Ce qui se passa ensuite – cette promenade nocturne, la main dans la main, sur la grand-route éclairée par la lune – leur fit à tous deux l’effet d’un rêve enchanteur.
Ils traversèrent le village sans se soucier des rencontres qu’ils pourraient faire. Ils appartenaient maintenant l’un à l’autre, car ce merveilleux baiser les unissait d’un lien que, seule, la mort pouvait rompre. Ils se sentaient suprêmement heureux. Les mots magiques avaient été prononcés : « Je vous aime, Fleurette ! Et vous, m’aimez-vous ? » Éternelle question qui ne demande pour réponse qu’un soupir. Non, ils ne se souciaient nullement d’être vus ensemble. Peu leur importaient les sourires et les commérages. À partir de ce soir, ils étaient promis l’un à l’autre, et, seule, la bénédiction de M. le curé pourrait, dans des temps meilleurs, rendre leur bonheur plus complet.
En fait, ils ne rencontrèrent personne, car ils ne prirent pas la Grand-Rue et se dirigèrent vers Lou Mas par des sentiers qui serpentaient à travers les vergers d’amandiers. Pendant la plus grande partie du trajet, ils demeurèrent silencieux. La main de Fleurette était dans celle de François qui, de temps à autre, la pressait tendrement. Sous son autre bras il serrait la cassette, trésor précieux auquel il devait son bonheur et qu’il n’aurait pas échangé contre un royaume.
– Vous ne vous séparerez ni de la cassette ni du sac, n’est-ce pas, François ? lui avait-elle dit d’un ton solennel. Vous ne les confierez à personne ?
– Non certes, avait-il répondu avec la même gravité, je vous en donne ma parole.
Dès qu’ils furent en vue de Lou Mas, ils décidèrent de se séparer. Fleurette était maintenant en sûreté. Louise naturellement devait l’attendre, et peut-être aussi Pèpe. Il n’était pas question de tenir secrète leur promenade nocturne ; en vérité, Fleurette aurait aimé proclamer par-dessus les toits qu’elle et François étaient fiancés et qu’ils se marieraient dès que cette horrible guerre serait terminée. Il n’y avait pas de raison de le taire. Sûrement ni son père, ni M. Colombe n’élèveraient la moindre objection. Mais à cause du précieux dépôt qu’elle lui avait confié, elle ne voulait pas que François l’accompagnât ce soir à Lou Mas. Aussi le premier baiser fut-il suivi d’un autre, plus délicieux encore, mais plus poignant, parce qu’il était précurseur du baiser d’adieu.
Comme elle s’y attendait, Fleurette trouva Louise tout inquiète. Son père n’était pas rentré, et la vieille femme ne savait rien des événements tragiques du château. Fleurette lui en raconta une partie avant de gagner sa chambre. Elle se mit au lit comme dans un rêve où se mêlaient la joie et le chagrin, et s’endormit, la joue sur la main où François avait posé ses lèvres avec tant de ferveur.
Quand elle descendit le lendemain matin, Louise lui dit que son père était revenu assez tard dans la nuit et qu’il était reparti au petit matin dans la direction de Sisteron.