Alice eut du mal à saisir le bébé qui avait une forme bizarre, et qui étendait bras et jambes dans toutes les directions, « exactement comme une étoile de mer », pensa-t-elle. Le pauvre petit grognait aussi bruyamment qu’une machine à vapeur quand elle l’attrapa, et ne cessait de se tortiller comme un ver, si bien que, pendant les deux premières minutes, tout ce qu’elle put faire fut de l’empêcher de tomber.

Dès qu’elle eut compris comment il fallait s’y prendre pour le tenir (c’est-à-dire en faire une espèce de nœud, puis le saisir ferme par l’oreille droite et par le pied gauche pour l’empêcher de se dénouer), elle l’emporta en plein air. « Si je n’emmène pas cet enfant avec moi, songea-t-elle, elles ne manqueront pas de le tuer d’ici un jour ou deux ; ce serait un véritable crime que de l’abandonner ici. » Elle prononça ces derniers mots à haute voix, et le bébé poussa en réponse un petit grognement (il avait cessé d’éternuer à présent). « Ne grogne pas, dit Alice, cela n’est pas une façon convenable de s’exprimer. »

Le bébé poussa un second grognement, et elle le regarda bien en face d’un air inquiet pour voir quel était le problème. Sans aucun doute son nez extrêmement retroussé ressemblait davantage à un groin qu’à un nez véritable ; d’autre part, ses yeux étaient bien petits pour des yeux de bébé ; dans l’ensemble, l’aspect de ce nourrisson déplaisait beaucoup à Alice. « Mais peut-être, étaient-ce uniquement ses sanglots », pensa-t-elle ; et elle examina ses yeux de très près pour voir s’il y avait des larmes.

Non, il n’y en avait pas. « Si jamais tu te transformes en cochon, mon chéri, déclara Alice d’un ton sérieux, je ne m’occuperai plus de toi. Fais attention à mes paroles ! » Le pauvre petit sanglota de nouveau (ou grogna, puisqu’il était impossible de faire la différence), et tous deux poursuivirent leur route quelque temps en silence.