L’un des anciens matelots du brick, celui qui faisait fonctions de calfat, avait soigneusement inspecté les flancs du navire. Il n’y trouva point d’avaries, ce qui confirma les fugitifs dans l’opinion que les bandits avaient dû s’enfuir en toute hâte pour ne point se laisser surprendre par quelque vaisseau de guerre venu de la côte, torpilleur ou canonnière.

On inspecta ce qui restait du gréement. La mâture était en bon état, comme aussi les voiles survivantes du pillage. Il y en avait assez pour garnir les basses vergues et le beaupré : deux focs, quatre ou cinq voiles carrées, une brigantine susceptible de se fixer à l’artimon avec un gui quelque peu égratigné. On vérifia les haubans, les palans, les poulies, les drisses. Tout pouvait rendre d’utiles services.

Décidément les pirates avaient pris peur et déguerpi en débandade. La chose paraissait indéniable.

Alors, Lân fit opérer des sondages. On avait assez d’eau sous la quille pour naviguer, à la condition qu’on n’allât point se jeter sur quelque sable mouvant. On constata, toutefois, par un examen attentif de la berge, que le niveau des eaux avait sensiblement baissé depuis la veille, peut-être même depuis le matin de ce jour. Il fallait donc se hâter, si l’on ne voulait pas s’exposer à l’échouage imprévu.

Le vent, quoique très affaibli, était assez constant pour qu’on ne différât point le départ.

En conséquence, Alain Plonévez arbora toute sa toile disponible et, profitant des dernières heures du jour, dirigea la Grâce de Dieu dans le lit du courant, vers la descente du fleuve.

Il fallut y mettre beaucoup de circonspection, car on n’avait aucune carte du pays. Mais, comme, à la chute du jour, la brise avait fraîchi et se maintenait, on put utiliser toute la voilure et gagner une quinzaine de milles pendant la nuit.

Le brick était sorti du dédale d’îlots qui encombraient le fleuve à sa boucle. Maintenant le Rio Nuñez s’étendait en une large nappe d’or terni sur une largeur de cinq ou six cents mètres. Les horizons du sud semblaient plus clairs, alors que, vers le nord, la région qu’on venait de quitter s’effaçait en un moutonnement confus de verdures. L’espoir entra définitivement dans les cœurs.

Puisque la Grâce de Dieu, la bien nommée, avait tenu bon jusque-là, il n’y avait pas de raisons pour qu’elle n’achevât pas aussi heureusement sa course.

Une seule chose tenait en éveil l’esprit soucieux d’Alain.

Si, comme on l’avait présumé au départ, comme semblaient le confirmer les événements, les bandits avaient fui pour éluder la poursuite d’un vaisseau de guerre, comment se faisait-il qu’on n’eût pas encore rencontré ce vaisseau ?

Cette inquiétude ne tenaillait pas le seul esprit d’Alain. Il pouvait lire la même préoccupation sur les traits de son frère, qui avait pris la barre.

Yves Plonévez ne s’en cacha point.

« Vois-tu, frère, dit-il à Lân, j’ai du noir dans les idées. C’est peut-être pour ça que je me méfie. Mais je me suis dit que ça allait trop bien, et que ce n’est pas naturel. Nous sommes tombés dans un piège.

– Explique-toi ! interrogea Lân, un peu nerveux.

– Voilà, continua Ervoan. Je crois que les faillis chiens nous ont laissé le brick pour nous attirer. Eux-mêmes ont dû se cacher quelque part, sur la côte, et ils vont nous tomber dessus d’un moment à l’autre. Et, tiens, justement, regarde, en avant de nous, à bâbord. On dirait la fumée d’une cheminée. »

Sa main tendue désignait au capitaine un petit nuage gris blanc qui venait de monter soudain de la rive, du milieu d’un fouillis vert d’arbres.

Ils n’étaient pas les seuls à l’avoir aperçu.

De l’avant, des cris s’élevaient, Pablo accourait en bondissant :

« Capitaine, capitaine, voyez donc. Un torpilleur ! »

D’autres voix se joignaient à la sienne. Les avis étaient partagés, les conjectures indécises.

« Ce n’est pas un torpilleur, c’est une canonnière garde-côtes. On voit ses deux cheminées. »

Cependant, la Grâce de Dieu, en plein courant, vent arrière, filait à la vitesse de neuf à dix nœuds, ce qui était une belle allure pour un voilier.

Elle arrivait maintenant au niveau du navire signalé. Elle l’avait à un quart de mille environ à bâbord. On commençait à en deviner la figure.

C’était un bateau allongé, un steamer à l’étrave droite, taillé pour la course et qui ne prenait pas la peine de masquer ses lignes. On entendait le grondement de sa machine dans ses flancs, et les volutes de fumée empanachaient d’un plumet plus sombre ses cheminées grises. Le vapeur était sous pression, prêt à bondir sur l’eau limoneuse du fleuve.

« Le Cacique, proféra Ervoan, les poings crispés.

– Le Cacique ? questionna Lân, à voix basse. Ici, dans le Rio Nuñez, à moins de trente milles de Boké ? Ce serait une pure folie de sa part !

– Folie ou non, c’est bien le Cacique », répéta le marin.

Il n’avait pas achevé sa phrase que le forban lui-même la soulignait à sa manière. Un sifflement caractéristique venait de se faire entendre. Un projectile, dont il était impossible de contrôler les dimensions et la nature, venait de passer à travers les haubans, écornant la hune de misaine.

Déjà Alain avait bondi vers Mme Hénault assise à l’entrée du rouf et, l’entraînant vivement, lui faisait dégringoler l’escalier de l’entrepont, avec une rudesse dont il s’excusa sommairement :

« Madame, pardonnez-moi. Il le faut. Nous sommes attaqués. Les pirates. »

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Et, avant qu’elle pût l’interroger, il était remonté sur le pont, où il commandait le branle-bas.

Les hommes s’assemblèrent autour de l’artimon. Il leur donna ses instructions précises : ne point s’émouvoir de ce qui pourrait survenir, s’abriter derrière les bastingages, à bâbord, prêts à accueillir l’ennemi par une fusillade nourrie, viser comme au tir, afin d’utiliser les munitions, réduites à moins de vingt cartouches par homme, ne prêter aucune attention aux dégâts de la mâture, mais seulement aux avaries de la coque, l’artillerie de l’ennemi ne pouvant être très redoutable.

La brise soufflait toujours et l’allure du brick se maintenait. Et, cependant, la Grâce de Dieu filait allégrement. La distance croissait entre elle et le Cacique, dont on voyait maintenant le profil décroître par le travers de la hanche de bâbord.

« Gurun ! fit Joël, est-ce que cet enfant du diable serait cloué sur un banc ? Aurait-il une patte cassée ? »

Lân fit mesurer le sondage. Sa figure s’éclaira.

« Je vais vous dire, mes gars. Il y a que le tirant d’eau, suffisant pour nous, ne l’est pas pour ce maudit. Ça nous donne une petite avance. Mais gare dessous, si la pluie d’hier et d’avant-hier ramène la crue. »

L’explication était juste. Dans sa hâte à saisir sa proie, Gonzalo Wickham s’était démasqué trop tôt. Il n’avait pas pris garde à la baisse des eaux. Au premier tour d’hélice, le Cacique avait donné violemment de l’éperon dans un banc de sable. Et, maintenant, avec trois mètres de quille emportée sur l’avant, il s’efforçait de culer pour retomber dans un chenal propice à une plus sage évolution.

La manœuvre n’était pas facile, et, pendant ce temps, la Grâce de Dieu dépassait son adversaire. Elle avait vent arrière et prenait chasse devant lui.

Ce fut alors que le Forban noir, exaspéré, fit tirer sur le brick. Mal pointée, la pièce n’atteignit que la mâture ; le projectile, un boulet conique, passa, inutile, à travers les cordages de la Grâce de Dieu.

Celle-ci utilisait le vent par tous les moyens.

On avait fait voile de tout le linge qu’on avait pu trouver : les draps du lit de Mme Hénault avaient fourni le perroquet de misaine ; avec cinq ou six hamacs rapidement cousus bout à bout, on établit à l’avant de vagues maraboutins.

Si misérables que fussent ces ressources, elles n’ajoutèrent pas moins à la vitesse du bateau et lui firent gagner quelques milles de plus. La Grâce de Dieu vit s’écarter les rives basses du fleuve et s’estomper derrière elle les massifs forestiers du haut fleuve.

On reprit courage, et Alain Plonévez tint un conseil de guerre. On ouvrit l’avis d’accoster sur la berge à droite, afin d’y déposer Mme Hénault sous la garde de quelques hommes résolus, pendant que le reste de l’équipage continuerait la route jusqu’à la rencontre des navires de Boké, en entraînant les forbans à sa suite.

Mais Mme Hénault repoussa d’emblée ce plan.

« Ou nous échapperons, ou nous mourrons tous ensemble ! » s’écria-t-elle avec une généreuse énergie.

Alain fit remarquer, toutefois, qu’il y avait urgence à se rapprocher de la côte, pour y courir la chance d’abattre quelque gibier. Il ne restait plus rien à manger à bord, et, si l’on échappait aux écumeurs, on ne pouvait se dérober à la faim dont les affres commençaient à se faire cruellement sentir.

Vers la fin du jour, on découvrit quelques pirogues. Les noirs qui les montaient se laissèrent approcher. On parlementa assez heureusement pour obtenir d’eux la promesse d’aller chercher au plus prochain village du maïs, quelques poulets et des fruits. Cette convention obligea le brick à ralentir son allure, en se rapprochant de la terre.

Les nègres mirent quatre longues heures à leur commission et il fallut, tout ce temps, imposer silence aux entrailles affamées. Mais lorsque, la nuit venue, les voyageurs se réunirent dans l’entrepont pour manger le maïs sommairement grillé et les bananes qui leur tenaient lieu de dessert, la joie de ce repas frugal leur fit oublier les appréhensions du jour et les menaces du lendemain.

Devait-on reprendre la route sur-le-champ, afin de profiter des ténèbres, ou passer la nuit en cette station imprévue ? L’absence d’instruments de calculs – les pirates ayant volé montres et sextants – ne permit pas de faire le point. On supputa, au jugé, que l’on devait se trouver encore à trente ou trente-cinq milles de Boké.

La discussion fut assez longue. Elle se termina par la décision de séjourner au point où l’on se trouvait, les noirs ayant promis de revenir à l’aube porteurs de quelques sacs de farine, de volailles et d’un quartier de porc.

On avait la terre pour refuge au cas où l’on serait contraint de battre en retraite en abandonnant le brick. On avait enfin la perspective d’un repos momentané, indispensable après les surmenantes fatigues des jours précédents.

Lân enjoignit donc de couvrir les feux. On se borna à l’emploi d’une lanterne dans l’entrepont, où Mme Hénault se reposa comme elle put entre deux toiles de tentes, tellement accablée de lassitude qu’elle ne prêta pas d’attention au râle du pauvre Nantais agonisant. Ce râle, d’ailleurs, s’éteignit aux approches du jour. La mort avait délivré le blessé de sa torture.

On distribua les quarts de deux heures en deux heures, ce qui ramena pour Alain lui-même la veillée au commencement et à la fin de la nuit. Les vigies s’installèrent dans la hune de misaine et sur le pic d’artimon, l’arme au poing, prêtes à faire feu sur toute embarcation suspecte.

La lune, plus brillante encore que la veille, inonda la nappe de sa grande clarté blanche, dénonçant aux regards les mouvements de la berge aussi bien que ceux de l’eau.

Vers trois heures du matin, un bruit insolite troubla le solennel silence du désert, empli jusqu’alors des rumeurs innombrables de la jungle.

Les nègres à demi sauvages de la région pouvaient s’y tromper peut-être ; l’oreille d’un marin ne conservait aucun doute sur sa nature et son origine.

C’était l’anhélation rythmique qui s’exhale des flancs d’une machine à vapeur, accompagnée du grondement sourd des chaudières. En même temps, un sifflement léger, le bruissement de l’eau qui se fend sous l’étrave et bouillonne sous les coups de queue de l’hélice, décelait l’approche d’un steamer.

En ce moment, Ervoan et Pablo étaient de quart.

Ils descendirent vivement sur le pont, mus de la même inquiétude.

« As-tu entendu, petit ? questionna Yves Plonévez.

– J’ai entendu, répliqua l’enfant, mais je ne sais d’où ça vient, d’aval ou d’amont.

– Ça vient du haut de la rivière, mon gars. Il n’y a pas à s’y tromper. Ce sont les bandits qui nous cherchent.

– En ce cas, il faut éveiller le capitaine.

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– Ce n’est pas nécessaire, prononça l’organe grave d’Alain émergeant de l’écoutille. Moi aussi j’ai entendu. Je ne dormais pas.

Un par un, afin de ne pas troubler le repos de Mme Hénault, on alla secouer les autres membres de l’équipage.

On se distribua les postes de combat, tout en déplorant qu’il ne fît pas encore jour. On avait deux heures de nuit pour le moins à subir. Et, par malheur, la lune s’abaissait rapidement sur l’horizon.

Le tic tac des pistons se rapprochait. Brusquement, dans un grand rais d’argent, une silhouette longue à museau de tanche se profila.

« Tiens ! murmura Joël Le Corre, ce n’est plus le même bateau.

– C’est le même, Joël, mon gars, rectifia Ervoan, avec un geste de colère. Seulement, il a masqué son groin. »

Et, en effet, le Cacique s’avança, maquillé, déformé à souhait à l’instar d’un comique grimé. Mais la sveltesse de sa carène se laissait deviner sous le mensonge de son déguisement d’emprunt.

Il venait, très lent, inspectant les deux rives du fleuve. Celle où la Grâce de Dieu était ancrée avait des arbres se baignant dans l’eau. Les mâts du brick se mêlaient aux branches des grands troncs. On pouvait ne point découvrir sa présence.

Aussi le yacht ne le découvrit-il pas de prime abord. Il le dépassa de plusieurs longueurs et, sans doute, l’eût-il laissé en arrière, si tout d’un coup, il ne se fût avisé de recourir aux projecteurs.

Un grand rayon blanc fusa, qui courut sur les deux rives, avant de venir éclabousser de sa poussière lumineuse la berge où la Grâce de Dieu se tenait tapie.

Ce fut un éblouissement. L’aveuglante clarté fouilla le rivage à la droite et à la gauche du brick, puis se fixa sur lui, immobile.

Tout espoir était perdu d’échapper aux investigations des forbans. Il fallait se résoudre à la lutte sans merci.

« Ils nous ont vus », prononça Ervoan à voix basse.

L’organe du capitaine Alain s’éleva, clair et vibrant.

« Camarades, disait-il, nous n’avons plus de secours à attendre que du ciel et de nous-mêmes. Allons-nous recevoir leur choc ici-même, sans bouger, ou préférez-vous que nous courions droit aux bandits pour les aborder.

– À l’abordage ! » approuva Joël avec véhémence.

Mais le docteur intervint.

« Capitaine, oubliez-vous que nous avons une femme à notre bord ? Qu’allons-nous faire de Mme Hénault ?

– J’y ai songé, répondit Lân. Il y a une pirogue laissée par les noirs à tribord. Nous allons déposer Mme Hénault à terre, avec vous, docteur, le petit Pablo et mon frère Ervoan. Nous resterons cinq ici. C’est bien assez pour amuser ces coquins tout le temps qu’il vous faudra pour gagner les cases les plus voisines.

Une autre voix donna la réplique à Alain.

« Je pense, capitaine Plonévez, dit Mme Hénault, inopinément apparue sur le pont, que vous n’avez pas parlé sérieusement ? Pour me débarquer, il vous faut mon consentement ; or, ce consentement, je le refuse. J’entends demeurer avec vous et prendre ma part de la lutte. Après tout, ce ne sera pas la première fois que je me serai vue face à face avec des bandits. Je vous prouverai tout à l’heure, s’il le faut, que ma main ne tremble pas plus que mon cœur. »

Ces paroles furent prononcées avec un accent qui électrisa le vaillant entourage. Avant tout autre, Pablo donna à la vieille dame le témoignage de son enthousiasme.

« Bravo, bonne maman ! s’écria-t-il en se jetant dans ses bras. Au moins, si nous devons mourir, ne serons-nous pas séparés. Et, tu peux m’en croire, je serai digne de toi.

– Cher petit, murmura la vaillante femme, en essuyant furtivement une larme, Dieu m’est témoin que j’aimerais mieux te savoir auprès de ta pauvre mère. Mais tu es, comme moi, d’un sang qui ne saurait mentir. »

En ce moment, le rayon qui venait du Cacique se détourna, et les défenseurs du brick purent voir le yacht maudit mouillé à trois encablures de la côte. Il avait déjà mis ses embarcations à la mer, et l’on distinguait deux taches noires s’avançant vers la Grâce de Dieu.

Le plan de l’ennemi se dessinait. Il lançait contre la poignée d’hommes prêts à se défendre jusqu’à la mort ses compagnies de débarquement prélevées sur son équipage de forbans résolus à tout.

Combien étaient-ils ? C’est ce que nul ne pouvait savoir à bord de la Grâce de Dieu.

Mais déjà le faisceau aveuglant était revenu se fixer sur le brick. Il était impossible de tirer sur les canots autrement qu’au jugé.

« Attends, capitaine, dit Ervoan à son frère. Il me vient une idée. »

Et, rampant à travers la largeur du pont, il gagna la hanche de tribord, se glissa dans l’ombre du rouf et, à l’aide d’une aussière, se laissa tomber dans la pirogue attenante aux flancs de la Grâce de Dieu.

Cela s’était si brusquement fait qu’Alain Plonévez n’avait pas même eu le temps d’ouvrir la bouche pour s’enquérir des intentions de son frère.

Il n’eut pas davantage le loisir de s’en préoccuper.

Un triple éclair brilla sur le pont du Cacique ; une grêle de plomb vint s’abattre sur le brick, fauchant des haubans, pénétrant dans la joue de bâbord.

Le yacht venait de faire feu à l’aide de trois mitrailleuses, afin de couvrir l’abordage de ses hommes. Un choc presque imperceptible à la coque révéla que l’une des embarcations abordait le brick par sa hanche de bâbord.

Alain s’était redressé pour courir à l’arrière.

Il n’eut que le temps de se laisser tomber sur les genoux et les mains. Derechef les canons du yacht avaient vomi la mort et le pont du navire crépitait sous les projectiles, tandis que l’air s’emplissait du fracas de la détonation.

Tout à coup, à l’avant du brick, une furieuse clameur monta, faite de cris de rage et de plaintes d’agonie.

Le rayon du projecteur s’abaissa. Pablo, le docteur, Joël, levés au-dessus des bastingages, virent l’effrayante scène.

Ervoan avait poussé la pirogue le long des flancs du navire jusque sous les barbes du beaupré. Au moment où la seconde chaloupe des pirates avait abordé la joue du brick, le Breton s’était dressé, déchargeant dans le tas les six coups de son revolver. Puis, épique, formidable de résolution désespérée, il avait bondi dans le canot, broyant des crânes, défonçant des poitrines.

Du pont de la Grâce de Dieu, les témoins de cette scène n’osaient tirer sur la bande de peur de frapper leur héroïque ami.

Ils n’eurent pas, d’ailleurs, le loisir de contempler longtemps le spectacle.

D’une voix tonnante, Alain les appelait à l’arrière. Là, en effet, était le péril. Dix hommes hurlant, s’excitant les uns les autres, dix démons échappés de l’enfer, venaient d’escalader le bordé et accouraient, ivres de sang et de pillage.

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