l’ouïe lui avait signalé un changement. Il tourna légèrement la tête et un cri involontaire s’échappa de ses lèvres. La puissante porte avait disparu et ses yeux plongeaient dans le vide noir qui s’étendait au-delà.