L’hiver se montra très clément, et quand le retour du printemps gonfla derechef les bourgeons, l’année fut révolue depuis le terrible matin où le mousse Pablo avait été arraché à la mort, par Alain Plonévez, sur le bordé de la Coronacion agonisante.
Alain n’était pas revenu à Louannec depuis le mois d’avril, époque de son départ de Paimpol. Il avait écrit fréquemment à sa mère, et, en dernier lieu, de Nantes, où il s’était fixé pour préparer, sans interruption, ses examens pour le brevet de capitaine au long cours.
Les épreuves n’auraient pas lieu avant le mois de juin, et le courageux garçon ne voulait pas perdre une seconde de son temps. Il comptait bien prendre sa revanche de cette absence de dix-huit mois, lorsqu’il viendrait se reposer sous le toit de la vieille mère, pour quelques semaines, avant de chercher un commandement de navire, voilier ou à vapeur, car il tenait à satisfaire à l’une ou l’autre exigence.
Mais, s’il n’était pas revenu, Alain n’en était pas moins tenu au courant des événements accomplis dans le pays de Tréguier par de longues et pittoresques missives de Pablo, son frère d’adoption.
Car, à cette heure, Pablo avait justifié toutes les espérances de ses maîtres et faisait le plus grand honneur à l’école de Louannec. Il mettait l’orthographe sans accroc, possédait à fond sa grammaire, battait les premiers de la classe, en un mot était mûr pour entrer à l’École Saint-Charles, de Saint-Brieuc, préparatoire au Borda.
On lui donnait approximativement treize ans. Le maire avait fait appeler Mme Plonévez et l’avait interrogée. L’enfant, sur le compte de qui les consuls français d’Amérique n’avaient pu fournir aucun renseignement utile, avait été inscrit à l’état civil sous le nom de Paul Plonévez, et, à partir de ce moment, couraient les délais légaux qui permettraient plus tard à la veuve de lui donner son nom avec le consentement de l’intéressé lui-même, si celui-ci n’avait pas retrouvé auparavant sa famille légitime.
Toutes ces choses, Pablo les avait racontées à Alain.
Le jour anniversaire de son sauvetage, il écrivit à son « grand frère » une longue lettre qui dut intéresser vivement le laborieux matelot :
« Mon cher Alain,
« Il y a juste un an, aujourd’hui, que vous m’avez sauvé en me décrochant du portemanteau de la Coronacion. Vous le rappelez-vous ? C’était terrible ; rien qu’au souvenir, je frissonne encore et je remercie le bon Dieu de la grâce qu’il m’a faite et du bonheur qu’il m’a accordé.
« Car je suis très heureux, mon cher Alain. Notre mamm Plonévez me gâte, M. le recteur et M. l’instituteur sont contents de moi. Je suis le premier à l’école et au catéchisme ; les camarades ne m’en veulent pas pour ça ; ils disent, au contraire, que c’est juste. Moi, je vous le répète pour que vous sachiez bien ce que fait votre petit frère Pablo, vous qui êtes occupé par des études bien plus sérieuses.