Léon, ayant baissé les yeux pour se rendre compte de la cause de cette douleur, sentit son sang se glacer dans ses veines.
Les fourmis, poursuivant leur expédition, entouraient l’arbre et avaient commencé à l’escalader. En ligne blanchâtre de plusieurs pouces d’épaisseur, elles grimpaient le long du tronc, et c’étaient les premières arrivées qui, sans perdre de temps, avaient commencé l’attaque sur son pied.
Le sort des aïs dont il venait d’être témoin était bien fait pour le remplir d’épouvante, et un second cri de terreur lui échappa. Instinctivement, il s’élança de branche en branche jusqu’à la plus élevée ; et quand il l’eut atteinte, il se retourna et regarda ses millions d’adversaires grimpant tranquillement avec lui.
À ce coup, l’effroi l’emportant sur tout autre sentiment, il déchira l’air de ses cris. Qu’importe ! il se risquerait dans cette masse grouillante, mais il échapperait, il échapperait à tout prix, et il se mit à redescendre, écrasant sous son poids des bataillons sans cesse reformés.
Il était à mi-chemin de sa descente, quand il se rappela soudain le puma qu’il avait oublié. Son regard chercha l’endroit où il l’avait laissé dévorant sa victime. La pauvre femelle agonisante était encore là à côté de son petit mort ; mais le fauve avait disparu.
Léon se berçait déjà de l’espoir que peut-être ses cris l’avaient effrayé et qu’il avait repris le chemin des bois, quand tout à coup il l’aperçut à dix pas de l’arbre, rampant vers lui sans le quitter des yeux. Que faire ?…
Il est difficile de prendre une résolution entre deux alternatives semblables. Léon se crut perdu. Il éleva la voix dans un effort suprême et attendit.
Contrairement à son attente cependant, le puma ne prit pas tout de suite son élan ; au contraire, toujours rampant, il fit à plusieurs reprises le tour de l’arbre, dardant sur lui des regards enflammés, agitant doucement sa queue et pourléchant ses lèvres rouges du sang de sa proie inachevée. Il semblait trouver du plaisir à combiner longuement son attaque et à prolonger l’agonie de sa victime.
Soudain la bête a tressailli, mais non pas pour s’élancer. Un sifflement aigu a déchiré l’air et quelque chose s’est enfoncé dans sa fourrure. D’un coup de dent il brise l’extrémité de la flèche de pashiuba, dont la pointe empoisonnée reste enfoncée dans sa blessure. Un nouveau sifflement se fait entendre, une autre flèche a touché le puma, et cette fois des voix amies, des voix bien connues retentissent. C’est Don Pablo et Guapo qui accourent, l’un avec sa hache, l’autre avec sa sarbacane, messagère infaillible de vengeance et de mort.
Le fauve se détourne pour fuir. Il est déjà sur la lisière du bois, mais il s’arrête, il chancelle… Il tombe ; malgré cela, Don Pablo trouve encore le poison trop lent pour son exaspération et lui brise le crâne d’un coup de hache.
Hourra !… le monstre est mort, et le père accourt vers son enfant, que Guapo a pris sur son épaule et emporte en triomphe.
Une fois les premiers transports passés, Don Pablo traîna le corps du puma hors de l’atteinte des termites ; car il voulait en conserver la peau, qui avait une grande valeur.
Quant aux deux tamanoirs, il n’y avait rien à en faire ; ils étaient déjà la proie des termites ; et quand nos amis repassèrent à l’heure du dîner, il ne restait plus d’autres vestiges des aïs et des fourmiliers que des os parfaitement nets et quelque peu de poils. Le reste avait disparu, emporté par portions infinitésimales dans les profondeurs des mystérieuses cellules des fourmis blanches.
C’était sans doute le bruit fait par nos travailleurs acharnés à leur besogne qui avait troublé les habitudes du tamanoir et du puma, qui ne sortent ordinairement que la nuit.
À leur retour à la maison, nos proscrits furent témoins d’une petite scène curieuse que leur ménagea Guapo. Le tamanoir mâle était, lui aussi, réveillé et avait quitté son gîte de feuilles sèches en quête de sa compagne. L’Indien, loin de chercher à le tuer, recommanda aux enfants un profond silence, et, se cachant derrière les branches d’un arbre, les agita de manière à simuler le bruit que fait la pluie en tombant sur le feuillage.
Aussitôt le fourmilier releva sa queue large et fournie et la dressa sur sa tête comme nous faisons d’un parapluie, et marcha assez longtemps ainsi devant les enfants, que ce spectacle amusait considérablement.
Outre le tamanoir, on compte dans l’Amérique du Sud deux ou trois espèces d’ours fourmiliers ; mais ceux-ci sont fort différents et pourraient à bon droit former un autre genre. D’abord ils sont grimpeurs, contrairement au tamanoir proprement dit. Ils poursuivent les fourmis qui font leur nid sur les branches, aussi bien que les guêpes et les abeilles.
Pour ce genre d’exercice, la nature les a doués d’une queue nue et prenante, comme celle des opossums et des singes.
Le tamandua est de ce nombre. Beaucoup plus petit que le tamanoir, beaucoup plus agile, revêtu d’une fourrure sombre mais lustrée, il vit de fourmis, d’abeilles et de miel. On l’a quelquefois rangé dans la catégorie des tridactyles, parce qu’il n’a que trois doigts à chacun des pieds de devant.
Une autre espèce d’ours fourmilier, le myrmecophaga didactyle, ainsi nommé parce qu’il n’a que deux doigts, est un petit animal gros comme l’écureuil gris, qui, au point de vue de l’agilité, tient le milieu entre le tamandua et le tamanoir.
On le voit quelquefois, suspendu par sa queue poilue, se servir de ses pattes de devant comme d’une main pour porter sa nourriture à sa bouche. Comme parure, il est incontestablement le plus remarquable du genre fourmilier. Sa couleur varie beaucoup : il est quelquefois d’un blanc de neige. Son poil est doux et soyeux, quelquefois légèrement bouclé et feutré à l’extrémité. Le poil de la queue est annelé des teintes qui prédominent dans le reste du corps.