I – UNE PETITE FÊTE DE FAMILLE

Quelques semaines après les événements que nous venons de rapporter, un jeune homme attendait avec impatience sur le seuil de l’auberge du Val-d’Enfer, en pleine Forêt-Noire, le départ de la diligence qui se dirigeait sur Fribourg. Il portait le costume pittoresque des chasseurs de la Forêt-Noire, le chapeau à plume renversée, le manteau court sur une casaque attachée à la taille par un ceinturon de cuir, la culotte de chamois collante et les bottes molles armées d’éperons d’acier.

Il fouettait nerveusement sa botte d’une fine cravache qui avait dû lui servir quelque peu si le cheval, que le garçon d’écurie était en train de bouchonner et de soigner à quelques pas de là, appartenait à ce fier cavalier. La bête était fourbue, incapable d’un nouvel effort. C’était en effet sur ce magnifique animal que le chasseur s’était présenté ce matin-là à maître Frédéric II, le patron de l’auberge du Val-d’Enfer ; mais le cavalier n’avait pas plutôt fait son entrée dans la cour que la bête s’était abattue.

« Un cheval ! Un cheval ! » Maître Frédéric II avait souri. Il n’y avait plus un cheval dans ses écuries. Toutes ses bêtes couraient sur les routes de la Forêt-Noire qui, ce matin-là, du côté du Val-d’Enfer, se trouvaient fort encombrées.

– Où allez-vous ? avait demandé maître Frédéric.

– À la tour Cage-de-Fer de Neustadt !

– Mais on n’approche pas aujourd’hui de la tour Cage-de-Fer de Neustadt ! Les chemins en sont défendus !

– Vous ne savez pas à qui vous parlez, monsieur !

– Pardon, Altesse ! s’inclina Frédéric II avec une ironie qui fit frémir le chasseur… Mais pour conduire Votre Seigneurie le plus près possible de la tour Cage-de-Fer, il ne vous reste plus que la diligence que nous attendons ! Du reste, la voilà ! et je vous souhaite d’y trouver une place !

Heureusement pour le chasseur, il en restait juste une, une seule ! Le jeune homme dut se résigner à voyager entre deux négociants en bois qui étaient bien connus dans la contrée. Chose singulière, ce matin-là, les gros négociants ne parlaient pas de leurs affaires, ni les sabotiers de Totnau, ni les marchands de jouets de Fribourg, ni les horlogers, ni les bûcherons…

Dans la cour, dans la salle de l’auberge, on ne s’entretenait que du grand événement du jour, du double mariage des petites nièces de l’empereur, les deux jumelles de Carinthie, Régina et Tania, mariage qui devait se célébrer dans la chapelle du vieux château de la Tour Cage-de-Fer de Neustadt.

On ne connaissait l’événement que de la veille, tant il avait été soigneusement caché, et la précipitation avec laquelle on menait la cérémonie, en plein deuil, du reste, de la cour d’Austrasie, n’était point pour faire taire les langues. On racontait couramment que l’empereur avait hâté les noces à cause du trouble profond dans lequel se trouvait l’empire et des symptômes menaçants de guerre civile qui venaient du Bas-Danube. Ce n’était plus un mystère pour personne que du côté de l’Orient il faudrait se résoudre à avoir recours aux armes. Les ennemis de l’empire prêchaient la guerre ouverte, de la Galicie à l’Adriatique, et les peuples entiers se soulevaient dans le moment.

Des régiments entiers de citoyens armés, prêts à la guerre, semblaient sortir de terre et remontaient en chantant les rives du Danube. Les Slaves et les Hongrois eux-mêmes, oubliant leurs anciennes querelles, marchaient la main dans la main ; les Serbes les soutenaient ; la Bosnie et l’Herzégovine grondaient ; les Polonais ne cachaient point leurs sympathies. Quant aux Croates, hommes, femmes, enfants étaient prêts à donner leur vie pour la cause commune. Enfin le bruit courait que du nord au sud, de l’est à l’ouest de l’empire, on avait vu passer sur les routes des caravanes de gens sans feu ni lieu, sans foi ni loi, des vagabonds, des cigains, des romani qu’on pourchassait de province en province et qui tous gagnaient la Hongrie et se perdaient dans la Puzta où ils préparaient la guerre sainte.

Ces nouvelles couraient de bouche en bouche, et aussi des appréciations plus ou moins favorables sur le mariage de Karl le Rouge et de Régina de Carinthie. Karl le Rouge était franchement détesté de toute la contrée. On plaignait la princesse Régina, qui devait envier le sort de sa sœur, la princesse Tania, laquelle épousait le jeune et beau prince Ethel, héritier de l’empire.

La conversation était quasi générale entre les voyageurs. Seul, le jeune chasseur de la Forêt-Noire, que nul ne connaissait, ne disait rien. C’est à peine s’il répondait aux Guten Tag polis dont les voyageurs le gratifiaient au passage. Enfin chacun regagna sa place dans la diligence. Le chasseur était monté sur l’impériale et il ne fut pas sans remarquer avec quelle attention soutenue et un peu étonnée un garde forestier que chacun appelait père Martin et son compagnon que l’on appelait maître Mathias, le considéraient. S’il n’avait craint par un incident de retarder encore le voyage, il serait certainement allé demander à ces gens ce qu’ils lui voulaient. Mais Martin et Mathias portaient chacun un fusil en bandoulière et, après avoir dit leur adieu à un pauvre vieillard tout ratatiné et courbé par les ans qui était apparu sur le seuil de l’auberge, montèrent à leur tour dans la diligence. Le vieillard leur cria :

– Soigne bien mon fusil, père Martin ! Et conserve ta poudre sèche, père Mathias ! À tantôt ! J’ai comme une idée que ce sera bientôt la chasse aux loups !

Sur quoi la diligence s’ébranla et descendit au bruit de ses grelots le Val-d’Enfer. La journée s’annonçait bien, et la forêt chantait dans toutes ses branches. Cependant les fronts restaient sombres. Les uns disaient :

– V’la un double mariage qui aurait dû être une fête pour tout le pays. On dit que l’empereur est arrivé à la Tour ! S’il y est venu, personne ne l’a vu, bien sûr… C’est comme le roi de Carinthie… et les princes et les princesses. On ne voit personne… On ne voit que des soldats partout, et puis : « Défense de passer ! » depuis trois jours… C’est pas naturel…

Le jeune chasseur de la Forêt-Noire se taisait toujours… L’un de ses voisins, intrigué et curieux, lui demanda :

– Eh ! mon petit monsieur, vous v’là habillé en chasseur de la Forêt-Noire, costume historique, quoi ! mais qu’on ne met chez nous qu’aux jours de fête… et pour aller tirer l’arbalète sur la grand-place de Neustadt. C’est-y que vous seriez de la noce ? C’est-y qu’y aurait des chasses après la cérémonie ? Vous êtes peut-être ben grand veneur ?

– Non pas, monsieur, répondit le jeune homme en fronçant les sourcils, je ne suis rien de tout cela… et je n’ai point d’arbalète, mais j’ai un beau couteau que voilà, communément appelé couteau de Valachie, et qui a coupé la langue à de moins bavards que vous !

Comme, en disant ces mots, le jeune chasseur avait tiré de sa ceinture son couteau qui était de taille, tout le contingent de « l’impériale » estima qu’il était prudent de se taire et l’on n’entendit plus un mot jusqu’au moment où, à un détour du chemin, apparurent les hauts créneaux de la tour Cage-de-Fer de Neustadt. Les langues repartirent de plus belle ; mais elles prirent garde de ne point s’adresser au sombre et farouche chasseur, qui paraissait en proie à une singulière émotion. De temps à autre une sourde exclamation lui échappait, traduisant la fureur dans laquelle le mettait la lenteur de cette diligence.

Les marchands disaient :

– Voici la messe qui sonne ! Dans un quart d’heure, il y aura une Mme Karl le Rouge !

D’autres :

– Ah ! Regardez tous ces soldats ! La montagne en est couverte ! Le cousin de Carlsruhe a prêté toute sa garde pour la cérémonie !

En effet, il était facile de voir que tous les sentiers qui montaient à travers la forêt jusqu’à la tour étaient encombrés de troupes…

– De quoi a-t-on peur là-haut ? se demandaient les voyageurs en ricanant. Mme Karl le Rouge craint peut-être qu’on ne vienne lui enlever son mari, ou troubler sa nuit de noces !

Des rires saluèrent cette boutade, mais ces rires se turent presque aussitôt, car le jeune chasseur s’était dressé avec un visage terrible et il avait retiré une fois encore son couteau de sa gaine et il avait fait un pas vers celui qui avait parlé de la « nuit de noces de Mme Karl le Rouge ! » Mais le jeune chasseur remit son arme à sa ceinture et ordonna au conducteur d’arrêter :

– Réflexion faite, j’aime mieux descendre ! Au revoir, messieurs ! Quand la diligence eut repris sa course, le chasseur ne fut pas peu surpris d’apercevoir à sa droite et à sa gauche deux compagnons qui étaient descendus, eux, de l’intérieur de la diligence pendant qu’il dégringolait de l’impériale. Il reconnut le garde forestier Martin et celui que l’on appelait maître Mathias. Ils avaient la bretelle de leur fusil passée à l’épaule et le chapeau à la main :

– Nous avons bien l’honneur de nous trouver en face du seigneur Rynaldo ?

Le jeune homme était rouge de fureur et de honte, car ces deux hommes, avec leurs deux fusils, avaient bien l’air de s’assurer de l’identité d’un prisonnier. Il répondit, la bouche rageuse :

– Je vous trouve bien osés, manants, de demander son nom à un voyageur qui se soucie bien peu du vôtre !

Alors, très calmes, ils se présentèrent, énumérant leurs noms et qualités, et se posèrent en amis dont le dessein était de se faire casser la tête au besoin pour la sécurité du seigneur Rynaldo, qui ressemblait tant au défunt seigneur Réginald, lequel ils avaient toujours eu en grande estime et haute vénération, à toute heure du jour et de la nuit, qu’il fût minuit, midi, ou même « deux heures et quart » ! À ces mots, Rynaldo leur tendit la main.

– Je vous demande pardon ! dit-il. Qui vous envoie au-devant de moi ?

– « L’Heure Rouge ! » répondit maître Martin.

– La « petite matelassière », répondit maître Mathias.

– Elle savait donc que j’allais venir ! Elle m’attendait donc ! s’écria le jeune homme avec émotion.

– « L’Heure Rouge » sait tout ! fit simplement maître Mathias. Oui, elle savait que vous viendriez, mais elle ne vous attendait pas aussi tôt !

– Parbleu ! elle m’avait ordonné de ne venir qu’à dix heures du soir, à l’auberge du Val-d’Enfer.

– C’est bien cela, c’est bien à dix heures du soir que nous devions nous trouver à l’auberge du Val-d’Enfer. Elle nous avait dit que nous rencontrerions là un jeune homme qui, sur ses ordres, serait habillé de l’antique costume des chasseurs de la Forêt-Noire, pour que nous puissions le reconnaître.

– Et que deviez-vous lui dire ? demanda le jeune homme.

– Nous devions lui dire que nous étions à sa disposition pour le conduire auprès de sa sœur Myrrha ! Mais, seigneur Rynaldo, par où allez-vous de ce côté ? Il n’y a pas de chemin par ici !

Le jeune homme venait en effet de se jeter sous bois, sur la gauche de la route qui était donnée à cet endroit par un pic des plus élevés, en forme de falaise.

– Ce que je fais ? Mais je me promène, messieurs ! répondit Rynaldo en s’accrochant aux branches. Je me promène en attendant dix heures du soir et le bonheur de revoir ma sœur Myrrha !

Les autres ne le quittaient point d’un pas et se montraient quasi aussi agiles que lui à se glisser à travers les branches. L’air résonnait alors du second coup de la messe.

– C’est que nous allons vous dire, seigneur Rynaldo, reprit maître Mathias. Notre maîtresse, connaissant votre impatience de revoir votre sœur Myrrha, avait pensé que vous pourriez très bien devancer l’heure qu’elle vous avait fixée, et elle nous avait chargés de surveiller le Val-d’Enfer pour vous découvrir à quelque heure que ce fût, dans le désir de vous garder de toute mauvaise rencontre.

– Je ne crains ni les mauvaises rencontres, ni les bonnes, répliqua Rynaldo en fixant ses interlocuteurs de façon qu’ils comprissent bien. Et maintenant sachez bien ceci. Je suis dans le Val-d’Enfer à dix heures du matin au lieu de m’y trouver à dix heures du soir, comme il était convenu, parce que dans l’intervalle, cette nuit même, j’ai appris par le plus grand des hasards – de la bouche même de l’impératrice – j’ai appris que la princesse Régina de Carinthie se mariait ce matin au seigneur Karl de Bramberg, et que cette princesse m’inspire trop d’estime et de respectueuse amitié pour que je n’assiste point à une si belle cérémonie ! Je ne suis point, moi, comme l’impératrice Gisèle, qui préfère ne point assister au mariage de la princesse Tania et de l’archiduc Ethel plutôt que de voir la main blanche de Régina de Carinthie dans la main rouge de Karl le Rouge !

Et ayant lancé cette singulière apostrophe, il bondit… Mais les autres bondissaient à côté de lui. Il se retourna une fois encore, furieux :

– Qu’est-ce à dire, messieurs ? Est-il possible que vous ne m’ayez point compris ? Je vous en prie… quittez-moi ! et ne songez qu’à exécuter votre consigne, qui est de me conduire à dix heures du soir auprès de ma sœur Myrrha.

– Monseigneur, reprit froidement maître Mathias, notre consigne était aussi, dans le cas où nous vous aurions rencontré avant dix heures du soir, de vous conduire immédiatement auprès de votre sœur Myrrha !

– Le chemin qui conduit chez elle n’est donc point celui-ci ?

– Vous voyez bien, monseigneur que ceci n’est pas un chemin ! Si vous vous y obstinez, nous allons tous nous y rompre le cou, car je vous avertis, monseigneur, que nous exécuterons notre consigne jusqu’au bout et que nous ne vous quitterons point.

– Eh bien, messieurs, en ce cas, suivez-moi.

Rynaldo ne dit plus un mot. Il s’était élancé avec l’agilité d’un singe. Il grimpait cette falaise à pic, entre les rocs de laquelle, de temps en temps, un sapin lui tendait l’aide de ses rameaux ou de ses racines. Si bien qu’ils se fussent habitués, au temps de leur jeunesse, à ce genre d’exercice, maître Mathias et le père Martin ne purent suivre longtemps le jeune homme. Leurs vieilles jambes refusèrent bientôt un service aussi ardent, et ils s’arrêtèrent avec un gémissement de désespoir en entendant Rynaldo qui, arrivé au sommet du pic, jetait un cri de triomphe avant de disparaître.

*

* *

Le troisième coup de la messe venait de sonner. Le clergé, à la tête duquel s’était placé Mgr l’archevêque cardinal de Vienne, se tenait sur le seuil de la chapelle, attendant le blanc cortège des deux jeunes mariées et de leurs filles d’honneur. L’empereur, le roi Léopold-Ferdinand, les princes et les princesses se trouvaient réunis dans l’antique salle des gardes, attendant le moment de suivre les deux jeunes filles qui se montraient rayonnantes, sous la blancheur éblouissante de leurs voiles.

Jusqu’à cette minute, une sorte de gêne que nul ne s’avouait avait plané sur cette réunion auguste des derniers membres de la famille impériale. Mais à cette minute, voilà que l’amour vainqueur et tout-puissant, qui allait donner à Ethel et à Karl ces deux joyaux, les plus beaux joyaux de la couronne d’Austrasie, Régina et Tania, les adorables jumelles de Carinthie… voilà que l’amour chasse tous les nuages, rassure tous les cœurs… Les cloches de l’hyménée sonnent à toute volée. Radieuse, triomphante, Régina donne le signal du départ du cortège.

L’empereur a voulu conduire lui-même ses nièces à l’autel, et il a pris la main de chacune d’elles. Donc s’avancent l’empereur, Régina, Tania, puis Léopold-Ferdinand, Ethel et Karl le Rouge… puis les rares princes et princesses qui ont le droit, qui ont le devoir de se trouver là. Le cortège est à deux pas de la chapelle. La princesse Régina a déjà posé son pied mignon, chaussé de satin blanc, sur la première pierre du temple où l’homme de Dieu va l’unir pour la vie à celui qu’elle a préféré à tous, au duc de Bramberg, dit Karl le Rouge… quand soudain, quelque chose qui ressemble à un tourbillon, à un cyclone, court, arrive, gronde, se précipite, suivie, poursuivie par les clameurs et la course éperdue des gardes… Mais rien n’arrête cette chose… Cette chose bouscule, renverse, passe par-dessus tout… et cette chose bondit au milieu du cortège et s’arrête enfin sur le seuil de la chapelle, devant Régina et l’empereur et Tania, épouvantés, qui reculent.

Cette chose, c’est Rynaldo qui repousse brutalement Régina hors de la chapelle et proclame en la montrant de son poing qui menace et qu’arme le couteau de Valachie :

– Celle-là ne sera point à d’autre qu’à moi, car je jure ici devant Dieu et devant l’empereur qu’elle est ma fiancée de la Porte-de-fer !

Puis se retournant brusquement sur Karl le Rouge, qui est accouru avec Ethel pour protéger l’empereur et les princesses contre l’irruption de ce fou, Rynaldo s’écrie :

– Quant à celui-là, j’en fais mon affaire ! C’est un lâche et un félon à qui j’arracherai le cœur pour le donner à manger aux chiens des gadschi !

Un moment surprise, Régina ne fut pas longue à se rendre compte de l’extrême gravité de la situation. Elle marcha droit au jeune homme, repoussant doucement l’empereur. La colère faisait Régina plus blanche que sa robe de mariée. Et les paroles qu’elle prononça tremblaient de sa fureur à grand-peine contenue.

– Arrêtez ce fou ! dit-elle. Vous avez reconnu le lecteur de l’impératrice. Ce n’est point la première fois qu’il m’outrage !

Le duc de Bramberg levait déjà la main sur Rynaldo ; mais celui-ci, faisant un bond de côté, au milieu des soldats qui l’entouraient déjà, jura qu’il tuerait le premier qui le toucherait. Il ne demandait qu’à être entendu de l’empereur.

– Vous allez le jeter aux oubliettes ! À la cage de fer, le manant ! gronda Régina, dont les yeux lançaient des éclairs… Duc de Bramberg, je vous défends de toucher à cet homme ! Il ne vous appartient pas encore ! Nous avons quelques petites choses à nous dire avant que je ne vous le donne ! – Et se tournant du côté des gardes : – Allons, vous autres ! emmenez-le !

C’était plus facile à dire qu’à faire. Rynaldo s’était réfugié contre un pilier de la chapelle, et là, arc-bouté, le couteau en avant, il paraissait prêt à s’élancer sur la première proie qui s’offrirait.

– Vous avez peur ? Vous avez peur de ce gamin ? clama Régina… C’est donc moi qui l’arrêterai !

Rejetant le duc de Bramberg de son chemin avec une brutalité qui fit chanceler celui-ci elle bondit comme une lionne sur Rynaldo et sa petite main s’abattit sur le poignet du cigain. Alors, il ne résista plus. Baissant les yeux sous le regard qui le foudroyait, il s’avoua vaincu tout de suite. Toutefois il secoua l’étreinte de la princesse, remit son couteau dans sa gaine, et croisant les bras, se déclara prêt à suivre les gardes. Régina fit un signe, et l’on emmena Rynaldo. Le jeune homme, dont la fureur était tombée maintenant et dont les yeux ruisselaient de larmes, se tourna une dernière fois du côté du cortège. Il vit qu’il se reformait, que Régina et Tania reprenaient leur place aux côtés de l’empereur ; il considéra sa belle fiancée à la mode de la Porte-de-Fer, qui pénétrait sous les voûtes du temple tout retentissant des chants de l’orgue… et il cria :

– Stella ! souviens-toi de ton serment, s’il en est temps encore ! Régina entendit. Elle eut une mine d’agacement et elle dit de façon à être entendue de tout le cortège :

– Le fou est encore là !

Et n’était-ce point, en vérité, le seul mot qu’il fallait prononcer en une aussi singulière aventure ? Quelques minutes plus tard, l’archevêque cardinal de Vienne avait uni pour toujours le prince Ethel à la princesse Tania et le duc de Bramberg à la princesse Régina de Carinthie…