Sous la lumière automnale des hautes verrières versant un jour bas et mouillé, le président, toque galonnée d’or, robe écarlate fourrée d’hermine, entre ses deux assesseurs, robes et toques noires. À la droite de la Cour le procureur royal, toque à galons d’argent, une tête pâle et pincée, le regard flottant, les cheveux et la barbe corrects. À gauche, longitudinalement, les trois bancs en gradins du jury, faisant face à l’accusé, assis devant le banc la défense. Dans la travée, un siège pour les témoins.
Tout de suite la lutte se précisa. Hoorn, net, calme, frémissant, fit voir que l’Idée était là sous les traits de l’homme incriminé. Le ministère public, froid, minutieusement polissait ses ongles à la lime, d’un dédain et d’une assurance héraldiques. Une petite noblesse de chef-lieu, aux places réservées, se pressait. Depuis une semaine, les salons disaient : « Nous allons entendre notre grand homme. » Il avait publié des petits vers dans des revues ecclésiastiques. Les douairières goûtaient ses laus à la Vierge, galants et caramélés. On le disait lui-même, grâce à une particule péniblement acquise, un peu de leur monde.
Wildman, dès l’ouverture de l’audience, avait découragé l’attente publique. Il parut las, indifférent, le front bas, comme en dehors de la cause. Il n’eut qu’un mot, mais pathétique et fier, en désignant d’un geste les livres étalés devant Hoorn :
– Voilà mes trophées et mes armes. Même brisés, ils tiendront encore debout !
Et ensuite, il s’était tu. Les minutes, dès lors, furent longues et ternes. Hoorn et la Cour agitèrent de la jurisprudence. Les voix, dans l’atmosphère basse, mouraient sourdement sous les voûtes. Wildman quelquefois regardait l’énorme Christ livide, écartelé sur le mur, devant lui. Il regardait aussi les douze hommes qui étaient là, têtes rurales, bourrues, froncées de silence.
Un remous soudain palpita. Le président, un homme grave, simple, bienveillant, se tournait vers les jurés, leur annonçait que ses assesseurs et lui allaient lire alternativement le livre déféré à leur conscience. Comme le dit aussitôt Hoorn, c’était en apparence une petite chose, mais qui seule était à la mesure de la vérité et de la justice. Wildman songea que Moinet aussi, en l’écoutant pendant quatre jours, avait fait une chose grande selon la vraie justice.
Un silence vivant enveloppa la lecture. Elle reprit l’après-midi, se prolongea sous les lampes. Les fronts, au vent des paroles, se courbaient, lourds. Là-haut le grand Christ, transpercé de feux roses, avec le trou d’ombre de la croix derrière ses épaules, pantelait en un spasme suprême. Il sembla, dans la ténèbre du monde, faire le geste de tous ceux qui souffrent pour une religion ou une idée. La terre par delà les hautes vitres était triste.
Wildman maintenant, à travers le bourdonnement des voix, écouta lui revenir sa propre pensée. La volupté, la nature d’abord palpitèrent aux grâces de la fable. Les allégories coururent nues dans les matins du paradis terrestre. Un dieu humain, centre de la vie et des éternités, promulguait le baiser, l’amour fécond, les races. C’était le cantique à la joie du monde.
Soudain les poix et les soufres rugissaient, comme aux pages furieuses d’une bible. Il sembla qu’à ténèbres, sous les ombres gothiques d’une salle capitulaire, le prieur lût la menace des châtiments éternels. L’âme simple des jurés frissonnait, souffrait. Quelques-uns visiblement restaient épouvantés dans leur vieille foi aux dogmes d’enfance. Hoorn d’un souffle les désigna.
– Celles-ci sont des âmes mortes… Nous n’avons rien à en attendre.
Wildman haussa les épaules. Ses tempes se gonflèrent ; il prit sa barbe à pleines mains et la leva vers le Christ. Celui-là aussi avait renoncé à l’estime des faux moralistes de son temps ; il avait accepté les outrages, les humiliations, la mort, afin qu’après lui, nourrie de son agonie, la légende fît triompher l’Idée. Wildman encore une fois pouvait dire : « Moi, Wildman… »
Et puis c’était la lecture de la troisième partie, le recommencement du conte heureux des âges. L’apologue, émaillé et fleuri, apparut le livre d’heures des grâces du monde. À présent l’œuvre, dans son ensemble, se dénonçait le large flot d’un fleuve charriant des nuées, des aurores, des limons et de la vie. Il passait d’un poids d’éternité et courait se fondre dans la grande mer sacrée du Râmayana et des Védas. Hoorn le sentit frémissant, reconquis à ses destins ; il conjectura la victoire.
– Maître, nous les tiendrons sous nos pieds.
– Oui, sous nos pieds… Comme de là-haut, je tenais aussi la ville.
Et il levait sa main au bout de ses bras, aussi haut qu’il pouvait, vers le sommet de la tour.
Le second jour les ombres reparurent : Bethannie lui écrivait que Jorg et elle ne cessaient pas de prier pour qu’il fût rendu à la vérité éternelle. Elle finissait par lui annoncer la grande nouvelle : Dieu s’était révélé à l’enfant pendant la nuit et lui avait marqué sa vocation. Jorg se vouerait à la prêtrise.
Wildman sentit rouler son cœur sur la dalle. La mort d’une fois lui glaça tout l’être ; et un sanglot muet dans sa barbe, avec stupeur il se répétait à lui-même :
– Prêtre… Prêtre…
Il relut cent fois la lettre. Prêtre… prêtre, ce Jorg dont il aurait voulu faire un homme libre. C’était bien la fin : Dieu le lui volait comme sa mère le lui avait volé.
Il vit, en marge du dernier feuillet, une ligne d’écriture tremblotée, puérile, qu’il n’avait pas encore remarquée. « Papa, disait l’enfant, demande bien pardon à Dieu et aux hommes. »
Il se sentit jugé par son fils : une grande honte l’accabla, comme si pour la première fois il se sentît vraiment coupable. Déjà Jorg parlait comme Bethannie, comme toutes les autres âmes mortes. Et puis il douta que l’enfant eût pu écrire cette affreuse ligne, sèche et morne : il implora de ce fils pâle et charmant son pardon pour l’avoir cru capable d’un tel endurcissement. Il pleurait en embrassant à chaudes lèvres le papier ; il eût voulu par ses larmes en effacer l’encre détestée.
– Jorg, mon Jorg ! toi, un prêtre !
Le coup le vida comme par une large blessure. Son sang, ses énergies tarirent. Il défaillit à l’idée que c’était là comme la lettre de la famille au condamné, la lettre exhortant à bien mourir.
Il entra à l’audience faible, abattu…
Les mêmes silhouettes, sous le jour d’eau brouillée des fenêtres, firent le même geste dans le vent des grandes manches, et la Cour, le ministère public tournaient le dos au Christ livide, comme si celui-ci n’était pas mort pour eux, mais seulement pour les pauvres diables assis sur le banc d’infamie. Ils n’auraient pu mieux exprimer que les douleurs du divin supplicié ne les concernaient pas.
Wildman soudain entendit appeler Moinet. Il tressaillit, ses nerfs se tendirent. Et la porte de la salle des témoins s’ouvrit, toute l’ombre une seconde encadra la petite tête en pointe du juge qui, en sautillant aux basques longues de sa redingote, s’avançait.
– Veuillez nous dire, en votre qualité de juge d’instruction… faisait le Président.
Moinet, souriant, ses petites roses tremblant à ses pommettes, de mémoire repassa toute l’instruction. Il était assis sur le bord de sa chaise, les pieds rentrés sous lui ; il avait croisé les mains sur ses genoux et à petits coups rapides quelquefois mouillait ses lèvres.
Il eut le tort de trop laisser percer sa force, son assurance. Le Président à deux reprises dut le prier d’abréger. Avec modestie, avec tout l’orgueil d’avoir volontairement dépassé les limites de sa mission de juge, il fit observer que le prévenu, lui, avait eu quatre jours pour s’expliquer. Il parut se résigner à la défaite, il était sûr de la victoire. Il eut peur de laisser paraître son triomphe à l’éclat effrayant de ses petites prunelles aiguës derrière le pince-nez et abaissa les yeux. Un frisson courut, il sembla, si humble au bord de sa chaise, grandir jusqu’aux pieds du Christ.
Le Président, cette fois, rendit hommage à son zèle et à ses scrupules. Wildman, de son côté, fut forcé d’admirer cet être subalterne et qui avait le génie de l’Inquisition.
Moinet librement parla. Il se borna à exprimer les faits, comme il disait. Selon sa méthode il groupa ou isola des passages, dénaturant leur sens, les retournant contre l’auteur, en dégageant l’idée consciente du mal et du péché. Sa déposition se dénonça accablante pour Wildman. Lui-même avec complaisance avait aggravé par des commentaires l’immoralité de son œuvre. Elle apparut flagrante. Moinet évitait d’en parler : elle résulta bien plus terriblement des précautions qu’il prenait pour laisser les jurés conclure eux-mêmes. Il n’eût pas parlé autrement trois siècles plus tôt, s’il avait dû instruire un procès d’hérésie. Sa petite voix aigre, grelottée, alla remuer les vieux échos de la salle de torture.
Hoorn, très calme, d’abord prit des notes ; et puis, comme Moinet parlait toujours, il se croisa les bras. Le petit juge, carapacé d’astuce, de fureur, de justice, étonnait l’assistance : il sembla s’être révélé pour la première fois. Le Président, amusé comme d’une joute, le menton dans la main, du coin de l’œil souriait.
Malheureusement Moinet voulut tout dire ; à force de conscience, il compromit son effet. Il fut, à un moment, à lui seul l’instruction, le réquisitoire et déjà le verdict. Wildman l’admira, frémit, l’eut en horreur. « Le misérable ! pensait-il, il me tue en ayant l’air de me sauver et, chose horrible ! il me tue avec les armes que je lui ai fournies. » Hoorn, bourru, fiévreux, maintenant haussait les épaules, le coupait, tâchait de le décourager par ses interruptions. Tout bas il dit à Wildman :
– Celui-là serait plus fort que tous si l’Idée n’était encore plus forte que lui. Le procureur le sent bien. Voyez comme il le regarde : il voudrait le foudroyer ; il sent que son réquisitoire est perdu. Et il le méprise autant qu’il l’envie.
Mais Wildman était retombé à sa destinée. Il pensait à Jorg, à l’âme morne du prêtre qu’un jour il porterait sous sa soutane. Il se vit condamné par lui, au nom du Christ, comme il l’était par le juge, au nom de la société ; et tous deux étaient les ministres de la conscience humaine. Ses fibres se déchirèrent ; il ne pouvait plus chasser l’idée des clous que Moinet enfonçait dans le banc des accusés. Son sang s’épaissit.
– J’étouffe ! cria-t-il, sous un reflux soudain de congestion.
La salle s’agita, Moinet fut assuré qu’il triomphait. Hoorn rapidement, en le soutenant, entraînait Wildman vers la porte.
Toute cette longue journée, il fut avec les ombres. À peine il prêta attention aux péripéties de la reprise d’audience. L’intermède bouffon des deux experts médicaux qui tout à coup écrasait sous le ridicule le parquet, ne le dérida pas. Moinet, assis derrière la Cour, sous le grand Christ, vit rire les jurés, comprit sa bévue et jugea tout compromis. Et puis c’était, avec le geste pathétique des manches rejetées comme un défi, le réquisitoire de l’homme aux yeux pâles, débité d’une voix persiflante, acide et flûtée. La petite noblesse provinciale, qui enfin entendait parler son grand homme, tenta de manifester. Ses frémissements furent énergiquement réprimés par le président, toujours souriant, grave et correct. Wildman, fléchi, ne paraissait rien entendre. On remarqua qu’à chaque instant il passait sa main sur la nuque. Hoorn lui demanda s’il souffrait.
– Oui, répondit-il, c’est comme la sensation en moi qu’ils ont cassé ma vie.
La nuit tomba : l’audience fut levée. Hoorn craignit pour lui la solitude et voulut le garder. Le repas s’allongea. Wildman lui-même, en riant, disait que c’était leur veillée d’armes. Son humeur sans cesse variait, brusque, cordiale, aigre, apathique. La fièvre, la passion, les plus noirs soucis lui donnèrent un air farouche et secret. Il eut soudain de vraies larmes en regardant la beauté rieuse des enfants de Hoorn : il ne cessait pas de les contempler. Il dit à la femme de l’avocat :
– J’avais aussi une femme, j’avais un fils…
Il fut sur le point d’ajouter qu’il les avait perdus et s’arrêta. Il laissa deviner qu’une chose affreuse s’était accomplie et qu’il en restait pour jamais frappé. Il reprit en souriant tristement :
– N’est-ce pas curieux que moi qui toujours célébrai la joie et la vie, je n’aie pu être heureux ?
Le contraste de son âme attristée avec la philosophie claire et bienveillante de ses livres les accabla. Hoorn, dans cette minute de sympathie et de souffrance, sentit frémir l’âme profonde de sa plaidoirie. Il serra la main de Wildman.
– Maître, n’êtes-vous pas assuré de l’admiration et de la reconnaissance des hommes ?
– Les hommes… les hommes… valent-ils seulement la peine qu’on leur sacrifie sa vie ? Et voilà, oui, Hoorn, je leur ai tout sacrifié. C’est une histoire que vous saurez un jour.
– Mais, fit l’avocat, ne suffit-il pas que vous soyez l’écrivain Wildman pour vous sentir vengé d’eux ? Est-ce que vous ne tenez pas sous vos pieds l’humanité inférieure, vous qui du front avez touché à la haute humanité future ?
Le visage de Wildman s’éclaira : il eut aux tempes un reflet d’aube, comme si un jour nouveau naissait. Et, comme l’autre fois, il levait très haut la main, indiquait une chose au-dessus de tous, en pleine nuée.
– Oui, ami, vous avez raison. Il faut qu’on sache que Wildman est monté à la tour et que de là-haut il dominait le monde. Et il n’a pas fini d’y monter, il y montera encore, Hoorn, pour confondre ses ennemis et afin que tout le monde sache bien qu’un homme a osé monter par delà la chambre des cloches, se tenir seul là-haut, en plein ciel.
L’orgueil lui faisait un souffle à l’égal du vent qui grondait dans la tour ; il regardait très loin avec des yeux de songe.
Ils sortirent. Hoorn voulut l’accompagner jusqu’à son logis. La nue était basse, livide, suintante. Ils traversèrent la place au pied du beffroi, les flaques s’éclaboussaient de jets rouges aux gaz filtrés par la vitre des cafés. Des formes indistinctes rôdaient ; les réverbères espaçaient les cierges d’une procession de pénitents, dans une nuit de supplice. Et Wildman frissonnait, en proie à la vision hallucinante. Il se baissa, frappa de son talon les pavés.
– Peut-être ils auraient ici dressé mon bûcher, dit-il.
Sa sensibilité était ardente et morbide. Des sueurs d’angoisse le gagnèrent ; les hautes parties de son être entrèrent dans la mort. Hoorn rapidement l’entraîna ; mais le rêve horrible ne le quittait pas ; les ombres de tout leur poids pesaient sur son âme. Et l’avocat disait : – Moi aussi, maître Wildman, j’étais comme cela autrefois. Voyez-vous, il faut avoir raison des villes comme celle-ci, ou ce sont elles qui vous dévorent. Elles sont les goules mangeuses d’hommes et d’énergies. Il y a ici tout un peuple miné de fièvre et de misère : il meurt à chaque heure du jour et n’a pas même la force de regarder là-bas par où la mer va venir.
– Non, non, s’écria Wildman, ce n’est pas la ville, c’est la vieille société qui se referme sur moi pour m’étouffer.
Il cessa de parler. Ils tournèrent l’angle d’une rue ; Wildman tira la sonnette de l’hôtel. Un instant ils demeurèrent sous la pluie, la main dans la main. Et puis d’une effusion fraternelle, soudain l’écrivain l’attirait, le pressait contre lui.
– Hoorn, je voudrais vous dire une chose. Si, pour une cause quelconque, je ne pouvais achever mon livre, dites bien que ce que j’ai écrit, je l’ai écrit pour le bien des hommes. Pan allait révéler aux Bergers la destinée humaine quand ils m’ont fait tomber la plume des doigts. Il n’y a que lui et moi qui sachions à cette heure ce qu’il voulait dire ; et il ne l’a pas dit, Hoorn. Qui peut affirmer qu’il le dira jamais ?
– Je suis votre fils, je suis votre disciple, profondément, dit Hoorn. Toute parole de vous à jamais restera inscrite là, afin que, le jour venu, j’en puisse témoigner.
La minute les enveloppa triste, solennelle, affectueuse ; et ensuite ils se quittèrent.
Ce furent les suprêmes paroles de Wildman. Dès lors son âme s’entoura de silence, et sa destinée soudain fut obscure. On ne sut jamais la cause de sa mort : elle demeura effrayante dans son mystère, soit qu’elle fût volontaire, soit qu’il eût été victime d’une brève démence, d’un vertige, ou simplement d’un accident.
Wildman, pendant la suspension d’audience, le lendemain, traversa la place. Il alla frapper au guichet du beffroi : le gardien le connaissait et lui ouvrit. Vraisemblablement, comme il l’avait dit à Hoorn, l’écrivain une dernière fois voulut monter à la tour, afin qu’on connût qu’un homme avait osé se tenir seul là-haut, en plein ciel. Nul doute que ce ne fût, dans sa pensée, le symbole même de sa vie. Et il était monté : il avait dépassé les quatre cadrans de l’horloge ; le vent, dans l’énorme spirale, comme un poumon soufflait tandis que toujours plus bas descendait la ville. On conjectura qu’il avait trouvé ouverte la chambre des cloches ; il s’était engagé sur la mince passerelle d’où les sonneurs se lançaient pour ébranler l’énorme battant du bourdon. La cavité s’était déployée, immense, un gouffre d’ombre plongeante, l’horreur illimitée des séculaires ténèbres.
Hoorn cependant, après une assez longue attente, se décidait à plaider. Quand il évoqua l’écrivain debout sur la dernière plate-forme et avec la lucidité du génie regardant venir la mer, tout le monde fut convaincu qu’il avait voulu parler de la vérité qui, elle aussi, par les chemins de la terre et du ciel, arriverait un jour pour les hommes. Son âme libre de Flamand gronda comme le poumon de la tour : il fit tressaillir la patrie, les origines chez les rudes jurés, eux-mêmes fils des beffrois de Flandre. Moinet, lui, trembla comme à l’église, sous les trompettes exterminatrices de l’archange.
Le Président ensuite remettait au commandant des gendarmes la clef de la chambre des délibérations. La terrible porte se referma sur la mort. Après une heure, elle se rouvrit sur la vie, l’Idée triomphait.
Dans la demi-ténèbre rougeoyée par les lampes, le chef du jury levait la main :
– Par huit voix contre quatre, non !
Une rumeur, des cris retentirent. On vit Hoorn tout à coup se renverser en sanglotant, sa tête dans ses poings. Un de ses stagiaires venait de lui communiquer l’affreuse nouvelle.
Le gardien de la tour, inquiet que le visiteur ne descendît pas, s’était décidé à monter. Il avait appelé les veilleurs : ils avaient trouvé la chambre des cloches béante. Elles semblèrent avoir été investies des puissances de la vieille société pour empêcher Wildman de monter plus haut. Cent pieds plus bas, celui-ci gisait, le crâne éclaté, vide de ses moelles.
Hoorn fit un effort, se dressa, les bras déployés :
– La vieille société s’est chargée d’un crime nouveau, s’écria-t-il. Messieurs les jurés, c’est un mort que vous venez d’acquitter !
Personne ainsi jamais ne sut ce que Pan avait voulu dire. Lui seul, l’écrivain Wildman l’avait su, et il était mort avec ce secret.
Février-avril 1901.
FIN