La bande arriva, sans encombre, jusque sur la place de Lobknitz, à côté de laquelle se dresse le porche de l’église des Augustins, paroisse de la cour. En route, on ne heurta dans l’ombre aucune patrouille qui eût pu donner l’éveil. La police de M. de Riva eût veillé elle-même à débarrasser de tout obstacle la marche des délégués fédéraux et de leurs acolytes que l’expédition ne se serait point accomplie avec plus de tranquillité.
La Reine du Sabbat parvint la première au seuil de l’église. Elle frappa la porte de la poignée de son kandjar, et les lourds vantaux s’entrouvrirent. Alors Stella poussa hardiment son cheval dans la nef, ainsi que l’ont toujours fait les chefs des Huns et les Tartares, mais comme elle était pieuse, ainsi que toutes les cigaines, elle fit un grand signe de croix, et toute la bande suivit.
L’église des Augustins date du quatorzième siècle. Là se trouvent les urnes d’argent renfermant les cœurs des empereurs et impératrices d’Austrasie, mais l’artiste y est surtout attiré par le tombeau de Marie-Christine, fille de Marie-Thérèse, énorme pyramide de marbre blanc où Canova a sculpté de bien douces et charmantes figures de la douleur, pleurant devant la porte d’un caveau funéraire. Cette porte de la Mort semble conduire au sein de la terre. Une grille ferme toute cette sculpture. C’est devant cette grille que Stella conduisit Darius, et qu’elle l’y attacha en le confiant à la garde fidèle de M. Magnus et de Petit-Jeannot.
Une acclamation retentit sous les voûtes de l’église. Stella, au milieu de ses bohémiens, secouait au-dessus des têtes une torche enflammée, et désignait aux délégués les premières marches d’un escalier qui s’enfonçait dans la terre. La Reine du Sabbat venait d’ouvrir à la délégation la porte du souterrain qui conduisait à la chapelle de la Cour, appelée encore chapelle des morts. Et les conjurés se voyaient déjà dans le Burg, au cœur de la place. Ce passage s’ouvrait à droite du monument de Marie-Christine, à quelques mètres de l’endroit où se tenaient M. Magnus et Petit-Jeannot. Les délégués étaient sur le point de s’y engouffrer.
– Où est Rynaldo ? demanda une voix hésitante.
La Reine du Sabbat montra le souterrain. Et sûre de son mensonge, elle répondit à ces traîtres qu’elle avait résolu de perdre :
– Là ! Il est là !
Et puis elle sortit l’« Heure rouge » de sa poitrine, et l’élevant à la hauteur de la flamme qu’elle portait à bout de bras :
– Lisez l’heure ! À quelle heure Rynaldo vous a-t-il donné rendez-vous ?
– À deux heures et quart ! répondirent les conjurés.
– Il s’en faut d’une demi-heure ! reprit Stella. Dans une demi-heure, Rynaldo vous conduira auprès de l’empereur !
– Où trouverons-nous le ban ? réclama encore la voix.
– Au bout du souterrain, en sentinelle sur le seuil de la chapelle des morts. Et maintenant, en avant ! ordonna la Reine du Sabbat.
Toute la bande de bohémiens hurla :
– En avant !
Les délégués furent effrayés de voir cette horrible troupe prête à s’ébranler, à les entraîner dans le souterrain, à les rouler comme des épaves dans leur flot immonde.
– Reste donc ici avec tes bohémiens ! dirent-ils à Stella, nous allons rejoindre Rynaldo.
– Il vous attend ! répéta-t-elle avec une joie sauvage…
Les délégués et tous ceux du caveau descendirent en hâte dans le souterrain, et prirent la peine de refermer eux-mêmes la porte derrière eux, tant ils redoutaient le trop grand zèle de leurs alliés, mais en se refermant, la porte de bronze rendit un son bien lugubre. Ce souterrain était fréquenté par la cour quand celle-ci venait assister aux grandes cérémonies officielles de Saint-Augustin. Il n’en était pas moins des plus funèbres. Glacé, humide, dallé de marbre, il sentait la terre des nécropoles, répandant une odeur de catacombes. Les conjurés se trouvaient là comme dans une sorte d’antichambre de la mort. Pour se guider dans ce trou, l’un d’eux avait pris des mains de Stella, restée dans l’église, la torche enflammée dont la rouge lueur dansait lugubrement au long de ces murs funèbres…
Ainsi, parvinrent-ils jusqu’au milieu du souterrain, sans encombre, quand là ils se trouvèrent en face d’une porte. Un prodigieux silence les entourait. Ils s’arrêtèrent, anxieux. La porte était en bronze et fort lourde. Ils s’y appuyèrent sans grand espoir, mais tout de suite elle céda. Et ces cœurs faibles et tragiques furent tout de suite rassurés, car derrière cette porte, à la lumière de leur torche, ils venaient de reconnaître un homme qui semblait les attendre avec tranquillité. Cet homme portait avec une noblesse incomparable le costume du ban de Croatie. C’était Rynaldo.