– Mon maître… vous n’entendez pas ?… » s’écria Tommy.

Il aurait fallu être sourd pour ne point entendre les roulements de cette tumultueuse galopade.

Aussitôt, Max Réal de se redresser, de déposer sa palette sur l’herbe et de gagner la lisière de la berge.

À cinq cents pas se mouvait une chevauchée énorme soulevant des nuages de poussière et de vapeur, une sorte d’avalanche qui se précipitait à la surface de la plaine et d’où sortaient des hennissements furieux. En quelques instants, cette avalanche serait sur le bord de la rivière.

Il n’y avait de fuite possible que vers le nord. Aussi, son attirail ramassé, Max Réal, suivi ou plutôt précédé de Tommy, détala-t-il dans cette direction.

La horde qui s’avançait à toute vitesse se composait de plusieurs milliers de ces chevaux et mulets que l’État élevait autrefois dans une réserve sur la rive du Missouri. Mais, depuis que les automobiles et la bicyclette sont à la mode, ces hippomoteurs, – on va jusqu’à les appeler ainsi – abandonnés à eux-mêmes, errent à travers la campagne. Ceux-ci, affolés, galopaient ainsi sans doute depuis plusieurs heures. Aucun obstacle n’ayant pu les arrêter, les champs, les cultures avaient été dévastés sur leur passage, et si la rivière ne leur opposait pas une barrière infranchissable, jusqu’où iraient-ils ?…

Max Réal et Tommy, bien qu’ils courussent à toutes jambes, se sentaient prêts d’être atteints, et ils eussent été écrasés sous ce piétinement terrible, s’ils n’avaient pu grimper aux basses branches d’un vigoureux noyer, le seul arbre qui se dressait à la surface unie de la plaine.

Il était alors cinq heures du soir.

Là, tous deux étaient en sûreté, et lorsque les derniers rangs de la horde eurent disparu du côté de la rivière :

« Vite… vite ! » s’écria Max Réal. Tommy ne se hâtait guère de quitter la branche sur laquelle il s’était achevalé.

« Vite… te dis-je, ou je perdrai soixante millions de dollars, et je ne pourrai pas faire de toi un vil esclave ! »

Max Réal plaisantait et il ne courait point risque d’arriver en retard à Fort Riley. C’est pourquoi, au lieu de regagner la station, dont il était trop éloigné maintenant, et où il ne trouverait peut-être pas un train en partance, s’en alla-t-il tranquillement de son pied léger à travers la plaine. Puis, le soir venu, il se guida sur les lointaines lumières qui brillaient à l’horizon.

C’est ainsi que s’effectua cette dernière partie du voyage, et huit heures n’avaient pas encore sonné à l’horloge de la ville, lorsque Max Réal et Tommy se trouvèrent devant Jackson Hotel.

Le premier partant était donc à l’endroit que William J. Hypperbone avait choisi dans la huitième case. Et pourquoi ce choix ? Probablement parce que, si le Missouri, situé au centre géographique du l’Union, a pu être appelé l’État Central, le Kansas, d’autre part, justifie celle appellation, puisqu’il en occupe le milieu géométrique, et que Fort Riley est placé au cœur même de l’État.

Or, c’est à ce propos qu’un monument a été édifié près de Fort Riley, au point où se réunissent les rivières Smoky Hill et Republican.

Enfin, que ce fût cette raison ou une autre, Max Réal était sain et sauf à Fort Riley. Le lendemain, en quittant Jackson Hotel où il était descendu, Max Réal se rendit au Post Office, entra dans le bureau et s’informa si un télégramme avait été expédié à son adresse.

« Le nom de monsieur ?… demanda l’employé.

– Max Réal.

– Max Réal… de Chicago ?…

– En personne…

– Et l’un des partenaires de la grande partie du Noble Jeu des États-Unis d’Amérique ?…

– Lui-même. »

Impossible, cette fois, de garder l’incognito, et la nouvelle de la présence de Max Réal se répandit dans toute la ville.

Ce fut donc au milieu des hurrahs, mais à son grand ennui, que le jeune peintre revint à l’hôtel. C’était là que lui serait apportée, dès qu’elle arriverait, la dépêche indiquant le second coup de dés tiré pour son compte, et qui devait l’envoyer… où ?… Où le voudraient les caprices de l’impénétrable Destin !