L’innocente créature ouvrit les yeux et me sourit ; je la couvris de baisers. Un moment après, l’enfant se mit à crier ; je pensai qu’il avait faim ou soif. Je ne manquais pas de nourrices, mais il fallait regagner ma demeure, et j’avais au moins une heure de chemin à faire pour m’y rendre. J’avais emporté du vin de palmier dans une calebasse ; j’apaisai l’enfant en lui en faisant avaler quelques gouttes. Il se rendormit, et, chargeant la corbeille sur mon dos, je repris le chemin de ma grotte. Mon esprit était rempli de mille projets, qui tous avaient rapport à mon enfant, et dans une telle confusion d’idées que je ne pouvais les débrouiller.

À mon arrivée, je choisis la plus belle de mes chèvres laitières ; je posai le petit garçon près d’elle. Il saisit avidement une de ses mamelles ; pendant qu’il tétait, je caressais le docile animal, qui se prêtait de bonne grâce au service que j’en attendais. Bientôt la chèvre s’attacha à son nourrisson ; elle venait elle-même le chercher aux heures où elle avait coutume de lui donner son lait.

Lorsque j’eus pourvu au besoin de mon enfant, je me livrai à mes réflexions ; je sentais le besoin de me calmer et de me recueillir. « Enfin, me disais-je, voilà une société que le Ciel m’envoie ; je vais nourrir, soigner, instruire ce cher petit ; il me sera attaché par les liens de l’amitié et de la reconnaissance ; j’entendrai sa douce voix répondre à la mienne ; je l’aimerai, il m’aimera ; bonheur que je n’eusse jamais osé espérer !

» Je ne travaillerai plus pour moi seul, et mes travaux en deviendront cent fois plus intéressants. Il faut un berceau commode pour mon cher Tomy, c’est le nom que je veux lui donner ; j’ai assez de saule et d’osier pour le tresser ; dès demain je m’en occuperai. »

Je passai la soirée la plus agréable ; mon enfant, sur mes genoux, jouait avec les boucles de mes cheveux. J’appelai Castor pour lui faire faire connaissance avec lui ; il se montra d’abord un peu jaloux ; mais, en partageant mes caresses, je parvins à lui faire lécher les mains et le visage de l’enfant. Pour Coco, il paraissait charmé de l’augmentation de la famille et caquetait à nous étourdir. J’avoue que les mots qu’il prononçait ne me faisaient plus le même plaisir ; j’aspirais à entendre parler Tomy ; enfin j’avais un compagnon, un être humain qui partagerait ma solitude. Je ne me sentais plus de joie : ma vie me semblait toute changée, désormais je ne vivrai plus pour moi seul.