CHAPITRE XLIV

 

Mais Laroque avait trop présumé de ses forces. Depuis bientôt cinq jours qu’il vivait séparé de sa fille, tout entier aux souvenirs du passé et à la poursuite du but suprême, une fièvre intense s’était emparée de lui. Tout autre à sa place fût tombé, anéanti par l’excès du mal. Roger ne prenait pas le temps de s’écouter. Si, par hasard, il se fût regardé dans la glace, il eût été effrayé du changement qui s’était fait dans ses traits. Les battements précipités de son cœur, il les attribuait à l’émotion due à ces longues conférences avec le misérable dont il aurait pu, la veille, arracher les aveux par la force.

Toutefois, en reprenant le train pour Maison-Blanche, il fut pris d’une telle faiblesse générale qu’il s’affala, à demi évanoui, dans son compartiment. Un heureux hasard lui avait donné pour unique compagnon de voyage un médecin de Sceaux, le docteur Lagache, qui se rendait tout justement à Méridon, sur l’appel de Raymond, pour donner ses soins à Mme de Noirville, atteinte d’une anémie chronique.

– Vous souffrez, Monsieur ! demanda le docteur à Roger.

– Oh ! oui, murmura celui-ci.

– Je suis médecin. Voulez-vous me permettre de vous donner un conseil ?

– Volontiers, Monsieur. Je ne veux pas être malade, je n’en ai pas le temps. Ce serait épouvantable.

– Depuis combien de temps souffrez-vous ? demanda le médecin.

– Mais… je ne sais… depuis aujourd’hui.

– En arrivant chez vous mettez-vous au lit. La soirée ne se passera pas sans que je vienne prendre de vos nouvelles, en sortant de Méridon.

– Madame de Noirville serait-elle en danger ? demanda Roger.

– Je ne sais encore. Vous la connaissez ?

– Un peu.

Il dit ces deux mots en poussant un soupir. Déjà, le délire s’emparait de lui.

– Docteur, s’écria-t-il, sauvez-moi !…

– Mais vous n’êtes pas en danger, vous, Monsieur. Un traitement énergique peut vous remettre debout en deux ou trois semaines tout au plus.

– Vous dites ?

– Quinze jours… tout au moins.

– Alors, je suis perdu !

Le docteur avait reconnu les symptômes de la fièvre typhoïde.

– Ce ne sera rien, vous dis-je.

À la station de Saint-Rémy, le docteur, aidé des employés, porta le voyageur dans sa voiture. Suzanne se montra vaillante ; elle renferma sa douleur en elle-même, fit promettre au médecin d’accourir sans retard au chevet du malade.

Vingt minutes après, Roger Laroque revenait à lui, étendu sur son lit ; Suzanne le veillait. Les tempes lui battaient un peu moins fort. Il y avait accalmie dans la fièvre.

– Chère enfant ! dit-il.

Mais, aussitôt, le souvenir lui revint.

– Si tu savais ! s’écria-t-il en pleurant. J’ai rendez-vous, demain, avec… avec l’assassin de Larouette.

Suzanne crut qu’il délirait de nouveau. Elle l’embrassa.

– Calme-toi, père. Le médecin va venir… tout à l’heure. Il m’a juré que ce n’était qu’une indisposition.

– Mais je suis calme, très calme. Je me sens même beaucoup mieux. Donne-moi à boire !

– Non, père. Le médecin l’a défendu.

– À boire, te dis-je. Mais j’ai du feu dans la gorge. À boire !

Elle lui tendit une tasse de tisane chaude.

– Pas cela ! s’écria-t-il.

Et, se jetant à bas du lit, il courut prendre, sur une cheminée, une carafe pleine d’eau, la vida presque d’un trait, malgré les supplications de Suzanne.

La fraîcheur de l’eau l’avait soulagé pour un instant. Il chargea Suzanne de guetter l’arrivée du docteur.

– Oui, père.

Elle se retira sans lui demander aucune explication. Un instant après, elle revenait s’asseoir au chevet de son père qui, les yeux fixés sur la pendule, attendait avec anxiété la venue du médecin.

Enfin, une voiture s’arrêta devant la grille. Un coup de sonnette retentit.

Roger renouvela ses instructions à Suzanne.

– Descends tout de suite, et dis-lui qu’il fasse un miracle.

Suzanne se hâta de lui obéir.

Les yeux du malade flamboyaient.

C’était bien le docteur Lagache.

– Mon père, lui dit Suzanne, m’a chargée de vous supplier de le mettre en état de sortir demain. Mon père est bien mal, n’est-ce pas ? Ne me cachez rien, Monsieur. Je serai forte.

– Mademoiselle, répondit le docteur, je ne saurais, en mon âme et conscience, me prononcer aujourd’hui. Il est certain que votre père est atteint d’une fièvre qui exigera de longs soins. La forte constitution du malade en viendra à bout très probablement. Mais où nous procurer de la glace immédiatement ?

– Nous avons ici une glacière.

– Qu’on se hâte, Mademoiselle. Il est incroyable que votre père ait pu aller et venir aujourd’hui.

Le docteur Lagache entra dans la chambre du malade.

Après un examen minutieux des symptômes, il ne douta plus de l’existence d’une fièvre typhoïde ; mais, conservant un visage impassible, il ne laissa percer aucune de ses inquiétudes.

– Eh bien ? demanda Roger avec anxiété.

– Je ne puis encore me prononcer.

– Serai-je sur pied demain ?

– Peut-être. Cela dépendra du succès de la médication énergique dont je vais faire usage.

James, valet de chambre amené de New York par Roger, apporta la glace. Les compresses furent apprêtées immédiatement, enroulées autour de la tête du patient qui en éprouva un grand soulagement.

– Allons, dit-il, je me sens mieux. Demain, à huit heures, je serai à Ville…

Il n’acheva pas, ferma les yeux et essaya de dormir. Le docteur se retira en promettant de revenir le lendemain. La nuit fut relativement calme. Suzanne put dormir deux heures dans un fauteuil. James veillait, prêt à accourir au premier signal. Ils avaient pris soin de fermer les rideaux des fenêtres ; mais le matin, quand les voitures des maraîchers revenant de Paris commencèrent à rouler lourdement sur la route, Roger demanda quelle heure il était.

– Cinq heures, répondit Suzanne.

– À dix heures, déclara le malade avec assurance, je me lève, je m’habille, je déjeune légèrement et je pars.

Il referma les yeux, forçant le sommeil, faisant provision de repos.

À dix heures, il était debout, s’habillant avec l’aide de James.

Suzanne avait épuisé sans succès ses supplications. Le visage inondé de larmes, elle attendait la fin de cette tentative désespérée. Ce ne fut pas long. Soudain, le père s’affaissa dans les bras du fidèle James. C’en est fait de Roger Laroque. Adieu la vengeance, adieu la réhabilitation !

Il s’étend dans un fauteuil, se prend la tête dans les mains, réfléchit. Il congédie James, appelle Suzanne auprès de lui. Il ne délire plus, il est en possession de toutes ses facultés.

– Mon enfant, dit-il, d’une voix calme, il est exact que ce soir même, j’aurais été à même de prouver à mes juges qu’ils ont frappé un innocent. Écoute-moi, et surtout ne doute pas un seul instant de l’exactitude de mon récit.

Lentement, sans exaltation, il raconte à Suzanne, comment grâce à la mémoire prodigieuse de son voisin, le père Cuvellier, ancien agent de police, il a retrouvé Mathias Zuberi dans Luversan, retrouvé Luversan lui-même par l’escroc d’Andrimaud ; dans quelles circonstances il s’est lié avec son ancien sosie au point de l’appeler « mon cher ami ».

– Mais, mon père, c’était encore risquer votre vie.

– Non. Je ne te dis pas tout. Cela m’épuiserait ; je vais me recoucher. Qu’il te suffise de savoir que toutes mes précautions sont prises, que l’assassin tombera dans un piège comme on n’en a jamais vu. Il sera pris le poignard à la main, levé sur moi.

– Sur vous ! Mais…

– Tranquillise-toi… Je serai cuirassé.

Mais Roger a épuisé ses forces en faisant ce récit. Il sent la fièvre le dominer. Le délire lui monte au cerveau.

Roger appelle James qui l’aide à se déshabiller, le couche et lui enveloppe de nouveau la tête dans des compresses glacées. Dès qu’il se sent un peu plus calme, il redemande Suzanne.

– Mon enfant, dit-il, puis-je compter absolument sur ta discrétion, quoi qu’on tente pour te faire parler ?

– Oui, père.

– Je vois qu’il me faudra de longs jours pour chasser cette abominable fièvre qui m’étreint. D’ici là, tu auras peut-être des assauts à subir de la part de gens intéressés à connaître un secret dont j’ai fait la sottise de leur toucher un mot avant-hier. Je veux parler des braves Tristot et Pivolot. Certainement, ils croient à mon innocence, mais ils mettront leur gloire à trouver par eux-mêmes un coupable contre qui planent de graves présomptions au sujet de l’assassinat de Brignolet. Ils viendront pour savoir. Ils épieront mon délire.

– Faudra-t-il les éconduire ?

– Non. Ce serait imprudent. Il ne faut se fier qu’a demi à tout homme que l’esprit de police gouverne. Ferme ma porte aux curieux. Et maintenant, agissons.

Sur l’ordre de son père, Suzanne apporta une petite table de travail, une plume, de l’encre, du papier.

– Écris, dit Laroque.

Et il lui dicta cette dépêche à adresser à Luversan, chez d’Andrimaud, rue de Rivoli :

« Mon cher ami,

« Je suis rentré très malade, et le docteur Lagache, de Sceaux, qui me soigne, craint que j’en aie pour près d’un mois. Dès que je serai remis, je vous préviendrai, et deux jours après, je vous verserai la somme en question. Mes amis sont revenus sur leur première appréciation de notre affaire financière. Ils la trouvent très bonne, après les explications que je leur ai données, d’après vos idées personnelles.

« Votre bien dévoué,

« WILLIAM FARNEY.

« À Maison-Blanche, près Chevreuse. »

La main de Suzanne tremblait en écrivant ces lignes.

Signer « votre bien dévoué » à un homme dont le crime, resté impuni, est retombé sur votre tête et vous a mis au nombre des réprouvés, lui paraissait un sacrifice au-dessus des forces humaines.

Roger Laroque le faisait, ce sacrifice. Pour attirer le scélérat dans le piège, il l’eût embrassé au besoin.

Il importait maintenant de prévenir Tristot et Pivolot, ce qu’il fit par la dépêche suivante :

« Très malade. Projet remis après guérison. Rien ne presse.

« À vous,

« WILLIAM FARNEY. »

Il fallait aussi se précautionner contre un bavardage d’Andrimaud, et Roger dicta cette lettre destinée à renforcer la discrétion de ce maître escroc :

« Cher monsieur,

« Je suis tombé subitement malade en rentrant chez moi, ce qui retarde mes projets. Si vous avez besoin de deux mille francs, venez les prendre ici. À mon défaut, ma fille vous les remettra.

« Comme l’affaire en question prendra plus de temps que je ne pensais, je me considère comme étant votre débiteur de cinq mille francs, si vous voulez bien ne pas perdre de vue Luversan, dont j’ai besoin pour une combinaison avantageuse à laquelle j’espère vous intéresser, malgré lui.

« Tout à vous,

« WILLIAM FARNEY. »

– Ma lettre est à deux fins, observa Roger. Si d’Andrimaud vend la mèche, Luversan ne pourra que se réjouir. Luversan croira simplement que je tiens à lui, à ses combinaisons financières, au point de le faire surveiller par son alter ego. Mais d’Andrimaud ne parlera pas. Il aurait trop peur de perdre une gratification si facile à gagner.

Suzanne était effrayée de l’effort prodigieux que faisait son père pour parer aux dangers créés par cette maladie si inopportune.

– Reposez-vous, père. Vous allez vous tuer.

– Je me reposerai quand j’aurai fini. Il me reste à régler une formalité pour le cas où je viendrais à… à mourir… sans avoir eu la joie d’être réhabilité, de t’avoir rendu un nom honoré. Écris.

Il dicta ce qui suit :

« Monsieur le Procureur de la République,

« L’assassin de Larouette est un sieur Luversan que vous découvrirez facilement en faisant surveiller le sieur d’Andrimaud, directeur du Sauveteur des Capitalistes, rue de Rivoli. Ces deux hommes se voient tous les jours.

« Ce Luversan n’est autre qu’un certain Mathias Zuberi que j’arrêtai, comme espion prussien, place du Martroi, à Orléans, quelques jours après la bataille de Coulmiers. Ce misérable, déguisé en paysan, avait fait tomber ma compagnie dans une embuscade, à la ferme des Mazures, près de la forêt de Marchenoir… Fait prisonnier par les Allemands, je pus m’échapper pendant la nuit, et j’eus la bonne fortune de le retrouver et le reconnaître, malgré son nouveau déguisement. On devait le fusiller le lendemain, mais il parvint à desceller un barreau de son cachot et disparut après avoir gravé sur la muraille ces lignes menaçantes :

« Au sous-officier de cavalerie qui m’a fait arrêter et qui a failli me faire exécuter…

« À charge de revanche !

« MATHIAS ZUBÉRI. »

« Comment cet homme parvint-il à savoir, par la suite, que j’avais remboursé une forte somme à Larouette ? Comment, après avoir assassiné ce dernier, sacrifia-t-il une bonne partie de son butin en faisant rentrer mes billets de banque dans ma caisse, pièces à conviction qui devaient me perdre ? c’est ce que je ne puis dire. Cet homme se trouvait sans doute en relations avec une personne qui, le lendemain du crime, me remboursa cent mille francs en billets, parmi lesquels on glissa ceux qui m’ont perdu. Le nom de cette personne, nul ne le connaîtra jamais. Pas plus aujourd’hui qu’en 1872, je ne dirai rien à cet égard. L’honneur me défend de parler.

« Je termine en désignant également Luversan comme étant l’assassin de Brignolet. À cet égard, MM. Tristot et Pivolot ont en main de quoi vous édifier. Je pardonne à mes juges.

« ROGER LAROQUE. »

Le malade fit mettre cette déclaration sous enveloppe cachetée à la cire, pria Suzanne de la cacher sous une feuille du parquet dont il avait fait un compartiment secret et où se trouvaient déjà divers papiers, notamment des lettres de sa femme et des Bénardit.

– Et maintenant, dit-il, je puis mourir.

– Vous vivrez, père. Il serait impossible que Dieu nous abandonnât au moment où votre cause est sur le point de triompher.

Suzanne fit atteler la voiture et partit à Saint-Rémy pour assurer elle-même le départ des lettres et de la dépêche.

À son retour, le malade était en plein délire.

La vue de Suzanne eut le don d’apaiser l’accès, et quand le docteur Lagache arriva, il n’eut pas à constater de complications dangereuses.

Même Roger put soutenir avec lui une conversation à peu près suivie.

– Vous avez vu madame de Noirville ? lui demanda-t-il.

– Oui. Elle est bien faible. Je lui ai recommandé de l’exercice. Elle sortira tous les jours et même, ayant appris de moi que vous étiez malade, elle se propose de venir vous voir dès que vous entrerez en convalescence, ce qui ne sera pas long, j’espère.

– Elle viendra ! s’écria Roger, terrifié. Ici !

Le docteur regretta son indiscrétion.

– Si vous ne tenez pas à la voir, dit-il, je m’en charge. Je lui dirai que votre état de santé ne vous permet pas de recevoir de visites.

– Oh ! oui, Monsieur, qu’elle ne vienne pas !

– C’est entendu, Monsieur.

C’était le commencement d’une nouvelle crise de délire. Le docteur se retira après avoir fait renouveler les compresses glacées et prescrit une nouvelle ordonnance.

À partir de ce moment, la fièvre typhoïde suivit son cours normal. Vingt fois, on crut le malade perdu. Il eut même une syncope qui dura cinq heures, durant lesquelles Suzanne le pleura comme mort ; puis la respiration, suspendue subitement, reprit peu à peu. Les joues, dont le sang s’était retiré, se colorèrent vaguement d’une teinte rose et la vie recommença.

Roger l’avait prévu : Tristot et Pivolot, furieux de ne retrouver nulle part la piste de Luversan, qui ne sortait plus que la nuit depuis son aventure d’hôtel garni, venaient tous les jours demander des nouvelles du malade.

Ils épiaient sa résurrection, convaincus maintenant qu’ils étaient que leur « bonhomme », comme ils disaient entre eux, en savait très long.

Mais, invariablement, tout en se montrant très aimable envers les visiteurs, Suzanne les retenait au salon.

– Je vous en prie, Messieurs, leur disait-elle, de la patience. Dans quelques jours, mon père sera en état de vous écouter. En ce moment, la moindre émotion peut le tuer.

Un autre visiteur se présentait de temps en temps : d’Andrimaud. Il emportait chaque fois un billet de cinq cents francs à valoir pour ses frais de surveillance de Luversan, dont lui seul connaissait la retraite et à qui il était chargé de porter des nouvelles du malade.

Une autre visite plus agréable à Suzanne : celle du garde Petit-Louis, homme discret par excellence. Tous les deux jours, Raymond l’envoyait prendre des nouvelles du malade et en même temps de Suzanne. Certes, la jeune fille ne l’oubliait pas ; mais elle était tout entière à son père. Pour le soigner, ses forces s’étaient décuplées. Elle ne sentait pas la fatigue.

– Elle est vaillante, disait le garde à Raymond. Mais gare à la réaction, quand son père sera rétabli… S’il se rétablit.

Un après-midi que Suzanne était au chevet de son père, Tristot et Pivolot attendaient au salon les nouvelles quotidiennes. Soudain, la porte s’ouvre. Un troisième visiteur entre. C’était d’Andrimaud. Il attend son tour, comme les autres, et au domestique qui lui dit :

– Monsieur va plus mal ; je ne crois pas que Mademoiselle puisse recevoir.

Il répond :

– Ce n’est pas votre affaire. Annoncez-moi.

L’escroc tire un journal de sa poche et baisse le nez. Mais les deux policiers l’ont vu et ont échangé un regard d’intelligence. Cette figure ne leur est pas inconnue. Dans tous les cas, ce n’est pas la tête d’un honnête homme.

De son côté, d’Andrimaud s’est demandé dans quel couloir de juge d’instruction il a bien pu apercevoir les silhouettes de ces messieurs. Et soudain la mémoire lui revient. Lors de sa grosse affaire d’escroquerie, il entendit chuchoter des agents de la Sûreté au sujet de deux entêtés policiers amateurs qu’ils se désignaient sournoisement à la porte de leur chef chez qui on venait d’amener le futur propriétaire du Sauveteur.

Et, pendant ce colloque, d’Andrimaud avait dévisagé les deux hommes afin de pouvoir les reconnaître au besoin. Comme il ne tenait nullement à être filé par ces messieurs, au sortir de chez l’Américain, il décampa lestement.

– Que pensez-vous ? demanda Tristot à Pivolot.

– Et vous ? riposta Pivolot à Tristot.

Tous deux convinrent qu’ils cherchaient dans leur mémoire un nom à mettre sur le visage de l’homme très bien mis devant qui le hasard, ce serviteur intermittent de la police, les avait placés.

Mais ils eurent beau secouer leurs souvenirs, ils ne trouvèrent rien.

– Que pensez-vous ? réitéra Tristot à Pivolot.

– Je pense qu’il faudra nous rendre demain au dépôt. Vous voudrez bien chercher dans les photographies des prisonniers libérés si vous n’apercevez pas une tête dans le genre de celle dont les yeux perçants nous dévisageaient tout à l’heure.

– Je chercherai, monsieur Tristot, et vous ?

– Je chercherai aussi, monsieur Pivolot. Nous aurons peut-être vingt mille photographies à examiner, et cela…

– Prend du temps…

Le docteur Lagache descendait de la chambre à coucher. Il était chargé par Suzanne de renseigner les visiteurs.

– Messieurs, leur dit-il, votre ami subit en ce moment une crise d’où dépend la vie ou la mort. S’il est vivant demain matin, je réponds de le sauver.

– Et combien de temps durera la convalescence ?

– Un mois, peut-être plus.

Les policiers ne purent retenir un geste de désespoir. Ils se retirèrent, consternés.