Lorsqu’elles s’étaient enfuies de l’orphelinat, Claire et Louise, de l’autre côté de la porte, en se trouvant dans la rue, s’embrassèrent étroitement. Elles partagèrent leurs économies, puis, sans un mot, elles se séparèrent et se mirent à courir au travers de la campagne, en se tournant le dos, sans but, l’une remontant vers Amboise, l’autre descendant vers Tours.
Le plus pressé, pour elles, était de s’éloigner de Vouvray, de mettre la plus grande distance possible entre elles et ceux qui pourraient les poursuivre.
Et l’on se souvient que, dans le jardin de l’orphelinat, elles étaient convenues qu’elles se retrouveraient dans la journée du lendemain à la gare de Blois.
Ce fut cette séparation immédiate qui mit en défaut les gens chargés de les ramener à la maison Sainte-Marie. Le signalement portait sur deux jeunes filles, deux sœurs, exactement du même âge, de la même taille, l’une ayant des yeux bruns, l’autre des yeux bleus, portant le costume, le fichu noir sur les épaules, le petit bonnet plat sur le chignon et les larges passes en dentelles, uniforme des orphelines de Vouvray.
On n’avait pas vu les deux sœurs ensemble, et si l’une des deux, séparément, avait été aperçue traversant les rues de Vouvray, cela n’avait pu frapper personne, car l’uniforme était bien connu et l’on rencontrait journellement des orphelines se rendant aux ateliers.
Claire, après avoir couru pendant quelques minutes, abandonna la grande route, prit à travers champs et gagna un petit bois qui bordait la ligne du chemin de fer ; elle y entra, s’assit dans un fourré, et reprit haleine. Elle enleva son fichu noir et son bonnet, qu’elle mit en lambeaux. De cette façon, on la reconnaîtrait moins aisément de loin, la jupe noire ressemblant à toutes les jupes. Quand elle se fut reposée, elle reprit un petit chemin qui serpentait dans les prairies et redescendit vers la Loire.
Le soir, elle entrait sans encombre, sans mauvaise rencontre, à Amboise.
Elle mangea un œuf et un morceau de pain, et but un verre d’eau, dans une auberge proprette, isolée en avant de la ville, et se coucha. Elle s’endormit tout de suite, sous la fatigue et les émotions de la journée.
Le lendemain, en traversant Amboise, elle acheta un petit chapeau de paille très simple, pour éviter de ressembler au signalement qu’on n’avait pas dû manquer d’envoyer de tous les côtés. Puis, traversant le pont sur la Loire, elle alla prendre le train qui, trois quarts d’heure plus tard, la descendit à Blois.
Elle courut sur le quai, dans les salles d’attente et dans la salle des bagages, espérant que Louise serait arrivée la première, ayant peut-être pris un train la veille. Mais elle ne vit personne. Alors, elle alla s’asseoir dans un coin, prenant patience.
La matinée s’écoula. Elle alla acheter un petit pain, au buffet, et déjeuna dans la gare.
Déjà une réflexion lui traversait l’esprit : « Pourquoi Louise n’avait-elle pas pris un train du matin ? » Et la première crainte : « Est-ce qu’on l’aurait retrouvée et ramenée à l’orphelinat ? » Elle frissonnait à cette idée. Elle adorait sa sœur. Si Louise avait été arrêtée, Claire la rejoindrait, partagerait son sort. Elles attendraient, ensemble, un avenir meilleur.
Tout l’après-midi se passa encore. Louise ne paraissait pas. Et le soir vint… Claire ne quitta la gare que très tard, s’entêtant dans sa suprême espérance… mais quand même pleine d’angoisses.
Le lendemain matin, dès la première heure, elle était à son poste.
Que d’anxiété pendant ces longues, mortelles journées de fiévreuse attente !
Personne n’apparut ce jour-là ni les autres jours.
Elle avait eu soin d’acheter tous les matins un journal de Tours. Le journal avait rendu compte de la fuite des deux jeunes filles. Claire se tranquillisa un peu lorsqu’elle sut qu’à l’orphelinat on était sans nouvelles.
« Louise n’a donc pas été arrêtée, elle non plus ! Alors, pourquoi ne s’était-elle pas trouvée au rendez-vous ? Elle avait donc été victime d’un accident ? Malade ? Morte peut-être ? »
Obstinément, elle revint à la gare pendant deux ou trois jours encore.
Puis, ce fut fini.
Ses pauvres ressources s’épuisaient. Il lui fallait songer à chercher de l’ouvrage, si elle ne voulait pas être réduite à mendier.
Déjà, ses allées et venues, ses longues stations à la gare de Blois avaient excité certaines curiosités.
Un homme, entre autres, l’avait regardée avec une persistance singulière sans qu’elle s’en doutât, dans la préoccupation qui l’obsédait, toute à l’angoisse, à l’épouvante de ne point retrouver Louise.
Cet homme était de taille moyenne, solidement bâti. La petite vérole avait ravagé ses traits ; ses cheveux, encore abondants, étaient gris. Pas un poil de barbe.
Il rôda autour de Claire, qu’il voyait attristée et inquiète. Il fut même sur le point de lui adresser la parole. Mais, à ce moment, un train entrait en gare.
Un employé ouvrait la porte d’une salle d’attente et criait :
– Direction de Paris, en voiture…
Il eut un regard de regret vers la jolie inconnue, et sauta dans le train. Mais, l’œil à la portière, il ne la perdit pas de vue, tout le temps que le train fut en gare. Un moment, il fit signe au sous-chef :
– Est-ce que vous connaissez par hasard cette jeune fille ?
– Non, monsieur Moëb ; je remarque seulement que voilà deux ou trois jours qu’elle ne quitte pas la gare…
– Tiens ! tiens !
Les portières se refermaient. Le train s’ébranlait, entraînant à Paris le banquier Moëb, qui venait de passer deux jours à son château de Laubardière.
Trois jours après, Moëb revenait à Blois. Quelle ne fut pas sa surprise en retrouvant la jeune fille sur le quai de la gare, en la retrouvant plus pâle, plus triste !
Après quelques hésitations, Moëb finit par s’approcher d’elle.
– Mademoiselle, dit-il, vous semblez toute triste de ne pas voir arriver une personne que vous aimez beaucoup, sans doute…
Il avait la voix rude, bien qu’il essayât de l’adoucir. Ses yeux aussi, dépourvus de cils, essayaient d’être très doux, mais malgré cela conservaient un éclat inquiétant.
Elle eut peur et recula.
– Oh ! mademoiselle, ne soyez pas effrayée et pardonnez-moi, je vous prie, de vous avoir ainsi interpellée… Mais vous êtes si jeune… moi, je suis presque un vieillard… C’est un peu le père qui s’intéresse à l’enfant… Et en vous voyant si triste, j’ai été attiré vers vous…
Elle s’arrêta dans le mouvement qui l’éloignait de lui. Elle était un peu plus rassurée.
– Puis-je vous être utile, mon enfant ?
– Non, monsieur.
– Je le regrette… Toutefois, il se peut que vous ayez un jour besoin de conseil, d’un peu d’aide… Si vous n’avez pas d’amis, vous en trouverez un en moi, tout prêt à vous rendre service… Voici mon nom…
Il lui glissa une carte de visite sans qu’elle parût le remarquer. Il était déjà loin, quand elle y jeta un coup d’œil :
MOËB
117, avenue de Wagram, Paris.
Dans un coin de la carte, au crayon, Moëb avait ajouté :
Château de Laubardière,
par Onzain (Loir-et-Cher)
Elle le regardait s’éloigner, pensive, avec un remerciement dans les yeux.
Il ne se retourna pas une seule fois.
Un équipage, attelé de deux chevaux, l’emporta bientôt vers Blois.
Dans sa démarche, il y avait quelque chose de solide et de dégagé, tout à la fois, qui trahissait en lui l’homme plus jeune que son âge. À le voir s’en aller ainsi, tout à l’heure, vers sa voiture, il rappelait étrangement l’allure du comte du Thiellay, le châtelain qui avait su arracher des aveux à Mathis mourant. Il en avait la taille, la carrure des épaules, le port de la tête.
Thiellay, depuis douze ans, avait dû s’épaissir aussi et ses cheveux avaient sans doute grisonné, de telle sorte que, pour celui qui les aurait vus par-derrière, Thiellay et Moëb eussent offert deux gravures d’un même portrait.
De face, la comparaison n’était plus possible.
Machinalement, sans penser même que cela pût lui être utile un jour, Claire avait glissé dans sa poche la carte de Moëb.
Deux ou trois jours s’étaient écoulés encore en attente inutile. Puis, désespérée, il lui fallut songer à se procurer des ressources.
À qui s’adresser dans l’immense inconnu de cette vie où elle venait de se jeter sans soutien, dans l’ignorance absolue de ses dangers ?
Il y avait pour elle peu de ressources à Blois. Alors, elle songea à Moëb, à cet homme qui semblait si compatissant et qui, sans même savoir qui elle était, sans lui demander son nom, avait essayé de lui venir en aide.
Elle demanda le chemin d’Onzain. C’était à trois lieues environ, sur le bord de la Loire.
Elle partit à pied, trottinant doucement le long de la route et s’arrêtant parfois un quart d’heure pour reposer ses pieds fatigués.
Elle arriva vers midi.
Laubardière était encore à trois kilomètres d’Onzain, sur le coteau ; on distinguait, d’en bas, des tourelles neuves.
Elle acheta du pain et mangea assise sur le revers d’un fossé. En la voyant si gentille et si jolie, une brave vieille lui apporta un bol de lait de chèvre que Claire but avidement.
En remerciant, Claire avait des larmes dans les yeux.
La vieille la contemplait, silencieuse, un peu souriante.
– Vous allez loin comme ça, ma petite ?
– Au château de Laubardière.
La figure de la vieille changea brusquement. Elle devint dure et méprisante.
– Vous connaissez donc M. Moëb ?…
– Non. Mais il m’a dit qu’il pourrait m’être utile, si j’étais dans l’embarras.
– Ah ! oui ! Ah ! oui, je comprends ! murmura la vieille.
Elle haussa les épaules et tourna le dos à Claire.
– C’est drôle… à la regarder, je l’aurais crue honnête fille ! grommela-t-elle.
Claire n’entendit qu’à demi, mais elle ne comprit pas. Elle cria à la vieille qui s’éloignait :
– Est-ce que vous le connaissez, M. Moëb ?
– De nom, ma petite, de nom… parce que, des vieilles, il en fait peu de cas… il n’aime que les jeunes… Vous en saurez bientôt là-dessus plus que je ne pourrais vous en dire… si vous n’êtes pas déjà renseignée…
Elle rentra dans sa maison et Claire, ayant fini de manger, prit le chemin planté de peupliers qui conduisait à Laubardière. Moëb ne s’y trouvait pas. Il était à Paris.
Claire, après quelques explications, fut reçue par une vieille dame à l’air doux, à la parole mielleuse, à cheveux blancs, qui lui dit :
– M. Moëb m’a parlé de vous, mademoiselle. Il prévoyait sans doute que vous n’hésiteriez pas à utiliser sa bonne volonté…
Elle eut un petit sourire discret avec un regard fier, mais elle reprit vite toute sa gravité en voyant la candeur et l’innocence de Claire.
– Puisque M. Moëb est si bon, dit la jeune fille, je lui demanderai un grand service… C’est pour cela que je suis venue…
– Parlez, mademoiselle. M. Moëb fera ce qui dépendra de lui pour vous rendre heureuse. Vous verrez bientôt comme il est généreux, comme il donne sans compter… Il n’y a que des cœurs contents autour de lui.
– Oh ! madame, je ne demande pas qu’il me donne de l’argent… Je sais travailler, je suis même très adroite et je puis gagner ma vie… Mais je ne connais personne… je n’ai encore été employée nulle part et je n’ai pas de certificat ; alors les patrons se montrent intraitables…
La vieille dame l’interrogea. Qui était-elle ? D’où venait-elle ? Quels étaient ses parents ? Comment se trouvait-elle ainsi sans ressources, dans un pays où tout le monde lui était inconnu ?…
Claire inventa des détails ; elle avait eu le temps, depuis sa fuite de l’orphelinat, de préparer une histoire de laquelle il résultait que ses parents étaient morts, qu’elle venait de Bretagne pour gagner sa vie n’importe en quel coin de France et qu’elle s’appelait Madeleine ; elle ne donna pas un autre nom.
Elle rougissait en contant cela. C’était la première fois qu’elle mentait !
Et la dame à la parole mielleuse le comprenait sans doute, car elle souriait toujours, d’un air entendu, en approuvant avec la tête.
– Vous n’étiez pas obligée de me répondre, mademoiselle, dit-elle avec bonté. M. Moëb oblige les personnes auxquelles il s’intéresse, qui lui plaisent, et ne tient pas à savoir ce qu’elles sont… Avec lui, ce sera la liberté absolue… c’est la discrétion même…
– Est-ce que je pourrai le voir bientôt ?
– Il ne viendra pas à Laubardière avant une quinzaine de jours. Ce serait vous faire attendre longtemps. Le mieux est, je crois, que vous restiez ici deux jours à vous reposer… car vous semblez un peu fatiguée… Ces deux jours de repos vous remettront en état… Alors, vous partirez pour Paris et vous vous présenterez à M. Moëb qui vous accueillera comme un père…
– Et il me procurera de l’ouvrage… de quoi vivre ?…
– De quoi vivre, oui, mon enfant… dit la vieille sur un ton ambigu.
Elle fut conduite dans une petite chambre dont la fenêtre s’ouvrait sur le panorama superbe de la Loire. Elle y resta longtemps accoudée, rêvant, les yeux en pleurs, appelant Louise, sa chère Louise disparue.
Deux jours après, elle partait pour Paris.
« 117, avenue de Wagram », portait la lettre d’introduction que la dame aux cheveux blancs lui avait remise pour le banquier Moëb.
On lui avait donné de l’argent pour le voyage.
Elle avait dit, ingénument :
– J’en tiendrai compte et petit à petit je vous le rembourserai, madame, lorsque j’aurai trouvé du travail…
– Oui, oui, mon enfant, c’est entendu.
Avenue de Wagram, un hôtel élégant, cossu, où elle fut reçue à son coup de sonnette par un concierge en habit, raide, gourmé, qui demanda :
– Mademoiselle désire ?
– Voir M. Moëb et lui remettre cette lettre.
– Si Mademoiselle veut prendre la peine de monter ?
En même temps, le concierge avertissait, en haut, par un coup de sonnette électrique. En haut de l’escalier, Claire trouva un valet de chambre qui, sans lui rien demander, l’introduisit dans un petit salon. Et là seulement :
– Monsieur ne sera pas visible avant un quart d’heure… Si Mademoiselle veut attendre Monsieur ?
– J’attendrai… Veuillez seulement lui remettre cette lettre.
– Bien, Mademoiselle.
Elle attendit, assise timidement sur le coin d’un large fauteuil.
Le petit salon était luxueusement meublé, et les murs disparaissaient sous des tableaux de maîtres. Un grand silence régnait dans l’hôtel. Les pas des domestiques, qui allaient et venaient, étaient étouffés par l’épaisseur des tapis.
La porte s’ouvrit, une draperie s’écarta.
Et Moëb, souriant, parut enfin.
Il vint à la jeune fille, les bras tendus :
– Je vous serai reconnaissant toute ma vie, mademoiselle, d’avoir bien voulu vous souvenir de moi, et de me permettre ainsi de vous être utile…
Il l’obligea à se lever, en lui tenant toujours les mains qu’il pressait doucement dans les siennes, et il l’entraîna vers un canapé où il s’assit à côté d’elle.
Il ne lui fit aucune question : la lettre de la vieille dame l’avait renseigné suffisamment, sans doute. En outre, et pour ne point l’effaroucher, il ne lui parlait qu’avec respect, avec une tendresse paternelle.
Il fut convenu que Claire – ou plutôt celle qu’il connaissait sous le nom de Madeleine – irait habiter tout près, le plus près possible de l’avenue de Wagram, non pas en hôtel garni, où, disait M. Moëb, elle pouvait faire de mauvaises rencontres, mais dans une chambre que le banquier lui meublerait très simplement, dans une maison tranquille.
En attendant, et pendant deux ou trois jours, elle coucherait avenue de Wagram, et pourrait même commencer à travailler, car depuis longtemps il n’y avait personne à la lingerie.
Huit jours après, Claire était chez elle, dans la même avenue ; elle occupait un petit logement composé de deux pièces.
Il ne s’y trouvait que les meubles indispensables, aucun luxe, rien qui pût surprendre, inquiéter peut-être la jeune fille.
Moëb lui avait dit simplement :
– Vous me permettez de venir quelquefois prendre de vos nouvelles…
– Oh ! monsieur, comment reconnaîtrai-je jamais ? Comment vous prouver ma reconnaissance… ?
– Peut-être… peut-être bientôt, dit-il doucement.
– Tant mieux, monsieur, tant mieux.
Il lui remit une adresse :
MADAME LEBOUTOIS
Corsets
Rue du Quatre-Septembre, 18
– Là, dit-il, vous trouverez de quoi vous occuper… Si vous voulez travailler à l’atelier, vous le direz à Mme Leboutois, mais si vous préférez emporter votre ouvrage et travailler chez vous, Mme Leboutois ne s’y opposera pas. C’est une bonne personne en qui vous pouvez avoir confiance.
Chez Mme Leboutois, Claire fut reçue sans discussion. Incontinent, on lui confia de l’ouvrage à emporter. Et lorsque, l’ouvrage terminé, elle compta son premier argent, elle fut émerveillée.
Claire eût été heureuse – complètement – si Louise avait partagé sa vie ; mais chaque jour écoulé diminuait les chances de retrouver la jeune fille. Que lui était-il arrivé ?
Moëb était si bon pour elle, si doux et si attentif, qu’elle avait eu à plusieurs reprises l’intention de se confier à lui, de tout lui dire. Il était très riche, sans doute très puissant. Lui, sans doute, retrouverait Louise…
Depuis qu’elle était installée dans son petit chez-elle, Moëb était venu la voir souvent, presque toujours le soir. Dans les premiers temps, il ne restait que quelques minutes et il ne venait que deux fois par semaine ; peu à peu, il vint trois fois, puis quatre fois, et il restait maintenant une heure, pendant qu’à la lueur de sa petite lampe, sous l’œil du banquier, Claire continuait à travailler.
Il l’embrassait en arrivant ; il l’embrassait en partant. C’était tout. Cependant, parfois, il était arrivé que Claire, en relevant les yeux, avait rencontré, fixé sur elle, un regard si étrange, brûlant d’une flamme si ardente, qu’elle en avait été mal à son aise.
Une sorte de répulsion, ou plutôt de frayeur, s’était emparée d’elle, et ce sentiment n’avait fait que s’accentuer le lendemain, lorsqu’il était revenu, le soir, à la même heure ; il l’avait prise soudain dans ses bras, avait couvert de baisers fiévreux ses cheveux, ses yeux, son visage, cherchant sa bouche. Elle lui avait échappé toute pâle, interdite, éperdue.
Mais il s’était remis brusquement et, à son départ, comme pour la rassurer, il lui avait tendu simplement la main, en camarade.
Toute cette nuit qui suivit, pourtant, elle eut le cauchemar : des yeux terribles se penchaient sur elle dans son lit ; elle se sentait attirée, essayait vainement de se débattre, puis roulait dans un abîme où elle tournoyait entre les bras de Moëb. Elle se réveilla, affolée.
Elle avait à sortir le soir pour reporter de l’ouvrage.
En rentrant, vers huit heures, elle trouva le banquier installé chez elle. Sur une table, il avait fait dresser un dîner délicat, et d’un seau de glace émergeait, au pied de la table, le col doré d’une bouteille de champagne. Elle s’arrêta, interdite, en apercevant ces préparatifs.
Il se mit à rire, en brave homme, pour la tranquilliser :
– Voilà ce que c’est, dit-il. Comme j’ai remarqué que vous ne m’invitiez jamais à déjeuner ou à dîner parce que, sans doute, vous avez peur que je ne fasse maigre chère, j’ai dressé moi-même mon menu et je l’ai fait apporter. Ça vous va-t-il ?
Malgré l’air brave homme qu’il affectait souvent avec elle et le gros rire dont il accompagna ces paroles, elle retrouvait – elle le croyait, du moins – les yeux ardents du cauchemar.
– Voyons, Madeleine, mon enfant, dit-il, est-ce que vous allez me montrer cette figure d’enterrement ?… Je gêne peut-être quelque projet ? Est-ce que par hasard vous n’aviez pas l’intention de passer la soirée chez vous ?
Elle s’excusa. Elle lui devait tout, à cet homme. Il l’avait généreusement accueillie sans la connaître, lui avait procuré du travail qui lui permettait de vivre honnêtement, se montrait pour elle un père. D’où venaient, alors, ces vagues, obscures défiances qu’elle ressentait parfois et qui faisaient qu’elle se tenait toujours, vis-à-vis de Moëb, sur la défensive ?
Elle était trop jeune pour le deviner.
Moëb allait et venait, d’un pas alerte. Il préparait tout pour ce repas en tête à tête, essayant de la distraire, de l’égayer.
– Il y a des choses dont vous n’avez jamais mangé, hein ?
Et il les détaillait.
– C’est vrai, disait Claire, je ne connais rien de tout cela.
– Et du champagne ! Je suis sûr, ma petite Madeleine, que vous n’avez jamais bu seulement le fond d’une coupe de champagne ?
Tout était prêt. Moëb mit sa chaise tout près de celle de Claire.
– Maintenant, mangeons !…
Et tout de suite, il avait débouché la bouteille au col doré dont la mousse perfide et pure comme de la neige emplit les verres jusqu’au bord.
De temps en temps, il prenait la main de Claire et l’embrassait.
Une fois, il chercha ses lèvres ; elle rejeta la tête en arrière, se leva, mit sa chaise de l’autre côté de la table, sans dire un mot. La pudeur était éveillée en son âme ; à présent, elle allait se tenir sur ses gardes. Elle versa dans un grand verre la coupe de champagne et le remplit d’eau. Il se récria :
– De l’eau dans du champagne !…
Elle s’excusa, gentiment.
– Il est très fort. Ça me donnerait mal à la tête… Demain, je ne serais plus aussi libre pour travailler…
Pour la première fois, il la tutoya :
– Ne t’occupe donc pas du lendemain, ma petite Madeleine. Est-ce que je ne suis pas là pour veiller à ce qu’il ne te manque rien ?… Tu as la marotte du travail et je ne veux pas te contrarier… Si tu le voulais, tu pourrais ne rien faire… Pour cela, tu n’aurais tout simplement qu’à profiter de l’affection que j’ai pour toi…
– Je n’ai aucun droit à cette affection et je veux la mériter par mon travail… Je veux aussi vous rembourser les avances que vous avez faites pour moi.
Et ouvrant le tiroir d’une commode en acajou, elle en tira une boîte en carton, qu’elle vint secouer aux oreilles de Moëb. La boîte rendit un son argentin.
– J’ai déjà des économies, vous savez !
Il ne fut point désarmé par le charme de cette innocente. Comme elle était près de lui, il la saisit par la taille et l’assit sur ses genoux. Elle se débattit, mais il la retenait de force.
Et elle sentit de nouveau s’appesantir sur elle les yeux terribles, les yeux du cauchemar ; elle frissonna : il lui parlait bas, à l’oreille.
– Tu ne vois donc pas que je t’aime… que ta beauté m’a rendu fou ?… Je suis riche… je te ferai riche également… tu auras tout l’argent, tout le luxe que tu voudras… Je ne te demande, en échange, qu’un peu d’amour.
Enfin, elle avait compris. Une rougeur lui couvrit le visage, le front. Elle se dégagea par un mouvement brusque et alla se réfugier au fond de la chambre, tremblant de tous ses membres.
– Pourquoi me fuis-tu ? Pourquoi as-tu peur de moi ? Tout ce que j’ai fait jusqu’aujourd’hui ne prouve-t-il pas que tu n’as rien à redouter ?
Et comme elle restait silencieuse, farouche :
– Voyons, tu n’es pas une sotte… Tu devines bien à demi-mot… Est-ce que tu crois que c’est par charité, et comme on donne deux sous aux pauvres, que je me suis conduit envers toi avec tant de tendresse ?…
Il se rapprochait d’elle, lentement.
– Réfléchis… Je jure que je te ferai un sort que tout le monde enviera… Tu ne travailleras plus… tu quitteras ce logement et je te meublerai un hôtel où tu auras des domestiques aussi nombreux que tu le voudras…
– Allez-vous-en ! dit-elle, d’une voix rauque.
– Réfléchis, te dis-je ; je t’aime ardemment…
– Vous me faites horreur…
Il s’avançait toujours. Il allait l’atteindre. Elle se précipita d’un bond vers la porte et l’ouvrit. La porte donnait sur l’escalier. Cela la tranquillisa. Au besoin elle pourrait appeler, descendre, sortir de la maison…
– Madeleine ! dit-il, suppliant, joignant les mains.
Il y avait tout à la fois, dans ses yeux, de la colère, de la passion et de la déconvenue.
– Madeleine, ne t’en va pas… reste auprès de moi…
Elle, les dents serrées, comprenant qu’il ne pardonnerait pas s’il était le plus fort et n’aurait pas pitié, gardait le silence. Elle n’aurait pu parler, tant elle avait peur… Songer à l’implorer était inutile.
Alors, soudain, elle arrache la clef de la serrure, avant qu’il se soit douté de ce qu’elle voulait faire, se jette sur le palier, tire la porte et ferme à clef au moment où les poings de Moëb s’abattent avec rage de l’autre côté.
– Ah ! tu me le paieras ! tu me le paieras ! Ne l’oublie pas !
Il eut un juron grossier, échappé à la folie de son exaspération.
Claire était tombée sur la première marche de l’escalier. Ce danger passé, un anéantissement l’envahissait. Ses yeux s’aveuglèrent d’un nuage. Une sueur froide monta à son front. Pendant quelques secondes, elle perdit connaissance.
Lorsqu’elle revint à elle et qu’elle se rappela, elle écouta à la porte de l’appartement. Moëb marchait de long en large, agité.
Elle descendit, la tête vague, sans savoir où aller. En bas, elle se fit ouvrir. Et elle se trouva dans la rue.
Tout d’abord elle marcha sans but, mais très vite, pour s’éloigner de là. Lorsqu’elle se sentit fatiguée elle était aussi plus calme. Où se trouvait-elle ? Un monument frappa son regard. C’était une église : la Madeleine. Elle gagna des rues plus silencieuses.
Mais elle n’allait pas passer la nuit dehors. Elle fouilla dans ses poches et trouva quelques pièces d’argent : celles de ses économies, qu’elle avait montrées tout à l’heure à Moëb.
Rue de Constantinople, elle entra dans un hôtel. Elle demanda une chambre et tomba sur son lit, harassée, morte de fatigue.
Le lendemain, son premier soin fut de se rendre avenue de Wagram. Elle voulait reprendre là l’ouvrage en train, puis quelques menus objets de lingerie et de toilette. Mais elle n’y habiterait plus…
Elle trouva sur le seuil le concierge qui semblait l’attendre et prit un air sévère :
– Nous avons délivré M. Moëb ce matin, mademoiselle, mais nous ne pouvons pas tolérer votre conduite… Ce serait la honte d’une maison qui se respecte… Un homme si bon, si généreux… qui ne fait que du bien… Le loyer de votre logement était à son nom… les meubles avaient été payés par lui… Rien donc ne vous appartient… Vous avez eu la complaisance de laisser la clef sur la porte… J’ai pris la clef… Bonsoir…
Elle eut beau supplier, dire que les choses qu’elle désirait emporter avaient bien peu de valeur, elle eut beau pleurer… L’homme lui tourna le dos, ne pouvant deviner la vérité.
Elle se retrouvait à peu près sans ressources, comme au lendemain de sa fuite de l’orphelinat, car le peu d’argent qui sonnait dans sa poche serait vite dépensé – elle le prévoyait –, en allées et venues pour trouver de l’ouvrage.
Elle attendit l’ouverture de l’atelier et se rendit aussitôt chez Mme Leboutois, à laquelle elle voulait confier sa mésaventure et ses tristesses. Celle-ci était en train de lire une lettre ; mais à la vue de Claire, elle la replia vivement, se leva et prit un air glacé.
– Madame, dit la pauvre fille, je ne pourrai pas vous rendre l’ouvrage que vous m’avez confié hier, car il est retenu dans le logement que j’occupais avenue de Wagram et le concierge refuse de me rendre la clef. J’ai été obligée, cette nuit, de coucher à l’hôtel.
– C’est peu de chose, mademoiselle, et je vous en fais cadeau.
Claire respira.
– Alors, madame, puis-je espérer que vous voudrez bien me confier d’autre travail ?… Il m’a semblé que vous étiez satisfaite de moi.
– Très satisfaite, en effet. Mais la saison est difficile. Voici le chômage annuel. C’est l’époque où je renvoie la plupart de mes ouvrières. Je garde seulement les plus anciennes, celles qui me sont les plus attachées… Je regrette beaucoup, mademoiselle…
Les yeux de Claire se remplissaient de larmes.
– Oh ! madame, nous pourrions peut-être nous entendre. Vous me donniez pour mes journées un gain qui me paraissait dépasser ce que je méritais… Diminuez-le, madame…
– Cela m’est impossible…
Les larmes s’échappèrent des beaux yeux et ruisselèrent le long du visage.
– Dans d’autres ateliers, madame, et avec votre recommandation, est-ce qu’il me serait plus facile de m’employer ?
– Je l’ignore. Je ne connais personne…
– Du moins, madame, sur mon certificat, vous constaterez que je ne vous ai pas mécontentée… au contraire…
– Je constaterai que vous êtes entrée chez moi tel jour, que vous en êtes sortie tel jour… et ce sera tout… Je ne vous ai pas demandé vos papiers… je ne vous ai pas demandé votre nom… Je vous ai prise sur la recommandation d’un homme honorable et bienfaiteur… Cet homme vous connaît sans doute, puisqu’il se portait garant de votre honnêteté… Adressez-vous à lui… Adieu, mademoiselle…
Claire sortit de là toute fiévreuse, éperdue. Elle sentait se resserrer autour d’elle les mailles d’un filet qu’on lui tendait. Son éducation se faisait brusquement…
La générosité de Moëb, la mansuétude doucereuse de la dame aux cheveux blancs, au château de Laubardière, la facilité avec laquelle Mme Leboutois l’avait accueillie tout cela n’avait qu’un but : aplanir doucement la route qui conduisait Moëb jusqu’auprès d’elle, et la jeter, un beau soir, affolée, surprise, entre les bras du misérable…
– Et maintenant, à qui m’adresser ? Et qui me protégera ?
Debout, tête baissée, toute pâle, elle songeait, sans faire un pas sur le trottoir de la rue du Quatre-Septembre, lorsqu’elle se sentit prise par le bras ; elle tressaillit, se retourna et reconnut une jeune fille, Sophie, toute rose, toute blonde, toute rieuse, qui avait quitté l’atelier de Mme Leboutois quinze jours auparavant.
– Madeleine ! Comme tu as l’air triste !…
– Madame m’a refusé de l’ouvrage et je ne sais que devenir… Le concierge m’a jetée hors de chez moi et c’est à peine s’il me reste quelques francs…
– Tiens ! tiens ! mais le banquier ?
– Tu dis ?
– Je dis M. Moëb, le banquier, ton amant, est-ce qu’il t’a lâchée ?
– Je n’étais pas et je ne serai jamais sa maîtresse.
– Alors, tu crois que c’était pour le bon Dieu qu’il s’intéressait à toi ?… Godiche, va !…
Et Sophie éclata de rire, sans méchanceté, en Parisienne qu’elle était. Claire murmura sourdement, une flamme dans les yeux :
– J’ai compris tout cela hier seulement.
– Et depuis hier, tout est rompu ?… Je comprends que Moëb n’est pas ragoûtant avec ses petits trous d’écumoire dans la figure… surtout si c’est ton premier… parce que, après, pour les autres, on passe facilement sur la beauté, quand il y a de la galette… Et il en a de la galette, le banquier Moëb !…
– Sophie, ce que tu me dis là, je ne comprends pas très bien…
Sophie haussa les épaules et, philosophe :
– Ça viendra… En attendant, tu vas manger de la vache enragée. Souviens-toi de Sophie quand tu seras dans la purée. Je demeure 11, faubourg Poissonnière, au deuxième… il y a une chambre pour toi…
– Est-ce que tu pourrais me trouver de l’ouvrage, Sophie ?
La blonde se pinça les lèvres.
– J’y penserai ! dit-elle sur un ton ambigu.
– Où travailles-tu ?
– Je te raconterai ça… mon travail est très dur… c’est un service de nuit.
Elle s’éloigna en riant, et pourtant, à quelques pas, elle se retourna, sa fraîche figure en l’air, toutes ses dents éclatant sur le rouge des lèvres, et elle ajouta, amicalement :
– N’oublie pas… 11, faubourg Poissonnière… Tu me feras plaisir…
Et, de plus en plus pâle, Claire se dit : « Non, non, je n’irai pas… jamais, jamais ! »
D’atelier en atelier, elle passa cette première journée douloureuse à chercher de l’ouvrage. Partout elle fut reçue poliment. On prit son nom, son adresse – à tout hasard, elle indiqua celle de l’avenue de Wagram – mais nulle part elle ne reçut de travail. Rien que des promesses vagues pour l’avenir.
Quand elle eut épuisé jusqu’à son dernier franc, quand elle se vit menacée de coucher à la belle étoile et d’être ramassée comme vagabonde et peut-être conduite au Dépôt, elle alla frapper à la porte de Sophie.
La jolie blonde l’accueillit gaiement.
– Je savais bien que tu viendrais, ma pauvre Madeleine, un peu plus tôt, un peu plus tard… Tu as mal débuté dans Paris, vois-tu… Et dire tout de même que si tu avais voulu, tu aurais un équipage et un hôtel et des domestiques, car il paraît que Moëb est fou de toi… J’en ai entendu parler par des petites de chez Mme Leboutois… Fou à lier… Il en fera une maladie, sûr, si tu ne veux pas… Ah ! si ç’avait été moi !…
– Si c’était toi, Sophie ?
– Eh bien ! vrai, dit-elle en riant, j’aurais fait comme toi… Décidément, tu es trop jolie et il est trop laid !…
Chez Sophie, elle savait pouvoir trouver gîte et nourriture. C’était beaucoup ; cela lui permettrait de continuer à chercher de l’ouvrage. Elle finit par en trouver un peu, dans les grands magasins, en travaillant douze heures par jour.
Sophie se montrait bonne pour elle, et Claire fermait les yeux sur la conduite de la jeune fille. Du reste, Sophie s’astreignait chez elle à l’apparence stricte d’une vie bourgeoise ; elle avait une femme de chambre qui lui faisait sa cuisine le matin, car, le soir, rarement elle dînait chez elle, et le seul mais grave accroc qu’il y eût au côté bourgeois de son existence, c’est qu’elle rentrait toutes les nuits fort tard – lorsqu’elle rentrait.
Peu à peu, cette vie en l’air autour de laquelle semblait flotter constamment une atmosphère de gaieté – jamais Sophie n’était triste, jamais le moindre souci – influait sur l’esprit de Claire.
Elle avait trop souffert – depuis douze ans – et de trop d’injustice pour ne pas se trouver désarmée contre la vie.
Bien qu’elle continuât de travailler encore, le néant de cette existence la lassait. Ah ! si Louise avait été auprès d’elle !… Ensemble, la vie eût paru douce, quelle qu’en eût été la misère !…
Louise, ce doux visage résigné et tendre… Qu’était-elle devenue ?
Un jour de printemps, voyant Claire triste et un peu malade, Sophie lui dit :
– Tu pourrais bien, tout de même, prendre un peu de congé…
Elles allèrent dans la forêt de Fontainebleau. Sophie avait de nombreuses connaissances, un peu dans tous les mondes. Elle trouva des amis, à Fontainebleau, qui lui firent cortège. Tous étaient jeunes, gais et bons garçons. Deux d’entre eux tutoyaient Sophie ; elle s’en expliqua à Claire.
– N’aie pas peur… Ce sont des artistes… Dans les coulisses, on tutoie tout le monde.
Le plus âgé de cette bande – et du reste faisant contraste avec les autres – était un homme de tournure assez vulgaire, mais à la physionomie expressive et intelligente, Robert Aujoux, propriétaire de la maison de dentelles de la rue de la Paix, très riche, veuf et sans enfant.
Les jeunes filles restèrent trois jours à Fontainebleau.
Quand elles se retrouvèrent seules, dans le train qui les emportait vers Paris, Sophie dit à Claire :
– Sais-tu ce qui arrive, ma petite Madeleine ?
– Quoi ?…
– Il arrive que Robert Aujoux en tient pour toi !
– Tu te moques ?
– Aussi vrai que je suis une bonne fille… Et j’en suis contente… Au moins, celui-là, sans être beau, il est présentable… et avec cela très riche…
Elle prit la main de son amie et ajouta, après un silence malicieux :
– Et toi, Madeleine, qu’est-ce que tu en penses ?
Claire rougit violemment et ses yeux s’emplirent de larmes.
– Bon, dit Sophie, c’est tout ce que je voulais savoir…
Un mois après, Claire était la maîtresse de Robert Aujoux…