XXVI
LE ROI FRANÇOIS DÉCIDE UNE DANGEREUSE EXPÉDITION
Revenant de quelques jours en arrière, nous prions maintenant le lecteur de vouloir bien nous accompagner un moment jusqu’au Louvre.
Nous retrouvons François Ier dans son cabinet une heure après le départ de Loraydan. Le roi était en compagnie de quelques-uns de ses favoris, parmi lesquels Essé et Sansac, les deux inséparables, M. de Saint-André qui devait devenir maréchal de France, M. de Roncherolles, jeune gentilhomme de dix-huit ans qui débutait à la cour.
Le roi s’inspectait dans un grand miroir de Venise que le pape Léon X lui avait envoyé l’année du traité de Bologne, et il murmurait :
– Suis-je donc déjà assez vieux pour qu’on puisse me dire que je suis encore jeune ?
Il paraît cependant que le miroir du roi finit par se montrer plus clément, car François Ier, ayant renvoyé ses courtisans et gardé seulement les quatre que nous avons dit, s’écria, tout joyeux :
– Messieurs, ce soir, nous irons en expédition. Soyez ici à onze heures, et bien armés, car il paraît qu’il y a quelque émotion parmi ces damnés démons de la cour des Miracles.
Les quatre s’inclinèrent d’une même flexion des reins.
– Et où irons-nous, Sire ? demanda le comte d’Essé, qui savait fort bien que le roi attendait cette question.
– Mais nous irons au diable si cela plaît à Sa Majesté, assura Saint-André.
– Avec Sa Majesté, nous ne pouvons aller qu’au ciel, rétorqua le baron de Sansac.
Le petit Roncherolles se taisait. Il regardait. Il écoutait avidement : il faisait son apprentissage.
– Messieurs, dit François Ier en riant, nous n’irons ni au ciel, ni en enfer ; nous irons tout bonnement au chemin de la Corderie, bien qu’on puisse dire que ce chemin est vraiment l’enfer, tant il est loin du Louvre et plein de méchantes ornières, et qu’il est aussi le ciel, puisqu’un ange l’habite.
Le roi revenait donc sur sa décision d’attendre quelques jours avant de se livrer à une nouvelle tentative contre Bérengère – sur sa décision aussi de se préparer les voies en faisant arrêter Turquand sous prétexte de fausse monnaie.
Ces esprits de violence et de mensonge, ces esprits de ténèbres ont de ces hésitations et de ces soudains retours à l’audace.
Le roi se croyait sûr du concours de dame Médarde.
Il se disait qu’il entrerait dans le logis du chemin de la Corderie dès qu’il le voudrait sérieusement ; une fois dans le logis, ses quatre gentilshommes suffiraient largement à tenir en respect les quelques serviteurs de céans ; avec l’aide de Médarde, il se chargeait du reste.
Loraydan le lui avait dit : Pourquoi attendre ? Pourquoi pas demain ? Pourquoi pas ce soir ?
Le roi était resté sous l’impression de ce mot et se répétait :
« Pourquoi pas dès ce soir ? Pourquoi tous ces inutiles détours, ces précautions indignes de moi ? Je veux, par le jour de Dieu ! Cela doit suffire. »
À onze heures, Sansac, Essé, Roncherolles, Saint-André, tous quatre fieffés spadassins, braves de la spéciale bravoure des bretteurs, tous quatre légers de scrupules, la conscience en repos, à onze heures, donc, ces quatre gentilshommes se présentèrent au Louvre, la dague et la rapière de bataille au côté, le masque au visage – non pour se dissimuler comme on pourrait le croire, mais simplement parce que la mode était alors de garantir la figure contre le soleil du jour ou le froid de la nuit, comme on garantit les mains par les gants.
Le roi se faisait habiller :
Pourpoint et haut-de-chausses de velours noir, bottes montantes serrant la jambe jusqu’au-dessus du genou, toque de velours noir à plume blanche, grand manteau en drap fin des Flandres, gants souples en peau de daim, à hauts crispins, poignard à la ceinture, forte épée au flanc… ce n’était pas l’épée de Marignan.
Ils sortirent du Louvre, et certes, lorsqu’ils s’avancèrent par les rues noires, dans le vaste silence de Paris endormi, s’ils furent suivis à la piste par quelque truand, si quelque franc-bourgeois à l’affût les regarda passer d’un œil luisant, nul n’osa les attaquer, car à eux cinq ils formaient un redoutable groupe.
Lorsqu’ils atteignirent l’angle de la rue du Temple et du chemin de la Corderie, la grosse horloge de la forteresse, de sa voix grave et lente, racontait aux Parisiens d’alentour qu’il était minuit.
– Réveillons Loraydan et emmenons-le ! décida François Ier. Ho ! La porte de l’hôtel est entrouverte… que veut dire cela ?… Entrons !
Dans la cour, ils virent que trois fenêtres du rez-de-chaussée étaient éclairées…
Ils marchèrent à ces fenêtres…
Un sinistre silence pesait sur l’hôtel Loraydan…
Il y avait de l’horrible dans l’air…