NOT’OLYMPE{5}
Jamais encore, à la terrasse, de la Vieille-Darse où nos loups de mer prenaient tous les soirs l’apéritif, jamais encore ils n’avaient vu arriver Zinzin dans un état pareil… Les yeux lui sortaient de la tête et il était pâle comme un mort. C’est tout juste s’il eut le temps de se laisser tomber sur une chaise et tous s’empressèrent autour de lui : « Qu’est-ce qu’il y a, Zinzin ?… Qu’est-ce qu’il y a, mon pauvre vieux ? » demanda le commandant Michel.
Zinzin fit signe qu’il ne pouvait encore parler… Enfin, il se passa la main sur le front et dit :
– Je sors de chez le commissaire de police ; il vient de m’arriver une histoire épouvantable.
– Raconte-la-nous pendant qu’elle est encore toute neuve… Ça nous changera !… fit Gaubert.
– Oh ! Elle ne date pas d’hier, fit entendre Zinzin avec un ricanement sinistre…
– Elle te produit encore tant d’effet aujourd’hui ?…
– Je vous dirai pourquoi tout à l’heure…, répliqua l’autre de plus en plus lugubre… C’est une affaire à laquelle j’ai été mêlé tout jeune et qui a bien failli me faire taire pour toujours « avec un petit jardin sur la tête » ! Parole de Zinzin ! Si je ne bouffe pas à cette heure du pissenlit par la racine, c’est pas la faute de cette damnée histoire de mariage qui a fait bien du raffut dans son temps puisqu’on est allé jusqu’en cour d’assises !…
– Les histoires de mariage ! laissa tomber ce bougre de Chanlieu, ça n’est pas ça qui manque !… Moi j’en connais dix…
– Moi, je n’en connais qu’une ! reprit Zinzin dans une sorte de gémissement, mais à elle seule je peux vous dire d’avance qu’elle est plus épouvantable que les dix de Chanlieu réunies !
Là-dessus, il soupira encore effroyablement, ralluma sa pipe et cracha…
– Je ne vous ai jamais rien dit, parce qu’elle dépasse vraiment tout ce qu’on peut imaginer !… Mais aujourd’hui il faut que je parle !… N. de D. !… Ah ! n… de D… de n… de D… !…
– Bien quoi, bien quoi, Zinzin ?…
– Ce qu’elle est épouvantable, c’t’histoire ! râla Zinzin.
– Voire ! fit Chanlieu.
Zinzin lui jeta un regard d’assassin :
– Je peux vous dire que je n’ai été amoureux qu’une fois dans ma vie et c’est cette fois-là !… Si ça ne s’est plus rencontré depuis, c’est que je n’ai plus rencontré une fille pareille. Elle s’appelait Olympe ! Et nous étions bien une douzaine à vouloir l’épouser…
– V’là les blagues qui commencent ! ricana Chanlieu.
– Douze que je dis ! Nous les compterons tout à l’heure… Et encore, je ne parle que de ceux qui se sont déclarés !… Car il n’y avait pas un homme dans le département qui n’en eût envie !… Elle n’était point riche, mais elle était de bonne famille… Quant à la beauté, ah ! mes enfants !… À l’époque dont je vous parle, elle avait juste quinze ans et six mois !… Elle était d’un pays qui était renommé pour ses belles filles… un gros bourg bien plaisant où l’on venait du chef-lieu rien que pour voir les jeunesses sortir le dimanche de l’église.
« Eh bien ! Il n’y en avait pas une digne de lui dénouer les cordons de sa chaussure ! C’était quelque chose… Tenez ! Si vous êtes allés à Cagnes, vous avez peut-être vu des portraits de jeunes filles de Renoir !… Ces portraits, c’est des choses qui n’existent pas !… C’est peint avec des fleurs et la lumière du jour !… Eh bien ! Voilà not’Olympe !… Un rayon de soleil et des pétales de rose !… Un rêve !… Mais un rêve qui avait des yeux et une bouche !… D’immenses yeux d’enfant d’une pureté surnaturelle et une bouche de femme !… Cela seul était de la chair et du sang, cette bouche !… « Not’Olympe », un ange descendu sur la terre pour donner des baisers !…
« Nous étions tous fous, je vous dis !… Elle n’avait plus que sa grand-mère qui l’adorait et qui l’avait fait sortir de pension à la mort de ses parents, la confiant à une vieille bonne, la Palmire, qui faisait ses quatre volontés… Elle était restée très enfant, jouant souvent avec les gamins de la campagne, revenant de la forêt avec des chargements de fleurs sauvages, des bannettes pleines de fraises des bois, courant avec les chiens de berger derrière les troupeaux quand ça se rencontrait et scandalisant plus d’une fois les dévotes en rentrant, le soir, à califourchon sur un bouc !
« Après dîner, dans la belle saison, les vieilles sur leurs bancs, devant leurs portes, l’attendaient pour écouter des histoires extraordinaires qu’elle inventait avec une imagination inépuisable. La grand-mère, qui avait été dans son temps la belle Mme Gratien, habitait une grande vieille maison sur la place de l’Abbaye, avec grille et parc donnant, par derrière, sur la campagne. Elle recevait toute la bonne compagnie des environs et avait conservé des relations avec la ville.
« Les manières de sa petite fille, qui l’avaient tant amusée, commençaient à la faire réfléchir. Elle trouvait Olympe bien inconsciente pour son âge… Qu’adviendrait-il quand elle ne serait plus là ?… Elle résolut soudain de la marier, le plus tôt possible. Elle avait déjà reçu quelques offres ; quand on sut qu’elle ne les repoussait plus, il lui en vint de toutes parts. Ce fut un nouveau jouet pour Olympe que cet afflux d’amoureux… Enfin, un dimanche après-midi, dans le salon où nous étions tous réunis, la grand-mère commença par faire un petit discours à l’adresse d’Olympe : « Not’Olympe » comme nous l’appelions tous à la manière de la bonne Palmire qui ne jurait que par elle. Elle lui dit qu’elle se sentait bien fatiguée, bien lasse, et qu’elle voudrait la voir établie avant de mourir !… Là-dessus, Olympe se mit à pleurer :
« – Ah ! mais je ne suis pas encore morte ! s’écria la vieille dame.
« – Je l’espère bien, grand-maman ! répliqua Olympe en séchant ses larmes, mais ça n’est pas pour ça que je pleure ! Si vous croyez que c’est gai de se marier !
« Alors tout le monde éclata de rire. Nous jurâmes tous que son mari serait très heureux de se laisser mener par le bout du nez !
« – D’abord, je ne veux pas me séparer de grand-mère, fit-elle, ni de Palmire… Et puis je veux rester dans notre vieille maison !…
« – C’est entendu ! c’est entendu ! reprîmes-nous en chœur.
« – Et maintenant, fit la bonne Mme Gratien, qui choisis-tu ?
« – Ah ! bien ! Nous en reparlerons ! dit Olympe. En voilà une façon de marier les gens ! Tu n’es vraiment pas sérieuse, grand-maman !…
« – Voilà six mois que tu me dis qu’on en reparlera !… Enfin, voyons ! On s’amuse ! Et tu sais que j’ai toujours fait ce que tu as voulu !… S’il te fallait choisir parmi ces messieurs qui sont là, qui prendrais-tu ?
« Tout à coup Olympe devint sérieuse et nous regarda… Je vous prie de croire que, malgré notre air de prendre la chose comme une plaisanterie, nous n’en menions pas large… Elle se leva… passa devant chacun de nous, nous toisa des pieds à la tête et avec des mines si drôles que nous ne laissions pas d’en être un peu gênés… Je vivrais mille ans que je me rappellerais toujours la scène ! Quel examen !… À la vérité, nous n’en respirions plus !… Elle nous fit lever… nous aligna sur un rang, nous plaça, nous déplaça… donnant à celui-ci le numéro 1, puis, après l’avoir regardé bien dans les yeux, le rejetant au numéro 3 ou 4… Pendant ce temps-la, la grand-mère nous encourageait : « Tenez-vous bien, messieurs !… Tenez-vous bien ! Soyez sérieux !… »
« Quand on songe qu’il n’y avait pas là que des jeunes gens ! Je me rappelle l’entrée du receveur de l’enregistrement, M. Pacifère, qui, depuis deux ans, avait posé sa candidature, au su de tout le monde… Il ne savait pas naturellement de quoi il s’agissait… Elle alla le chercher à la porte et le planta, ahuri, au bout du rang… Il avait le dernier numéro !… Vous pensez si nous partîmes à rire ! Mais lui, quand il fut au courant, ne riait pas, je vous assure ! Enfin, elle déclara : « C’est fait !… Si je me mariais, je prendrais d’abord M. Delphin, puis M. Hubert, puis M. Sabin, puis mon petit Zinzin (comme vous voyez, j’avais le numéro 4), puis M. Jacobini… » Enfin, elle nous nomma tous les douze… Du reste, je vais compter ; nous disons donc : 1° : M. Delphin, un très gentil garçon de grand avenir, le fils du pharmacien, licencié ès-sciences, qui travaillait son agrégation de chimie et dont on disait le plus grand bien à la Faculté ; 2° : M. Hubert, encore jeune, dans les trente-cinq ans, garde général des forêts ; 3° : le Dr Félix Sabin, frais sorti de l’école et gai comme un pinson… Je crois qu’il s’était établi dans le pays dans le dessein de faire de la politique ; 4° : votre serviteur qui avait commencé à naviguer, mais qui aurait renoncé à tout pour rester avec Olympe ; 5° : le lieutenant Jacobini, fils d’un colonel de gendarmerie, un garçon très distingué, très chic et qui revenait de mission en Afrique équatoriale où il avait fait quelque peu parler de lui… ; 6° : le fils d’un gros propriétaire, belle fortune ; 7° : un jeune avocat ; 8° : un fils d’avoué ; 9° : un vieux notaire ; 10° : un voyageur de commerce ; 11° : le substitut du procureur de la République ; 12° : M. Pacifère, le receveur de l’enregistrement… Oui, c’est bien cela, douze… Nous n’étions que douze ce jour-là !…
« Six mois plus tard, Not’Olympe se mariait avec le numéro 1, le jeune Delphin… Nous étions tous de noce… mais nous ne nous amusions pas tous, ah non ! Je puis le dire !… J’essayais bien de me faire une raison… mais je ne sais pas ce que j’aurais donné pour être à la place de Delphin !…
« Cependant, l’année suivante, je ne l’enviais plus… il était mort !… On ne savait pas exactement de quoi !… On racontait qu’il s’était empoisonné dans des expériences de laboratoire !… Mais on n’était sûr de rien !… Le médecin qui l’avait soigné, le Dr Sabin, hochait la tête quand on l’interrogeait… Je crois bien qu’il ne pensait au fond qu’à une chose, lui, c’est que, du coup, il passait au numéro 2 et que s’il arrivait, un jour, quelque accident au garde général des forêts qui le précédait, il pourrait espérer encore dans sa chance !…
« Car, ce qui paraissait impossible, depuis son mariage, Olympe était devenue encore plus jolie. Maintenant, quand elle passait dans ses voiles de deuil, c’était à se mettre à genoux devant elle. Elle ne pleura pas très longtemps son premier mari… S’il fallait en croire les demi-confidences de Palmire, M. Delphin n’était pas d’une gaieté folle et, pour une jeune mariée, passait trop de temps dans son laboratoire ! « Pas, ma fi ? Une jeunesse comme Madame, qu’il laissait des journées entières pour chercher on ne sait quoi au fond de ses alambics ! »
« Le tour de M. Hubert, le garde général des forêts, devait fatalement arriver. Il ne tarda guère et lui-même y mit bon ordre en promettant à Olympe toutes les distractions qui lui avaient manqué lors de son premier mariage. C’était un gaillard que cet Hubert, grand mangeur, bon buveur et chasseur comme il convient à un homme de sa situation et qui porte un nom pareil.
« Il y eut de belles fêtes chez Olympe, de grandes ripailles. Elle s’était mise à monter à cheval et il n’y avait pas plus fière amazone à dix lieues à la ronde. Il fallait voir comme elle courait le cerf et le sanglier. Rien ne lui faisait peur. Nous avions peine à la suivre et, au retour, elle présidait les agapes avec un entrain qui nous donnait la fièvre à tous. On lui faisait la cour plus que jamais, mais elle se moquait généralement de nous, réservant ses plus beaux sourires pour le plus gai de la bande, le Dr Sabin : « Ça lui est dû, déclarait-elle en riant, c’est lui qui a le numéro 3 ! À chacun son tour !…
« – Eh là ! intervenait Hubert, je ne me suis jamais si bien porté !
« – Et c’est moi qui le soigne ! repartait le docteur. C’est le seul qu’il ne me soit pas permis de tuer !… Remerciez la providence, Hubert, qui me défend de choisir mes victimes !… »
« Tout cela était fort plaisant, mais pour mon compte je trouvais que le Dr Sabin profitait trop de sa situation exceptionnelle dans la maison pour en prendre à son aise avec Olympe. On les voyait souvent se promener tout seuls dans le parc ou même faire une petite promenade en forêt quand Hubert, appelé par les devoirs de sa charge ou par quelque réjouissance cynégétique que s’offraient ces messieurs, en garçons, dans quelque ville des environs, délaissait « Not’Olympe ». Dans le bourg on ne parlait plus que d’elle. Elle scandalisait de plus en plus les habitués des thés de cinq heures, chez Mme Taburau, la femme du maire, ou chez Mme Blancmougin, la femme de l’avoué dont le fils n’avait obtenu que le numéro 8 dans le classement général, ce dont Mme Blancmougin ne cessait de se féliciter.
« Au fait, depuis la mort de la vieille Mme Gratien, survenue entre-temps, Olympe ne mettait plus guère de limite à ses fantaisies et surtout elle effrayait bien des gens par la liberté de ses propos. Hubert n’avait garde de la contrarier, amusé et flatté de voir tant de convoitises allumées par ses beaux yeux bleus toujours aussi candides et par cette bouche éclatante, qui semblait toujours demander un baiser. C’était un bon vivant que cet Hubert, mais ce n’était pas un véritable amoureux : « Nenni, ma fi ! glissait en douce la Palmire à ceux qui avaient intérêt à ne rien ignorer de ce qui se passait dans le ménage… Il aime plus la table que son lit, bien sûr ! Si Madame n’était point si honnête, ça pourrait bien lui jouer un méchant tour !… »
« Et ce disant, elle hochait la tête en regardant rentrer Olympe et le Dr Sabin, lequel apprenait, dans le moment, à Mme Hubert à conduire l’auto avec laquelle il faisait ses visites. Là-dessus, on commença à jaser ferme quand un malheur nouveau vint frapper la maison de la place de l’Abbaye. Hubert avait transformé en une espèce de pavillon pour chasseur l’ancien laboratoire que le chimiste Delphin s’était installé dans un bâtiment isolé du fond du parc. Il avait réuni là tout son attirail : ses fusils, ses couteaux, ses carabines, ses pistolets et y avait installé sa cartoucherie ; on eût dit une véritable petite armurerie si les murs n’avaient été décorés des trophées ordinaires à un disciple du saint dont il portait le nom. C’était, du reste, une petite bâtisse fort plaisante à l’œil, tout habillée de plantes et de fleurs grimpantes d’où l’on avait vue sur les champs et où, plus d’une fois, dans la belle saison, pour pouvoir rire plus librement avec ses camarades ou avec sa femme, loin des oreilles domestiques, il se faisait apporter un déjeuner tout servi par la Palmire.
« C’est là qu’Hubert fut trouvé, un après-midi d’août, vers deux heures, un pistolet encore dans la main, le cœur troué d’une balle. Suicide ou accident ? Certains même prononcèrent le mot : crime ?… Mais si bas qu’on ne les entendit point. Vous pensez le bruit qui se fit autour de l’affaire !… Une enquête fut ouverte… Le substitut du procureur de la République, qui avait le numéro 11, la dirigea. Ce fut le Dr Sabin, lequel avait le numéro 3, qui fut appelé à faire les premières constatations avant l’expertise médicale. Il conclut à un accident… L’enquête hésita longtemps entre l’accident et le suicide. Finalement, elle conclut elle aussi à l’accident.
« – Nenni, ma fi ! soupirait la Palmire quand on la pressait tant soit peu pour savoir ce qu’avait dit Madame… « Que voulez-vous qu’elle dise Not’Olympe ? Elle ne sait rien de rien, bien sûr !… Elle avait déjeuné dans le petit pavillon avec Monsieur… Et ils paraissaient bien gais tous les deux ! Elle est sortie de là vers les deux heures et demie et elle est rentrée tout droit dans sa chambre pour s’habiller, car elle devait aller en ville avec le Dr Sabin… Là-dessus, vers trois heures, le jardinier entend un coup de feu ! Il court au pavillon. Il y trouve Monsieur tout raide mort. Vous en savez maintenant autant que nous !… Pourquoi donc qui se serait suicidé c’t’homme ?… La vie était belle et Not’Olympe aussi !… Il avait tout pour être heureux !… Maintenant Not’Olympe pleure toutes les larmes de son corps !… Ça n’est pas raisonnable !… Un accident, personne n’en est responsable, pas ?… C’était à lui à être plus adrêt !… »
« Ainsi parlait Palmire. L’année suivante, Not’Olympe épousait le Dr Sabin…
– Je m’y attendais ! interrompit Chanlieu… Si ton ange aux yeux d’azur et à la bouche de gouge doit s’offrir à tour de rôle ses douze messieurs, nous n’en avons pas fini et ça n’est pas drôle, je t’en avertis !
– Je ne vous ai pas promis une histoire drôle ! Je vous ai dit qu’il m’était arrivé une histoire épouvantable ! Olympe ne s’est pas offert les douze, puisque j’en étais et que je suis encore vivant ! Et que j’avais le numéro 4 ! Tout de même, je pardonne à Chanlieu parce que ce qu’il a dit là, on commençait à se le répéter dans la région : « Ils y passeront tous ! Elle est bien de taille à ça !
« – Et pourquoi pas ? Si ça lui fait plaisir à Not’Olympe ! » répliquait Palmire quand elle surprenait quelque propos de ce genre. Et elle ajoutait, en grattant son menton en galoche : « Elle aurait bien tort de se gêner, pour ce que valent les hommes ! » C’était terrible, ce qu’elle disait là dans son inconscience de brute à servir, au besoin, tous les desseins de sa maîtresse. Certes ! Le Dr Sabin était brave d’entrer dans cette maison que semblait guetter le malheur… À quoi quelque bonne vieille, de celles qui sont particulièrement habiles à glisser leurs petites malices entre une grimace et un sourire, répliquait : « Oh ! celui-là, il ne lui arrivera rien du tout ! Il sait bien ce qu’il fait ! »
« Je vous dis que l’on n’entendait plus que des choses terribles.
« Ce pauvre docteur ! Il ne savait pas tant que cela ce qu’il faisait puisqu’il mourut, lui aussi, trois mois, jour pour jour, après les noces ! Il avait duré moins longtemps que les autres !
– Bigre ! siffla Gaubert.
– Et voilà votre tour ! fit le commandant Michel.
– On va commencer à rigoler, dit Chanlieu.
Mais ils cessèrent tout à fait de plaisanter… Ce pauvre Zinzin était redevenu affreusement pâle et sa main tremblait en reposant son verre sur la table… Il fixait d’un œil hagard un homme qui se dirigeait vers lui. « Tiens ! fit le commandant, le chien du commissaire ». C’était lui, en effet. Il se pencha à l’oreille de Zinzin et lui dit : « Nous avons reçu une réponse au coup de téléphone. Elle est morte, il y a dix ans ! Vous voilà bien tranquille ! » Là-dessus, il s’en alla.
Quant à Zinzin, il avait basculé dans les bras du commandant et il fallut le ramener chez lui. « Pourvu qu’il ne « clamse » pas avant la fin de son histoire ! » émit gentiment Gaubert.
Chanlieu haussait les épaules : « Bah ! Il soigne ses effets ! »
Tout de même, nous n’en connûmes la suite que huit jours plus tard. Zinzin semblait s’être fait une raison, mais assurément il avait été bien malade.
Cette fois, on l’écouta sans l’interrompre.
– C’était donc mon tour, le tour du numéro 4 ! Je n’en savais encore rien !… Je courais des bordées dans la Baltique quand l’événement se produisit. Je ne l’appris qu’à mon retour à terre, en me jetant dans le train qui me ramenait au patelin, et de la bouche même du lieutenant Jacobini qui, lui, avait le numéro 5 et rentrait également chez nous après un long séjour en Cochinchine.
« Notre voyage ne fut pas gai. Je l’avouerai tout de suite : en dépit de la certitude que j’avais de pouvoir désormais épouser Olympe et malgré l’espoir que le lieutenant Jacobini pouvait nourrir de son côté de consoler bientôt ma veuve, cette double perspective ne nous remplissait pas d’allégresse. La maison de la place de l’Abbaye nous apparaissait moins maintenant comme un lieu de délices que comme un tombeau !
« La première chose que je demandai naturellement à Jacobini quand il m’eut fait part de la sinistre nouvelle, ce fut de bien vouloir me donner quelques détails sur cette fin subite. Comment le Dr Sabin était-il mort ? Il me répondit d’un air assez lugubre qu’il n’en savait fichtre rien, que personne n’en savait rien, mais qu’il désirait autant que quiconque, sinon plus, être fixé là-dessus et que c’était la raison pour laquelle il avait hâté son retour.
« – Et vous ? me demanda-t-il.
« – Oh ! moi, fis-je, vous comprenez que je me montrerai au moins aussi curieux que vous !
« – Oui, me répondit-il, sans la moindre ironie, je comprends cela !… C’est plus pressé !…
« – Mais enfin, dis-je, on a bien donné un nom à cette mort ?
« – Pas plus qu’à la mort du premier mari de Not’Olympe !… Pour Delphin, on a raconté vaguement qu’il était mort empoisonné par des expériences de laboratoire… Ça n’a jamais été démontré. En ce qui concerne le Dr Sabin, il ne pourrait être question de cela !…
« – Toutes ces morts, cependant, finissent par paraître bien étranges !… Dites donc, Jacobini… le parquet ne s’en est pas ému ?
« – Si !… Notre substitut du procureur de la République, notre numéro 11, a ordonné une enquête… Je dois dire, du reste, que Not’Olympe a été la première à la demander… Il y a eu autopsie…
« – Eh bien ?…
« – Eh bien… rien !… Mais ce rien ne prouve rien ! ajouta-t-il sur ton qui me frappa.
« – Que voulez-vous dire ?… Avez-vous quelque soupçon ?…
« – En pareille matière, répliqua Jacobini, il n’est pas permis d’avoir des soupçons !… Il faut avoir des certitudes, ou l’on se tait…
« Et il se tut. Mais tout ceci n’était point fait pour apaiser mon inquiétude…
« – Enfin ! Est-il mort dans son lit ?… Était-il malade ?…
« – Non !… On l’a trouvé vers les cinq heures de l’après-midi, dans sa chambre, étendu tout de son long, près d’une table et d’une chaise renversées, la bouche encore écumante, le visage ravagé comme par une vision d’horreur… Il a été prouvé qu’il était resté seul dans cette pièce depuis trois heures et que le château était cet après-midi-là complètement désert, les domestiques s’étant rendus à une foire voisine…
« – Et… et Mme Sabin ?
« – Elle avait déjeuné avec lui dans le petit pavillon du fond du parc et y était restée après le déjeuner à faire de la dentelle avec la Palmire…
« – Enfin, à quoi a-t-on conclu ?
« – À une attaque d’épilepsie… Le Dr Sabin serait tombé du « haut mal »…
« – Y était-il sujet ?
« – Non, mais ce n’est pas toujours une raison, paraît-il.
« Là-dessus, nous gardâmes longtemps le silence… Puis je poussai un soupir : « Il faut plaindre sincèrement Olympe…, fis-je… Sans cela… mais cela ce serait trop épouvantable !…
« – Oui, fit-il après réflexion… c’est vous qui avez raison !… Ce serait trop épouvantable !… Il faut la plaindre… Du reste, Palmire raconte qu’elle est tout à fait accablée… on ne la voit plus… elle ne dort plus… Elle veut s’enfermer dans un couvent !… Toujours d’après les nouvelles que j’ai reçues de là-bas… Il est assez naturel qu’après ces trois premières expériences elle en ait assez du mariage et… et je vous en félicite ! termina-t-il en ricanant d’une façon assez singulière…
« Il ajouta aussitôt, car c’était un garçon qui avait reçu la meilleure éducation : Je ne vous ai pas fait de peine, au moins ?… »
« Une heure plus tard nous étions arrivés. Nous n’avions prévenu personne. Il était déjà tard dans la nuit. Nous avions décidé de descendre directement à l’hôtel de Bourgogne. Je fus très étonné de trouver sur le quai ce fils d’avoué qui, lui aussi, avait posé sa candidature et qui avait obtenu le numéro 8. Je me rappelle maintenant son nom : il s’appelait Juste. On ne pouvait rien dire de lui sinon que c’était un garçon parfaitement honorable et que le Dr Sabin l’avait soigné plusieurs fois pour des rhumatismes articulaires.
« – Je savais que vous étiez débarqué, me dit-il, et que vous arriveriez par ce train. Où descendez-vous ?
« – À l’hôtel de Bourgogne, avec le lieutenant Jacobini.
« Juste était tellement occupé de moi qu’il n’avait pas aperçu mon compagnon. Il lui serra la main. « Je vous accompagne ! » dit-il. J’étais de plus en plus intrigué. À l’hôtel, il me suivit dans ma chambre et me remit un pli dont il me demanda un reçu : « C’est un pli que l’on a confié à mon honneur avec mission de vous le remettre en main propre. » J’examinai rapidement l’enveloppe cachetée et je reconnus tout de suite l’écriture. On y avait inscrit mon nom avec cette mention : Pour remettre après ma mort.
« – Le Dr Sabin ! fis-je dans un souffle.
« – Oui, répondit l’autre… J’ai rempli ma mission. Je n’en dois compte qu’à lui. Seulement, comme je ne sais pas ce qu’il y a dans cette lettre et que je ne soupçonne même pas ce qui peut en arriver, je désire un reçu pour me mettre à couvert.
« Je lui donnai son reçu.
« – En vous donnant cette lettre, fis-je, le Dr Sabin ne vous a pas fait quelque communication particulière ?
« – Aucune ! répliqua-t-il… Il ne m’a rien dit ! Absolument rien !…
« Là-dessus il me serra la main et me quitta, avec une certaine hâte du reste. Il paraissait soulagé d’un grand poids. Je décachetai le pli, fébrile. Dix minutes plus tard, on frappait à la porte de Jacobini qui allait se mettre au lit. Il demanda : « Qui est là ?… » Comme on ne lui répondait pas, il alla ouvrir sa porte, très impatienté. Un spectre entra chez lui, une lettre ouverte à la main. Ce spectre, c’était moi. Je n’avais pas la force de prononcer une parole. Il me fit asseoir, me prit la lettre que je lui tendais, alla pousser le verrou et lut.
« Je le verrai toujours, penché sous la lampe. L’effet que lui produisit cette lecture n’avait rien à faire avec l’espèce d’anéantissement où j’étais plongé. Au contraire, chez lui, tout semblait se resserrer, quand, chez moi, il y avait eu une parfaite décomposition de la volonté. Son front se faisait plus bombé, ses sourcils plus saillants, son menton plus volontaire, une flamme menaçante comme le reflet glacé d’une épée accompagnait le regard qu’il glissait sur ce fatal document où avait tremblé la main d’un homme qui se savait condamné à mort.
« Voici ce que disait le Dr Sabin. La lettre est depuis longtemps aux archives du parquet de X… Mais en voici la copie :
Mon cher Zinzin, avant de te marier avec Olympe, j’ai voulu que tu lises ceci : c’est un homme qui va mourir qui t’écrit. Je souffre toutes les douleurs de l’enfer. J’ai été atrocement empoisonné. Personne n’en sait rien, que la ou les coupables et moi ! Je n’ai fait entendre aucune plainte, car je n’ai que ce que je mérite. Grâce à de puissants anesthésiants, j’ai réussi, par instants, à supporter le mal qui me ronge, et à montrer à quelques-uns une figure humaine. Ainsi ai-je pu joindre notre ami Juste à qui je n’ai rien dit, à qui tu ne diras rien, à moins que lui aussi veuille encore épouser Olympe. Alors, tu lui montreras cette lettre, mais j’espère que tout en restera là et qu’après ma mort il ne se trouvera plus personne pour prendre ma place, notre place ; celle des trois hommes qui ont franchi le seuil de cette maison pleins de santé et de vie et qui auront disparu emportant avec eux l’origine de leur triple malheur.
Autant que possible, pas de scandale autour d’Olympe. Je l’aime peut-être encore. Pas de scandale, à moins que ce ne soit absolument nécessaire. Et puis, je ne suis tout à fait sûr de rien. En pareil cas, il faut l’aveu de la coupable et je ne l’ai pas. Enfin, je pourrais peut-être l’accuser, avec toutes les tristes chances – hélas ! – de ne point me tromper, mais moi, je n’en ai pas le droit !… Et je vais te dire pourquoi : tu sais qu’après la mort de son second mari, j’ai conclu qu’Hubert s’était tué par accident. On hésitait entre l’accident et le suicide. Hubert n’est pas mort d’accident, Hubert ne s’est pas suicidé. Hubert est mort assassiné !
Et je l’ai su tout de suite, au premier coup d’œil sur le cadavre et sur la place qu’occupait le pistolet dans la main. L’arme avait été placée dans la main, après la mort ! Je n’entrerai point dans des détails. J’aurais pu démontrer cela d’une façon péremptoire. J’avais été appelé auprès d’Hubert aussitôt après le drame, comme on appelle en telle occurrence l’homme de l’art qui, seul, pourrait peut-être encore accomplir un miracle. Mais tout était fini. Il y avait, auprès du cadavre, une femme en larmes. Avant de regarder la femme, j’avais vu le pistolet et j’étais déjà fixé… Alors, je regardai la femme. Tu as soupçonné peut-être les liens sentimentaux qui nous unissaient déjà. Olympe, du reste, ne s’en cachait guère et je lui avais fait plus d’une fois des observations à cet égard. Je crus voir ses yeux vaciller, fuir les miens, après m’avoir laissé l’impression d’une ardente et muette supplication. Encore aujourd’hui, je suis persuadé que je ne me suis point trompé. Je frémis d’horreur. Cette femme avait tué Hubert pour être à moi ! C’était épouvantable, mais je l’adorais ! Non seulement je ne la dénonçai point, mais, sans qu’elle y prît garde et par pitié pour elle, je fis glisser le pistolet à l’endroit normal qu’il eût dû occuper. Je facilitais d’avance la besogne des experts. Tu vois, mon petit Zinzin, je ne te cache rien !… Tu comprends maintenant pourquoi je n’ai point le droit d’accuser cette femme. Ma lâcheté m’a fait son complice.
Je crois que nous nous sommes aimés comme des damnés qui cherchent dans l’embrasement de l’amour l’oubli de tous les paradis perdus. Entre nous, il n’était jamais question d’Hubert ; pas plus, du reste, que de Delphin. On eût dit qu’Olympe n’avait jamais connu ces deux hommes ! Mais moi, j’eus la curiosité de savoir comment Delphin était mort… Et je commençai une enquête prudente et sournoise dont on dut s’apercevoir… Je crois bien que c’est de ce jour-là que ma mort fut décidée.
Certains propos contradictoires de Palmire au sujet des expériences de Delphin et des conditions assez mystérieuses de sa fin me conduisirent sur un chemin au bout duquel je trouvai la quasi-certitude de l’empoisonnement de Delphin par sa femme avec la complicité de Palmire… Je n’avais encore rien dit à Olympe qui ne paraissait se douter de rien. Je m’attachais à dissimuler autant que possible ce que je ne voulais considérer encore que comme d’affreux soupçons. Mais, un jour, je me sentis touché !… Une fièvre intense, un malaise inconnu, de sourdes douleurs m’avertirent que, moi aussi, je venais d’être empoisonné ! Je ne dis rien encore, car je voulais savoir !… Savoir !… Et je cru faire le nécessaire pour me libérer à temps de la drogue qui déjà me travaillait aux sources mêmes de la vie… et qui ne me lâcha point !…
Comment s’y prenait-on ?… Pour être sûr que c’était elle, je n’acceptais à boire que de sa main !… Et nous buvions dans le même verre !… Oui, mais nous ne mangions pas dans la même assiette !… Ah ! Horreur !… Voilà où j’en suis aujourd’hui où je t’écris cette lettre redoutable… Je sors d’une crise que je lui ai encore cachée !… L’ignore-t-elle ?… S’en réjouit-elle ?… Seigneur Dieu ! J’ai pourtant changé de visage depuis quelques semaines… Et, plusieurs fois, je l’ai repoussée de mes bras !… Et elle semble ne s’apercevoir de rien !… Ah ! le monstre !… Les deux monstres !… Car je viens d’apercevoir la Palmire qui m’épie… et je les retrouve trop souvent ensemble… Tout de même, Olympe m’a dit hier : « C’est drôle comme les hommes changent après quelques semaines de mariage !… Au bout de quelque temps, on ne les reconnaît plus !… Ils ne sont plus intéressants !… »
Mon petit Zinzin, tu vas avoir la lettre… et moi je vais lui parler… Je ne lui apprendrai rien du reste, elle doit se douter maintenant que je n’ignore plus de quelle main sont morts ses deux premiers maris… mais il faut que je lui dise aussi que je sais qu’elle assassine le troisième… et qu’il faudra qu’elle s’en tienne là, désormais !…
Ah ! Notre Olympe !… Notre Olympe !… Si tu savais, Zinzin, tu me comprendrais… et tu me pardonnerais !… Et puis, et puis, après tout… elle n’est peut-être pas coupable, cette femme ! C’est peut-être Palmire qui fait tout, toute seule !… Ah mon Dieu ! Si cela pouvait être vrai !… Voilà une idée qui me vient bien tard… bien tard !… Songes-y, Zinzin !… Moi, je ne peux plus songer à rien !… Je ne pense plus !… Je n’existe plus !… Je souffre trop !… Ah ! Je ne voudrais pas mourir pourtant avant de savoir !… Si elle pouvait m’apprendre que c’est Palmire qui a fait tout, toute seule !… Je l’aime encore, Zinzin !…
« Après cette dernière ligne, que l’on avait peine à lire tant les caractères en étaient heurtés et désordonnés, venait une signature où semblaient s’être acharnées les forces suprêmes d’un être auquel la vie échappe. Ce n’était point cependant ce jour-là que le Dr Sabin était mort. Sans doute par quelque curieuse médication avait-il pu suspendre le destin. Nous savons que ce n’est qu’après le déjeuner du lendemain que le malheureux était allé mourir dans sa chambre solitaire…
« Cette copie que je viens de vous lire, continua Zinzin, je l’ai tracée la nuit même que l’original me fut remis. Cet original, le lieutenant Jacobini le réclamait. Il en avait le droit. Il prenait ma place, que je lui laissais non sans lui avoir fait entendre tout ce que je pouvais lui dire, tout ce que vous lui auriez dit vous-mêmes en cette horrible occurrence. Mais je vis tout de suite qu’il n’y avait rien à faire et que son parti était pris. Certes, il n’était plus question de notre amour pour Olympe ! Il venait de faire un vœu : celui de lui faire avouer, lui faire crier son forfait !… Et alors, on verrait !… Il ne me disait pas ce que l’on verrait, mais on était suffisamment renseigné sur l’intérêt du programme, rien qu’en rencontrant son regard qui brûlait d’un feu terrible.
« – Le Dr Sabin, me dit-il, n’a eu que ce qu’il méritait et je ne le plains pas !… Mais ce pauvre Hubert, qui était mon camarade, et Delphin que j’ai toujours aimé comme un frère plus jeune et qui est peut-être mort par ma faute, à moi Jacobini ! Je me charge de les venger !
« Il était décidé pour cela à se marier avec Olympe. « Et si elle ne veut plus se marier ? » lui dis-je. Il ricana affreusement ! « Une femme comme elle ne refuse pas un homme comme moi. »
« Il disait vrai. Olympe se maria avec le numéro 5. Je fus le premier témoin de Jacobini. Il y tenait. Pendant la cérémonie, je le regardais, debout au pied de l’autel, les bras croisés, à côté de sa femme à genoux. Il paraissait déjà la statue de la vengeance. Olympe n’était plus « Not’Olympe » ; sa beauté avait maintenant quelque chose de funèbre et semblait déjà ployer sous la main de la mort comme ces figures de marbre que l’on voit prier sur les tombeaux. Je pensai, ce jour-là, la voir pour la dernière fois, car le lendemain je reprenais la mer.
« À chaque escale, je me jetais sur les journaux ; j’ouvrais fébrilement mes dépêches, je décachetais en tremblant mon courrier… Rien ne parvenait jusqu’à moi de la hideuse tragédie qui devait se dérouler là-bas, pendant mon absence. Quand, trois mois plus tard, je revins au pays, ma première question… vous la devinez !…
« – Il n’y a rien de changé ici ?
« – Mon Dieu, non !…
« – Et… le ménage Jacobini ?
« – Eh bien, il va bien, le ménage Jacobini !…
« Le lendemain, Jacobini vint me trouver. Il savait que j’étais de retour. Il avait une mine des plus prospères. Il avait fait prolonger son congé puisque Olympe s’obstinait à rester dans la maison qu’il abhorrait, lui ! « Au fond, je ne saurais lui donner tort ! expliquait-il… Elle prétend que si elle quittait le pays et cette vieille demeure où elle a passé une si heureuse jeunesse, elle semblerait donner raison à ceux qui prétendent qu’elle est bien pour quelque chose dans la mort de ses trois premiers maris ! » Je regardai Jacobini. Il ne baissa pas les yeux :
« – Zinzin, me dit-il, je comprends ton étonnement, mais on ne saurait soupçonner Olympe. C’est la plus honnête des femmes !
« – Tant mieux, fis-je d’une voix profondément altérée… Tant mieux et n’en parlons plus !
« – Zinzin !…
« – Jacobini !…
« – Je suis venu pour vous en parler, moi !… Et vous n’avez pas le droit de ne pas m’entendre !… Zinzin !… La première chose que j’ai faite en rentrant au domicile conjugal, au sortir de l’église, a été de lui montrer la lettre du Dr Sabin !… Olympe pleurait mais ne parut nullement étonnée.
« “– Je me doutais de tout cela, me dit-elle… Tout le monde me prend pour un monstre ! Je me demande pourquoi vous avez voulu m’épouser !…
« “– Je vous répondrai à cela tout à l’heure, lui dis-je, mais nous n’en sommes encore qu’à la lettre du Dr Sabin…
« “– Que voulez-vous que je vous dise ? continua-t-elle d’une bouche amère… Je ne suis pas plus coupable de la mort d’Hubert dont on m’accuse formellement que de celle de mon premier mari ! Sabin m’aimait comme un fou ! Et il y avait des moments où son amour ressemblait singulièrement à la haine !… Il lui échappait des phrases qui, peu à peu, m’éclairèrent sur son horrible arrière-pensée… D’autre part, il se livrait à une enquête abominable… Il interrogeait Palmire qui me répétait tout. Je m’employais à le calmer… Surtout, je ne voulais pas de scandale. Je me disais que cet affreux état d’esprit se dissiperait à la longue et que, comme je n’avais rien à cacher, il finirait par comprendre que nous étions tous victimes d’une épouvantable fatalité. Tout à coup il s’est cru empoisonné… Cela, il ne me l’a pas dit tout d’abord. Je me gardais, de mon côté, de prononcer le mot de poison pour que rien de définitif ne se passât entre nous !… Je ne voulais pas être obligée de le chasser ou de faire appel à la justice… Mais comme il continuait de souffrir, je lui conseillai de consulter des confrères, de se remettre entre leurs mains. Il n’en fit rien !… Le jour de sa mort, il était sous l’influence d’une drogue à haute dose qui le faisait divaguer. Il avait tenu à paraître au repas. Comme je connaissais sa pensée, depuis longtemps je m’attachais à ne boire que ce qu’il buvait, et à partager sa nourriture. Au dessert, il se jeta à mes pieds en me demandant pardon de m’avoir soupçonnée, il savait maintenant qu’il était empoisonné tous les jours par cette hideuse Palmire. Et il me supplia de chercher avec moi à la confondre. Comme je la défendais, naturellement, il me quitta brusquement et alla s’enfermer dans sa chambre. Vous savez le reste. C’est moi qui ai demandé l’autopsie.
« Le lieutenant Jacobini s’était arrêté. C’est moi qui repris :
« – Et cela vous a convaincu ?
« – Non ! fit-il… Si Olympe s’attendait à quelque chose dans le genre de la lettre du Dr Sabin, je m’attendais, moi, à quelque explication comme celle qu’elle venait de me fournir, arrosée de quelques larmes… C’est alors que, brusquement, je lui jetai à la face :
« “– Et le Tali-tali{6}, Olympe ! Qu’en avez-vous fait ?
« “Elle tressaillit et devint d’une pâleur mortelle.
« “– Oh ! gémit-elle, vous croyez que je l’ai empoisonné avec le Tali-tali ?
« “Je lui pris son poignet et je crus étreindre une main de marbre :
« “– Écoutez, Olympe !… Hubert est mort d’un accident, je vous l’accorde et cela m’indiffère complètement !… Mais Delphin était mon ami !… Delphin est mort de la même mort que le Dr Sabin… Empoisonnés tous deux par le Tali-tali qui ne laisse pas de traces !… C’est moi qui ai donné ce poison à Delphin pour qu’il le soumît à l’analyse chimique et qu’il en trouvât l’antidote, si possible… Je vous demande ce qu’est devenu le Tali-tali que j’avais donné à Delphin à mon retour de l’Afrique occidentale… C’est un poison terrible, qui ne pardonne pas et que les sorciers donnent là-bas aux malheureux qui sont soupçonnés d’avoir attiré sur le village les mauvais esprits de la forêt. On ne saurait compter ses victimes… Je suis responsable, moi, de celles qu’il a faites en France !… Qu’avez-vous fait du Tali-tali, Olympe ?
« “Olympe releva sur moi son regard glacé. Elle ne pleurait plus. Elle me dit :
« “– Il n’y a plus de Tali-tali.
« “– Depuis quand ? lui demandai-je brutalement en essayant de dominer sa pensée rebelle qui, nettement, se séparait de moi.
« “– Depuis que Delphin l’a détruit sur ma prière. C’est un cadeau, monsieur, que vous auriez bien dû ne jamais lui faire, non point qu’il en soit mort, je ne le crois pas, mais s’il ne me tue pas, moi, ce ne sera point de votre faute !… C’était une chose, n’est-ce pas, qui était enfermée dans le ventre d’un fétiche d’acajou couvert de signes bizarres et curieusement travaillé à la pointe de feu…
« “– C’est cela même, Olympe ! Il n’y a aucune erreur possible. Vous connaissez bien le Tali-tali.
« “– Oui, Delphin faisait avec ce poison et avec des écorces de l’arbre que vous lui aviez apportées des expériences qui m’intéressaient, au même degré du reste, que beaucoup d’autres. Au début, ses alambics m’amusaient. Et puis, on se lasse de tout ! Mais je m’aperçus bientôt que Delphin était souffrant et j’attribuai sa langueur à l’atmosphère viciée du laboratoire. Je le suppliai de suspendre pendant quelque temps ses expériences. Il n’en fit rien. Je lui demandai de me faire ce plaisir, au moins, de me sacrifier le Tali-tali. Il me dit qu’il n’en avait plus rien à craindre et, du reste, que le Tali-tali n’était mortel que pour ceux qui en buvaient. Or, il n’était pas assez fou pour goûter à cette liqueur dont il avait expérimenté les effets sur une poule et un lapin. Il s’amusait de ma pusillanimité, mais je ne lui laissai de repos que lorsqu’il eut détruit le Tali-tali, ce qui lui arriva un soir devant Palmire et devant moi. De guerre lasse, il jeta le fétiche et le poison qu’il contenait dans le feu et tout fut consumé en un instant !
« “– Comment se comporta le poison dans le feu ?
« “– Il y eut d’abord une longue flamme verte, comme une fusée, et puis une vapeur suffocante que nous fuîmes, du reste. Quant au fétiche lui-même, ce n’était plus qu’une braise qui jetait une dernière grimace avant de tomber en cendres… C’est fini, monsieur, je n’ai plus rien à vous apprendre, mais si c’est pour que je vous dise cela que vous avez voulu faire de moi votre femme, vous auriez pu vous en dispenser !… Je vous aurais renseigné sans cela, monsieur ! Et peut-être vous aurais-je aimé ensuite. Maintenant, tout est fini entre nous. Je vous prie de faire en sorte que je ne vous retrouve plus jamais devant moi !
« Comme Jacobini, arrivé à ce point de son récit, s’était tu et roulait une cigarette :
« – Et alors ? fis-je.
« – Et alors, je l’ai quittée pour aller interroger Palmire. Je la poussai, elle aussi, sur l’affaire du Tali-tali. Je la retournai de toutes les façons. C’est une ignorante, cette fille. Elle ne pouvait inventer les effets chimiques auxquels elle avait assisté. Tous ses dires coïncidaient absolument avec ceux d’Olympe. Je lui posai des questions qu’Olympe ne pouvait avoir prévues. Enfin, j’élargis mon enquête à la suite de quoi je revins me jeter aux pieds d’Olympe, qui m’a pardonné parce qu’il faut que tu saches une chose, Zinzin, c’est qu’Olympe est bonne autant qu’honnête !
« – Possible ! fis-je, mais elle n’est pas fière !
« Là-dessus, il me quitta après m’avoir serré la main avec condescendance et aussi avec la satisfaction, à peine déguisée, d’un numéro 5 qui n’est pas fâché d’avoir pris la place du numéro 4 !… Comme vous pensez bien, je n’allai point les déranger chez eux !… Mais je revis Jacobini huit jours plus tard. Une angoisse affreuse se lisait sur sa figure pâle et inquiète : « Zinzin, me dit-il d’une voix rauque, je crois que moi aussi je suis touché !… Mais ce n’est peut-être qu’une idée !… Oui, une idée, ce Tali-tali vous rend fou rien qu’en y pensant !… Mais je vais essayer de ne plus y penser, Zinzin !… » Je n’eus pas le temps de lui dire un mot. Il était déjà reparti.
« Et voici le drame effroyable qui se passa le lendemain, tel que l’enquête judiciaire le reconstitua avec l’aide, du reste, de Jacobini agonisant et des derniers témoignages de Palmire.
« À midi, Jacobini, qui n’avait pas vu sa femme de la matinée et qui était en proie aux plus sombres pressentiments, bien qu’il essayât de se libérer de cette idée de poison qui le poursuivait depuis la veille et qu’il mît sur le compte des fièvres paludéennes dont il avait souffert aux colonies le malaise qui le possédait, se dirigeait vers le pavillon.
« Ce fatal bâtiment qui avait servi de laboratoire à Delphin, qui avait été transformé par Hubert en pavillon de chasseur, était devenu depuis le mariage de Jacobini un singulier petit musée où l’officier avait réuni toutes ses collections ramenées des colonies. Les murs étaient tapissés d’images bizarres, les meubles supportaient de curieuses idoles ; au-dessus du large divan bas recouvert de la dépouille des grandes chasses, étaient suspendues des panoplies formées d’armes frustes et sauvages, casse-têtes, flèches, sagaies, couteaux-scies qui semblaient avoir été inventés pour le bourreau plus que pour le guerrier ou pour le défricheur. C’était là qu’était servi le déjeuner ; quand Jacobini y pénétra, une porte se fermait hâtivement au fond de la pièce. En même temps qu’il avait entendu des pas précipités, un bruit de claquoir, comme celui d’une boîte dont on laisse retomber le couvercle, était venu frapper son oreille.
« Il courut d’abord à la porte, l’entrouvrit et aperçut Olympe qui avait une conversation à voix basse avec Palmire et paraissait fort agitée. Dans le même temps, une crampe terrible le saisit aux entrailles et il laissa se refermer la porte, n’ayant plus la force de se laisser tomber sur le divan. D’une main il s’était accroché à la boîte à ouvrage d’Olympe dont le couvercle, mal refermé laissait échapper des bouts de fine lingerie. Obéissant au mouvement fébrile de sa main, le couvercle s’était soulevé. Les doigts de Jacobini crispés par la douleur fouillaient d’un geste inconscient toute cette dentelle et rencontrèrent soudain un corps dur…
« Et voilà qu’il se redressa, hagard, fou ! Sa main tenait le fétiche de mort, l’horrible fiole, le hideux Tali-tali qu’Olympe et Palmire lui avaient juré avoir été brûlé, détruit, anéanti devant elles ! Olympe lui avait menti ! Olympe l’empoisonnait comme elle avait empoisonné les deux autres ! Et il allait connaître le sort atroce qui avait déchiré son prédécesseur dans la couche de cette abominable stryge !… Et alors voilà ce qui se passa. Domptant pendant quelques instants le mal qui le ravageait, Jacobini versa dans le carafon de vin de la Moselle qui était sur la table ce qui restait du poison dans le fétiche. Il en restait assez pour constituer une dose foudroyante et il attendit sa femme. Elle ne tarda pas à entrer. Elle l’embrassa en lui demandant comment il se portait ce matin. Il répondit qu’il se sentait beaucoup mieux, mais que la fièvre ne l’avait point tout à fait quitté et qu’il avait soif.
« – Eh bien, il faut boire, mon chéri ! lui dit-elle. Il n’attendit point qu’elle lui versât à boire et il remplit les deux verres.
« – Mais tu sais bien que depuis quelque temps je ne bois que de l’eau, lui dit-elle… les médecins me défendent le vin.
« Il insista. Il voulait qu’elle bût avec lui, dans le même verre, comme ils avaient fait souvent. Elle détourna la tête. Alors, la saisissant comme une brute, il lui renversa la tête et sauvagement lui pinça les narines. Et elle dut boire. Elle criait d’effroi. Il lui dit : « Tu aurais peut-être préféré une autre coupe ? » Et il lui montra le Tali-tali. Elle appela au secours, mais tout de suite elle porta la main à son ventre et fut prise d’une crise terrible. En même temps, le mal le possédait à nouveau, lui, dans toute son horreur. Ils tombèrent en se roulant et en se déchirant sur le divan. Ils mêlaient leur géhenne, se crachaient leur bave empoisonnée, se mordaient, s’arrachaient les chairs avec des cris de fauve. Ils se tordaient, mêlés l’un à l’autre dans le même brasier.
« Jacobini trouvait encore la force de l’insulter, de prononcer les noms de ses premières victimes ! « Tu n’en tueras plus !… Tu vas crever !… Tu vas crever avec moi !… » Mais il souffrait trop. Il lui semblait avoir tout l’enfer dans le ventre… Il arracha de la muraille des armes, un coutelas et se le plongea dans les entrailles pour tuer le mal d’un coup avec lui. Il ne réussit qu’à se faire une horrible blessure. Alors, il retourna le fer contre elle et ouvrit Olympe, comme une bête, de bas en haut ! Elle hurlait encore.
« Possédé de mille démons, il lui fracassa la tête, la perça de sagaies comme une pelote à épingles, lui creva les seins, les yeux, en fit des morceaux et il continuait à se frapper lui aussi. À eux deux, ils ne formaient plus qu’une horreur sanglante, sans nom, sans forme. Elle était morte quand les domestiques accoururent dans la pièce. Mais lui n’expira que le lendemain matin après avoir, dans quelques moments de lucidité, narré les hideuses péripéties de leur abominable martyre au substitut qui, lui aussi, avait espéré de se marier avec cette femme et qui dut s’aliter en rentrant chez lui. La nuit même, il se mit à divaguer. On put craindre qu’il devînt fou et que ce drame comptât une victime de plus !…
Zinzin, maintenant, se taisait ; la sueur coulait de ses tempes. Tous se taisaient. Enfin, la voix de Chanlieu dit :
– Et toi, tu n’es pas devenu fou ?
– Non, fit-il, mais je pourrai peut-être le devenir…
Encore un silence. Puis la voix du commandant Michel :
– La garce ! Tout de même, elle n’a eu que ce qu’elle méritait ! Ce qu’elle avait fait était épouvantable !
On entendit une sorte de gémissement. C’était Zinzin.
– Ce qu’il y a d’épouvantable, dit-il, c’est qu’elle n’avait rien fait !
– Oh ! s’exclamèrent les autres.
– Oui, elle était innocente ! J’ai appris cela l’autre jour… l’autre jour seulement !
– C’était Palmire qui avait tout fait toute seule ! s’écria Gaubert.
– Ah ! Quant à celle-là, fit Zinzin avec un ricanement terrible, la justice la prit et ne la lâcha pas ! Et je vous prie de croire que tout ce qu’il était en mon pouvoir de faire pour qu’elle cueillît le maximum, je l’ai fait !… J’ai fait connaître la lettre du Dr Sabin dont l’original avait été détruit par Jacobini ! Sans moi, elle échappait peut-être, la Palmire ! Et à la lettre, lue en cour d’assises, j’ajoutai, en qualité de témoin, quelques commentaires bien sentis et je rapportai des propos qu’elle écoutait d’un air idiot !
« Elle se bornait à répondre : « Non ! » à tout ce qu’on lui disait et à pleurer sur Olympe. Pour celle-ci, cependant, elle donnait quelquefois des explications qui nous ahurissaient tant elles étaient bêtes ou nous paraissaient naïves… Ainsi, par exemple, quand on lui disait : « Si votre maîtresse était innocente, elle n’aurait pas raconté à son mari que le Tali-tali avait été détruit devant elle et devant vous !
« – Bah ! répliquait-elle, c’est bien simple, ma fi !… On s’était entendues pour dire ça parce qu’il y avait des bruits qui couraient et que nous ne voulions pas être soupçonnées !… D’autant que nous ne savions pas ce qu’il était devenu, le Tali-tali, et que nous croyions bien que M. Delphin l’avait ben brûlé tout entier comme Madame le lui avait commandé un jour qu’il en avait jeté dans le feu quelques gouttes devant nous !… » Oui, elle avait trouvé, celle-là ! Elle fut huée ! Et je criai plus fort que les autres !…
– Et à quoi a-t-elle été condamnée ? demanda Chanlieu.
– À la peine de mort ! fit Zinzin dans un souffle.
– Mais on n’exécute pas les femmes ?
– Non !… Sa peine a été commuée en une réclusion perpétuelle. Elle est morte en cellule, il y a dix ans. J’ai appris encore cela l’autre jour…
– Et s’est-elle repentie ? A-t-elle avoué ? demanda Michel.
– Non ! dit Zinzin en nous regardant comme un dément… Elle n’avait rien à avouer… Elle aussi était innocente !
– N… de D… !… fit Chanlieu.
– Mais alors, qui était le coupable ? interrogea Gaubert.
– Un homme qui vient de mourir en faisant, lui, des aveux et qui s’était retiré, après le drame, pas loin d’ici… Oui ! Il est mort l’autre jour au Mourillon… Cet homme possédait dans le bourg une petite propriété qui joignait le fond du parc où était le pavillon…
– Mais qui était cet homme ?… L’un des douze ?
– Oui ! l’un des douze… C’était même le douzième !… Celui-là n’avait aucun espoir d’épouser jamais Olympe car, bien sûr, elle n’irait pas au bout des douze, n’est-ce pas ?… Après onze morts pareilles !… Seulement, il supprimait ceux qui avaient été plus heureux que lui… Et, à la fin, il s’arrangeait pour faire croire que l’assassin c’était Olympe ! Rappelez-vous l’arrivée du douzième dans le salon où nous étions alignés… L’arrivée de M. Pacifère, le receveur de l’enregistrement !… Comme Olympe s’était jouée de lui et comme nous avions ri quand elle l’avait planté tout au bout du rang, à la queue !… Oui !… On s’était moqué de M. Pacifère quand il était entré dans le salon !… Eh bien ! il s’était vengé, cet homme !…