TROISIÈME CHAPITRE – LE FILS DE NOSTRADAMUS.

I – LES FRÈRES RIVAUX

Au Louvre, le comte d’Albon de Saint-André, rapidement, gagna le salon où l’attendaient les princes.

– Messeigneurs, dit Saint-André, vous pouvez venir.

Henri devint pâle ; dans la scène du tirage au sort, il avait perdu, lui !… Il fit un pas pour se retirer.

– Y a-t-il quelque danger ? demanda rudement François.

– Heu ! fit Saint-André. À tout hasard, il serait préférable que monseigneur le Dauphin soit escorté de son auguste frère… !

François marcha jusqu’à son frère, et gronda :

– En route, donc, en route !

Henri aimait ! Passion turpide, mais passion ! Tout ce qu’il y avait en lui de vivant rugissait de souffrance. François vit cette hésitation et dit :

– Par serment, vous me devez aide et assistance. Venez !

– Non ! râla Henri très bas.

– En route, Henri, en route ! Ou par Dieu, je jure que demain je vous dénonce comme félon à toute la cour assemblée.

– En route, soit ! bégaya le prince Henri. Mais vous qui me forcez à jeter dans vos bras celle que j’adore, je vous maudis, mon frère !

Tous trois sortirent et marchèrent jusqu’à la rue de la Tisseranderie. Saint-André ouvrit la porte, s’effaça. Les deux princes entrèrent. Au haut de l’escalier parut Roncherolles.

– Qui sont ces deux-là ? cria dame Bertrande.

– Allons, tais-toi, la vieille ! ricana Saint-André.

Bertrande, au pied de l’escalier, les yeux étincelants, barrait le chemin. Roncherolles commença à descendre.

– Vous ne passerez pas, cria dame Bertrande. Des amis de messire Renaud ! Oh ! vous n’êtes pas des gentilshommes !…

Henri recula d’un pas ; il espérait ! François essaya d’écarter Bertrande. Au geste, elle cria à tue-tête :

– Au feu ! Au larron ! Au truand ! Au meurtre ! Ah ! je…

Il y eut un cri déchirant – et dame Bertrande s’affaissa : Roncherolles, descendu de l’escalier, lui avait enfoncé son poignard dans le dos. La vieille se raidit, immobile, et ses yeux fixes, grands ouverts, semblaient accuser encore les larrons d’honneur.

– Passez, messeigneurs ! dit Roncherolles.

Les deux princes enjambèrent le cadavre et montèrent…

François, désignant le corps de la pauvre vieille, dit :

– Débarrassez-nous de cela tout de suite.

– Où la porterons-nous ? dit alors Albon.

– À la Seine ! répondit Gaétan.

*

* *

Sur la place de Grève, Roncherolles et Saint-André marchaient d’un pas pesant, alourdis qu’ils étaient par le cadavre de dame Bertrande. Parvenus au bord de l’eau, ils le déposèrent un instant sur le sable.

– Cette besogne, gronda Roncherolles, fait des fils du roi nos associés… et complices !

Paris dormait. Ils portèrent le cadavre dans une des barques amarrées aux pieux plantés sur la grève. Roncherolles saisit les avirons ; Saint-André, avec son poignard, coupa la corde. Au milieu du fleuve, la barque s’arrêta. Saint-André attacha une grosse pierre au cou du cadavre. Roncherolles en attacha une autre aux pieds.

Une ! Deux ! Trois ! Le cadavre fut balancé en cadence, et, lâché soudain, s’enfonça dans l’eau, disparut.

Un horrible cri, qui semblait venu du fond de l’espace, déchira le silence de la nuit… Roncherolles et Saint-André, debout dans la barque se saisirent par la main.

– As-tu entendu ? bégaya Saint-André.

– Oui ! Juste quand le cadavre a touché l’eau !

– Qui a crié ? reprit Saint-André dans un souffle.

Et Roncherolles, sombre, les yeux hagards, répondit :

– Qui sait ?

*

* *

Ce qui avait crié, c’était Bertrande ! Elle n’était pas morte. Et, revenue à elle dans l’instant où elle était précipitée, elle avait rassemblé ses forces pour jeter un suprême appel !…

*

* *

Une fois dans le logis, François et Henri marchèrent jusqu’à la porte de la chambre où dormait Marie, regardèrent la jeune femme. Puis, ils se retirèrent en fermant la porte. L’heure d’une explication décisive était venue et peut-être l’un des deux allait sortir de là, fratricide.

– Tu peux t’en aller maintenant ! gronda François.

Au grondement, un éclat de rire répondit. Henri disait :

– Oui ! Mais à une condition !

– Non. Tais-toi ! Va-t’en, félon, va-t-en, traître ! Tu as juré que tu me la laisses ! Je suis seul maître ici ! Va-t’en !…

– Je m’en vais ! dit Henri en se dirigeant vers la porte. Je m’en vais tout droit chez le roi à qui je crierai : « Sire, vous cherchez la fille de Croixmart pour récompenser en elle son père, pour adopter l’orpheline ! Eh bien, en ce moment, mon frère François la viole ! Et demain, toute la noblesse saura comment, par ses fils, le roi de France sait récompenser et honorer la fille des serviteurs de la monarchie morts en loyal service ! »

Henri marcha à la porte de l’escalier.

– Un pas de plus, tu es mort !…

François était entre la porte et Henri. Les deux frères se virent face à face, le poignard à la main… Comment ne se ruèrent-ils pas pour se lacérer, assouvir enfin cette haine qu’ils se portaient depuis des années ? Chacun d’eux eut peur de succomber et de laisser l’autre seul, à quelques pas de Marie endormie…

– Voyons, la condition ! fit François avec un soupir furieux.

– C’est que le serment qui m’a été imposé par le seul coup de dés soit nul. C’est qu’à dater de cet instant, la force, l’amour, la ruse, décideront seuls. Est-ce oui ? Je reste. Nous sommes associés. Est-ce non ? Je vais au Louvre…

– Malédiction sur toi ! rugit François. C’est oui !…

Ils rengainèrent leurs poignards. À ce moment, le baron de Roncherolles et le comte de Saint-André entrèrent en disant :

– C’est fait. La vieille ne vous gênera plus !…

II – RONCHEROLLES MONTE EN GRADE

Les deux frères se dirigèrent vers la chambre où elle dormait. Comme ils marchaient vers le lit, Marie se réveilla en murmurant :

– Renaud… mon bien-aimé Renaud… es-tu là ?

Elle ouvrit les yeux et soudain, elle vit ces deux physionomies affreuses, ravagées de haine et d’amour… Elle lut leurs pensées sur leurs visages… l’épouvante la souleva… Ils la saisirent, et elle retomba pantelante, avec un grand cri…

Lorsqu’ils l’eurent renversée et maintenue, François ivre de passion, approcha ses lèvres des lèvres de la jeune femme. Dans le même instant, il roula à trois pas, à demi assommé par le coup de poing d’Henri… Marie d’un bond, se trouva debout, en marche vers la porte. Mais devant cette porte, elle vit les deux jeunes hommes !… Déjà ils s’unissaient pour la garder !… Elle cria trois fois :

– Renaud ! Renaud ! Renaud !…

Son danger, à elle-même, ne l’effrayait pas. Mais Renaud !… Puisqu’il n’était pas là, c’est qu’on le lui avait tué ! De ce qui s’était passé depuis sa sortie de l’église, une seule chose comptait : Renaud n’était pas là !…

– Mort ? fit-elle d’un accent tragique. Oui, sans doute. S’il vivait, il serait là. Il m’eût entendue. Mon Renaud ? Où es-tu ? Qu’ont-ils fait de toi ?… Mort ?… Es-tu mort ?… Réponds-moi ?

Les deux princes la considéraient avec une morne admiration. Tout à coup, passion, admiration, disparurent de leur esprit. Une étrange terreur les envahit. Dans l’instant même où Marie venait de dire : Es-tu mort ? Réponds-moi ? son visage se modifia brusquement. Elle parut écouter. Elle écoutait en réalité une voix qui distinctement lui parlait.

La voix de Renaud !… Les paroles que Renaud avait mises en elle… Et ces paroles, elle les répétait à haute voix :

– Rappelez-vous ceci : c’est que dans vingt jours, heure pour heure, je serai de retour. Mais comme cela va être long, vingt jours !…

– Elle est folle ! murmura François.

– Non ! fit Henri tremblant. Elle parle avec l’invisible…

Ils ouvrirent la porte, sortirent et refermèrent à clef. Marie, peu à peu, reprenait son expression naturelle.

Roncherolles et Saint-André attendaient dans la pièce voisine. Ils jetèrent sur les princes un regard de curiosité.

– Cette fille, dit Henri, a d’étranges attitudes.

– Oui, dit François elle semblait parler à un être invisible…

Roncherolles et Saint-André se jetèrent un regard.

– Messeigneurs, dit Roncherolles, tout à l’heure, quand pour exécuter l’ordre de Vos Seigneuries, nous avons jeté à la Seine ce cadavre gênant, à ce moment, nous avons entendu une clameur qui, sûrement, ne venait pas d’un être humain.

– Et il est également vrai, ajouta Saint-André, que nous avons vu cette fille lire en pleine nuit un papier fermé.

François regarda Henri :

– Où allons-nous la mettre ? fit-il d’un ton menaçant.

– Nous sommes égaux en droit ! répondit Henri. Donc, ni chez vous, ni chez moi. Je propose l’hôtel de Saint-André.

Saint-André salua. Roncherolles pâlit de jalousie.

– Parce qu’Albon est à vous ! gronda François.

– Messeigneurs, dit Roncherolles, pourquoi ne pas vous servir de mon hôtel ? Rue de la Hache, à deux pas du Louvre, l’endroit est désert, tranquille, tout à fait propice.

– J’accepte ! dit François.

– Va pour l’hôtel de Roncherolles ! gronda le prince Henri.

Dans la même nuit, Marie fut emmenée rue de la Hache. Les deux princes, rentrés au Louvre, convinrent de coucher désormais dans le même appartement, et François Ier, qui conclut de là à une amitié naissante, en éprouva une grande joie. Catherine de Médicis, femme d’Henri, accepta la situation sans protester.

Roncherolles s’institua le geôlier en chef de la malheureuse Marie. Mais Saint-André exigea de s’installer dans l’hôtel de la rue de la Hache. En sorte qu’au lieu d’un gardien, la jeune femme en eut deux, qui jamais ne se montraient à elle.

III – LES CACHOTS DU TEMPLE

Des mois se sont écoulés… Nous pénétrerons alors avec le lecteur, au nord-est de Paris, dans la forteresse du Temple.

Des mois donc, se sont écoulés depuis la nuit où Marie a épousé Renaud, jusqu’au jour où, suivant un geôlier, brute indifférente, nous descendons un escalier qui s’enfonce dans les entrailles du sol.

Le geôlier ouvre une porte, dépose dans un coin du cachot une cruche pleine d’eau et un pain, puis il s’en va. Le pain et l’eau, c’est la ration de deux jours pour la prisonnière… Et cette prisonnière, c’est Marie.

Son visage est émacié, son pauvre corps décharné. Elle songe à des choses d’une infinie tristesse. Parfois, cependant, un frémissement la secoue… cette sorte de souffrance et de joie qu’éprouve celle qui attend la venue au monde de l’être déjà chéri alors qu’il n’est pas encore au monde…

Puis elle reprend sa morne rêverie. Est-ce bien elle qui s’est réveillée une nuit devant deux visages convulsés de passion ! Est-ce bien elle qui fut entraînée dans une maison mystérieuse où, pendant dix jours, elle eut à repousser les attaques soudaines de l’un ou de l’autre des deux fauves !… Comme elle était brave, alors ! Comme elle savait écarter l’homme rué sur elle !… C’est qu’elle espérait, alors !… Renaud avait dit, Renaud lui répétait à chaque instant : « Dans vingt jours, heure pour heure, tu me reverras… »

Au bout du dixième jour, les deux frères lui étaient apparus ensemble. François alors, avait grondé ceci :

– Vous êtes accusée de magie. Vous êtes accusée d’avoir lu une lettre sans ouvrir le papier, en pleine nuit. Vous êtes accusée d’avoir parlé avec un être invisible, d’essence démoniaque sans doute. Vous allez être conduite au Temple, et jugée. Vous serez condamnée et brûlée vive.

Et Henri, alors, avait repris :

– À moins que vous ne consentiez à vous adoucir. Alors, c’est la liberté, c’est la vie fastueuse. Vous serez une grande dame de la cour.

– Conduisez-moi au Temple ! dit Marie.

Alors, ils s’étaient retirés. Une heure plus tard, des hommes noirs suivis de soldats étaient entrés et l’avaient interrogée ; puis, elle avait été conduite au Temple, sous les huées du peuple qui hurlait : « Mort à la sorcière ! »

Marie était descendue dans son cachot sans crainte. Elle comptait les jours qui la séparaient du retour de Renaud : Dans dix jours, il sera ici, en ce cachot même, dont il m’ouvrira la porte.

Le jour indiqué par Renaud approcha enfin. Elle compta : se sera pour dimanche. Lorsqu’elle sentait l’angoisse donner l’assaut à son cœur, elle fermait les yeux, et elle entendait la voix de Renaud qui lui disait : dans vingt jours, heure pour heure…

Le dimanche, elle se plaça, toute palpitante, près de la porte, et attendit. D’abord elle attendit patiemment. Puis, un peu d’impatience la gagna… Sur le soir, le geôlier vint lui apporter sa provision de deux jours. Elle ne fit pas attention à cet homme : elle savait que ce n’était pas Renaud. Elle ne mangea pas. Elle continua de se tenir près de la porte, debout. Parfois, elle murmurait :

– Ce dimanche est long ! Cette journée ne finira donc pas ! Et elle n’est pas finie, puisqu’il n’est pas encore là…

Elle ne toucha pas à son pain ; seulement, la soif la dévorait, et elle s’aperçut que la forte cruche n’avait plus une goutte d’eau.

– Comment ai-je pu déjà vider cette cruche ? se dit-elle.

Au moment où elle se disait cela, le geôlier reparut ; il portait une cruche pleine et un pain : la ration de deux jours. Cela l’étonna. Elle dit :

– Oh ! vous m’apportez à manger et à boire deux fois dans le même jour ?

– Comment, deux fois ? fit le geôlier stupéfait.

– Vous m’avez apporté ce matin mon pain et ma cruche…

– Je suis venu vous apporter votre ration dimanche soir.

– Dimanche soir ?… Eh bien ?…

– Eh bien ! fit le geôlier, nous sommes MARDI SOIR.

La porte se referma rudement. Marie, sans un cri, tomba à la renverse, foudroyée. Depuis le dimanche matin elle était restée sans manger, sans dormir, presque toujours debout.

IV – LA CONDAMNÉE

Des jours passèrent. Marie demeurait accroupie. Elle ne cria pas. Elle ne pleura pas. Toute conscience de vie fut abolie en elle. Une seule pensée surnagea : Il ne viendra pas !

À plusieurs reprises, il lui sembla voir apparaître devant elle François et Henri, tantôt ensemble, tantôt l’un ou l’autre seul. Elle ne les entendait pas. Une fois, elle comprit qu’ils proféraient une menace. Et cette fois-là, lorsqu’ils eurent disparu, on l’obligea à sortir et elle parvint enfin dans une salle obscure où des hommes vêtus de noir étaient assemblés…

Entre autres questions, elle fut adjurée de dire depuis combien de temps elle avait des accointances avec le démon, et si elle avait signé un pacte avec lui. Marie secoua la tête sans répondre. Cela dura longtemps. Puis deux hallebardiers l’obligèrent à s’agenouiller, et l’un des hommes se mit à lire sur un parchemin.

Et c’était le tribunal de l’Official !… Et ce que lisait cet homme, c’était sa condamnation à être brûlée vive en place de Grève et à subir la question jusqu’à ce qu’elle eût expliqué la nature de ses relations avec les puissances infernales. Après quoi, elle fut ramenée dans son cachot.

Des jours encore s’écoulent. Et des mois se sont passés depuis la nuit où Renaud est parti pour Montpellier.

Ce fut dans une des minutes où, à pas vacillants, elle parcourait son cachot, que la porte s’ouvrit : le geôlier livra passage à deux hommes, déposa son falot dans un coin et s’éloigna. Marie regarda ses visiteurs et reconnut aussitôt les deux princes.

François marcha sur Marie et lui prit la main. Henri, aussitôt, saisit l’autre main de la victime.

– Nous sommes ici deux frères, dit alors François, et nous nous haïssons parce que vous nous avez inspiré le même amour. C’est une chose étrange, Marie.

– Oui, fit Henri, une chose étrange et qui suffit pour démontrer vos relations avec les puissances infernales. C’est pourquoi le roi veut que vous soyez questionnée…

– Et la question, reprit François, c’est la torture…

– La torture ! frissonna l’infortunée.

Henri et François haletaient. Mais leurs physionomies gardaient l’entêtement de la passion à son paroxysme.

– Marie, reprit, François, nous vous arracherons à la torture, au bûcher. Si vous le voulez, vous allez sortir d’ici.

– Pour changer votre misère en splendeur, gronda Henri, vous n’avez qu’un mot à dire. Puis, l’un de nous se présentera seul avec vous. Car nous avons décidé de nous en rapporter aux armes, et le vainqueur seul aura le droit d’assurer votre bonheur.

– Répondez, Marie, grinça François.

V – GEÔLIER ET GEÔLIÈRE

Un cri, à cet instant, emplit le cachot. Les deux frères eurent un recul. Qui criait ainsi ? Marie ! Allait-elle céder ?

– Il faut l’achever ! murmura rapidement Henri.

– Qu’on la conduise à la chambre de torture, cria François.

Un cri, encore, éclata sur les lèvres de Marie. Puis elle se tut. La porte du cachot s’était ouverte. Marie vit quatre hommes qui attendaient. Son instinct la prévint que c’étaient là le bourreau et ses trois aides ; elle tomba à genoux.

– Elle va céder ! murmura Henri dans un souffle.

– Elle est à nous ! gronda François.

Le bourreau s’avança. Les aides le suivirent… Ils se penchèrent sur la jeune femme agenouillée… À ce moment, elle se tordit sur le sol en jetant trois ou quatre appels déchirants.

Presque aussitôt, elle se tut. Ce fut, dans ces profondeurs d’enfer, un silence effrayant… Et tout à coup, dans ce silence, une voix faible, vacillante… le premier cri de l’être qui naît. Le vagissement de l’enfant !…

Du fils de Nostradamus !…

François et Henri, livides, les cheveux hérissés, reculèrent.

– La sorcière a enfanté ! gronda le bourreau. Faut-il tout de même la conduire à la chambre de question ?

– Laissez-la ! Laissez-la ! bégayèrent ensemble François et Henri en claquant des dents.

Et tous deux s’enfuirent, les mains aux oreilles, pour ne pas entendre les vagissements de l’enfant qui appelait la vie !… Le bourreau s’en alla, suivi de ses aides.

Alors le geôlier entra dans le cachot, promena son falot sur ce pauvre tas de chairs. Cet homme pâlit. Un long moment, il demeura pensif, tout frissonnant. Et tout à coup une larme jaillit de ses yeux qui n’avaient jamais pleuré. Il se releva, sortit en courant.

Cinq minutes plus tard, il redescendit, accompagné d’une femme jeune encore, de figure commune. C’était sa femme. Les vagissements de l’enfant devenaient plus faibles ; le visage de la mère était d’une pâleur de cadavre.

– Gilles, si je la soigne, peut-être que je serai damnée ?

– Ça se peut, la Margotte. Et peut-être serai-je chassé.

– Ça se peut aussi. Mais ce pauvre petiot qui veut vivre !…

– Et cette malheureuse qui ne veut pas mourir !

La Margotte fit un signe de croix et se mit à soigner la mère et l’enfant !… L’enfant criait. La mère était muette. Quand ce fut fini, le geôlier jura et dit :

– Nous serons damnés, et chassés par-dessus le marché !

La Margotte tenait le petit dans ses bras. Elle dit :

– Cours chercher du lait !…

Dans ce moment, Marie entr’ouvrit les yeux. Son premier regard tomba tout droit sur l’enfant. Doucement, elle tendit les bras. La Margotte, d’un geste aussi doux, lui remit l’enfant, le tout petit que d’une étreinte farouche et passionnée, elle serra sur son sein maternel… Quand Gilles redescendit, il vit la geôlière qui pleurait à chaudes larmes, et la prisonnière, qui, extasiée, souriait !…