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RENART LE GOUPIL

une adaptation à la scène du Roman de Renart

en vers libres et souvent de mirliton

par Hervé LOTH

 

 

 

 

 

 

 

 

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Ce livre électronique vous est proposé gratuitement par l’association « et trois sont les vaisseaux… ».

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Personnages (par ordre d’apparition) :

– 3 Moines

– Le Narrateur

– Renart le goupil

– un Vilain

– Ysengrin le loup

– Hermeline la goupil (spectatrice – rôle muet)

– un valet

– Messire Constant et ses chiens (rôle muet)

– Dame Pinte la poule

– Chantecler le coq

– Messire Constant numéro 2

– Tibert le chat

– le curé

– la femme du curé

– Hubert le milan

– Noble le lion (spectateur – rôle « presque » muet)

Les passages « pour adultes » sont encadrés par des [ ] et dans une police à empattements.

 

 

INTROÏTUS

Trois moines entrent en chantant un Kyrie Eleison (ou autre). Deux s’installent à leur écritoire tandis que le Prieur va au lutrin pour leur débiter un extrait de « Du Travail des Moines » de Saint Augustin. Les deux autres s’ennuient à mourir, se passent des petits bouts de papiers, pouffent etc. sous le regard sévère et magistral du Prieur. Pendant tout ce temps, ils « travaillent » à leurs enluminures.

LE PRIEUR

Saint Augustin, dans son livre intitulé « Du Travail des Moines », nous dit, au chapitre dix-septième : (cuisinant le latin) Obtendunt pigri vacare se orationi, psalmis, lectioni et verbo Dei. Inter laborandum licere psallere. Lectionem non prodesse, nisi fiat quod legitur.
Quid enim agant qui operari corporaliter nolunt, cui rei vacent scire desidero. Orationibus, inquiunt, et psalmis, et lectioni, et verbo Dei. Sancta plane vita et Christi suavitate laudabilis : sed si ab his avocandi non sumus, nec manducandum est, nec ipsae escae quotidie praeparandae, ut possint apponiet assumi. Si autem ad ista vacare servos Dei certis intervallis temporum, ipsius infirmitatis necessitas cogit, cur non et apostolicis praeceptis observandis aliquas partes temporum deputamus ? Citius enim exauditur una obedientis oratio, quam decem millia contemptoris. Cantica vero divina cantare, etiam manibus operantes facile possunt, et ipsum laborem tamquam divino celeumate consolari. An ignoramus, omnes opifices in quibus vanitatibus et plerumque etiam turpitudinibus theatricarum fabularum donent corda et linguas suas, cum manus ab opere non recedant ? Quid ergo impedit servum Dei manibus operantem in lege Domini meditar, et psallere nomini Domini Altissimi : ita sane ut ad ea discenda, quae memoriter recolat, habeat seposita tempora ? Ad hoc enim et illa bona opera fidelium, subsidio supplendorum necessariorum deesse non debent, ut horae quibus ad erudiendum animum ita vacatur, ut illa opera corporalia geri non possint, non opprimant egestate. Qui autem se dicunt vacare lectioni, nonne illic inveniunt quod praecipit Apostolus ? Quae est ista ergo perversitas, lectioni nolle obtemperare, dum vult ei vacare; et ut quod bonum est diutius legatur, ideo facere nolle quod legitur? Quis enim nesciat tanto citius quemque proficere cum bona legit, quanto citius facit quod legit ?{1} Méditez bien les paroles du Saint, mes frères, tandis que vous travaillez à vos copies. Et si la fatigue ou la lassitude vous envahissent, n’oubliez point que Fatigue et Lassitude sont filles du Malin et que vous faites œuvre pieuse en usant vos yeux et en courbant votre dos sur votre pupitre. Amen.

LES MOINILLONS (en chœur et affreusement faux)
Amen !

Le Prieur sort. Alors les moinillons commencent de rire et de chahuter, et de faire les andouilles. Ils imitent les animaux, prennent des postures grotesques et se font rire les uns les autres. Puis l’un prend son parchemin enluminé et se l’applique sur le visage : c’est un masque de renard. L’autre fait de même : masque de loup. Grimaces. Poses.

CHŒUR
RENART !
Renart vole ! Renart pue !
Renart dole ! Renart tue !
RENART !
Renart quémande !
Renart truande !
RENART !
Renart cajole ! Renart conspue !
Renart rigole ! Renart arguë !
RENART !
Renart brigande !
Renart faisande !
RENART !
Renart crapule ! Renart rend bête !
Renart copule ! Et Renart fouette !
RENART !
Renart hypocrite !
Renart parasite !
RENART !
Renart calcule ! Renart raquette !
Renart accule ! Et Renart pète !
RENART !
Renart prémédite !
Renart discrédite !
RENART !

Ils sortent en riant. Le narrateur entre aussitôt, une grosse caisse encordée autour de son cou. Il tambourine tant et plus.

NARRATEUR
Beaux doux Sires ! Gentes dames ! Or donc, oyez ici l’histoire de Renart le goupil ! Renart le fourbe, qui se joue des plus grands, lui qui est petit, et des plus faibles, lui qui est puissant ! Car Renart n’a ni foi ni loi ! Je m’en vais vous narrer ses exploits céans ! Des moines les ont couchés sur le vélin : c’est donc paroles saintes et pieuses. Mais écoutez plutôt…

~

RENART ET LES ANGUILLES

NARRATEUR
Seigneurs, c’était en ces jours
Où le doux temps d’été fait demi-tour
Et laisse place à l’hiver, la rude saison.
Renart est en sa maison
Mais ses réserves ont bien fondu.
Quelle terrible déconvenue !
Plus d’argent pour le marché :
Le voilà bien dépité !
Poussé par le besoin, il prend donc la route.
Tout doucement pour ne pas être vu, on s’en doute,
Il s’en va parmi les joncs
Près de la rivière, en quête d’un gueuleton.
Il trottine tant et si bien
Qu’il arrive sur un chemin.
Là, il se met à croupetons
Et tord le cou dans toutes les directions.
Il ne sait où aller chercher ses provisions,
Mais il a l’estomac dans les talons !
Il ne sait que faire et commence à s’inquiéter.
Il se couche alors le long d’une haie
Où il attend la suite de l’aventure.
Or, voici que survient, à vive allure,
Un marchand qui revient de la mer
Et rapporte des poissons frais, à bonne chair.
Il a du hareng en quantité,
Car le vent ne s’est pas arrêté
De toute la semaine ;
Sa carriole en est pleine.
Il a beaucoup d’autres poissons,
Des plats et des longs,
Et des gros et des petits,
Et ses paniers sont bien emplis :
Il a aussi des lamproies et des anguilles
Qu’il vend de ville en ville.
La charrette est très chargée.
Et Renart, qui trompe tout le monde, cet enragé,
Est encore à une bonne distance.
Quand il voit la charrette avec toute cette pitance
D’anguilles et de lamproies,
Il file en tapinois
Droit devant avec une ruse en tête :
Le marchand ne sera pas à la fête !
Écoutez donc comment il le filoute !
Renart se couche au milieu de la route.
Il se vautre sur le gazon
Et fait le mort, sans oraison.
Renart, le roi des truands,
Ferme les yeux, montre les dents
Et retient sa respiration.
Avez-vous jamais entendu pareille machination ?
Il reste sans bouger, comme mort.
Le marchand arrive alors :
Il ne s’attend pas à ça.
Il voit Renart, et s’arrête là.
Il l’observe de loin
Et se demande à brûle-pourpoint :

LE VILAIN
Heula ! C’est-y un goupi ou un tchien ?

NARRATEUR
Il regarde mieux et voit bien :

LE VILAIN
Oh bé ! C’est ch’goupi ! I’n’m’échappera pô !
I’ s’rait diab’ malin, chti-lo,
S’i’ m’ laisse pas s’ piau !

NARRATEUR
Le marchand s’approche aussitôt,
Et découvre Renart, les pattes en l’air.
Il le saisit, le soulève de terre
Sans plus aucune crainte d’être mordu.
Il examine la peau du dos et du cou et l’évalue :

LE VILAIN
Vin Dieux ! J’in aurions ben quat’ sous,
Et j’ s’rai ’core in-d’sous.
I’ m’ reste ’core de l’ place :
Hop ! Din l’ carrette, la carcasse !
Ooooh ! Bé comme l’ gorge al’ est blanche !

NARRATEUR
Sur ce, il l’a jeté sur les planches
Et a repris la route.
Intérieurement, il se disait sans doute :

LE VILAIN
Qué chance j’ai z’eue !
Eu c’ soir, Renart, i’ s’ra tout nu !
J’y ôt’rai s’ piau
Et pis j’in f’rai un biau manteau.

NARRATEUR
Et sa plaisanterie le fait bien rire.
Mais il y a loin entre faire et dire,
Et Renart ne s’en inquiète guère.
À plat ventre sur les panières,
Il en ouvre une avec les dents
Et en retire plus de trente harengs.
Il en avale tant et plus, le lascar,
Et n’en laisse qu’une petite part.
Pas besoin de sel avec le menu :
Il avale tout comme un goulu !
Le panier est presque vide !
Toutefois, avant de partir, l’intrépide
Jettera encore son hameçon,
Il n’y a pas l’ombre d’un soupçon.
Il attaque un autre cageot :
Il y plonge le museau…
Et en extrait trois chapelets d’anguilles !
Renart, qui toujours d’idées fourmille,
Y passe la tête et le cou
Et s’en couvre si bien qu’il disparaît dessous.
Le beau chargement que voilà !
Dès lors, il peut bien en rester là.
Il s’agit maintenant de trouver un moyen
Pour redescendre sur le chemin,
Car il n’y a ni échelle ni marchepied.
Il se met à genoux pour bien vérifier
Qu’il peut sauter sans danger.
Alors, prenant congé,
Il s’élance pattes en avant
Et atterrit sur le chemin sans accident.
Autour du cou, il a toujours son butin.
Après avoir sauté, le plaisantin
Crie au marchand :

RENART
       Dieu te bénisse !
Ces anguilles-ci sont à moi, c’est justice !
Mais tu peux garder le reste !

NARRATEUR
En l’entendant, le marchand peste.
Il s’écrie :

LE VILAIN
       Ch’ goupi ! c’est ch’ goupi !

NARRATEUR
Mais l’autre a déjà déguerpi.

LE VILAIN
J’aurions dû faire plus attinchion !
Qué perte ! Qué gros couillon !
J’aurions dû me méfier…
Comment qu’il a allégé mes paniers !
Il importe mes anguilles, plus d’dix et même eud’vingt !
Puisse-t-il s’tord’e avec l’colique, c’salaud d’rouquin !

RENART
Tu peux bien dire ce que tu voudras :
Je suis Renart qui ne discute pas.

NARRATEUR
Le marchand court après lui
Mais il ne l’attrapera pas aujourd’hui.
Renart file à travers un vallon,
Et galope jusqu’à sa maison.
Aussi le marchand a-t-il laissé le goupil
Tout en se traitant de nigaud et d’imbécile ;
Il s’avoue vaincu et fait demi-tour.
Renart, lui, regagne son château sans détour
Où sa femme et ses enfants attendent impatiemment
Qu’il revienne mettre fin à leur dénuement.
(aller chercher une Hermeline dans le public)
Hermeline, son épouse belle et gentille,
L’accueille avec toute la famille.
Renart s’en vient par petits sauts,
Gros, repu, joyeux et beau,
Avec les anguilles autour du cou.
Et de peur de faire des jaloux,
Il ferme bien sa porte
À cause des anguilles qu’il rapporte.

~

LA TONSURE D’YSENGRIN

NARRATEUR
Pendant qu’Hermeline grille
Et rôtit les anguilles,
Voici qu’arrive monseigneur Ysengrin
Qui errait depuis le matin,
Allant de-ci, de-là, vainement
En quête de quelque aliment.
Il y a si longtemps qu’il n’a rien mangé
Qu’il en est tout desséché.
Alors, traversant un essart,
Il est venu tout droit chez Renart.
Il voit la cuisine fumer
Où les anguilles sont en train de griller.
Ysengrin en flaire les vapeurs.
Il ne connaît pas ces odeurs,
Mais commence à froncer le nez
Et à se pourlécher.
Il aurait volontiers fait le service
Si on l’avait invité à l’office !
Il va à une fenêtre
Pour voir ce que ce peut être.
Il cherche déjà
Comment il pourra entrer là
En faisant montre d’amitié prétendue…
Mais c’est peine perdue :
Car Renart ne fait rien
Même si on le prie bien.
Ysengrin s’assied sur une souche.
À force de bâiller, il a mal à la bouche.
Il a beau courir partout à la fois
Et regarder encore une fois,
Il ne trouve pas un moyen assez bon
Pour mettre le pied dans la maison.
Il se décide finalement à user de prière
Auprès de Renart, son compère.
Il lui demandera, au nom de Dieu,
De lui donner de son repas, au moins un peu.
Il appelle donc par un trou :

YSENGRIN
Sire, mon compère, ôtez le verrou !
Je vous apporte des nouvelles,
Qui sont, vous le verrez, bonnes et belles.

NARRATEUR
Renart l’entend et le reconnaît bien
Mais il ne bouge pas et ne répond rien :
Il fait la sourde oreille, en vérité.
Et Ysengrin en reste tout hébété,
Toujours dehors, l’estomac vide,
À envier les anguilles d’un air avide.

YSENGRIN
Ouvrez, beau sire !

NARRATEUR
Renart alors se met à rire.

RENART
Qui êtes-vous ?

YSENGRIN
Mais c’est nous !

RENART
Qui vous ?

YSENGRIN
Moi, nous !
Votre compère et seigneur !

RENART
Je croyais que c’était un voleur…

YSENGRIN
Mais non ! ouvrez !

RENART
Il va falloir que vous attendiez
Que les moines aient fini leur repas au préalable.
Ils viennent juste de se mettre à table.

YSENGRIN
Comment donc ? Il y a des moines ?

RENART
En fait, ce sont des chanoines,
Et ils sont bien trente !
À Dieu ne plaise que je mente !
Ils m’ont accueilli parmi eux.

YSENGRIN
Nom de Dieu !
Me dites-vous bien la vérité ?

 

RENART
Mais oui, par la Sainte Charité.

YSENGRIN
Alors, accordez-moi l’hospitalité.

RENART
Vous n’auriez même pas de quoi grignoter.

YSENGRIN
Dites-moi donc, vous n’avez pas de quoi ?

RENART
Mais si, par ma foi !
Cependant, permettez-moi de vous demander :
Êtes-vous venu ici pour chaparder ?

YSENGRIN
Nenni ! Je venais simplement prendre de vos nouvelles.

RENART
Vous ne ferez rien de tel.

YSENGRIN
Et pourquoi donc ?

RENART
L’instant n’est pas le bon.

YSENGRIN
Dites-moi : mangez-vous de la viande ?

RENART
La plaisanterie est grande !

YSENGRIN
Que vos moines sont-ils donc en train de manger ?

RENART
Je ne vois pas de raison de vous le cacher :
Ils mangent des fromages mous
Et des poissons à gros cou.
Saint Benoît nous ordonne
De ne pas manger nourriture moins bonne.

YSENGRIN
Vraiment ? Je suis très surpris.
Je ne savais rien de tout ceci.
Vous allez bien m’accueillir,
Car je ne saurais où repartir…

RENART
Vous accueillir ? Vous allez vite !
Nul, s’il n’est moine ou ermite
Ne peut loger ici-bas.
Allez ! Et n’y revenez pas !

NARRATEUR
En entendant cela, Ysengrin comprend
Qu’aucun de ses arguments
Ne le fera entrer chez le goupil.
Que voulez-vous ? il en prend son parti.
Il lui demande malgré tout :

YSENGRIN
Le poisson, est-ce que ça a bon goût ?
Donnez-m’en donc un petit bout
Juste pour goûter, c’est tout.

NARRATEUR
Renart prend deux morceaux des poissons
Qui rôtissent sur les charbons.
Ils sont si bien cuits et grillés
Que leur chair est toute… émoustillée.
Renart en mange un et apporte
L’autre à celui qui attend à la porte.

RENART
Compère, venez ici
Et acceptez ceci.
Je vous fais charité de pitance
Car en vous j’ai confiance :
Vous serez moine un jour, c’est sûr !

YSENGRIN
Par les Saintes Écritures !
Cela pourrait bien se faire !
Mais… la nourriture, mon compère…
Envoyez-la moi prestement !

NARRATEUR
Renart la lui donne et l’autre la prend.
Aussitôt attrapée, aussitôt disparue !
Il en mangerait bien un peu plus.

RENART
Alors ? Est-ce bon ?

NARRATEUR
Le loup est un vrai glouton :
Il en tremble de gourmandise !

YSENGRIN
Sire Renart, voulez-vous que je vous dise ?
Soyez béni pour cette bonne action.
Donnez-m’en donc une autre portion,
Et je réfléchirai pendant que je mastique
À entrer dans cet ordre monastique.

RENART
Par vos bottes !
Cette idée n’est pas sotte !
Ah ! si vous acceptiez d’être des nôtres,
Je ferai de vous mon maître ès patenôtre,
Car je sais bien que sitôt capucin,
Vous deviendriez abbé avant la Toussaint.

YSENGRIN
Vous payez-vous ma tête ?

RENART
Nenni, beau sire, sur ma tête !
Par ma foi en la Sainte Trinité,
Il n’y aurait dans toute la chrétienté
De moine aussi beau que vous !

YSENGRIN
Aurai-je du poisson, surtout ?

RENART
Tant que vous pourrez en manger !
Mais il faudra d’abord vous faire raser…
Et votre barbe, vous devrez la couper.

NARRATEUR
Ysengrin se mit à gronder,
Mais son estomac le fit taire.

YSENGRIN
Ne tardons pas davantage, mon compère,
Hâtez-vous de me bien tondre !

NARRATEUR
Et Renart de lui répondre :

RENART
Dans un moment, pour sûr,
Vous aurez une grande et large tonsure.
Le temps de faire chauffer l’eau,
Et je vous rase le museau.

NARRATEUR
Écoutez-donc en quoi consiste le jeu.
Renart met l’eau à chauffer sur le feu.
Il la laisse tant et tant,
Que le liquide est tout bouillant.
Alors il prend la marmite et l’apporte
Jusqu’au guichet de la porte.
Ysengrin passe la tête par le trou…
Il tend bien le cou…
Et Renart, qui le prend pour un âne,
Lui ébouillante le crâne !
Ah ! C’est vraiment une sale bête !
Ysengrin secoue la tête,
Serre les dents
Et grimace affreusement.
Vite ! Il recule dehors !

YSENGRIN
Ah ! Renart ! Je suis mort !
Puisse-t-il vous arriver malaventure !
Vous m’avez fait trop grande tonsure !

NARRATEUR
Renart lui tire la langue hors de la gueule.

RENART
Seigneur, vous n’êtes pas le seul.
Tous ont la même au couvent.

YSENGRIN
Je crois bien que tu me mens !

~

LA PÊCHE À LA QUEUE

RENART
Non point, je vous assure !
Pour cette première nuit sous la bure,
Une épreuve vous devez subir.
L’Ordre l’exige et il faut consentir.

YSENGRIN
Je ferai tout ce que l’Ordre m’impose,
Ne doutez pas de la chose.

NARRATEUR
Alors Renart fait jurer au loup
De lui obéir en tout.
Il a si bien joué la partie
Qu’Ysengrin est tout abruti.
Renart sort par la porte de derrière
Et rejoint directement son compère,
Lequel se plaignait amèrement
D’avoir été rasé si brutalement
Qu’il n’avait plus ni poil ni peau
Du haut des oreilles au bout du museau.
Ils cessent là l’entretien
Et se mettent en chemin,
Le loup derrière, Renart devant,
Jusqu’à arriver près d’un étang.
C’était un peu avant la Noël,
Au temps où les jambons sont mis dans le sel.
Le ciel est clair et étoilé
Et l’eau de l’étang toute gelée :
On aurait pu danser dessus
Si on l’avait voulu.
Il n’y a qu’un trou en surface
Que les vilains ont fait dans la glace.
Le soir, ils y mènent boire le troupeau.
D’ailleurs, ils ont laissé là leur seau.

RENART
Seigneur, venez par ici.
C’est avec cet engin que voici
Que nous pêchons anguilles et barbeaux
Et autres poissons bons et beaux.

YSENGRIN
Frère Renart, prenez donc « l’engin »
Et liez-le moi à l’arrière-train.

NARRATEUR
Renart prend le seau et la queue
Et fait un nœud du mieux qu’il peut.

RENART
Mon Frère, il faut maintenant vous tenir tranquille
Pour laisser venir à vous les anguilles.

NARRATEUR
Et Renart de se tapir sous un buisson
Et de s’y tenir à croupetons.
Ysengrin est juste en face,
Assis sur la glace ;
Le seau est dans l’eau et sert d’hameçon,
Mais il se remplit de glaçons !
L’eau du trou, qui gèle peu à peu,
Emprisonne et le seau et la queue !
Ysengrin veut se relever,
Il tire sur le seau pour le soulever,
Mais ses efforts sont vains.
Il en est bien chagrin !
Le voilà contraint d’appeler à l’aide,
Car déjà le jour à la nuit succède.
Renart, qui faisait semblant de dormir,
Ouvre les yeux et s’étire.

RENART
Il est temps d’arrêter, mon Frère.
Vous avez pris plus de poissons que nécessaire.
Allons-nous en tant qu’il est tôt.

YSENGRIN
Frère Renart, il y en a trop !
J’en ai pris plus que je ne saurais dire !

NARRATEUR
Renart alors se met à rire.
La plaisanterie est bonne, sauf pour Ysengrin.

RENART
Retenez ceci : qui trop embrasse, mal étreint.
Mais je suis bon garçon
Et vous laisse tous les poissons.

NARRATEUR
Le jour se lève, tout est blanc.
Se lève aussi Messire Constant,
Qui a sa maison près de l’étang.
Il appelle ses chiens, fait venir ses gens,
Sonne du cor et commande la chasse.
Ysengrin est toujours sur la glace.
Renart entend le vacarme et s’esquive,
Mais la queue du loup est toujours captive.
Il a beau tirer de toute ses forces,
S’arracher la peau ou risquer l’entorse,
Rien n’y fait, il est prisonnier.
Arrive un valet avec deux lévriers.
Il voit le loup pris dans la glace
Et sans un seul poil sur la face.

LE VALET
Holà ! Au loup ! Hé ! Là ! Un loup !

NARRATEUR
En l’entendant, les chasseurs accourent de partout.
Messire Constant s’approche du loup,
Tire l’épée et manque son coup :
Il glisse, fait du sur-place,
Et se ramasse sur la glace.
Le coup a manqué la tête mais touché le cul.
Jusqu’à la queue l’épée est descendue
et l’a coupée net au ras de l’anneau.
Ysengrin libéré fait un saut
Et s’enfuit en vitesse
Échappant aux chiens qui lui mordent les fesses.
Mais il laisse sa queue en gage.
Le voilà qui crève de douleur et de rage.
Il regagne les bois sans retard
Et jure bien de se venger de Renart.

~

RENART ET CHANTECLER LE COQ

NARRATEUR
Seigneurs, vous venez d’entendre
La façon dont le loup se fit prendre
Et dont, par gourmandise,
Il perdit sa queue sur la banquise.
Ce fut le signal d’une terrible guerre
Dont on parla partout sur la terre :
Celle qui oppose Renart et Ysengrin,
Qui dure encore et n’a pas de fin.
Mais Renart ne réserve pas ses mauvais tours
À son ennemi de toujours.
Écoutez plutôt ce qu’il advient
Un jour qu’il est poussé par la faim.
Il arrive près d’une ferme
Qu’un solide enclos protège et enferme.
Là vit Maître Constant, un riche vilain,
Dont la maison regorge de vivres et de vin.
Le jardin est clos par une haie de pieux et d’épines.
Mais Renart est têtu et s’obstine.
Car derrière la clôture d’aubépines
Sont enfermés poules, coqs, chapons et gélines…
Renart est déchaîné !
Les poules sont là, sous son nez
Et il ne peut les atteindre !
Ah ! Il est bien à plaindre !
Renart saute dans tous les sens
De plus en plus avec impatience…
Et finalement franchit la clôture.
Vite il se tapit sous les choux et la verdure.
Mais les poules ont entendu sa chute.
Elles s’enfuient à la minute !
Chantecler, le coq, vient à elles fièrement,
Gonflant ses plumes et se rengorgeant.

CHANTECLER
Allons, Dame Pinte, pour quelle raison
Fuyez-vous ainsi vers la maison ?

PINTE
Peur peur peur
Nous avons eu peur !
Une bête sauvage, un rôdeur,
Peut-être même un prédateur
Est entré dans l’enclos !
Il faut évacuer illico !

CHANTECLER
Allons, cela n’est rien, je vous assure.
Vous êtes en sécurité, soyez-en sûre.

PINTE
Mais vue vue vue
Je l’ai bien vue !
De mes yeux vue !
Je n’ai pas la berlue !

CHANTECLER
Allons, calmez-vous…

PINTE
Roux roux roux
J’ai vu un éclair roux
Et puis bouger la feuille du chou.
La bête est dans les choux,
Elle est tapie dessous.

CHANTECLER
Allons, vous pouvez être tranquille,
Car je ne connais ni putois ni goupil
Qui oserait pénétrer en ce jardin.
Retournez picorer votre grain.

NARRATEUR
Et de retourner sur son tas de fumier.
Un œil clos, une patte repliée,
Il surveille le poulailler.
Mais voilà qu’il se met à sommeiller,
Et dans son sommeil, un rêve le prend.
Ne croyez pas que je mens !
Il rêve – c’est pure vérité ! -
Qu’une chose est entrée avec agilité
Et vient sur lui, tout droit.
Chantecler est glacé d’effroi.
La chose porte une pelisse rousse
Bordée de pointes que rien n’émousse,
Et elle la lui met de force sur le dos.
Le coq s’agite et s’alarme en son repos.
C’est un étrange manteau, de surcroît :
Il est à l’envers, de travers et fort étroit.
On le lui a enfilé par l’encolure
Et il est tout blanc sur la devanture.
Le coq se réveille tout d’un coup :
Son rêve l’a mis sens dessus dessous.
Il se précipite vers Dame Pinte
Et lui fait part de ses craintes.

PINTE
Allons allons allons
Mon mari tendre et bon…
Êtes-vous coq ou chapon ?
Relevez le front !

CHANTECLER
Mais ce songe affreux que j’ai fait ?
Cette pelisse rousse que j’endossais ?

PINTE
Cauchemar cauchemar cauchemar
Ce poil roux, c’est Renart !
C’est sûr sûr sûr
Les pointes sont ses dents dures.
Croc croc croc
Le goupil vous croque
Et vous met dans sa panse.
De votre rêve voilà le sens.
Je vous le dis dis dis :
Il est sûr qu’avant midi
Renart sortira des choux choux choux
Et vous enlèvera à nous !

CHANTECLER
Allons… Pinte, tu es folle !
Que voilà de vilaines paroles !
Sornettes que tout cela !
Il n’y a pas de bête, rien n’arrivera.

NARRATEUR
Sur ce, il retourne à son monticule
Et ne tarde guère à recoincer la bulle.
Depuis l’endroit où il est tapi
Renart voit que le coq s’est assoupi.
Prudemment, il quitte son abri de choux.
Cette fois, il est sûr de son coup.
Renart bondit vivement,
Mais Chantecler l’esquive au dernier moment.

RENART
N’ayez pas peur, Chantecler mon cousin.
Je passais juste voir si vous alliez bien.

NARRATEUR
Rassuré, le coq chante un rondo.

CHANTECLER (avec moult fioritures)
Cocorico.

RENART
Vous souvenez-vous de Chanteclin,
Votre père qui chantait si bien ?
On l’entendait à une lieue à la ronde
Et il n’avait son égal dans le monde.

CHANTECLER
Renart, mon beau cousin,
Venez chanter avec moi le matin.

RENART
Non merci, sans façon.
Mais fermez les yeux et poussez la chanson.

CHANTECLER
Volontiers, mais recule-toi un peu.
Non pas que je sois peureux.
Mais je vais interpréter une chanson
Qu’on va entendre partout aux environs.

RENART
Chantez, chantez mon cousin !
Et je verrai bien si vous valez Chanteclin.

Chantecler fait des gammes.

NARRATEUR
Chantecler chante haut et fort,
Mais il est sur ses gardes : il n’a pas tort.
Il surveille Renart du coin de l’œil.

RENART
Ou je suis dur de la feuille,
Ou Chanteclin est bien mort.
Lui était un vrai stentor !

 

NARRATEUR
Chantecler redouble d’efforts
Et devient de plus en plus sonore.
Il se concentre et ferme les yeux,
Et vocalise comme un furieux.
Mais Renart en a assez entendu :
Il se saisit du coq et emporte son dû.

PINTE
Fou fou fou
Il fallait m’écouter, mon époux !
Hélas hélas hélas
Le malheur me terrasse !

NARRATEUR
Mais c’est précisément à cet instant
Que paraît Messire Constant.
Les cris du coq à pareille heure
Lui ont fait croire à quelque malfaiteur.
Et pour cause ! Il voit Messire le goupil
Qui détale en emportant le volatile !

CONSTANT
Fi donc ! Le goupil ! Haro !
Tu ne m’échapperas pas, enfant de salaud !

CHANTECLER
Comment, Seigneur Renart, mon cousin ?
Ce paysan vous insulte et vous ne dites rien ?
Maître Constant vous poursuit à toute allure
Et vous ne lui lancez pas même une injure ?

NARRATEUR
Les plus malins, parfois, se font duper,
Et Renart, cette fois, est bien trompé.
Il s’arrête, pose son fardeau,
Et à Constant lance un bon mot :

RENART
Permettez que sur votre poulaille
Je prélève ma part.
Mais il faut que je m’en aille.
Le bonjour de Renart !

NARRATEUR
Mais le coq, bien qu’à demi-mort,
Ne s’est pas résigné à son sort.
Il s’est carapaté sans préavis
Vers le vilain, l’enclos et la survie.

CHANTECLER
Eh bien, Renart, qu’en dites-vous ?
De nous deux, lequel est le plus fou ?

RENART
Maudit soit celui qui parle quand il se faut taire !

CHANTECLER
Et celui qui dort lorsqu’il a à faire !
Cousin Renart, je vais rompre là
Ce cousinage qui me met dans l’embarras.
Ne montrez plus ici votre sale peau,
Ou Maître Constant se fera un manteau !

NARRATEUR
Mais Renart ne l’entend déjà plus :
Il est parti en quête d’un autre menu.

~

LA COMPLAINTE D’YSENGRIN

NARRATEUR
Le poète a mis tout son art
À versifier les aventures d’Ysengrin et de Renart.
Mais il a omis le meilleur moment,
Celui où Renart fut mis en jugement.
L’hiver était déjà passé,
Et l’aubépine fleurissait.
Nous étions presque à l’Ascension.
Ysengrin se rendit auprès de Noble le lion.
Voici comment il parla au roi :

YSENGRIN
Noble Seigneur, justice rendez-moi.
Renart a commis tant d’outrages,
Tant d’offenses et de dommages
Auprès de toutes les bêtes de la Cour,
De la forêt à la basse-cour,
Qu’il n’y a aujourd’hui comte ou baron
Ou simple sujet qui n’ait à se plaindre du larron.
Brun l’ours fut le premier
À tomber sous les coups de Renart le dévoyé.
Il lui fait accroire qu’il connaît
Un endroit au cœur d’une chênaie
Où il y a une ruche à miel.
Elle en regorge et ruisselle.
La ruche est cachée dans un tronc
Qu’un paysan a fendu tout en long.
Brun y engage les pattes et le groin,
Mais Renart fait sauter les coins
Et la fente se referme vivement
Sur le nez de l’ours et ses dents.
Il y a laissé toute sa peau
Du haut des oreilles au bout du museau.
Ce fut ensuite à Dame Mésange
Que Renart chanta ses louanges.
Sous prétexte de faire la paix,
Il lui demande de venir l’embrasser.
Par trois fois, elle y laisse du plumage
Et ne doit son salut qu’à une meute de passage.
Tiécelin le corbeau perdit un fromage,
Et il fallut bien peu qu’il perdit davantage.
Car à écouter Renart et ses prières,
On finit vite six pieds sous terre.
Je pourrais vous parler de Pinçart le héron
Que Renart étrangla pour de bon.
De tout le lignage de Pinte la poule,
Il ne reste plus foule :
Sauf elle-même, sa tante et Chantecler,
Il n’y a plus volaille sur la terre.
Toutes ont défuncté illico
Après avoir rencontré Renart et ses crocs.
Quant à moi qui vous demande justice,
Je fus aussi victime de sa malice.
Jamais pour moi il ne fut bon.
Par ruse, il me déroba mes jambons,
Voulut me noyer dans un puits,
M’ébouillanta à son château de Maupertuis,
Me fit prendre dans la glace,
Et perdre la queue dans une chasse.
Moi, son oncle, il m’a fait battre et châtier,
Par des vilains, des moines, des chevaliers !
Il m’a soûlé de vin dans une église
Et fait chanter un cantique avant que je dégrise…
Enfin, Majesté, il a commis l’irréparable,
Le pire des crimes, le plus épouvantable.
Permettez-moi, Seigneur, de le narrer
Afin que vous puissiez rendre votre arrêt.
C’était un de ces mauvais jours
Où Renart se met en quête d’un mauvais tour.
Il erre de-ci, de-là, à l’aventure
Et découvre une haie masquant un trou obscur.
Il s’approche, glisse et dévale
Et se retrouve… au milieu de ma grand-salle !
C’était un jour où j’étais absent ;
Ma belle et douce épouse, Dame Hersent,
Venait d’accoucher de ma progéniture
Et j’étais parti chercher de la nourriture.
Voici donc Renart seul en mon château
Avec ma femme en couche et mes louveteaux.
D’abord, il cherche à disparaître
Et se cache derrière la porte, le traître.
Mais Hersent, si elle a la queue de travers
N’en voit pas moins clair.
Elle le reconnaît à son poil roux
Et apostrophe le filou :
« Eh bien, Renart, qu’épiez-vous ainsi ? »
L’autre en est tout déconfit :
Il sait bien qu’il n’a rien à faire céans
Et une grande et terrible peur le prend.
Hersent a relevé le chef
Et l’interpelle derechef :
« Renart, vous êtes de mauvaise engeance,
Qui venez ici en ma présence
Sans même vous annoncer… »
Je ne sais alors ce qu’il s’est passé.
Mais quand je suis rentré en ma demeure,
J’ai retrouvé mes loupiaux en pleurs.
Ils m’ont dit avoir été battus
Et qu’on leur avait pissé dessus !
Et traités de fils de chien,
De bâtards et fils de putain !
[Et ils ont même ajouté par-dessus
Que Renart, devant eux, m’avait fait cocu !
J’ai donc posé la question à ma femme,
Avec calme, retenue et bonté d’âme :
« Hersent ! Sale pute !
Femelle en rut !
Je vous nourris grassement
Et vous abrite confortablement,
Et c’est un autre qui vous baise !
Ah ! J’en suis fort aise !
Et c’est Renart le puant, Renart le roux
Qui vous monte à cheval et vous fout !
Jamais plus je ne vous toucherai…
À moins que vous fassiez tout ce que j’exigerai ! »
Hersent a promis de céder à tous mes désirs
Et m’a reconnu comme son seul maître et sire.
« Seigneur, vous avez tort de vous mettre en tourments,
Car rien n’est arrivé, j’en fais le serment.
Qu’on me brûle ou me pende
Si l’on peut prouver que je truande. »
Je lui ai alors fait jurer
De m’aider à trouver Renart et le capturer.
Mais écoutez plutôt ce qui est arrivé.
En peu de temps, Renart est trouvé.
Hersent et moi nous lançons à sa poursuite
Mais Renart nous a vus et prend la fuite.
Hersent le suit dans un sentier étroit
Tandis que je continue tout droit
Pour le prendre à revers.
Renart sent bien notre colère
Et ne ralentit pas l’allure.
Le voilà bientôt arrivé en lieu sûr :
Il se précipite en sa tanière.
Hélas, Dame Hersent, qui a un fort derrière,
Veut le suivre dans le terrier
Et y pénètre vivement… jusqu’à moitié.
La voyant coincée de belle manière
Renart abuse de sa prisonnière !
Il sort par une porte dérobée
Et fait le tour pour la mieux enjamber.
Son dernier secours réside en sa queue
Qu’elle serre entre ses fesses du mieux qu’elle peut.
Renart saisit la queue entre ses dents
Et lui saute sur le fondement.
Tant il lui met et lui donne
Que toute la tanière en résonne !
Plus de sept fois il a mis le couvert !
J’arrive enfin et vois ma femme les fesses à l’air
Avec Renart par dessus qui la garçonne.
Mon cri de rage le désarçonne,
Et il disparaît par un trou, le malotru !
Pour dégager Hersent, bien des efforts il m’a fallu,
Et il s’en fallut de peu qu’elle ne survécût.
À force de tirer et la queue et le cul,
Elle s’est lâché le ventre
Et j’ai pu la sortir de l’antre.]
C’est pour tous ces crimes,
Et le dernier en prime,
Que je viens, Majesté, vous demander justice :
Renart doit payer pour ses vices.

NARRATEUR
Le roi Noble ordonna au chat Tibert
D’aller trouver Renart en son repaire
Et de l’amener devant la Cour
Pour qu’il réponde de ses tours.

~

[RENART ET TIBERT LE CHAT

NARRATEUR
Bon gré, mal gré, et un peu à reculons,
Tibert exécute sa mission.
Il enfourche sa monture
Et va trouver Renart, la vile créature.
Durant son trajet jusque Maupertuis,
Le sort s’acharne sur lui,
Multipliant les mauvais augures.
Aussi se prépare-t-il à quelque malaventure.

TIBERT
Renart, très cher compagnon !
Si tu es chez toi, répond !

RENART (entre ses dents)
Tristesse et malheur s’abattent sur toi, Tibert,
Pour avoir ainsi pénétré sur mes terres !
(haut) Tibert ! Welcome !
Sois le bienvenu dans mon home sweet home !

TIBERT
Renart, ne me tiens pas rigueur.
Je viens de la part du roi notre seigneur.
Je n’éprouve aucune colère contre toi :
Celui qui te hait, c’est le roi,
Depuis qu’Ysengrin le cocu
Et toutes les bêtes à qui tu as déplu
Se sont plaintes à Sa Majesté.

RENART
Tibert, j’ai la justice de mon côté.
J’irai avec toi à la Cour
Et entendrai mes accusateurs tour à tour.

TIBERT
Voilà qui est fort bien dit
Et qui m’ouvre l’appétit !
N’aurais-tu pas quelque volaille
Qui nous satisfasse le ventrail ?

RENART
Tu as les yeux plus gros que l’estomac.
Tu
n’avalerais pas même une légion de souris et de rats.

TIBERT
Bien au contraire !
C’est tout ce que je préfère !

RENART
Alors suis-moi :
Tu en auras plus que n’en peut supporter ton foie.

NARRATEUR
Renart sort donc de sa tanière,
Suivi par Tibert juste derrière,
Qui ne s’attend à rien de vil.
Ils se rendent en une ville
Où il n’y a que vingt maisons.

RENART
Ici habite un cureton
Qui possède beaucoup de grains de toutes sortes.
Les souris y sont grasses et fortes
Et il suffit d’étendre la main
Pour faire le plein.
On y entre par ce trou.
Va ! Et mange tout ton soûl !

NARRATEUR
Mais le traître lui ment :
Le prêtre n’a ni orge ni froment
Et pas plus de rats ou de souris.
La putain qu’il entretient chez lui
L’a ruiné et lui a tout pris.
Il ne lui reste que quelques poulets
Dont Renart s’est déjà régalé.
Aussi le curé a-t-il tendu un collet
À la sortie du trou où Tibert est entré.

RENART
Allez, Tibert ! Avance donc !
Merde alors ! Quel poltron !

NARRATEUR
Tibert franchit le passage.
Voilà qui n’est pas très sage.
Qui écoute Renart
S’en repent tôt ou tard.
Tibert ne trouve ni froment ni orge,
Juste le lacet qui lui serre la gorge.
Le chat tire et saute en tous sens,
Mais aussi belle soit sa danse,
Le piège lui enserre le cou.
Le curé s’éveille et se met debout.
D’une main, il se gratte les couilles,
Et de l’autre s’empare d’une quenouille.
Tibert subit alors un rude assaut.
Le prêtre et sa catin forment un beau duo
Et le rouent de coup sur tout le corps.
Tibert est presque mort !
Mais il a les crocs acérés…
Il se saisit des couilles du curé
Et use de la dent sur les bijoux épiscopaux,
Tant et si bien qu’il emporte les grelots !
Face à cette perte irrémédiable,
La femme du prêtre est inconsolable.

LA FEMME
Hélas ! Mon seigneur a tout perdu !
Il ne me foutra jamais plus !
Il va redevenir curé
S’il ne peut plus me chevaucher !
Ces breloques faisaient toute ma joie…
Que va-t-il donc advenir de moi ?

NARRATEUR
Et la voilà qui tombe en pâmoison.
Il y a bien du malheur en cette maison.
Mais Tibert n’en a que faire.
De la griffe et de la dent, il s’affaire
Et tranche le lien
Qui le retient.
Il s’est fait solidement corriger
Mais il s’est bien vengé !

TIBERT
Vilain prêtre ! Méchant cocu !
Te voilà fort dépourvu !
De tes deux cloches d’antan,
Il ne te reste que le battant.

NARRATEUR
Et de s’enfuir sans plus perdre de temps.
Renart n’est pas resté bien longtemps :
Il a vite regagné son repaire
Sitôt le piège refermé sur son compère.
De retour auprès du Roi et de la Cour,
Tibert raconte le mauvais tour
Qui a bien failli lui coûter la vie.
Le Roi, de rage, a tant rugi
Que les bêtes sont toutes craintives.
Il fait alors rédiger une missive,
Qu’il fait envoyer au goupil.
La lettre dit ceci :
« Messire Noble Le Lion
Qui par toutes les régions
Est des bêtes le Roi et Sire
Promet à Renart honte et martyre
Et aussi mortelle guerre
S’il ne vient ventre à terre
Entendre et subir Son jugement.
Qu’il n’apporte ni or ni argent,
Ni avocat pour se défendre,
Mais juste la corde pour le pendre. »

~

RENART MANGE SON CONFESSEUR

NARRATEUR
Bien fou est le larron
Qui croit que ses rêves adviendront.
Bien fou est celui qui pense
Voir se réaliser ses espérances.
Car le monde est instable
Et Dame Fortune peu aimable.
Fortune se joue des pauvres gens :
Elle fait monter l’un tandis que l’autre descend.
Elle enrichit celui-ci
Alors que celui-là dépérit.
Mais plus on s’élève
Moins la chute est brève !
Si je vous sers cette morale,
C’est à cause de Renart l’infernal.
Sa folie est contre-nature
Et il ne connaît pas la droiture !
Mais comment s’étonner qu’il persiste
Quand le Diable en personne l’assiste ?
Seigneurs, si vous en avez le désir,
Je vous dirai tout sans mentir
De Renart le goupil et de sa vie
Qui n’est que tromperie et perfidie !
L’autre nuit à Compiègne il arriva ceci.
Renart avait repéré une abbaye
Où l’on engraissait poulets et chapons.
Voilà qui est bel et bon !
Renart s’invite en la volaille
Et bientôt fait ripaille.
Mais un moine s’est levé,
Sans doute pour pisser.
Il passa à proximité
Et entendit Renart grignoter.
Se saisissant d’une forte massue,
Il s’approcha sans être vu
Et d’un coup vicelard
Il aplatit Renart !
Renart souffre le martyre
Et sent bien qu’il lui faut partir…
Il ne dit pas « Cul, suis-moi ! »
Mais bien plutôt « Démerde-toi ! ».
Il ne fait ni une ni deux
Et sur son cheval pique des deux.
Il ne s’arrêta qu’au bord du fleuve
Pour se remettre de l’épreuve.
Il se mit en quête le long de l’Oise
D’un endroit où on ne lui chercherait pas noise.
Avisant une meule de foin,
Il jugea qu’il y serait fort bien.
Mais avant de s’y nicher,
Il alla se soulager
Et relevant sa queue effilée,
Il lâcha sept pets d’affilée.

RENART
Que le premier soit pour mon père,
Et le second pour ma mère ;
Le troisième pour mes bienfaiteurs
Et tous mes prédécesseurs ;
Le quatrième pour toutes les volailles
Que j’ai tuées, en gros ou au détail ;
Que le cinquième soit pour le vilain
Qui a entassé ici son foin ;
Que le sixième soit pour le plaisir
Que Dame Hersent me fait ressentir ;
Et le septième pour Ysengrin
– Fasse le Ciel qu’il meure demain !
Il n’est de créature dans tout l’univers
Que je voue davantage aux enfers !
Puisse-t-il bien être pendu
À un méchant crochet tout tordu !

NARRATEUR
Renart alors fit une prière
Avant de se coucher sur sa litière.

RENART
Que Dieu protège tous les voleurs,
Les traîtres et les menteurs,
Et tous ceux qui vivent dans le péché ;
Qu’il protège tous ceux qui sont rusés
Et qui prennent ce dont ils ont envie,
Ou tuent pour rester en vie.
Que meurent tous les hommes de bien
Et ne subsistent que les bons à rien,
Les ivrognes, les voleurs et les escrocs.

NARRATEUR
Et Renart s’endormit aussitôt.
Au matin, quand il ouvrit les yeux,
Il ne fit pas de discours verbeux.

RENART
Je vais me lever et partir en chasse.
Maître Raoul a une oie bien grasse
Qu’il destine à sa table de réveillon.
Je vais lui éviter l’indigestion
En la dégustant bruyamment.
Car est-ce là un plat de paysan ?
Nenni ! Le vilain mange des chardons !
L’oie est pour le roi et ses barons !
À nous les bons morceaux
Qui craquent sous nos crocs !

NARRATEUR
Mais il avait plu toute la nuit
Et l’Oise était – elle aussi - sortie de son lit.
Renart voyait l’eau quitter son cours
Et écumer partout alentours.
S’y enfonça bientôt le tas de foin.
Renart se voyait déjà mourant de faim.
Arriva alors Messire Hubert, le milan, épuisé
Qui cherchait en vain un lieu où se poser.
Avisant l’oiseau venant vers la meule,
Renart se sent soudain moins seul.

RENART
Sire ! Bienvenue à vous !
Prenez place à mes côtés, asseyez-vous !
Votre venue est une bénédiction !
Vous allez pouvoir m’entendre en confession.

NARRATEUR
En le voyant ainsi éploré,
Le saint oiseau entreprend de le réconforter.

HUBERT
Renart, que Dieu au sol me cloue !
Tous les prêtres et les moines sont fous !
Qui n’a jamais péché ne vaut pas un denier,
Car au jour du Jugement dernier,
Seuls les scélérats seront pardonnés !
Tu peux dès lors tout me confesser.

 

RENART
Seigneur, ce sera bien volontiers.
J’ai été quinze ans tout entiers
Parjure et excommunié.
Oh ! Ne soyez pas déjà indigné,
Car c’est un bien petit péché !
Il n’y a pas là de quoi s’effaroucher.
Seigneur, j’ai été sodomite,
Et dans cette idée, j’ai de la suite !
Je suis aussi un parfait hérétique !
Je le jure : c’est véridique !
Certes, j’aurais pu devenir moine blanc,
Mais j’ai une faiblesse dans les flancs
Qui me prend bien vingt fois par jour
Et qui revient encore et toujours.
Devenir moine ? Pourquoi pas…
Mais je ne puis l’être en aucun cas :
Je ne sais pas parler latin,
Et j’aime bien manger le matin !
Passer tout mon temps à prier
Ou à répandre et entasser du fumier ?
Jamais, pour tout l’or du monde !
Il n’existe pas d’Ordre qui me corresponde.
La vie des moines est trop austère
Pour que j’entre en monastère.
Si encore il y avait, trois fois la semaine,
Juste pour rendre leur vie plus saine,
Une bonne séance de foutre générale,
L’Ordre ne s’en porterait pas plus mal !
Une fois qu’ils l’auraient bien foutue,
Qu’ils lui auraient bien baisé le cul,
Il suffirait, hors des murs, de chasser la femelle,
Jusqu’à ce que le désir la rappelle…
Mais non : les moines sont de trop gros ribauds !
Nulle femme ne résisterait à leurs assauts
Sans en subir les pires souffrances,
Tant est grande leur concupiscence !
Voilà pourquoi les moines font vœu de chasteté
Et que je ne puis me joindre à leur communauté.
Car comment pourrais-je devenir leur compagnon,
Moi
qui ne peux me passer de Dame Hersent et de son con ?
Un con ? Que dis-je ? C’est bien mieux !
C’est quelque chose de prodigieux !
Rien que le fait de le nommer,
Et me voilà tout enflammé !
Je tremble et je frissonne,
Et les poils se dressent sur toute ma personne !
Car est-il rien de plus beau et plus tentant
Que le merveilleux con de Dame Hersent ?

HUBERT
Salaud de rouquin, vil avorton !
Il faut vraiment que tu aies touché le fond
Ou que tu sois très libertin
Pour aimer la femelle d’Ysengrin !
Tant elle a été chevauchée,
Qu’elle ne peut plus retenir ses pets !
Renart, tu es avenant et plutôt beau :
Hersent a tout du corbeau !
C’est une sorcière barbue
Et voilà bien cent ans révolus
Qu’elle se fait enfiler
Par le pays tout entier !
Tu devrais bien savoir pourtant
Que d’ici jusqu’à l’océan
Il n’est animal de bordel
Qui ne se soit servi d’elle !
Ah ! Tu parles d’un amour !
C’est une pute qui tire la bourre
Depuis la nuit des temps :
Son cul en est tout puant !
Hersent n’a plus de dents dans la gueule
Et elle est plus mauvaise à elle seule
Que toutes les catins réunies !
Faut-il vraiment en avoir envie !
Hersent écorche, Hersent plume !
Maudite soit son enclume
Qui a reçu plus de coups de queues
Qu’il n’y a de gouttes quand il pleut !

RENART (à part)
Tu as tort de médire ainsi
De Dame Hersent ma douce amie.
Et avec un peu de chance,
J’aurai une belle vengeance.
Sale fils de putain,
Voilà un bien mauvais sacristain,
Qui tient des propos infâmes
Sur aussi belle et noble dame.
Crois-le bien, tu vas souffrir,
Et à mon dieu, je vais te convertir.
Si jamais nul n’a mangé son confesseur,
Je vais te dévorer, moi, sur l’heure !
Mais avant de le passer à la casserole,
Prenons garde qu’il ne s’envole…

 

HUBERT
Allez, continue ta confession,
Même si rien ne peut racheter ta situation.

RENART (simulant la folie)
Seigneur, j’ai été bien pervers
Et fait maintes choses à l’envers.
Je fous urbi et orbi
Plus encore que l’abbé de Corbie !
J’ai foutu et la fille et la mère,
Et tous les enfants et même le père !
Je suis de chaude nature,
Et quinze fois est une bonne mesure.
Je peux tirer dix coups d’affilée,
Et neuf tout de suite après !
Il n’y a dans tout le monde
De bête si laide et immonde
Que je ne pourrais me farcir !
Je suis vraiment un triste sire.
J’ai même mangé un de mes fistons !
Ah ! Puissé-je être pendu à Montfaucon !

HUBERT (effrayé)
Que le feu de l’enfer te consume !

RENART
Eh ! Seigneur, c’est la coutume !
(mordant sa queue et en arrachant les poils)
Ah ! Malheur de moi, je meurs !

Il fait semblant de s’évanouir.

HUBERT : Dieu ! Voyez ce pauvre pécheur !
Il en a perdu connaissance.
Je lui porterais bien assistance
Mais j’avoue avoir un peu peur…
Allons ! Renart mangerait-il son confesseur ?
Non ! Le Bien triomphe toujours !
Mon Dieu, portons-lui secours.
(Renart l’attrape.)
Ah ! Scélérat ! Ordure ! Sale bâtard !

RENART
Enchanté. Moi, c’est Renart !

Ils basculent hors de vue du public. Volée de plumes.]

~

LE DUEL JUDICIAIRE

Aller chercher un roi dans le public et l’installer sur le trône.

NARRATEUR
Cela faisait désormais quatre jours
Que le roi Noble tenait sa Cour.
Tous ses barons les plus fidèles
Avaient répondu à son appel.
[(1ère version : adultes)
Sire Tibert narra l’histoire du curé,
Des grelots qu’il avait récupérés
Et de la manière dont Renart
Lui avait joué ce tour de pendard.]
(2ème version : jeune public)
Sire Tibert avoua à sa Majesté
Que sa mission avait échoué,
Et que, de plus, ce sale Renart
Lui avait joué un tour de pendard.
(rugissement royal)
Le roi entra dans une colère si épouvantable
Que toutes les bêtes se cachèrent sous les tables.
Il était vraiment furibond
Et on l’entendit dans tous les environs.
Même Renart, à l’abri dans son château,
Baissa la tête et courba le dos.
Il sentait bien qu’il devait se soumettre
Et devant le roi comparaître.
Il revêtit ses plus beaux atours
Et se présenta devant la Cour.
À sa vue, tous les barons font silence.
Renart ne leur dit rien et s’avance.

RENART (au roi)
Seigneur Roi, longue vie à vous !

Rugissement royal.

YSENGRIN
Renart, c’en est fini de toi et de tes coups.

RENART (au roi)
Seigneur, on médit beaucoup de moi,
Et c’est pourquoi j’en appelle au roi.
On dit que j’ai fait bien du tort,
Mais il n’y a rien que je me remémore.

Rugissement royal.

YSENGRIN
Tes beaux discours, Renart,
Toute ta ruse et tout ton art
Ne sauveront pas ta peau.
Tu nous a causé trop de maux.
(au roi) Majesté, je serai extrêmement fier
De représenter votre bon droit en duel judiciaire.
Moi, contre Renart le félon,
Devant vous, la Cour et vos barons.

Rugissement royal.

NARRATEUR
Renart d’Ysengrin n’a pas la puissance,
Mais en l’escrime il a confiance
Car il ne manque pas d’expérience.
Ce sera la force contre l’intelligence.
Ysengrin s’arme d’un fort bâton de néflier.
Cette fois, il ne se laissera pas humilier !
Renart, lui, a choisi un bâton d’aubépine.
Du loup, il espère bien rompre l’échine !
Dame Hermeline, dans sa tanière,
Pour Renart son époux fait une prière.
Dame Hersent prie pour Ysengrin son mari
Et demande à Dieu qu’Il lui ôte la vie !
Puisse Renart l’emporter sur le loup,
Lui qui sait si bien comment on fout !
Sur le terrain entrent les combattants.
Face au roi, tous deux prêtent serment.

YSENGRIN
Moi, Ysengrin, Grand Chambellan du Roi
Accuse Renart d’être parjure et sans foi ni loi.
Qu’il reconnaisse ses crimes et mensonges
Ou sur le champ je l’allonge !

RENART
Moi, Renart, Seigneur de Maupertuis,
Affirme qu’il n’y a d’autre parjure aujourd’hui
Que mon rival Ysengrin le loup.
Mieux vaudrait pour lui qu’il avoue !

 

NARRATEUR
Les deux partis n’en démordant pas,
La bataille commença.

Combat de Renart et d’Ysengrin. Ysengrin est ridiculisé par Renart, mais finit néanmoins par avoir le dessus. Ysengrin bat Renart comme plâtre.

NARRATEUR
Renart est vaincu.
Renart sera pendu.
Le roi ainsi le veut
Et ses barons ne sont pas plus généreux.
À cet instant arrive Frère Bernard
Qui prend pitié du pauvre Renart.
Le saint homme supplie tant le roi
Que celui-ci laisse au goupil le choix :
La mort ou devenir moine !
Que ne ferait-on pas pour sauver sa couenne ?
Renart suit donc Frère Bernard à l’abbaye
Et se retire près de Corbie.
Des moines, il a pris l’habit.
Nul mieux que lui ne psalmodie.
En quinze jours, le voilà rétabli.
La prière et l’office l’auraient-ils assagi ?
Tout alla pour le mieux jusqu’au jour
Où un riche marchand vint du bourg
Et offrit quatre beaux chapons au monastère.
Vous devinez qui fit bonne chère ?
Les moines ont chassé Renart
Et il est reparti par les essarts.
Il retourne à Maupertuis ventre à terre.
Ysengrin a du souci à se faire…

Rire de Renart.

FIN