Huit jours se sont passés, et dans les journaux il n’est plus question que de l’affaire de la Pocharde. La mort de Marignan est commentée. Les magistrats connaissent la vérité, mais ils gardent pour eux ce qu’elle a de trop triste et les vraies raisons de la mort ne sont point expliquées au public.
Au Clos des Noyers, le bonheur règne. Mais un bonheur, pourtant, qui est assombri par des nuages. C’est le souvenir du pauvre Gauthier, qui apporte cette tristesse.
On sait qu’il n’a pas quitté Tours. Les obsèques de son père, les renseignements à donner à la justice sur l’enquête personnelle qu’il avait faite lui-même à Maison-Bruyère, l’ont empêché de retourner à Paris.
Puis, retourner à Paris, est-ce qu’il y songe ? Est-ce que sa vie n’est pas là-bas, au Clos ? Mais depuis l’aveu terrible du père, il n’a pas osé y retourner.
C’est Claire qui vient le trouver, avec Charlotte.
Et il les reçoit, dans ce cabinet de travail, où, quelques mois auparavant, il avait été surpris par Marignan quand il lisait, en secret, les débats du célèbre procès.
Claire s’avance vers lui et lui tend les mains :
– Vous êtes malheureux… Pourquoi nous oubliez-vous ?
Charlotte lui dit, très doucement :
– Croyez-vous que je garde contre vous quelque arrière-pensée ? Est-ce que je ne sais pas que si l’honneur m’est enfin rendu, c’est à vous que je le dois ? J’ai pardonné à votre père mourant… Pourquoi vous éloignez-vous de nous ? Pourquoi ne voulez-vous pas continuer d’être notre ami ?
Claire, pendant que Charlotte parlait ainsi, semblait caresser le pauvre garçon d’un regard timide, incertain.
Gauthier murmura, s’adressant à la jeune fille :
– Maintenant que vous savez quel fut le crime de mon père… il n’est plus possible que vous m’aimiez. Et voilà pourquoi je ne voulais plus reparaître devant vous… Mon nom restera pour vous, éternellement, comme le souvenir de la plus effroyable des injustices… Cela doit être… je ne me plains pas…
Claire lui prit la main.
– Gauthier, m’aimez-vous toujours ?
– Comme un fou.
– Gauthier, vous m’avez dit que vous étiez prêt à oublier mon passé…
– Je l’ai oublié… Est-ce que vous êtes coupable, vous ? Est-ce que tous ces malheurs, hélas ! ce n’est pas à mon père qu’il faut les reprocher ?
– Oubli pour oubli, voulez-vous ?
– Claire ! Claire !
– Pardon pour pardon, voulez-vous ?
– Je vous aime… mais jamais, jamais, vous ne voudrez porter mon nom… Jamais votre pauvre mère n’y consentirait…
Charlotte l’interrompit :
– Ce serait, au contraire, pour moi la réparation suprême, dit-elle, puisque le fils de l’homme qui m’accusa jadis et me fit condamner n’hésiterait pas à donner son nom à la fille de celle qui fut si malheureuse par sa faute…
Gauthier, très pâle, très ému, n’avait plus la force de parler.
– Vous refusez ? dit Claire.
Mais, tout en disant cela, elle ne le croyait pas.
– Oh ! Claire… Votre amour pourra rendre le calme à mon cœur.
Claire était radieuse. Les yeux de Charlotte étaient mouillés de douces larmes.
– Revenez auprès de nous, Gauthier, dit-elle… auprès de ce foyer d’affection qui vous réchauffera… Et vous verrez combien l’on vous aime !
– Vous êtes bonne !…
– J’aurai pour vous l’affection d’une maman.
– Je n’avais pas espéré que tout cela fût encore possible…
– C’est que vous aviez compté sans l’amour !…
Il releva les yeux vers Claire.
Elle souriait et lui tendait les bras.
Il l’étreignit contre sa poitrine et l’embrassa dans les cheveux.
Puis, après cette effusion :
– Vous nous accompagnez au Clos ?
– Dans deux jours seulement, je vous rejoindrai… M. Barillier peut encore avoir besoin de moi…
– Dans deux jours donc…
– Et nous ne nous quitterons plus ?
– Jamais ! jamais !