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Dans la prison

Fleurette, à présent, n’avait plus peur du grand homme de peine qui lui avait causé un tel effroi le jour où elle avait assisté, bouleversée, au sinistre divertissement des prisonniers. Depuis, elle l’avait vu fréquemment, et elle s’était accoutumée à ses manières vulgaires. Elle se rendait compte que c’était pour distraire les prisonniers qu’il lançait ses grosses plaisanteries et prenait des airs bouffons ; elle avait même parfois l’impression que c’était pour elle, pour amener un sourire sur ses lèvres, que ce géant se livrait à toutes sortes de farces. En dépit de ses airs grossiers, ce devait être un brave homme ; au surplus, elle l’associait dans sa pensée avec la lettre de François trouvée un soir à l’intérieur de son fichu – cette chère lettre qui lui avait mis tant de baume dans le cœur et l’avait aidée à supporter l’angoisse grandissante dans laquelle elle vivait, sans aucune nouvelle de son père depuis son entrée à la prison.

Et puis, il y avait eu aussi le départ de plusieurs de ses compagnes dont elle avait appris l’exécution. Celle de Claire Châtelard, en particulier, l’avait profondément affectée. Le manque d’air pur et d’exercice, comme la privation de joie et d’affection, commençaient à altérer sa santé. Ses joues perdaient leur fraîcheur, ses yeux leur éclat, ses lèvres leur sourire. C’était seulement à l’heure de la récréation prise en commun avec les autres détenus qu’elle reprenait un peu d’animation et de gaieté. Quand elle voyait passer le géant jovial qu’elle considérait un peu comme son ami, elle pensait à la façon mystérieuse dont lui était parvenue la lettre de François et se demandait, le cœur battant, si un autre message ne lui arriverait pas un jour de la même manière.

Or un soir, sans qu’elle pût deviner comment cela avait pu se faire, elle trouva dans son panier à ouvrage une lettre sans suscription. Et cette lettre, bien qu’elle ne fût pas de son écriture, venait de Pèpe ! Oh ! quelle joie ! Fleurette la lut, la relut, baisa la feuille qu’avait touchée une main chérie. Que son père lui avait manqué, et comme elle brûlait de le rassurer ! Elle n’avait plus peur à présent puisqu’il veillait sur elle. Oui, elle lui obéirait en tout ; elle ne desserrerait pas les lèvres si cette mauvaise Adèle essayait de lui faire du tort. Elle resterait calme et ne répondrait rien, comme le doux Sauveur lorsque ses juges l’interrogeaient.

Oh ! quelle bonne, quelle réconfortante, quelle précieuse lettre ! Et Fleurette avait trouvé en outre dans son panier un petit bout de papier sur lequel étaient griffonnés ces mots : Donnez-moi quelque chose pour votre correspondant afin qu’il sache que vous allez bien. Déposez-le dans votre corbeille à ouvrage, et je m’arrangerai pour le lui faire parvenir. Alors Fleurette avait écrit quelques lignes à son père chéri, lui disant qu’elle était en bonne santé, qu’elle n’avait pas peur et lui obéirait en toutes choses. Elle avait caché ce petit billet le soir même dans sa corbeille à ouvrage et, le lendemain matin, il avait disparu.