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Marguerite

I

Sir Percy demeura quelques minutes sans bouger, fixant le feu d’un regard pensif. Il lui fallait maintenant surmonter une première difficulté, et non des moindres, et qui était comme le lourd tribut à payer pour ces nouvelles aventures, vers lesquelles le Mouron Rouge allait s’élancer.

Il voyait dans la flamme rayonner le doux visage de Marguerite, sa femme adorée, dont les yeux bleus et le triste sourire semblaient le supplier de ne pas s’exposer de nouveau à de mortels dangers. Elle avait tant d’amour à lui donner, tant de trésors d’affection, n’était-il pas ce à quoi elle tenait le plus au monde ? Il sentait ses bras se nouer autour de son cou et sa voix lui murmurer : « Ne partez pas ! Ne suis-je donc rien pour vous que les autres passent toujours avant moi ? Vous leur avez déjà tant donné, n’est-ce pas mon tour maintenant ? »

Cependant malgré son état d’émotion intense, Sir Percy savait qu’il partirait, qu’il devait partir. Il s’arracherait à la douce étreinte de sa chère épouse et resterait sourd à ses supplications, quoi qu’il lui en coûtât.

Il avait choisi cette voie. Ce qui au début n’avait été que le goût de l’aventure et du risque était devenu maintenant une obligation : aider les autres, aider ceux qui comptaient sur lui, réparer les injustices. Ce qu’il avait fait une fois, dix fois, vingt fois, il le referait encore aussi longtemps qu’il y aurait des malheureux, d’innocentes victimes du cataclysme révolutionnaire.

Et aujourd’hui, c’était son ami qui était venu à lui dans sa détresse. Il fallait sauver sa jeune femme, l’arracher des mains d’un homme sans pitié qui, poussé par son désir effréné de vengeance, ne reculerait devant aucune infamie. Il ferma les yeux un instant et soupira, puis se dirigea lentement vers les appartements de Lady Blakeney.

II

Tous ceux qui connaissaient Marguerite Blakeney se demandaient si elle avait jamais été malheureuse. Lady Ffoulkes elle-même, sa meilleure amie, affirmait que non. Elle traversait bien des jours, parfois des semaines en proie à de cruelles inquiétudes, chaque fois qu’elle voyait son mari partir pour une de ces périlleuses expéditions en France, où il jouait sa vie à chaque minute pour arracher des griffes des tortionnaires un malheureux innocent. Elle endurait alors des souffrances morales qu’aucune femme n’eût supportées sans cette confiance et cette foi inaltérables qu’avait Lady Blakeney dans le courage et l’audace de son mari, qu’elle chérissait passionnément.

Mais si à certains moments elle était plongée dans le plus profond désespoir, à d’autres elle atteignait aux sommets du bonheur, et au fond elle n’était pas vraiment malheureuse, car petit à petit elle avait fini par être gagnée par l’enthousiasme qui émanait de toute la personnalité du vaillant Mouron Rouge. Cette vitalité si dynamique, les élans d’où tout égoïsme était banni, sa générosité lorsqu’il s’élançait dans ces aventures périlleuses l’avaient galvanisée à ce point, que la jeune femme, dont le cœur était aussi noble que le sien, refoulant ses larmes, n’essayait pas de le retenir.

Lady Marguerite venait de rentrer d’une belle promenade lorsque Sir Percy frappa à la porte de son boudoir. La pluie l’avait surprise et elle était en train de se changer. Dès qu’elle vit entrer son mari, elle congédia sa camériste d’un geste rapide.

Sir Percy n’avait pas de secrets pour elle et elle savait lire sur son visage comme dans un livre ouvert. Marguerite Blakeney remarqua que, tout en étant vêtu avec la même recherche que d’ordinaire, il portait un costume de voyage et qu’un ample manteau était jeté sur ses épaules. Avec cet instinct infaillible de l’amour, elle devina que de nouveau il devait partir.

Dès que la camériste se fut retirée, il l’enlaça tendrement.

– Ils ont enlevé la femme de Tony, dit-il avec ce petit rire qui lui était familier. Souvenez-vous de ce que je vous avais dit de Martin-Roget et de ses sinistres projets. Eh bien ! jusqu’à présent il a pu les réaliser grâce à cet inconcevable fou de Kernogan.

Et il lui raconta en quelques mots ce qui s’était passé.

– Tony n’a pas pris suffisamment au sérieux mes avertissements, dit-il ; il n’aurait jamais dû se séparer d’Yvonne.

Marguerite ne l’avait pas interrompu. Elle l’avait écouté, blottie contre lui, faisant un suprême effort sur elle-même pour ne laisser échapper ni un soupir ni une plainte pour essayer de le retenir. Mais sentant ses genoux se dérober sous elle par l’émotion, elle se laissa tomber dans un fauteuil. Sir Percy s’agenouilla à ses pieds et tous deux restèrent ainsi, amoureusement serrés l’un contre l’autre, sentant que, parfois, l’amitié et l’honneur doivent prévaloir sur l’amour.

Elle comprenait, et lui avec sa sensibilité aiguë sentait les efforts héroïques qu’elle faisait pour faire taire son cœur.

– Votre amour, mon cher cœur, chuchota-t-il, me ramènera près de vous sain et sauf, comme il l’a déjà fait si souvent. Vous en êtes sûre, n’est-ce pas ?

Et elle eut le courage suprême de murmurer :

– Oui !