Le vaquero, avec l’aide de son cheval, entreprit d’apporter chez lui son gibier. Guapo, avec la mule, lui prêta son concours empressé, et pas aussi désintéressé peut-être qu’il en avait l’air.
Il savait que l’air vif de la puna avait développé chez ses maîtres un appétit encore aiguisé par une nuit sans sommeil, grâce aux chiens d’une part et de l’autre à un petit bétail que l’on ne mange pas, mais qui vous mange et dont la hutte du vaquero semblait être le rendez-vous général.
Ce transport une fois terminé, une des vigognes fut dépecée, et l’on en fit de plantureuses grillades qui composèrent un déjeuner exquis.
Mais toutes ces vigognes et la peau fraîche du taureau étendue sur le sol à quelque distance pour sécher, avaient attiré l’attention des condors ; quatre ou cinq de ces oiseaux de proie planaient déjà au-dessus, n’attendant qu’un instant favorable pour venir s’en saisir.
Le vaquero, qui ne cherchait qu’à se rendre agréable au fils de Don Pablo, lui demanda s’il aurait du plaisir à voir capturer un condor. Naturellement Léon sauta de joie à cette idée, et la chasse fut décidée en principe.
L’enfant se demandait si c’étaient les fameuses bolas qui serviraient à attraper les farouches créatures, qui ne se laissent jamais approcher même à une portée de fusil. Il ignorait dans quelles conditions on a chance de réussite avec elles. Ce n’est que quand elles se sont gorgées de chair putride au point de ne pouvoir plus s’envoler, qu’on peut les frapper avec un bâton, les étourdir et s’en emparer. À jeun, la chose serait impossible, le condor étant extrêmement farouche et défiant ; ce qui n’a rien d’étrange, si l’on considère que sa tête est mise à prix et qu’il est sans trêve ni merci en butte aux ruses des chasseurs, à cause des ravages qu’il exerce parmi les portées de lamas et autres animaux.
Le vaquero s’empara d’une longue corde, et, plaçant la dépouille du taureau sur ses épaules, il pria Guapo de l’accompagner avec les chevaux. Quand il fut à cinq ou six cents mètres de sa demeure, il s’étendit tranquillement à terre, dans un trou qui lui avait déjà servi maintes fois, en ayant soin de se couvrir complètement de la toison dont le côté sanglant était tourné en dehors comme pour sécher.
Guapo et les deux chevaux n’étaient là que pour donner le change aux condors, qui surveillaient attentivement tout ce qui se passait dans la plaine ; mais le vaquero était si bien caché par sa bizarre couverture, que les yeux les plus perçants n’eussent pu découvrir ce qu’il y avait dessous ; et quand Guapo s’en retourna en emmenant les chevaux, les condors purent être persuadés qu’il ne laissait rien derrière lui que cette chair rougeâtre si appétissante pour des gloutons de leur nature.
Ils ne tardèrent pas à descendre, le voisinage de la hutte ne les épouvantant plus. Le plus grand, et le plus vorace sans doute, fut bientôt posé à quelque distance de l’objet de sa convoitise. Puis, ne voyant rien de suspect, il se rapprocha peu à peu et finit par sauter sur la peau, qu’il se mit à déchiqueter à grands coups de bec.
Mais à ce moment un mouvement se produisit sous la dépouille ainsi maltraitée, et l’on put voir le condor agiter ses grandes ailes, comme s’il cherchait à s’envoler et qu’il fût néanmoins cloué au sol. C’est que l’imprudent était bel et bien tenu par la patte, tandis que son camarade s’empressait de regagner les plaines azurées du ciel, où l’on est autrement en sûreté que dans celles de ce bas monde.
Léon s’attendait à voir le vaquero se démasquer tout à coup ; mais le rusé chasseur s’en garda bien : c’eût été s’exposer inutilement. Assis par terre, sa tête et ses épaules nues soigneusement cachées, il achevait sa capture en attachant sa corde à la patte de son captif. Puis il rejeta brusquement la dépouille protectrice, sauta sur ses pieds et s’enfuit à toutes jambes.
Le condor, apparemment très satisfait de retrouver sa liberté, s’apprêta à en faire bon usage, et d’un bond, tout joyeux, s’éleva dans l’espace, entraînant la peau du taureau après lui.
Léon poussa un cri de détresse en le croyant parti. Mais le vaquero ne partageait pas cette inquiétude, car il tenait l’extrémité de la corde enroulée à son poignet. Et l’oiseau, moitié parce qu’il était gêné dans son essor par la peau désormais importune, moitié parce que son vainqueur imprima une secousse à la corde qui le retenait captif, ne tarda pas à redescendre lourdement vers le sol. Guapo accourut prêter main-forte à son ami, et tous deux, non sans grand-peine, et sans courir quelques risques d’être éborgnés, ils lui passèrent la corde à travers les narines. Une fois cette opération délicate terminée, on était assuré de l’obéissance du vaincu. On l’amena sans aucune difficulté près de la hutte, où on l’attacha jusqu’à ce que son vainqueur eût décidé le meilleur parti à tirer de sa prise.