10
L’abbé Edgeworth

La chance favorisa Milord Hastings et Lord Anthony Dewhurst. Quand ils sonnèrent à la porte des Levet, ce fut Charles Levet lui-même qui vint leur ouvrir. Rapidement, ils lui dirent qui les envoyait et quels étaient leurs ordres, et le vieillard alla chercher son hôte. L’abbé entre-temps avait dîné, bu et un peu dormi, mais il était encore étourdi et effrayé, comme si les événements de cette journée l’avaient mis hors de sens.

Maintenant, son aimable hôte lui disait que tout allait bien, et que des amis allaient l’emmener au château où il serait reçu à bras ouverts et où il pourrait demeurer jusqu’à ce qu’on lui ait trouvé un refuge plus durable. L’abbé s’émerveillait :

Qui, demandait-il, étaient ces mystérieux amis qui l’avaient sauvé au péril de leur vie et qui continuaient leur œuvre charitable ?

Levet n’aurait pu lui répondre. Il parla vaguement d’un homme qui était professeur et semblait disposer d’un courage extraordinaire et de ressources sans limites. Lui-même ne le connaissait que depuis peu. Cet homme allait et venait dans le plus grand mystère et s’arrangeait toujours pour être sur les lieux lorsque la vie d’hommes, de femmes, d’enfants innocents était menacée. Sa pauvre femme voyait en cet homme un envoyé du Ciel. On ne pouvait en dire plus pour l’instant : le temps pressait. Il pria l’abbé de faire vite.

Un moment plus tard, il se tenait une fois de plus devant sa grille, regardant s’éloigner les trois silhouettes dont le brouillard faisait des fantômes. L’un d’eux était l’abbé Edgeworth, Levet ne connaissait pas les autres. Levet pensait qu’ils devaient être anglais, car ils parlaient le français avec un accent étranger caractéristique. Il était incroyable que des étrangers prissent tant d’intérêt aux souffrances des Français qui étaient restés fidèles à leur roi. En quoi cette affreuse Révolution pouvait-elle intéresser les Anglais ? Il y avait même des gens pour dire que l’Angleterre allait déclarer la guerre à la France, ou plutôt à cette abominable République fondée sur le meurtre.

Le vieux Levet rentra chez lui, perplexe, et se rendit auprès de sa femme morte.

Augustin était toujours dans cette chambre lorsque Levet entra. Il causait à voix basse avec un jeune homme de haute taille qui tenait à la main une tablette sur laquelle il écrivait avec un poinçon. Cet homme était vêtu de noir des pieds à la tête avec un jabot et des manchettes blancs. Il portait de hautes bottes et ses cheveux étaient noués sur la nuque par un nœud noir. Levet devait savoir qu’il était là, car il ne le regarda pas en pénétrant dans la pièce. Cependant, ce jeune homme remit aussitôt ses tablettes dans sa poche et fit le geste de s’éloigner.

– Ne vous en allez pas, dit Levet, le souper sera bientôt prêt.

– Pardonnez-moi, monsieur, répondit l’autre. Je vais seulement dire bonne nuit à Mlle Blanche. Je suis appelé au château et je suis déjà en retard.

– Quelqu’un est malade, là-bas ?

– Il paraît.

– Qui ?

– On ne me l’a pas dit. Le chien favori du marquis, peut-être, ou son cheval, ajouta le jeune médecin d’un ton amer.

Levet ne fit aucun commentaire. Il alla au chevet de sa femme, et Simon Pradel, après avoir dit bonne nuit à Augustin, se retira.

Blanche était dans le salon et semblait l’attendre.

– Vous ne partez pas, Simon ?

– Il le faut, mademoiselle.

– Vous ne pouvez pas dîner avec nous ?

En même temps, sa voix trembla et quelques larmes perlèrent à ses cils.

– J’en suis fâché, mais il faut que je m’en aille.

– Pourquoi ?

Il eut un mouvement léger.

– Visite professionnelle, dit-il.

– Vous allez au château ?

– Qui vous fait dire cela ? répliqua-t-il en souriant.

– Vous avez votre plus bel habit et votre plus beau linge.

Le sourire de Simon s’accentua. C’était un charmant sourire qui donnait beaucoup de grâce à son visage sévère. Il baissa les yeux sur son costume noir.

– Je n’ai que celui-ci, dît-il, et j’ai toujours soin d’avoir du linge frais.

Blanche se tut un instant. Il était évident qu’elle luttait contre une émotion qui faisait trembler ses lèvres et remplissait ses yeux de larmes. Tout à coup, elle s’approcha de lui, posa une main sur son bras :

– N’allez pas au château, Simon.

– Ma chère, c’est mon devoir. La marquise est peut-être malade. De plus…

– De plus ?

Et comme Simon ne relevait pas son défi, elle reprit avec véhémence :

– Vous n’allez là que parce que vous espérez échanger un mot avec Cécile de la Rodière. Vous qui êtes un médecin distingué, diplômé de toutes sortes de grandes universités, vous vous fatiguez à soigner les chiens et les chevaux de ces gens. Vous n’avez donc pas d’orgueil, Simon ? Et pourtant, vous savez bien que cette fille de qualité ne pourra jamais être rien pour vous.

Pradel resta silencieux pendant toute cette tirade. Il paraissait aussi indifférent que si les paroles cinglantes de la jeune fille ne s’adressaient pas à lui. Seulement, le sourire avait abandonné son visage qui était pâle et triste. Quand Blanche s’arrêta de parler, surtout parce que les mots s’étranglaient dans sa gorge, elle se laissa tomber sur une chaise et elle éclata en sanglots. Pradel attendit que la crise fût moins violente pour lui dire gentiment :

– Mademoiselle Blanche, je suis sûr que vous me voulez beaucoup de bien au moment même où vous me frappez avec tant de mépris et de cruauté. Je vous jure que je ne vous en veux pas. Si vous le permettez, je passerai ici, cette nuit, en revenant du château, afin de voir comment votre père se porte. Franchement, je suis un peu inquiet à son sujet. Il n’est pas âgé, mais son cœur est fatigué et il a eu beaucoup à supporter aujourd’hui. Bonne nuit !

Quand il fut parti, Blanche se reprit suffisamment pour aller à la cuisine et donner l’ordre de servir le souper tout de suite. Ils prirent place autour de la table et Charles Levet dit le bénédicité avant de servir le potage. Ils avaient à peine commencé à manger qu’un cabriolet s’arrêta devant la grille. On agita vigoureusement la cloche et le père de famille se leva. Les Levet n’avaient qu’une seule servante et celle-ci était occupée à la cuisine, aussi Charles Levet alla lui-même ouvrir la porte.

– Je me demande qui cela peut être ? demanda Blanche.

– En tout cas, c’est quelqu’un de très pressé, répondit son frère.

Levet ouvrit la porte et Maurin passa le seuil, tout essoufflé. Avant qu’on ait pu lui poser une question, il s’écria :

– Ah ! mon cher ami ! Quel malheur ! Heureusement, j’arrive à temps.

– À temps pour quoi ? murmura Levet.

Le notaire ne lui avait jamais plu : il le tenait pour un traître et un régicide, jamais il ne l’avait tant haï que ce jour-là.

– Il s’est trouvé que j’étais à la mairie, dit Maurin, et que j’ai entendu donner l’ordre de vous arrêter vous, votre famille et votre… invité, termina-t-il en appuyant sur le dernier mot.

Levet parut accueillir la nouvelle avec une parfaite indifférence. Le départ de l’abbé Edgeworth, avec les émissaires du professeur, le rassurait en ce qui concernait le prêtre. Il leva les épaules et répondit tranquillement :

– Qu’on m’arrête et qu’on arrête aussi toute ma famille, si on le désire. Nous voulons bien partager le sort de notre roi.

– Ne parlez pas ainsi, mon cher ami, supplia le notaire, de telles paroles sont dangereuses et il faut penser à votre fils et à votre fille.

– Ils pensent comme moi, répliqua brusquement Levet, et si c’est tout ce que vous aviez à nous dire…

L’instinct de l’hospitalité qui, chez les Levet, était une vertu véritable, l’empêcha de mettre dehors le « traître » sans plus de cérémonies.

– Je suis venu par amitié, reprit le jeune homme sur un ton de reproche, pour vous avertir de ce qui vous attendait. C’est beaucoup plus grave que vous ne semblez le penser.

– Je n’ai pas besoin d’avertissement. Des gens comme nous doivent être prêts à toutes les catastrophes.

– Et votre hôte…, interrompit Maurin.

– Mon hôte ? Quel hôte ?

– L’homme que vous avez amené ici cet après-midi. Les autorités ont appris que vous receviez une visite mystérieuse. Elles vous soupçonnent ; c’est pourquoi on a donné l’ordre de votre arrestation… et de la sienne.

– Il n’y a personne ici, dit Levet froidement, personne en dehors de mon fils, de ma fille, de la servante.

– Allons, allons, mon cher ami, répondit Maurin dont le ton à la fois condescendant et sévère était celui d’un père qui gronde un enfant entêté, ne vous mettez pas dans un mauvais cas en niant des faits indiscutables. Moi-même, je vous ai vu introduire un étranger dans cette maison, et votre ami le professeur peut aussi en témoigner.

– Je vous dis qu’il n’y a pas d’étranger ici, et maintenant, veuillez m’excuser, ma famille m’attend pour dîner.

Il avait à peine achevé de parler qu’on entendit un bruit de roues, accompagné de pas cadencés qui approchaient. Il y eut un commandement : « Halte », suivi de la formule habituelle : « Au nom de la République. » La grille fut ouverte, des pas lourds martelèrent le chemin pavé, puis des coups retentissants ébranlèrent la porte d’entrée.

– Ne vous le disais-je pas ? demanda Maurin.

Il poussa de côté Charles Levet et se dirigea rapidement vers la salle à manger où Blanche et Augustin se tenaient debout depuis qu’ils avaient entendu les commandements de mauvais augure. Le notaire mit un doigt sur ses lèvres et murmura :

– N’ayez pas peur. Je veille sur vous. Vous n’avez rien à craindre. Mais répondez-moi vite. Y a-t-il ici un étranger ?

– Un étranger ? répéta Augustin. Quel étranger ?

– Vous le savez très bien. L’hôte de votre père, celui qu’il a conduit ici cet après-midi.

– Personne n’est venu ici de la journée, répondit Augustin avec calme. Ma mère est morte. Le Dr Pradel est venu pour le constater. Il n’y a eu personne d’autre.

Maurin se tourna vers la jeune fille :

– Blanche, dit-il sérieusement, dites-moi la vérité. Où est l’hôte de votre père ?

– Augustin vous l’a dit. Nous sommes seuls ici.

– Ils vont fouiller la maison, vous savez.

– Qu’ils le fassent !

– Et interroger la servante.

– Elle ne peut dire que la vérité.

Le notaire resta déconcerté. Il regarda dans la pièce et vit qu’il n’y avait que trois chaises autour de la table, trois assiettes à moitié pleines de potage sur la nappe, et la soupière était encore sur la desserte.

Il pouvait entendre Charles Levet répondre avec fermeté aux questions que le sergent lui posait.

– Il n’y a personne ici.

» Seul, le docteur est venu cet après-midi. Mon fils et ma fille sont à table. Ma femme est morte. Vous pouvez interroger la servante.

Maurin s’adressa encore une fois à Blanche :

– Je vous en prie, pour l’amour de vous, dites-moi la vérité.

– Je vous l’ai dite. Il n’y a personne ici, sauf nous.

Le notaire étouffa le juron qui lui venait aux lèvres ; il ne dit rien de plus cependant, tourna les talons et sortit de la pièce.

– Que se passe-t-il ? demanda Maurin au sergent.

– Vous le savez mieux que moi, citoyen, fut la brève réponse du soldat.

– Moi ? répliqua Maurin effrontément. Que diable ai-je à faire dans tout ceci ?

– Eh bien ! c’est vous qui les avez dénoncés.

– C’est faux.

– Qui a fait cela, alors ?

– Un ami de la famille. Le professeur d’Arblay.

– Où est-il ?

– Il a eu un accident. Il s’est fracturé la cheville. Il a dû retourner chez lui.

– Où habite-t-il ?

– Je ne sais pas. Je le connais à peine.

– Pourtant, vous étiez ensemble à la mairie. On vous a vus sortir du cabinet du procureur syndic.

– J’étais allé là pour affaire, et vous n’avez pas le droit de m’interroger. Je n’ai rien à voir avec cette dénonciation, car j’ai l’honneur d’être un ami de cette famille. Et je peux vous dire que j’userai de toute mon influence pour éclaircir cela. Aussi, vous ferez bien de vous conduire correctement dans cette maison. Le contraire vous desservirait.

Il avait élevé la voix et parlait impérieusement comme quelqu’un habitué à être écouté avec déférence, mais le sergent ne se troubla pas ; il répondit seulement :

– Bien, citoyen. Vous pouvez agir selon ce que vous pensez être vos intérêts ; moi, je n’ai qu’à accomplir mon devoir.

Il donna un ordre, et deux soldats encadrèrent aussitôt Levet. Le sergent traversa le vestibule et, sans plus s’occuper du notaire, entra dans la salle à manger. Blanche et Augustin avaient repris leur place à table. Blanche avait posé son menton sur ses mains, et Augustin, les yeux fermés et les doigts joints, semblait en prières. Au fond de la pièce, la servante, Marie, se tenait le bec ouvert comme une poule terrorisée.

Le sergent jeta un coup d’œil sur l’ensemble de la pièce et, dépliant un papier, il annonça après avoir éclairci sa voix :

– J’ai ici une liste des habitants de cette maison. Elle a été donnée cet après-midi au chef de la section, soit par le citoyen Maurin, soit par son ami le professeur qui a la cheville cassée et dont l’adresse est inconnue. Je vais la lire tout haut et chacun de vous répondra : « Présent » à l’appel de son nom.

Il commença :

– Charles Levet, botaniste ! Nous nous en sommes déjà assurés. Henriette, sa femme ! Elle est morte, m’a-t-on dit. Augustin Levet, prêtre !… Pourquoi ne répondez-vous pas ? Et pourquoi ne vous levez-vous pas ? Avez-vous aussi la cheville cassée ?

Augustin se leva et dit ce qu’on attendait de lui :

– Présent !

– Blanche Levet, fille de Charles…

– Présent !

– Marie Bachelier, aide-ménage.

– Je suis ici, citoyen sergent, dit Marie qui était près de perdre l’esprit.

– Et un hôte inconnu, termina le soldat. Où est-il ?

Il roula son papier et le glissa dans son ceinturon.

– Où est l’hôte ? répéta-t-il rudement.

Et comme il ne recevait toujours pas de réponse, il répéta sa phrase une fois de plus.

Il regarda les suspects l’un après l’autre en roulant les yeux pour leur faire peur. Alors Augustin dit en articulant bien les mots :

– Nous n’avons pas d’hôte ici.

Et Blanche, secouant sa jolie tête, ajouta :

– Il n’est venu ici que le citoyen Maurin et le docteur.

Pour toute réponse, le sergent appela son escorte et dit à Blanche et à Augustin :

– Nous allons voir ça tout de suite.

À Charles Levet qui attendait patiemment entre les deux soldats, apparemment insensible au remue-ménage qu’on faisait dans sa maison, il dit avec dureté :

– J’ai l’ordre de perquisitionner. Aussi, je vous avertis, citoyen Levet, que si nous découvrons ici un étranger, votre cas sera bien plus mauvais que si vous l’aviez livré volontairement.

Charles Levet secoua la tête :

– Il n’y a personne ici.

Le sergent donna l’ordre à ses hommes de commencer la perquisition. Elle fut minutieuse. Les soldats n’y allèrent pas par quatre chemins. Ils envahirent même la chambre où Henriette Levet gisait sur son lit de mort. Ils regardèrent sous son lit et soulevèrent le drap qui la couvrait. Charles Levet était présent au moment où ce sacrilège fut commis et il était aussi raide que la morte. Augustin avait de nouveau cherché refuge dans la prière, tandis que Blanche, étourdie par tout ce qui lui arrivait, restait effondrée sur sa chaise, les coudes sur la table, les yeux fixés dans le vide.

Louis Maurin, dès que les soldats furent ailleurs, vint s’asseoir en face de la jeune fille. Il était resté silencieux pendant ce dernier épisode, mais alors, il se mit à parler tout bas :

– N’ayez pas peur, Blanche. Je vous donne ma parole que rien n’arrivera à votre père, ni à aucun de vous, même si le sergent découvre votre ami inconnu dans la maison. S’il vous plaît, dit-il gravement pour empêcher Blanche de renouveler ses protestations, ne dites rien de plus. Je suis fermement convaincu que vous ignorez ce qui s’est passé ici aujourd’hui. Je vous dis que je peux et que je veux protéger ceux qui vous sont chers. Ce sera plus difficile si votre père a continué à dissimuler la présence de son hôte au lieu de l’avouer tout de suite, mais même dans ce cas, je ne serai pas impuissant, je vous en donne ma parole. Je ferai n’importe quoi pour vous.

– Je n’y comprends rien, soupira-t-elle.

– Qu’est-ce que vous ne comprenez pas ?

– Monsieur le professeur. Il semblait être notre ami. Pensez-vous qu’il l’était ?

– Vous voulez dire qu’il est bien à l’origine de tout ce tracas.

– Oui.

– Eh bien ! je n’en suis pas sûr. On n’est jamais sûr. Il peut être un espion du gouvernement et avoir dénoncé votre père. Ces espions sont très forts. Ils captent votre confiance, puis vous trahissent pour un peu d’argent. En tout cas, je puis vous assurer qu’il ne faut pas désespérer. Tant que je serai vivant, il ne peut pas arriver de mal à votre famille. Vous me croyez, n’est-ce pas ?

Elle dit un « oui » timide.

Pendant ce temps, les soldats fouillaient le premier étage, et tandis qu’ils allaient et venaient au-dessus de leurs têtes, Maurin surveillait attentivement la jeune fille pour voir si elle trahissait quelque inquiétude pour l’hôte dont lui pensait qu’il était encore dans la maison. Comme Blanche semblait impavide et plongée dans son chagrin, Maurin dut arriver à la conclusion qu’il avait lancé cette escouade de gardes républicains sur une fausse piste et que son plan ingénieux allait finir par le mettre en mauvaise posture et nuire à ses espérances.

Peu de temps après, le sergent et ses hommes redescendirent : ils étaient tous de mauvaise humeur. Par ce temps abominable, on les avait tirés pour rien de leurs casernements. Le sergent ouvrit la porte de la salle à manger d’un coup de pied et s’adressa au notaire sur un ton agressif :

– Je ne sais à quoi vous pensiez, citoyen, quand vous avez déclaré devant le procureur syndic qu’un étranger suspect se cachait ici. Nous avons fouillé de la cave au grenier et il n’y a personne ici que les membres de la famille, dont une morte, et les autres toqués. En tout cas, je ne peux rien tirer d’eux. Je ne sais si vous le pouvez.

– Ce n’est pas mon affaire, comme vous le savez, citoyen sergent, d’interroger ces personnes, pas plus que ce n’est la vôtre de m’interroger. Je fais ce que je dois ; faites-en autant.

– Mon devoir est d’arrêter ces personnes, et si elles ont un peu de bon sens, elles me suivront tranquillement. Allons, ajouta-t-il en s’adressant à tous, une voiture vous attend. Je ne peux pas perdre encore mon temps.

Blanche et Augustin se dirigèrent docilement vers la porte. Blanche appela la servante qui semblait plus morte que vive.

– C’est inadmissible, protesta violemment Maurin, vous ne pouvez laisser la morte seule. Quelqu’un doit rester ici pour prévenir un sacrilège toujours possible.

Le sergent haussa les épaules :

– Un sacrilège, dit-il en riant. Quel sacrilège ? Et pourquoi cette femme morte ne peut-elle rester seule dans la maison ? Elle ne s’en ira pas. D’ailleurs, si cela vous gêne, pourquoi ne restez-vous pas ici pour la veiller ? Allons !

Il fit sortir les prisonniers. Quand Blanche passa devant Maurin, elle lui lança un coup d’œil suppliant et il murmura dans un souffle :

– Je la veillerai, je vous le promets.

Dix minutes plus tard, la famille Levet et sa servante étaient conduites à la mairie sous l’inculpation de trahison, ou d’intention de trahison.