Nanti du portefeuille de Tristot et Pivolot, Luversan s’était fait conduire en voiture rue de Chanaleilles. Comme il approchait de l’hôtel Terrenoire, la pensée lui vint qu’une souricière pouvait y être établie et qu’il ne saurait manquer d’y tomber. Il ouvrit sa valise et en tira un petit sac.
– Ah ! ah ! fit-il en ricanant, ce coquin de d’Andrimaud m’a pris mon revolver ; mais il a oublié de me voler ceci.
En même temps, il vidait le sac qui contenait une perruque blanche des plus fines et une barbe de même couleur.
« Avec cela, pensa-t-il, je n’ai pas besoin de me faire raser. »
Et, rapidement, il se transforma en vieillard. Il eut soin de descendre à cinquante mètres de l’hôtel pour en observer les alentours. Le cocher qu’il paya en lui donnant un bon pourboire se contenta de lui dire :
– Mon bourgeois a rudement vieilli dans ma voiture.
La discrétion professionnelle interdisait à l’automédon d’ajouter un mot de plus. Il fouetta son cheval et lui fit prendre le petit trot sans se douter qu’il venait de conduire un grand criminel.
Le dos courbé, marchant à pas comptés, ayant tout l’aspect d’un octogénaire, Luversan inspecta la rue. « Rien de suspect au-dehors, se dit-il, mais si j’entre dans la place, je n’en sortirai peut-être plus que pour prendre le chemin de l’échafaud. » Il hésita encore quelques instants, et remettant sa destinée au hasard, il pénétra dans l’hôtel.
– Madame de Terrenoire est-elle ici ? demanda-t-il au suisse, en ayant soin de déguiser sa voix.
– Oui, Monsieur.
– Annoncez-lui monsieur Laugevin.
À l’annonce de ce nom, Andréa donna l’ordre de faire entrer le visiteur. « C’est lui ! pensa-t-elle. » Mais en apercevant le faux vieillard, elle recula d’effroi. Elle crut à un nouveau piège de la police.
Dès que la porte se fut refermée sur le domestique, Luversan, reprenant sa voix naturelle, s’écria :
– Ne me reconnais-tu donc pas Andréa ?
Disant ces mots, il fixa sur elle ses regards acérés.
– Nous n’avons pas une minute à perdre, ajouta-t-il. Dans un instant la police sera ici. Rassemble ce que tu as de plus précieux et suis-moi.
Andréa recula jusqu’au fond du vaste salon.
– Jamais ! s’écria-t-elle.
Mais déjà il l’avait rejointe et saisie par les bras.
– Il faut me suivre. Tu ne m’as pas aidé à reconquérir ma liberté pour me laisser partir tout seul à l’étranger. Nous sommes rivés l’un à l’autre, entends-tu bien.
Luversan avait trop présumé de ses forces. Il s’affaissa sur le tapis, aux pieds de sa complice. Andréa, affolée, ferma à clé toutes les portes du salon.
– Je ne mourrai pas ici, râla le misérable ; mais je n’ai pas devant moi dix heures d’existence, si tu m’abandonnes. Je t’en supplie, Andréa… Un peu de pitié !
Il s’était redressé en s’accrochant aux meubles. Puis il avait porté à ses lèvres la fiole contenant le secret de longue vie. Il n’en restait plus que quelques gouttes qu’il absorba avidement.
– Me voici régénéré, dit-il d’une voix forte. Oh ! pour quelques heures à peine ! Maintenant ma vie dépend de toi.
Il avait retiré sa perruque et sa fausse barbe. Andréa retrouva en lui l’homme qu’elle aimait encore d’un amour étrange, conçu dans le crime et développé à travers les visions de la morphine.
– Est-ce de l’argent qu’il te faut, lui dit-elle. Je n’en ai plus ; mais je possède encore des bibelots dont tu peux faire de l’or, je vais te les donner.
– Ce n’est pas de l’or qui me rendra la vie.
Il tira de sa valise le vaste portefeuille volé dans la cachette de Tristot et Pivolot.
– Nous avons là-dedans, les billets de banque, s’écria-t-il, donnés en paiement à Luvigny, les billets et valeurs que les policiers sont venus saisir ici, et jusqu’à leur fortune personnelle. Ça leur apprendra à se mêler de ce qui ne les regarde pas. Je suis disposé à leur rendre leurs titres, mais à une condition, c’est qu’ils cesseront de s’occuper de nos affaires. Donc, nous possédons un million. Mais à quoi sert d’être riche pour mourir ? Sans toi, Andréa, je suis un homme mort. Sans moi, Andréa, que deviendras-tu ? Il faut que tu me caches dans un asile sûr, que tu trouves un médecin discret pour me soigner. Dès que je serai guéri, nous partirons ensemble. Je sais un pays où la police française ne nous découvrira jamais.
– Comment as-tu fait, lui demanda-t-elle, pour avoir la force d’arriver jusqu’ici ?
Il lui expliqua rapidement les vertus du secret de longue vie. Puis, montrant le flacon :
– Je l’ai vidé jusqu’à la dernière goutte et je me sens régénéré. Mais avant deux heures d’ici, tout au plus, l’effet de cet élixir merveilleux dont, par malheur, je ne connais pas la composition, aura cessé. Hâte-toi de me conduire dans un asile où je puisse recevoir des soins immédiats. Fuyons, fuyons tous deux, et nous compterons encore de beaux jours. Nous devons vivre et mourir ensemble.
Il la dominait de toute la puissance de sa volonté.
– Je consens, dit-elle. Ton pacte, je l’accepte. Tu l’as dit : nous devons vivre et mourir ensemble ; mais prends garde si jamais tu viens à manquer à ta promesse. Tu prétends que tu m’aimes. À combien de femmes, avant moi, as-tu fait de pareils serments ? Serait-ce encore pour posséder une femme que tu as commis le crime de Ville-d’Avray dont tu ne m’as jamais parlé ?
– Non, répondit-il. Je te le jure !
– Cependant, il me semble qu’une femme a été mêlée à cette affaire. Le malheureux Laroque n’a jamais voulu dire de qui il tenait les billets de banque retrouvés dans sa caisse le lendemain du crime. Oh ! je connais maintenant dans tous ses détails le procès de Versailles que les journaux ont réédité, commenté sous toutes ses faces. La personne qui a rendu à Roger Laroque cent mille francs était une femme, une femme que tu connaissais. Réponds !
– Oui, je la connaissais.
– Comme moi, cette femme t’avait confié le soin de sa vengeance.
– C’est vrai. Elle haïssait Laroque, mais encore moins que moi. Cet homme a voulu me faire fusiller pendant la guerre de 1870. Je me suis associé à sa maîtresse pour le perdre, voilà tout.
– Et tu n’as jamais revu cette femme ?
– Jamais !
– Mais pourquoi Laroque voulait-il te faire fusiller ?
– Comme espion.
– Alors, tu espionnais pour le compte des Allemands ?
– Oui.
Elle eut un mouvement de dégoût.
– Je ne suis pas français, reprit-il, et j’aurais espionné tout aussi bien pour tes compatriotes que pour leurs ennemis. Je t’aimais, que t’importe le reste ! Tiens-moi compte de ma franchise en faveur de mon amour. Oui, je t’aime, et je n’ai jamais aimé que toi, et je te jure que tu n’auras jamais à te repentir de m’avoir sauvé.
Elle voulut se défendre de ses caresses : mais il l’avait saisie par les bras et embrassée longuement sur la bouche.
Andréa, vaincu, se pâma. Elle appartenait à l’assassin dont elle avait armé le bras. À son tour, la peur la prenait d’être arrêtée au moment de fuir avec le seul être dont l’amour la rattachait à la vie, à l’idée de liberté. Vite elle rassembla ses bijoux les plus précieux, pendant que Luversan se transformait en vieillard. Tous deux quittèrent l’hôtel sans être inquiétés. Ils marchèrent pendant dix minutes avant de prendre une voiture.
– Rue de Maubeuge, 24 bis, dit Andréa au cocher.
– Où me conduis-tu ? demanda Luversan.
– Dans un asile sûr. Donne moi deux mille francs.
– Pour payer le propriétaire de l’asile, n’est-ce pas ? Prends la valise et tout ce qu’elle contient. À l’heure actuelle, c’est toi qui diriges notre destinée. Tant qu’on peut acheter le silence, on est sûr d’en avoir à discrétion. Mais si dès le début, le silence se dérobe devant l’or, rappelle-toi ceci : il n’est pas de fortune qui puisse l’enchaîner. Es-tu sûr de la personne à qui tu vas demander un asile pour un grand criminel. Songe à quoi elle s’expose en me cachant. Cette personne est-elle ambitieuse des jouissances qu’on peut se procurer avec de l’or ?
– Laisse-moi faire. Nous n’avons plus que cet espoir. Si j’échoue, nous sommes perdus. Mais j’ai la conviction de réussir.
Le fiacre les arrêta devant une pharmacie dont la vitrine ressemblait à celles de toutes les officines du même genre. Toutefois, sur l’une des glaces, on lisait cette annonce tracée en lettres d’or.
CONSULTATIONS GRATUITES
De 9 heures à 11 heures du matin
par le docteur Vignol,
spécialiste pour les maladies des voies respiratoires
Au-dessus de la vitrine s’étalait le nom du titulaire de la pharmacie : Claudinet.
– Je reviens dans dix minutes, dit Andréa en descendant de voiture.
Auparavant, elle avait eu soin de prendre deux billets de mille francs dans la valise. Elle donna l’ordre au cocher de stationner quelques maisons plus loin ; puis elle entra dans la boutique.
– Je voudrais parler au docteur Vignol, dit-elle au vieux préparateur Machillard, en déguisant le son de sa voix.
– Il est à sa consultation ; mais si Madame veut bien prendre la peine d’attendre, je vais le prévenir et il expédiera rapidement la clientèle.
– Je suis pressée, dit Andréa, et… je paierai ce qu’il faudra.
– Madame veut-elle bien me donner l’adresse du malade, le docteur s’y rendra aussitôt après sa consultation.
Andréa tira de son porte-monnaie une pièce qu’elle glissa dans la main de Machillard et tout bas :
– Faites-moi entrer de suite dans le cabinet du docteur.
Il disparut dans l’arrière-boutique et revint un instant après.
– Suivez-moi, Madame. Le docteur vous attend.
Il ouvrit la porte du cabinet de Vignol, se courba obséquieusement en introduisant la visiteuse ; puis il retourna à son comptoir.
Le docteur Pierre Vignol n’avait nullement le type de ces spécialistes obscurs qui, faute de clientèle, faute de cabinet monté, opèrent entre boutique et cour dans des pharmacies la plupart du temps mal achalandées.
Grand, bel homme, très soigné de sa personne, les cheveux noirs, le teint mat, le front bas, proéminent aux arcades sourcilières, les yeux d’un bleu trouble et voilé par d’épais sourcils, le regard doux, mais fuyant, le menton relevé, les lèvres épaisses et d’un rouge vif, il présentait tous les signes qui révèlent une volonté de fer doublée d’une ambition effrénée.
Prévenu par Machillard de l’insistance de la dame voilée :
– Est-elle bien mise ? lui avait-il demandé.
– Magnifiquement !
– Faites entrer.
Le docteur désigna un fauteuil à Andréa, s’assit en face d’elle et d’une voix toute pleine d’aménité :
– Vous souffrez de la poitrine ? lui demanda-t-il.
Pour toute réponse, Andréa souleva son voile.
– Vous ! s’écria Vignol. Vous ici !
– Oui, moi ! J’ai un grand service à vous demander.
– Parlez ! Je n’ai rien à vous refuser. Je n’oublierai jamais les bontés que votre mari a eues pour moi. Je sais l’affection que vous portez à ma mère. Demandez, et s’il est en mon pouvoir de vous être utile, ce dont je m’étonnerais assurément, comptez sur mon dévouement.
Mme de Terrenoire lui tendit une main qu’il serra avec dévotion.
– Merci, docteur.
– Je m’intéresse à un malheureux que vous ne connaissez pas. Cet homme a tenté de se tuer, il y a quelques jours, en se portant un coup de poignard au côté gauche. Il est en danger de mort. Voulez-vous le soigner ?
– Pourquoi m’y refuserais-je ? C’est mon devoir de soigner les malades qui m’accordent leur confiance. Donnez-moi l’adresse de votre… protégé, et j’y cours.
– Mon protégé n’a pas de domicile.
Le docteur essaya vainement de comprendre.
– Imaginez, cher docteur, reprit Andréa, que mon protégé, comme vous dites, soit un conspirateur recherché par la police. Dans ce cas, il ne peut aller à l’hôpital sans courir le risque de s’y faire arrêter. Vous me direz qu’il peut prendre logement n’importe où et s’y faire soigner. Qui lui répondra de la discrétion du médecin ?
Andréa alla droit au but.
– Docteur, dit-elle, je sais que vous êtes pauvre et que vous faites ici un métier qui vous répugne.
– En effet. Je suis tout bonnement le pourvoyeur de ce gueux de Claudinet qui est bien le plus franc coquin que la terre ait porté.
– Vous aspirez à devenir votre maître et à mettre à profit les belles facultés dont la nature vous a doué. Combien vous faudra-t-il pour vous établir dignement ?
Vignol leva les bras au ciel.
– Beaucoup trop, dit-il. N’en parlons plus. Il ne s’agit pas seulement aujourd’hui de m’acheter quelques meubles et de louer un second étage dans une maison propre. Cela m’aurait suffi il y a deux mois.
– Et maintenant ?
– Maintenant, je suis amoureux… amoureux fou.
– Combien vous faudra-t-il ?
– Cinquante mille francs.
– Vous les aurez.
À cette affirmation, Vignol devint pourpre.
– Qui me les donnera ? dit-il.
– Moi.
– Qu’avez-vous donc d’inouï, d’impossible, d’épouvantable à me demander ?
– De soigner un malade sans savoir son nom et le motif de sa tentative de suicide.
– Oh ! vous n’avez pas que cela à me demander.
– De soigner ce malade chez vous.
– Chez moi ! Mais je n’ai pas de chez moi, vous le savez bien. Je demeure chez ma pauvre mère, au cinquième étage, rue des Abbesses.
– Vous louerez de suite un appartement et j’y ferai transporter mon malade. Voici deux mille francs pour les premières dépenses. Avez-vous un appartement en vue ?
Vignol prit les billets de banque. Il était très ému. Il sentait bien que cette femme l’entraînait à commettre un acte qui ferait de lui le complice de quelque mystérieuse machination. Mais ces trois mots : Cinquante mille francs, résonnaient encore à son oreille.
– J’ai un appartement en vue, dit-il.
– Où ?
– Rue de Moscou.
– Cet appartement est libre ?
– Il l’était encore hier.
– Connaissez-vous un tapissier qui puisse vous monter de suite une chambre à coucher ?
– Oui ; mais qu’entendez-vous par : de suite ?
– Il faut que la chambre soit prête dans une heure au plus tard.
– C’est impossible.
– Avec de l’argent, rien n’est impossible. Le principal est d’installer un bon lit. Il est dix heures ; à onze heures précises, le malade sonnera à votre porte. Vous le recevrez. Il prendra possession de sa chambre et nul ne saura qu’il est chez vous, pas même votre mère. Faites l’impossible. Quel numéro, rue de Moscou ?
– 66, au premier étage. Mais votre malade ne pourra jamais monter l’escalier, s’il est grièvement blessé.
– Il le montera quand même. Je l’accompagnerai ; car il me faut aussi une chambre dans votre appartement.
– À vous ? Mais… votre mari ?
– Il me cherche.
– Et il ne faut pas qu’il vous trouve ?
– Comme vous dites.
Le docteur crut, cette fois, avoir la clé du mystère. « L’amant de cette femme, pensa-t-il, aura fait des bêtises. Il s’agit de les cacher tous les deux. J’aime mieux ça que ce que j’avais supposé. » Il promit que tout serait prêt à l’heure dite.
Andréa alla retrouver Luversan et donna l’ordre au cocher de les conduire au petit pas, rue de Moscou. Les secousses produites par les cahots de la voiture sur le pavé ravivaient peu à peu les souffrances du blessé. Il pâlissait de plus en plus et devait ménager ses paroles.
Andréa fit arrêter la voiture, rue de Moscou, du côté des numéros impairs, de façon à pouvoir surveiller les allées et venues du 66. Bientôt, elle vit arriver une charrette à bras contenant un lit, quelques fauteuils, une table et des chaises.
À onze heures précises, Luversan, s’appuyant sur le bras d’Andréa, gravissait l’escalier. Il était à bout de force. Il dut rassembler toute son énergie pour ne pas tomber durant cette courte ascension.
Andréa n’eut pas besoin d’appuyer sur le timbre de la porte d’entrée. Le docteur les attendait ; il ouvrit. Luversan fit deux pas en avant, puis il s’affaissa inanimé dans les bras du médecin qui le transporta sur le lit, le déshabilla avec mille précautions, puis examina la blessure dont l’appareil était défait.
– Cet homme, dit-il, peut mourir ici. Il faudra bien alors déclarer son nom.
– Il ne mourra pas ici ! Vous le sauverez !
– Merci pour le compliment. Par malheur, serais-je le premier de nos Esculapes, de ceux qui ne donnent pas un coup de lancette à domicile sans recevoir des billets de mille, je ne réponds nullement de sauver ce malheureux.
– Essayez.
– Très bien ; mais s’il meurt, comment voulez-vous que je tienne ma promesse de vous garder le secret ?
– Nous en causerons tout à l’heure. Occupez-vous du malade.
Andréa alla s’asseoir près de la fenêtre déjà garnie de doubles rideaux.
Vignol replaça l’appareil de la blessure et glissa goutte à goutte, entre les lèvres de son client, une cuillerée d’un cordial dont il s’était muni.
Luversan rouvrit les yeux. Il eut un moment d’effroi en se voyant couché dans un lit. Les événements de la nuit et de la journée lui semblèrent un long rêve dont il sortait. Mais bientôt il eut conscience que tous ces événements si extraordinaires, si invraisemblables, si bien du domaine du songe, étaient réels.
– Andréa ? murmura-t-il.
Elle s’approcha à son appel.
La mémoire revint tout entière au misérable. Il se rappela aussi qu’il avait un rôle à jouer et se hâta de remercier son médecin.
Vignol commença à se rassurer un peu sur les suites de ce pacte conclu entre lui et Mme de Terrenoire. Il appuya l’oreille contre la poitrine du malade, écouta longuement le râle de sa respiration haletante, essaya d’établir un diagnostic certain.
– Le poumon droit, dit-il, est complètement sain ; mais le gauche, ah ! vous l’avez bien arrangé. C’est miracle que vous ayez pu supporter la fatigue et le grand air. Pour l’instant, je ne vois qu’un remède : l’immobilité absolue, le silence. Nous verrons dans deux jours.
Vignol passa dans la chambre voisine et fit signe à Andréa de le suivre.
Puis il referma la porte.
– J’ai un peu d’espoir de le sauver, dit-il ; mais s’il allait tout à fait mal, je me verrais obligé, pour ma sûreté personnelle, de le faire transporter d’urgence dans un hôpital. En ce cas, puis-je être assuré qu’il ne dira jamais d’où il vient ?
– Certainement. Il me semble d’ailleurs que vous vous inquiétez mal à propos. S’il mourait ici, vous avez une excuse toute naturelle. Vous diriez : « Un inconnu est venu me demander de le soigner chez moi ; j’ai accepté, comme c’était mon droit. » Pour le reste, vous vous retrancherez derrière le secret professionnel.
Elle tira de sa poche un élégant portefeuille et en tira dix-huit billets de mille qu’elle compta un à un sur le marbre de la cheminée.
– Prenez ceci, dit-elle. Cela fait, quoiqu’il arrive, vingt mille francs que vous aurez reçus de moi. Encore supporterai-je tous les frais accessoires. Faites meubler à la hâte, d’ici à ce soir, deux autres pièces, une pour vous, une pour moi et annoncez par dépêche à votre mère que vous êtes parti en voyage. C’est moi qui servirai de garde-malade, préparerai les tisanes et les repas. Je ne veux d’aucune aide. Le complément de la somme vous sera servi par moi après la guérison, avant notre départ.
Le docteur, que cette petite fortune comblait de joie, installa Mme de Terrenoire au chevet du malade et sortit pour hâter l’aménagement provisoire.
Andréa s’était enfermée à clé dans la chambre où elle veillait son complice.
Vers quatre heures de l’après-midi, comme le docteur Vignol sortait d’un bureau de télégraphe d’où il avait envoyé à sa mère une dépêche explicative de son absence, cette annonce hurlée par un camelot l’arracha à ses préoccupations : Demandez l’évasion de Luversan – Le crime de Ville-d’Avray.
Il acheta le journal et lut l’article d’un bout à l’autre. Ce passage : « avec une énergie qui tient du prodige, le blessé avait réussi à gagner la campagne et sans doute à rentrer à Paris » le frappa d’épouvante. Il le rapprocha de la phrase que Mme de Terrenoire lui avait répétée à plusieurs reprises quand il s’étonnait des précautions dont elle s’entourait pour cacher son protégé : « Vous ne me comprendrez que trop tôt. » Il n’en doutait plus : c’était l’assassin de Larouette qui se cachait chez lui, avec… Mme de Terrenoire, sa complice, peut-être !
Et le docteur Vignol songea à cet autre crime mystérieux : l’assassinat de Brignolet. Une induction terrible lui traversa le cerveau.
– Le crime commis à la banque Terrenoire, conclut-il, est l’œuvre de Luversan. L’assassin n’a volé le mari que pour s’enfuir avec la femme.
Ainsi donc, les billets de banque que Vignol venait de recevoir provenaient du butin de Luversan.
– Oh ! oh ! fit le docteur. C’est grave, très grave !