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ICI REPOSE AGNÈS DE SENNECOUR

Deux minutes de cliquetis, de chocs cristallins, de chocs sonores, de jurons, de cris de douleur, de vociférations, deux minutes d’ouragan déchaîné… et la place fut nette.

Clother de Ponthus, alors, s’arrêta, échevelé, couvert de sueur, couvert de sang, le pourpoint en lambeaux ; il s’arrêta, et il regarda Léonor d’Ulloa…

Elle souriait…

Dans la bataille, tout près de la mort, on a de ces mots qui ne veulent rien dire et qui contiennent un monde. Elle dit :

– Alors… vous étiez là ?…

Clother fit oui de la tête. Son cœur tremblait…

– Sus ! Sus ! gronda une voix, enfiellée de rage. En avant ! À l’assaut ! À mort ! Tue ! Tue ! Tue !…

– À mort ! vociférèrent les truands.

– Tue ! Tue !

– En avant ! En avant !

Clother avait tressailli ; cette voix qui avait donné l’ordre de mort, il crut la reconnaître. Mais un rapide coup d’œil lui montra la bande qui, s’étant ressaisie et reformée à trente pas de là, venait à lui, en bon ordre, et renforcée de quelques spadassins accourus sans doute à quelque appel. Ils étaient douze maintenant, sans compter le chef de l’expédition qui venait derrière, le visage caché dans les plis de son manteau. Quant à Juan Tenorio, Ponthus ne le vit pas…

– À la chapelle ! dit Clother.

Léonor obéit aussitôt, et marcha vers la petite porte laissée grande ouverte par Clother au moment de son irruption. Ponthus marchait derrière Léonor, mais à la façon d’une arrière-garde protégeant une retraite ; il marchait à reculons, face aux assaillants.

Les sacripants ne couraient pas : ils étaient décidés cette fois à une attaque méthodique, comme s’ils eussent eu à combattre une bande pareille à la leur ; ils avaient devant eux un homme, mais ils savaient maintenant ce qu’exactement il valait.

Léonor atteignit la chapelle sans encombre et entra.

À ce moment, Clother vit que deux des assaillants, sous la conduite du chef inconnu, se détachaient de la troupe et pénétraient rapidement dans l’hôtel.

À son tour, il entra dans la chapelle, ferma la porte à clef, poussa les verrous, fit une rapide inspection et dit :

– Cette porte est en chêne plein et bardée de fer ; elle tiendra dix minutes.

– Nous ne resterons pas dix minutes ici, dit Léonor ; tandis qu’ils attaquent la petite porte, sortons par la grande et…

Elle s’arrêta.

À cette grande porte qu’elle signalait et qui donnait dans l’intérieur de l’hôtel, un bruit venait de se faire entendre. Clother s’élança et voulut ouvrir.

Trop tard ! Du dehors, on venait de fermer ! Et Clother entendit la voix… la voix qu’il reconnut alors… la voix de Loraydan qui disait :

– Ne bougez pas d’ici, vous autres, et tuez-le s’il essaye de sortir par là !

– Eh bien ? fit tranquillement Léonor.

– Eh bien, dit Ponthus, nous sommes prisonniers… Écoutez ! Des coups de marteau retentirent : pour plus de sûreté, on enclouait la grande porte, de façon à concentrer toute l’attaque sur la petite.

– Je vous défendrai jusqu’à la mort, dit Ponthus.

– Nous mourrons ensemble, fit Léonor.

Dehors, c’était le grand silence des nuits hivernales…

De chaque côté de l’autel, il y avait un espace libre, en sorte qu’on en pouvait faire le tour. Clother, après une rapide inspection, se mit à obstruer l’un de ces deux passages, le plus éloigné de la petite porte. Il y avait dans la chapelle des bancs, des chaises, des fauteuils. En quelques minutes, il eut échafaudé une suffisante barricade. Léonor le regardait faire avec un intérêt passionné.

– Ils vont démolir la porte, dit Ponthus. Quand ils entreront, vous vous réfugierez derrière l’autel. Ce sera notre dernière forteresse. Grâce à cet amas de sièges enchevêtrés, ils ne pourront pas nous tourner, et seront obligés d’attaquer le seul passage libre. Vous voyez que ce passage est étroit, je crois qu’ils ne passeront pas facilement. En tout cas…

Il traîna deux énormes bancs de chêne derrière l’autel, et les dressa debout, contre l’autel même. Et, contemplant son ouvrage, il eut un sourire de satisfaction.

Un coup violent retentit à la porte, suivi d’une bordée d’injures furieuses.

Et ce fut étrange, la question qui, alors, tout à coup, se présenta à l’esprit de Léonor et qu’elle formula tout aussitôt d’une voix de fierté où il y avait une nuance agressive :

– Vous étiez là, seigneur de Ponthus. Et c’est heureux, j’en conviens. Mais comment en pleine nuit avez-vous pu pénétrer dans l’hôtel d’Arronces ?

Clother tressaillit.

– Madame, dit-il simplement, je suis entré en escaladant la grille.

– Vous avez escaladé la grille ? Et pourquoi ? Que veniez-vous faire à la chapelle de l’hôtel d’Arronces, passé minuit ?…

Clother eût pu répondre :

« Je venais vous sauver ! »

C’était trop facile, ou trop compliqué, c’était loin de lui. La vérité lui vint aux lèvres. D’un coup d’œil, il désigna le sarcophage du commandeur d’Ulloa :

– Sous les dalles que couvre ce tombeau, dit-il, est cachée une cassette de fer. J’en ai été avisé par l’homme qui m’a servi de père, par celui dont je porte le nom vénéré sans connaître mon vrai nom à moi, par le noble, le bon Philippe de Ponthus !

Léonor frémissait d’étonnement et de pitié.

Elle apprenait tout à coup que Clother de Ponthus ne s’appelait pas Ponthus, qu’il était sans famille ! Que n’eût-elle pas donné pour pouvoir s’approcher de lui, essuyer ces yeux où elle voyait poindre une larme, et lui dire : Je serai votre famille, moi !… Elle balbutia :

– Ainsi, cette cassette que vous veniez chercher sous le cercueil du commandeur…

– Contient des papiers qui me disent le nom de mon père et celui de ma mère…

– Vous ne connaissez pas votre mère ?…

– Elle est morte. Je ne la connaîtrai jamais.

– Et vous ne savez même pas son nom !…

– Ni celui de mon père, dit Ponthus d’une voix plus sombre. Et il détourna les yeux… Léonor baissa la tête.

Lorsque Clother, timidement, ramena sur elle son regard, il la vit qui pleurait…

Il alla à elle, s’agenouilla à deux genoux et dit :

– Laissez tomber sur moi une seule de ces larmes, Léonor, et s’il faut mourir tout à l’heure, je mourrai avec le paradis dans le cœur…

Elle se baissa doucement, le prit par les deux mains et le releva en murmurant :

– Clother, je ne veux pas que vous mouriez…

Un flot de joie puissante monta au cerveau de Clother. Il devint très pâle et ferma les yeux.

Un coup formidable ébranla la porte…

– Voici l’attaque, dit Clother soudain sur ses gardes.

– Je suis prête, dit Léonor.

– Vous resterez ici, reprit Clother en jetant un vague regard autour de lui.

Ce regard se heurta à l’inscription qu’il avait déjà lue :

Ici repose

la très noble Agnès de Sennecour.

– Puisque cet hôtel est à vous, dit-il, on a dû vous en faire l’histoire. Avez-vous appris qui fut cette Agnès de Sennecour qui dort ici son dernier sommeil ?

– Je sais, dit Léonor, que l’hôtel d’Arronces lui a appartenu. Je sais qu’elle est morte de désespoir à la suite d’un cruel abandon qu’on ne m’a pas raconté…

– Morte de désespoir ? fit Clother pensif.

– Pauvre femme ! murmura Léonor, qui, par une naturelle et douloureuse association d’idées, évoqua sa chère Christa, morte, elle aussi, d’un cruel abandon. Hélas ! ajouta-t-elle, combien sont-elles celles que l’abandon a jetées au désespoir, à la honte, à la mort !

– C’est la pire scélératesse, dit Clother, et la pire lâcheté.

Sous un nouveau coup plus rude, la porte craqua, se fendit… au-dehors, il y eut un hurlement de joie.

– Savez-vous, demanda Clother, quel est le digne gentilhomme qui s’est fait le chef de ces truands et dirige cette noble algarade ?

– Je l’ai vu, dit Léonor, en pâlissant d’horreur. C’est Juan Tenorio…

– Non, dit Clother. Juan Tenorio n’est ici qu’un instrument de honte aux mains d’un maître. Le chef de l’entreprise, c’est celui-là même qu’on vous a ordonné d’épouser.

– Le comte de Loraydan !

– Lui ! Je l’ai, par deux fois, reconnu à la voix… Ne l’eussé-je pas entendu que je l’eusse peut-être deviné au soin qui a été apporté à l’organisation de ce guet-apens. Ainsi…

Un craquement terrible l’interrompit… le râle de la porte expirante.

Cette fois la porte, après s’être défendue de son mieux, succombait, éventrée. Une large blessure la balafrait du haut en bas. Clother fit un mouvement pour s’élancer.

– Je vous suis ! dit Léonor avec fermeté.

– Si vous voulez que je puisse me défendre, restez ici ! dit froidement Clother.

– Allez donc, et que Dieu vous garde !

Clother s’avança et atteignit la porte à l’instant où le brave Riquet-la-Besace, emporté par son ardeur, essayait de pénétrer par la brèche, sans attendre la chute de la porte ; il y eut dans l’ombre un rapide éclair d’acier, et Riquet-la-Besace, avec un hurlement de douleur, retomba en arrière dans les bras de ses camarades où, l’instant d’après, il rendit sa belle âme à Satan fort empêché sans doute de savoir qu’en faire.

Et ce fut alors un assourdissant concert de jurons, de malédictions, d’apocalyptiques menaces. Mais une voix rude commanda :

– Que personne n’avance tant que la porte ne sera pas jetée bas !

Il y eut un silence terrible.

Puis, soudain, un furieux coup de tête de bélier ; la porte eut un gémissement éperdu ; mais vaillante, elle tenait bon encore, cramponnée à ses gonds, d’un suprême effort, vraiment pareille à un être vivant qui ne veut pas tomber… et, à bien regarder, au fond… une porte éventrée… un homme poignardé…

Des lueurs de torches éclairaient cette scène et se répercutaient dans la chapelle en fantastiques reflets mouvants. Clother sentait sa tête s’égarer. Une intense douleur le poignait au cœur. Il eut, à travers la déchirure de la porte, un regard, et il compta les assaillants nombreux, solides, furieux, bien armés, et il vit Juan Tenorio, l’épée au fourreau, les bras croisés, et il vit Loraydan qui ne se donnait plus la peine de se cacher et s’activait à diriger la manœuvre, et alors Clother ramena son regard tout chargé de désespoir vers Léonor…

Et brusquement retentit le coup, le dernier coup de grâce à la porte expirante ; elle s’abattit ; un fracas ; une clameur sauvage ; une ruée frénétique ; des visages convulsés par la haine ; des bouches tordues par l’effort de l’insulte ; des éclairs d’acier ; et là, dans l’encadrement de la porte, ce fut le combat à outrance, le combat à mort ; Clother frappait, ah ! il frappait sans relâche ; insensé, l’esprit exorbité, n’ayant plus de vivant en lui que cette pensée qui lui battait la cervelle à coups redoublés comme l’inlassable refrain du flot battant le rocher : Je ne veux pas qu’elle meure ! Je ne veux pas qu’elle meure ! Je ne veux pas qu’elle meure ! Et à chaque plongée de son bras vers cette masse grouillante, il y avait un cri, un jet de sang, une malédiction, et la masse grouillante avançait d’un pas, de deux pas, parmi des rumeurs sourdes coupées de brefs silences, oui, elle avançait, elle franchissait la porte… Clother était perdu !…

En deux bonds, il fut derrière l’autel…

Les bancs qu’il avait dressés là retombèrent lourdement…

La bande entrée dans la chapelle s’était arrêtée ; elle se formait, cherchait son ordre d’attaque, elle se taisait, mais avec des grognements brefs de sanglier, et il y avait les rapides commandements de Loraydan.

Clother haletait. Il était hagard.

Il ne comprenait pas ce répit qu’on lui laissait.

Mais il comprit tout à coup : la bande commençait à démolir la barricade qu’il avait édifiée : l’autel allait être tourné par les deux côtés… c’était la fin.

Il regarda Léonor et lui dit :

– Je vais mourir… et vous…

– Donnez-moi votre dague, dit Léonor.

Elle était rouge de sang. Clother l’essuya et la lui remit. Et elle dit :

– Clother, j’ai compris votre pensée. Si vous mourez, je jure de n’être à personne en ce monde, je jure que Tenorio ne mettra la main sur moi que morte, je jure de me tuer quand vous n’y serez plus pour me défendre. Mourez donc en paix, sire de Ponthus, et recevez ici le baiser de votre fiancée…

Alors, avec un gémissement de joie sublime et de douleur effrayante, il la saisit, tout sanglotant, et ils s’étreignirent éperdument, lèvres contre lèvres et ce fut là le baiser de leurs fiançailles.

 

De la barricade, il ne restait plus que bien peu de chose.

Clother assura dans sa main l’épée de Ponthus, et il dit :

– Adieu, Léonor…

Elle répondit doucement :

– Adieu, Clother…

À ce moment, elle eut un violent tressaut, ses yeux se troublèrent, son visage prit les teintes du lis, elle trembla, elle éprouva le frisson des mystérieuses épouvantes, elle recula, sa main tremblante désigna à Clother la grande plaque de marbre sur laquelle était gravée l’inscription relative à Agnès de Sennecour et, affolée, les yeux égarés, elle bégaya :

– Est-ce donc la mort qui déjà vient nous prendre ?… Oh ! Clother, Clother ! Est-ce déjà la tombe qui s’ouvre pour nous ?

Clother regarda, et lui aussi, il vit !

Ah ! Il vit que la plaque de marbre, lentement, lentement, se rabattait… que la tombe s’ouvrait… oui ! la tombe s’ouvrait ! et, frappé d’horreur lui aussi, immobile, frissonnant, les cheveux hérissés, il attendit qu’Agnès de Sennecour, que la morte se dressât devant eux et lui dit : « Venez avec moi à l’éternel repos, venez loin des turpitudes et des hontes, loin de l’effroyable méchanceté des hommes, venez dans la mort sauveuse et protectrice, venez dans la tombe !… »

Ce ne fut pas Agnès de Sennecour qui apparut alors.

Ce ne fut pas le spectre de la morte…

Ce fut une gracieuse, une adorable apparition de vierge blonde, et vivante, ah ! bien vivante, et qui, dans un délicieux sourire, leur dit :

– Vite, venez, venez et vous êtes sauvés !…

C’était la fille de Turquand !

C’était Bérengère !…

 

Ah ! c’était un admirable, un merveilleux mécanisme de défense qu’avait imaginé Turquand !

Il y a des esprits qui s’arrêtent toujours à mi-chemin dans l’exécution d’une conception. Il y en a d’autres qui n’éprouvent de repos qu’au moment où ils ont pleinement et jusqu’au bout exécuté la conception. Turquand était de ces esprits qui ne veulent rien laisser au hasard de ce qu’il est humainement possible de lui arracher.

Son système de défense était un chef-d’œuvre…

Lorsque, réveillée par le signal d’alarme, Bérengère avait pénétré dans l’armoire et poussé le verrou qui en immobilisait le mécanisme, elle commença à descendre l’étroit escalier qui s’enfonçait dans l’épaisseur du mur, et bientôt, elle parvint à un petit caveau circulaire.

Les ordres de son père étaient qu’elle devait s’arrêter là, et attendre une nouvelle sonnerie avant d’aller plus loin.

Plus loin ?

Oui : il y avait une petite porte à ce caveau, et là, commençait une galerie souterraine.

Bérengère ouvrit la porte ; elle vit la galerie ; elle hésita, tourmentée par la curiosité qui, depuis longtemps, lui était venue, de connaître l’aboutissement de ce boyau souterrain.

– Dans ces alertes que mon père imagine pour m’habituer, murmura-t-elle, je me suis toujours arrêtée au caveau. Pourquoi n’entrerais-je pas dans la galerie ? Pourquoi n’irais-je pas jusqu’au bout ?

Elle alluma une bonne lanterne accrochée au-dessous d’une veilleuse qui brûlait continuellement dans le caveau et, résolue à savoir, pénétra dans la galerie.

Au moment où elle s’aventura dans ce sombre boyau de pierre dont la pâle lueur de la lanterne ne faisait que lui mieux montrer les menaçantes ténèbres accumulées devant elle, Bérengère eut un rapide frisson… elle sentit la peur s’abattre sur elle.

Et elle voulut revenir en arrière.

Mais alors, il lui sembla… c’est si difficile à dire, et pourtant… oui : il fui sembla qu’il fallait qu’elle allât plus loin, plus loin encore, jusqu’au bout… qu’il le fallait !

Et toute secouée de frissons, l’esprit assailli d’étranges pensées, elle s’élança en avant.

Ce fut ainsi qu’elle parvint à un caveau semblable à celui qu’elle venait de quitter, et là, aussi, commençait un étroit escalier de pierre ; elle monta bravement, et si elle eût eu l’idée de compter les marches, elle eût constaté que cet escalier était l’exacte reproduction de celui qu’elle avait descendu ; elle arriva dans une sorte de chambre étroite…

– Ici, ce n’est plus une armoire, fit-elle en souriant.

Elle se trompait… c’était, en un certain sens, une armoire… l’armoire de la mort… c’était l’intérieur d’un tombeau ! Elle s’en aperçut presque aussitôt en voyant dans une sorte de niche un cercueil de pierre… elle recula, frissonnante ; mais la curiosité est l’un des plus puissants aiguillons de l’esprit… Bérengère s’approcha, et sur la face latérale du cercueil, mot à mot, lentement, elle lut cette inscription :

Le 30e de décembre de l’an 1518, moi, Philippe, seigneur de Ponthus, ai déposé ici les restes de celle qui fut Agnès de Sennecour, morte d’avoir été trompée par François, roi.

– Le roi ! murmura Bérengère.

Et, comme avait dit Léonor… comme elles disent toutes, parole de pitié, de douleur, de crainte, peut-être :

– Pauvre femme !…

À ce moment, ses yeux tombèrent sur un papier placé en évidence au rebord même de la niche où reposait le cercueil d’Agnès.

Elle le saisit vivement, et reconnut l’écriture de son père.

Voici ce que disait Turquand :

« N’aie pas peur. Si tu es poursuivie, tu es ici sauvée. Retourne-toi. Face à ce cercueil, vois cette grande plaque de marbre. Elle est ornée de trois têtes d’anges. Appuie fortement sur la tête du milieu. La plaque va se rabattre en dehors. Une fois sortie de ce tombeau, tu relèveras cette plaque qui reprendra sa place. Mais aie bien soin d’emporter avec toi cet écrit, de façon que ceux qui te poursuivent ne puissent trouver le mécanisme. Hors du tombeau, tu seras dans la chapelle de l’hôtel d’Arronces. Sors-en sans perdre une minute, et réfugie-toi chez mon confrère et digne cousin Jehan Lecoincte qui a reçu mes instructions. Adieu, mon enfant, je te bénis. »

Bérengère eut un soupir. Quelques instants, elle demeura pensive, les yeux fixés sur ces mots de l’inscription funéraire : Morte d’avoir été trompée par François, roi.

Puis, repliant soigneusement le papier, elle le remit à la place même où elle l’avait trouvé ; se conformant aux indications de Turquand, elle se retourna et se vit, en effet, en face d’une large plaque de marbre curieusement travaillé. Le principal motif de ces ornements consistait en trois têtes d’anges soutenues par des ailes. Bérengère s’approcha.

– Ainsi, dit-elle, si le secret de l’armoire de ma chambre était trouvé, si j’étais poursuivie, je n’aurais qu’à appuyer sur la tête de cet ange, et la porte du salut me serait ouverte… allons… retirons-nous… je sais maintenant où va la galerie souterraine…

Après un dernier regard sur le cercueil d’Agnès de Sennecour, Bérengère commença à redescendre l’escalier de pierre, mais soudain, elle s’arrêta, remonta vivement les marches descendues, colla son oreille à la plaque de marbre…

Les détails de l’affreuse bataille, les coups de bélier dans la porte de la chapelle, les cris, elle entendit tout cela distinctement ; elle écouta, le cœur palpitant, elle écouta les poignantes paroles d’adieu de Clother et de Léonor. Et elle comprit qu’il y avait là deux êtres jeunes, beaux sans doute, admirables, à coup sûr, d’amour et de dévouement et qu’à tout prix il fallait les sauver. Et elle songea à l’infinie reconnaissance qu’elle aurait, elle, pour qui, en pareilles circonstances, sauverait Amauri… son fiancé… le comte de Loraydan !

Oui, elle se dit qu’en actionnant la plaque de marbre, elle livrait à des inconnus le secret du mécanisme et de la galerie, et qu’elle détruisait peut-être la valeur d’un prodigieux travail exécuté pour elle, et qu’elle se condamnait peut-être soi-même à n’avoir plus aucun moyen de fuite et de salut si, un jour… si… elle pensa au cercueil d’Agnès !

Mais elle n’hésita pas !

Elle appuya sur la tête d’ange… la plaque commença à lentement s’ouvrir par en haut…