3
Pour un grain de plaisir, une livre de peine

I

Elle resta immobile un moment, les yeux machinalement fixés sur la silhouette du géant qui s’éloignait. Presque aussitôt elle entendit prononcer son nom et se retourna vite avec un cri de joie.

– Régine !

Un jeune homme se hâtait vers elle ; il fut bientôt à ses côtés, prit sa main :

– J’ai attendu plus d’une heure ! dit-il avec reproche.

À la lumière du crépuscule son visage paraissait pâle et tiré, avec des yeux sombres très enfoncés qui révélaient une âme troublée, consumée par un feu intérieur. Il portait des vêtements hors d’usage et ses souliers étaient éculés. Un tricorne déformé était rejeté en arrière de son front haut, découvrant les tempes veinées, la naissance des cheveux bruns et les sourcils arqués qui caractérisent plus l’enthousiaste que l’homme d’action.

– Je suis fâchée, Bertrand, dit simplement la jeune fille. J’ai dû attendre très longtemps chez la mère Théot et…

– Mais que faisiez-vous maintenant ? demanda-t-il avec un froncement impatient des sourcils. Je vous ai vue de loin. Vous veniez d’une maison là-bas et vous vous êtes arrêtée comme si vous étiez étonnée. Vous ne m’avez pas entendu la première fois que je vous ai appelée.

– Il m’est arrivé une histoire bizarre et je suis très fatiguée, expliqua Régine. Asseyez-vous un moment avec moi et je vous raconterai tout.

Un refus net monta visiblement à ses lèvres.

– Il est trop tard, commença-t-il, et le pli impatient se creusa davantage entre ses sourcils.

Il voulait refuser, mais Régine paraissait réellement abattue. D’ailleurs, sans attendre son consentement, elle était retournée sous le petit porche, et, par force, Bertrand dut la suivre. Les ombres du soir s’amoncelaient maintenant et leurs silhouettes s’allongeaient à travers la rue. Les derniers rayons du soleil couchant teignaient encore les toits et les tuyaux de cheminée d’une teinte cramoisie. Mais ici, dans ce petit coin consacré par leurs rendez-vous, la nuit avait déjà établi son empire. L’obscurité prêtait à ce minuscule refuge un air d’isolement et de sûreté et Régine poussa un léger soupir de bonheur lorsqu’elle se dirigea délibérément vers le coin le plus retiré et s’assit sur le banc de bois dans l’angle le plus sombre.

Derrière elle, l’épaisse porte de chêne de l’église était fermée. L’église, après la mise hors la loi de son desservant, avait été profanée par les mains impitoyables des terroristes et demeurait abandonnée, destinée à tomber en ruine. Même les murs semblaient ne plus appartenir au monde ; cependant, Régine se croyait en sûreté à leur ombre et quand Bertrand Moncrif, un peu à contrecœur, se fut assis à son côté, elle se sentit presque heureuse.

– Il est très tard, répéta-t-il avec humeur.

Elle appuyait sa tête au mur ; pâle, les yeux fermés, les lèvres décolorées, elle fit tout à coup pitié au jeune homme.

– Êtes-vous malade, Régine ? dit-il plus doucement.

– Non, répondit-elle en lui souriant courageusement. Je ne suis que très fatiguée, un peu étourdie. On étouffait chez Catherine Théot, et lorsque je suis sortie…

Il prit sa main, dans un effort visible de gentillesse ; et elle, sans voir cette contrainte et cette distraction, commença à lui raconter sa petite aventure avec le géant.

– Quel être bizarre ! Il aurait pu m’effrayer rien que par cette horrible toux sépulcrale.

Bertrand ne semblait pas s’intéresser à son récit, et il profita d’une pause pour lui demander brusquement :

– Et la mère Théot, qu’avait-elle à dire ?

Régine frissonna.

– Elle prédit du danger pour nous tous.

– Vieille comédienne ! répliqua-t-il en haussant les épaules, comme si, de nos jours, tout le monde n’était pas en danger !

– Elle m’a donné une poudre, continua Régine, qui doit calmer les nerfs de Joséphine.

– C’est une sottise, coupa-t-il durement. Nous ne désirons pas calmer les nerfs de Joséphine.

À ces mots prononcés avec une sorte de cruauté, Régine se redressa, prit soudain d’un air d’autorité.

– Bertrand, vous faites grand mal en mêlant cette enfant à vos projets. Joséphine est trop jeune pour servir d’instrument à une bande d’enthousiastes dépourvus de bon sens.

Le rire amer, méprisant, de Bertrand interrompit sa protestation véhémente.

– Des enthousiastes dépourvus de bon sens. C’est ainsi que vous nous appelez, Régine ? Bon Dieu ! Voilà votre loyalisme, votre dévouement ? N’avez-vous ni foi, ni espérance ? N’adorez-vous plus Dieu et ne vénérez-vous plus le roi ?

– Au nom du Ciel, Bertrand, prenez garde ! murmura-t-elle en jetant des regards craintifs autour d’elle comme si les murs du porche eussent des yeux et des oreilles attentifs aux paroles de l’homme qu’elle aimait.

– Prendre garde, reprit-il dédaigneusement, c’est votre seule croyance maintenant. Prudence ! Circonspection ! Vous avez peur…

– Pour vous, pour Joséphine, pour maman, pour Jacques. Je n’ai pas peur pour moi, Dieu le sait.

– Nous devons tous courir des risques, Régine, reprit-il avec plus de calme. Nous devons tous risquer nos misérables vies pour mettre fin à cette affreuse tyrannie. Il nous faut voir plus grand, ne pas penser à nous seulement, à ceux qui nous sont proches, mais penser à la France. Le despotisme de cet autocrate sanguinaire a fait de ce peuple un peuple d’esclaves, rampant, craintif, abject, enchaîné par sa parole, trop lâche pour se révolter.

– Et qu’êtes-vous, mon Dieu, qu’êtes-vous, vous, vos amis, ma petite sœur, mon petit frère ? Qu’êtes-vous pour penser que vous êtes capables d’arrêter le torrent de cette stupéfiante révolution ? Comment pouvez-vous penser qu’on entendra vos faibles voix au milieu de cette rumeur de misère et de honte qui s’élève de toute une nation ?

– Cette petite voix (Bertrand avait le ton d’un visionnaire qui voit les choses cachées et rêve), cette petite voix se fait entendre sans trêve au-dessus des clameurs de milliers de furieux. Ne nous appelons-nous pas « les Fatalistes » ? Notre but est de saisir toutes les occasions de faire notre propagande contre Robespierre par de brèves remarques, des mots dits en passant, des répliques, çà et là, quand nous nous mêlons à la foule. La populace ressemble aux moutons, elle suit un meneur. Un jour, l’un de nous, ce sera peut-être le plus humble, le plus faible, le plus jeune, Joséphine… ou Jacques, je prie Dieu que ce soit moi, l’un de nous trouvera le mot qu’il faut dire au bon moment et le peuple nous suivra et se retournera contre le monstre exécrable et le précipitera de son trône en enfer.

Il avait parlé à mi-voix, en un murmure rauque qu’elle ne suivait qu’à peine.

– Je sais, je sais, Bertrand (et sa petite main essaya de saisir celle du jeune homme), vos buts sont magnifiques. Vous êtes tous extraordinaires. Qui suis-je pour essayer de vous dissuader par mes paroles ou mes prières de faire ce que vous jugez votre devoir ? Mais Joséphine est si jeune, si exaltée ! Quelle aide peut-elle vous apporter ? Elle n’a que dix-sept ans ! Et Jacques ! Ce n’est qu’un petit garçon irresponsable. Si quelque chose arrivait à ces enfants, maman en mourrait !

Il haussa les épaules, étouffa un soupir de lassitude. Heureusement elle ne vit pas le geste, n’entendit pas le soupir. Elle était parvenue à saisir la main du jeune homme et elle la serrait avec force comme pour lui faire entendre un appel passionné.

– Vous et moi ne pourrons jamais nous comprendre, Régine, commença-t-il.

Mais il ajouta vivement :

– … sur ce sujet.

Car, après ces premières paroles, il avait entendu un faible cri de douleur, le cri d’un oiseau blessé qui, malgré elle, avait échappé à ses lèvres.

– Vous ne comprenez pas, poursuivit-il plus calmement, que dans une grande cause, les souffrances des individus ne comptent pour rien à côté du but glorieux qu’on veut atteindre.

– Les souffrances des individus, soupira-t-elle, vraiment vous ne vous souciez pas beaucoup de ce que je souffre en ce moment.

Elle s’arrêta, puis ajouta dans un souffle :

– Depuis que vous avez rencontré Theresia Cabarrus, il y a trois mois, vous n’avez plus d’oreilles et d’yeux que pour elle.

– Il est inutile, Régine…, commença-t-il en colère.

– Je sais, coupa-t-elle doucement. Theresia Cabarrus est belle ; elle a le charme, l’esprit, la puissance, toutes choses que je ne possède pas.

– Elle est sans peur et elle a un cœur d’or, ajouta Bertrand. (Et sans qu’il s’en aperçût une chaleur soudaine passait dans sa voix.) Ne savez-vous pas quelle influence merveilleuse elle a exercée sur l’affreux Tallien à Bordeaux ? Il était venu comme un tigre en furie, prêt à faire une boucherie de tous les royalistes, des aristocrates, des bourgeois, de tous ceux dont il s’imaginait qu’ils conspiraient contre cette révolution hideuse. Eh bien ! sous l’influence de Theresia, il a complètement modifié ses projets et il est devenu si modéré qu’on l’a rappelé. Vous savez, ou devriez savoir, Régine, que Theresia est aussi bonne que belle.

– Je sais cela, Bertrand, répondit la jeune fille avec effort, mais…

– Mais quoi ?

– Je n’ai pas confiance en elle… c’est tout.

Et comme il ne cherchait pas à cacher son impatience et son dédain, elle continua sur un ton plus dur, moins conciliant que celui qu’elle avait conservé jusque-là :

– Votre passion vous aveugle, Bertrand, ou bien vous, un royaliste enthousiaste, un loyaliste ardent, vous ne placeriez pas votre confiance en une républicaine déclarée. Theresia Cabarrus peut avoir bon cœur, je ne le nie pas. Elle peut avoir fait et être tout ce que vous dites, mais elle est pour tout ce qui est la négation de votre idéal, pour la destruction de ce que vous exaltez, pour la glorification des principes de cette exécrable révolution.

– La jalousie vous aveugle.

Elle secoua la tête.

– Non, ce n’est pas la jalousie, une jalousie commune, vulgaire, qui m’oblige à vous mettre en garde avant qu’il soit trop tard. Souvenez-vous qu’il ne s’agit pas seulement de vous, mais que vous êtes comptable, devant Dieu et devant moi, des vies innocentes de Joséphine et de Jacques. En vous confiant à cette Espagnole…

– Maintenant vous allez l’insulter ? Dire que c’est une espionne ?

– Qu’est-elle d’autre ? répliqua la jeune fille avec véhémence. Vous savez qu’elle est fiancée à Tallien, dont la cruauté ne le cède qu’à celle de Robespierre. Vous le savez, insista-t-elle, voyant qu’elle l’avait enfin réduit au silence et qu’il restait là, morne et têtu. Vous le savez, et vous préférez fermer vos yeux et vos oreilles à ce que tout le monde sait.

Le silence se fit sous le petit porche ; pendant un moment ces deux cœurs battirent pleins de rancune l’un contre l’autre. La rue était obscure, l’obscurité d’une nuit de printemps parcourue de lumières mystérieuses et d’ombres imprécises. La jeune fille frissonna et ramena plus près de ses épaules son châle en lambeaux. Elle essayait vainement de ravaler ses larmes. Elle avait dit plus qu’elle ne voulait dire et elle comprenait qu’elle avait eu des paroles définitives. Quelque chose venait de se briser que rien, même après des années, ne pourrait réparer. L’amour de deux jeunes êtres qui avait survécu à deux ans de chagrin et de détresse, était blessé à mort, sacrifié à la passion d’un homme et à la vanité d’une femme. Et cela aurait semblé impossible encore un moment plus tôt !

De l’ombre surgissaient devant ses yeux, obscurcis par les larmes, les visions des anciens temps heureux, les promenades à pied autour d’Auteuil, les promenades sur l’eau dans un bateau aux jours brûlants d’août et même les moments de péril partagé, passés ensemble, la main dans la main, le souffle court dans des chambres aux rideaux tirés, pendant qu’ils tendaient l’oreille à la canonnade, aux cris de la populace furieuse sur le passage des charrettes de la mort cahotant sur les pavés. Devant ces fantômes des joies et des peines passées, la jeune fille sentit son cœur se rompre. Un sanglot qu’elle ne put réprimer serra sa gorge.

– Mère de Dieu, ayez pitié ! murmura-t-elle à travers ses larmes.

Bertrand, honteux, le cœur ému par la peine de la jeune fille qu’il avait si tendrement aimée, les nerfs exacerbés par les projets insensés qu’il roulait perpétuellement, était sur des charbons ardents, déchiré entre la compassion et le remords d’un côté et une passion irrésistible de l’autre.

– Régine, pria-t-il, pardonnez-moi. Je suis une brute, je le sais. Une brute pour vous qui avez été la plus tendre petite amie qu’un homme puisse désirer rencontrer. Ma chérie, si vous vouliez seulement comprendre…

Aussitôt, la tendresse de Régine reprit le dessus, balaya sa fierté et son juste ressentiment. Elle avait un de ces cœurs maternels plus faits pour réconforter que pour gronder. Déjà elle avait essuyé ses larmes, et comme il avait enseveli son visage dans ses mains d’un geste désespéré, elle lui mit un bras autour du cou, appuya la tête du jeune homme sur sa poitrine.

– Je comprends, Bertrand, et vous ne devez jamais me demander pardon, car vous et moi nous sommes trop bien aimés pour être en colère l’un contre l’autre ou nous tromper. Allons, dit-elle en se levant (et elle paraissait par ce geste rassembler toute la force dont elle avait tant besoin), il se fait tard et maman va s’inquiéter. Une autre fois, nous aurons une conversation plus calme sur notre avenir. Mais, ajouta-t-elle en redevenant très grave, si je vous laisse Theresia Cabarrus sans plus de reproches, vous devez me rendre Joséphine et Jacques. Si… si je dois vous perdre, je ne pourrais pas supporter de les perdre aussi. Ils sont si jeunes…

– Qui parle de les perdre ?

Et une fois de plus Bertrand devint impatient, enthousiaste, sa tristesse envolée, son remords apaisé, sa conscience redevenue seulement accessible à ses chimères.

– Et qu’ai-je à voir avec eux ? Joséphine et Jacques sont membres du club. Ils sont jeunes, mais ils sont assez âgés pour savoir la valeur d’un serment. Ils sont liés comme je le suis, comme nous le sommes tous. Je ne pourrais, même si je le voulais, les rendre parjures.

Puis, comme elle ne répondait pas, il se pencha sur elle, prit ses mains, essaya de déchiffrer son visage dans la nuit. Il sentit que ses mains restaient inertes dans les siennes et crut deviner son raidissement.

– Vous ne voudriez pas qu’ils soient parjures ?

Elle ne répondit pas à cette question, mais demanda d’un ton morne :

– Qu’allez-vous faire cette nuit ?

– Cette nuit (ses yeux brillèrent de l’ardeur du sacrifice), cette nuit, nous allons déchaîner l’enfer autour du nom de Robespierre.

– Où ?

– Au souper en plein air de la rue Saint-Honoré. Joséphine et Jacques viendront.

Elle hocha la tête machinalement et dégagea tranquillement ses mains de l’étreinte fiévreuse de son fiancé.

– Je le sais. Ils me l’ont dit, je ne peux pas les empêcher.

– Vous viendrez aussi ?

– Bien sûr. Et ma pauvre maman aussi.

– Ce sera un tournant de l’histoire de France, Régine, dit-il avec une ardeur passionnée.

– Peut-être.

– Pensez, Régine, pensez que votre sœur, votre frère passeront aux yeux de la postérité pour les sauveurs de la France !

– Les sauveurs de la France ! répéta-t-elle d’un ton vague.

– La parole d’un seul a mené la multitude jusqu’à maintenant. Cela va se renouveler… cette nuit.

– Oui, dit-elle, et ces pauvres enfants croient au pouvoir de leurs discours.

– Vous n’y croyez pas ?

– Je me rappelle seulement que vous avez parlé de votre projet à Theresia Cabarrus, que le lieu sera grouillant d’espions de Robespierre et que vous et les enfants allez être reconnus, arrêtés, traînés en prison, puis à la guillotine ! Mon Dieu ! et je suis aussi impuissante qu’une bûche inanimée pendant que vous courez vous jeter dans une nasse, et je ne puis que vous suivre à la mort tandis que maman restera seule et périra de chagrin et de misère.

– Toujours pessimiste, Régine ! dit-il avec un rire forcé. (Et à son tour il se leva.) Nous n’avons pas fait grand-chose en bavardant ce soir, ajouta-t-il.

Elle ne dit plus rien. Son cœur était glacé. Son cœur et aussi sa pensée et son être tout entier. Même si elle s’y efforçait, elle ne pouvait partager les illusions de Bertrand, et comme il s’y était donné corps et âme, elle lui devenait étrangère, sans liens avec lui, exclue de son cœur. Elle détestait Theresia Cabarrus qui avait enchaîné l’imagination de Bertrand et, par-dessus tout, elle se méfiait d’elle. À cette minute, elle aurait volontiers donné sa vie pour arracher Bertrand à l’influence de cette femme et l’enlever à cette association de têtes folles qui s’appelaient eux-mêmes les « Fatalistes » et où il avait attiré Joséphine et Jacques.

Sans mot dire, elle le précéda au-dehors du petit porche, leur lieu de rendez-vous habituel, où elle avait, pendant un temps, passé des moments heureux. Juste avant de franchir le seuil, elle regarda en arrière comme pour évoquer dans l’ombre impénétrable qui le remplissait maintenant les images joyeuses du passé. L’ombre ne donna pas de réponse à l’appel muet de son imagination et, avec un dernier soupir d’extrême désespérance, elle suivit Bertrand dans la rue.

II

Moins de cinq minutes après que Bertrand et Régine eurent quitté le porche du Petit Saint-Antoine, la porte de l’église s’ouvrit précautionneusement. Elle tourna sans bruit sur ses gonds et, dans l’ouverture, la silhouette d’un homme apparut, à peine discernable dans l’obscurité. Il se glissa hors de la porte dans le porche et ferma le battant derrière lui.

Puis, sa grande silhouette se traîna le long de la rue Saint-Antoine dans la direction de l’Arsenal, ses sabots faisant un morne clic ! clac ! sur les pavés. Il n’y avait que peu de passants à cette heure et l’homme marcha de la même allure traînante jusqu’à la porte Saint-Antoine. Les portes de la ville étaient encore ouvertes, car les nombreuses horloges des églises du quartier venaient de sonner huit heures, et le sergent de garde ne fit pas bien attention à ce mendiant, seulement, lui et la demi-douzaine de gardes nationaux qui avaient la garde de la porte remarquèrent que le passant attardé était en proie à une toux terrible qui fit dire aux hommes avec une grimace facétieuse :

– En voilà un qui ne donnera pas de peine à Maman Guillotine !

Ils remarquèrent de plus que le géant, après avoir traversé la porte, avait tourné ses pas hésitants dans la direction de la rue de la Planchette.