C’était un assez vieux bateau, dénommé la Grâce de Dieu, dont la moitié de l’équipage s’était rembarquée sur un steamer allemand. L’autre, c’est-à-dire quatre hommes, fort marris de se trouver ainsi retenus sur un rivage malsain, demandait, à cor et à cris, au moins une occasion d’utiliser le temps d’inaction forcée. Sur la prière de Mme Hénault, le commandant Le Gouvel et Alain Plonévez visitèrent le brick et le reconnurent encore assez solide pour fournir une course fluviale, la résolution de la vieille dame étant inébranlable, d’aller chercher elle-même son neveu blessé à Boké, où il était soigné provisoirement, en attendant soit une issue fatale, soit le moyen de le ramener en France. Et comme les quatre hommes de son ancien équipage ne demandaient qu’à s’embaucher, les deux officiers les retinrent à leur service.
Mme Hénault affirma son désir de partir au plus tôt pour l’intérieur. On décida donc que le départ aurait lieu le surlendemain, la distance de Konakry au Rio Nuñez exigeant deux jours de mer par voilier, sans parler des lenteurs de la navigation sur le fleuve lui-même. Il fallait ce délai de deux jours pour aménager, dans les flancs du vieux bateau, un logement supportable pour la voyageuse et les dix hommes qui allaient le monter.
Alain en prenait le commandement, emmenant avec lui son frère Ervoan, le petit Pablo et trois des gabiers de la Némésis. Il était convenu que celle-ci remonterait elle-même le Rio dès que l’élévation des eaux le permettrait. On avait désinfecté aussi énergiquement que possible la coque du brick et, vu la température pluvieuse, un maître calfat nègre, sous la direction du docteur Perrot et du mécanicien Grandy, avait construit à l’arrière une façon de dunette dans laquelle la vieille dame serait plus confortablement installée que dans l’entrepont.
Au dernier moment, le docteur s’offrit spontanément à faire partie du voyage. Sa présence pouvait, en effet, être fort utile à la voyageuse, sans préjudice des soins plus éclairés qu’il apporterait au jeune blessé de Boké.
On était à la veille de Noël. Mme Hénault voulut qu’avant de se séparer provisoirement de son vaillant entourage, celui-ci célébrât la grande fête qui, dans tous les pays chrétiens, met en joie les plus riches comme les plus humbles foyers.
Il y eut donc à bord de la Némésis, une réjouissance à laquelle furent conviés tous les blancs de Konakry, les officiers de l’équipage du stationnaire français, et jusqu’aux noirs attachés aux services publics.
Le 25 décembre, au matin, la Grâce de Dieu hissa ses voiles pour utiliser le vent favorable qui soufflait du sud-est.
Elle franchit en trente-six heures la distance, doubla le cap Kembuto et s’engagea résolument dans la branche méridionale du fleuve. Deux jours après, elle mouillait au pied du môle rudimentaire du port de Boké.
Mme Hénault courut tout de suite au hangar misérable qui tenait lieu d’hôpital, accompagné de Pablo, d’Alain et du docteur Perrot.
Elle trouva le blessé très affaibli. En reconnaissant sa tante, dont rien ne pouvait lui faire prévoir l’arrivée invraisemblable, Jacques Rivard laissa éclater une joie enfantine. Le diagnostic du docteur fut assez favorable pour lui permettre de donner de sérieuses espérances à la vieille dame.
Malheureusement l’état d’anémie du jeune homme lui causa de réelles inquiétudes, et il crut devoir différer de quelques jours son transfert sur la Grâce de Dieu.
Cette décision créait des loisirs forcés à Mme Hénault et à son entourage. Sur la demande même du blessé, Alain décida de remonter le fleuve jusqu’à l’emplacement de la station pillée. Jacques Rivard, en effet, désignait une dépendance de la factorerie, où, dans le creux d’une citerne, le chef du poste avait enfoui la caisse et les papiers les plus précieux de la maison de commerce.
Ce fut l’annonce du départ de la Grâce de Dieu pour le haut fleuve, annonce apportée par des noirs affiliés à ses bandes, qui détermina Gonzalo à reculer lui-même jusqu’au delà de Guémé Sansan et à utiliser les eaux profondes.
Le dilemme, en effet, se présentait sous sa forme la plus simple :
Ou le brick ainsi aventuré n’était que l’avant-garde d’une flottille militaire, et, en ce cas, il fallait accumuler les obstacles devant cette flottille ; ou il était seul et s’engageait à ses risques et périls, ce qui en faisait une proie nouvelle pour le Cacique.
De façon ou d’autre, ce dernier était contraint de différer sa sortie. Mais Gonzalo, devenu soucieux, ne se dissimulait plus la faute qu’il avait commise en s’attardant dans ces régions fermées. Chaque heure qui s’écoulait diminuait ses chances d’évasion. Il ne pouvait douter, en effet, que ses ennemis eussent mis à profit le temps écoulé pour fortifier les postes du fleuve inférieur, et tendre un filet de surveillance à l’embouchure du Rio.
Heureusement pour lui, il se trouvait dans la boucle boisée du Tiguilinta. Ici ce n’était plus la brousse, avec sa végétation ingrate, mais la haute futaie épaisse et drue, aux arbres énormes, aux embûches végétales et animales. Ici, sur les versants montueux de la Nigritie commençante, croissaient le baobab, le dragonnier, l’arbre de fer, les palmiers de multiples essences, où s’accroche l’impénétrable rideau des lianes, sous lequel errent, en liberté, l’éléphant d’Afrique en famille, le rhinocéros, les variétés de buffles et de cerfs, la panthère, cette sœur féroce et tachetée du lion, le chimpanzé, docile compagnon de l’homme, en qui le nègre voit un humain condamné par Dieu, sous lequel rampent les crocodiles, les lézards et les batraciens géants, et les serpents innombrables, depuis le boa qui écrase jusqu’au céraste, à la vipère cornue, au corail, dont les crochets venimeux distillent la mort foudroyante. Ici, enfin, les insectes insupportables, papillons diurnes ou nocturnes, mouches multicolores, lucioles de feu, moustiques vampires, scorpions, mygales et scolopendres, sillonnaient l’air de leur vol affolant ou transformaient en pièges les moindres creux des troncs, les moindres cornets de feuilles.
La retraite était donc sûre, mais pouvait se changer en prison, si les eaux, par une défection subite, venaient à baisser, ne laissant plus assez de profondeur sous la quille du Cacique, et le réduisaient à l’état de ponton.
Et cette perspective angoissante commençait à assombrir les regards du Forban Noir. Il y avait des heures où l’audacieux bandit, toujours secondé par la chance, doutait de son étoile. On n’abuse pas impunément des faveurs du sort.
Les pirogues qu’il lança sur le fleuve, pour épier le mouvement de ses ennemis possibles, lui rapportèrent des nouvelles rassurantes. La Grâce de Dieu remontait seule vers Guémé. Le second navire signalé n’avait pas dépassé Boké.
Alors le pirate tint un conseil de guerre.
Les avis furent partagés.
Quelques-uns jugèrent que le plus sage était de profiter de la crue pour descendre rapidement le Rio et s’échapper à la faveur d’une nuit obscure, en prenant pour voie la branche septentrionale du fleuve, qui serait la moins surveillée par les navires de guerre.
Le passage dangereux d’ailleurs n’existait qu’au voisinage de Boké.
Arrivé à ce niveau, le Cacique donnerait sa vitesse maxima, dût-il la soutenir sept ou huit heures de suite, en consommant toute sa provision de briquettes de pétrole. Il irait se réfugier en une crique du Gabon, à l’entrée de l’Ogôoué, dût-il piller quelque poste de charbon destiné au ravitaillement des stationnaires.
Les autres, les plus nombreux, tout en se ralliant à ce plan, estimèrent que l’on pourrait, sans inconvénient, mettre à mal l’imprudent voilier qui venait se jeter spontanément dans le piège. Outre que cette capture achèverait dignement la campagne, elle offrirait cette sécurité de ne point laisser d’ennemis derrière le yacht.
Gonzalo hésitait entre les deux partis à prendre.
Un renseignement du dernier moment le décida à s’arrêter au second plan.
Un des piroguiers, en son sabir cosmopolite, venait de lui apprendre qu’à bord de la Grâce de Dieu se trouvait une vieille femme blanche, du nom de Hénault. Ce nom arracha un cri de triomphe au bandit.
« Hénault ? s’exclama-t-il, en secouant Lopez par les épaules. Hénault ! As-tu entendu, Ricardo ? C’est le diable qui nous les livre ! Bien sûr cette vieille folle n’est pas seule ; l’enfant doit être avec elle, et ils ont dû amener une bonne partie de l’équipage de leur yacht maudit. Je te dis que c’est le diable, notre patron, qui les inspire. Jamais nous n’aurons accompli plus belle campagne. Après ça, nous rentrerons en paix dans notre Amazone et nous pourrons y vivre de nos rentes, en attendant que le petit drôle ait atteint sa majorité. Car, de deux choses l’une : ou sa famille nous le rachètera un bon prix, ou ton machete lui fera signer la cession en notre faveur des biens qui lui doivent revenir de son père. »
Et, sur l’heure, il donna l’ordre de soulager le yacht pour courir à la rencontre du bateau signalé.
Cependant la Grâce de Dieu avait atteint le poste détruit au voisinage de Guémé. Ce jour-là était le premier janvier.
Une année venait de finir, une année nouvelle se levait sur le monde. Et ce fut un sentiment d’une intense poésie qui rapprocha les uns des autres, dans l’échange des souhaits d’avenir, tous ces Français se félicitant sous un ciel lointain, mais se sachant encore en France sur ce territoire colonial, abrités par les plis du drapeau, cet emblème sacré de la patrie absente.
Lorsque, à la suite d’Alain Plonévez et du docteur Perrot, les hommes de l’équipage vinrent, à tour de rôle, offrir leurs vœux à Mme Hénault, une scène touchante se produisit.
Yves Plonévez, que sa blessure avait laissé très affaibli et qu’un séjour dans les régions tropicales ne contribuait guère à rétablir, s’avança, un peu chancelant, et tendit à la vieille dame un bouquet de fleurs sauvages que, le matin même, il avait cueilli en un fourré du rivage, à la faveur d’un arrêt du bateau.
« Ça ne vaut pas une fleur de France, madame, dit-il d’une voix atténuée par la faiblesse, mais, en France, en cette saison, vous n’en trouveriez guère. Au moins celles-ci sont-elles pour vous seule et la main qui vous les offre les a choisies dans cette unique intention, là où il a plu au ciel de les épanouir. »
Les yeux de Mme Hénault se mouillèrent de larmes.
« Monsieur Ervoan, répondit-elle en prenant le bouquet, vous n’aviez pas besoin de m’attester ainsi vos sentiments. Je les connais de longue date. N’est-ce pas vous qui êtes notre créancier, qui avez acquis tous les droits à notre reconnaissance en restituant à ma fille et à moi le cher enfant dont nous pleurions la perte ? C’est à mon tour à rendre le même bienfait à l’excellente mère qui vous attend à Louannec et de lui ramener son fils heureux et à jamais… guéri. »
Ervoan hocha tristement la tête.
« Je ne voudrais pas affliger votre cœur, madame, ni assombrir ce premier jour de l’année. Mais laissez-moi vous dire que je ne crois pas à mon retour en France. Quelque chose m’avertit que je ne reverrai plus notre Bretagne. Avant de partir, nous sommes allés, la mamm et moi, à l’église de Louannec et sur la tombe de mon père. Et nous nous sommes dit adieu, parce que la mamm a reçu le même avertissement que moi. L’Ankou ne m’a laissé que le temps de me repentir. »
Pablo, sanglotant, se jeta avec impétuosité dans les bras de son grand ami.
« Tais-toi, Ervan, tais-toi. Il ne faut pas dire de pareilles choses. À quoi nous servirait-il d’être venus jusqu’ici, si nous devions en rapporter un pareil chagrin ? »
Il pleurait et étreignait le pauvre homme débile, sur les traits duquel la pâleur des anémies équatoriales ne confirmait que trop cruellement les tristes présages qu’il venait d’énoncer.
Pour mettre fin à cette scène pénible, Lân se hâta de régler le plan de la journée.
Le poste ruiné naguère était situé à quelque trois kilomètres de l’endroit où la Grâce de Dieu venait de jeter l’ancre, sur un petit bras du fleuve que, présentement, le bateau ne pouvait atteindre.
Il était desservi par une route encore en bon état, et le trajet ne demandait pas plus d’une demi-heure de marche. On offrit à Mme Hénault d’improviser pour elle une façon de chaise que deux hommes, en se relayant, porterait à tour de rôle.
La vieille dame se refusa à infliger une telle peine à ses compagnons. Elle était valide et bien portante. Ses soixante ans n’avaient jamais eu plus d’énergie.
On débarqua donc, en ne laissant à bord que deux hommes pris dans l’ancien équipage du bateau nantais. Le reste de la petite troupe s’enfonça résolument sous le couvert de la futaie, guidée par Ervoan et l’un des matelots, qui se souvenaient fort bien d’être venus jadis en ces régions.
La petite colonne ne mit pas plus que le temps prévu pour atteindre la station détruite.
Là un lamentable spectacle les attendait, qui alluma dans leurs cœurs une légitime indignation, mêlée à la douleur du souvenir évoqué.
La ruine et la désolation régnaient partout. Des édifices construits en briques, quelques pans de murs subsistaient avec leurs charpentes et leurs armatures de fer tordues. Tout ce qui avait été boiseries gisait sur le sol, en un tas de cendres et de gravats informes. Au milieu de ces débris carbonisés, des cadavres apparaissaient, réduits à l’état de squelettes pour la plupart, déchiquetés par les bêtes et les oiseaux de proie.
On voulut écarter Mme Hénault de cet affreux tableau. Une fois de plus, la vaillante femme manifesta sa volonté d’assister à tous les détails du drame. Sous ses yeux, les ruines furent déblayées, les dépouilles humaines reçurent la sépulture en une large fosse creusée au pied d’un énorme baobab.
Vinrent les approches du crépuscule, ou plutôt ce moment ultime qui précède la chute du jour, car il n’y a pas, comme en Europe, de lentes transitions entre la lumière et les ténèbres.
On avait fouillé la citerne désignée par Jacques Rivard, le neveu de Mme Hénault. Conformément à ses indications, on y avait retrouvé les papiers et ce qui restait de la caisse de la factorerie.
Il ne restait plus qu’à regagner la Grâce de Dieu et à redescendre le fleuve jusqu’à Boké.
On mit les montres et les chronomètres d’accord. Comme ils marquaient cinq heures, la petite troupe s’ébranla pour regagner le bateau.
On marcha sans hâte, la chaleur étant encore très forte. Ne savait-on pas, d’ailleurs, que le brick attendait le retour de ses passagers et leur offrirait un lieu de repos plus confortable que le couvert des bois ?
On suivit la même route que le matin. Pas plus qu’au départ, Mme Hénault n’accepta l’offre des robustes épaules prêtes à la transporter. Elle fit à pied le chemin déjà parcouru.
Une immense déception, bientôt convertie en une affreuse angoisse, attendait la petite troupe à son arrivée au bord du fleuve.
Lorsque, à travers l’échancrure du rideau d’arbres précédant le lit du Rio, les regards embrassèrent la large nappe jaunâtre, où se jouaient, çà et là, les familles d’hippopotames, une stupeur paralysa les arrivants.
La Grâce de Dieu n’était plus là. Elle avait disparu, non seulement du rivage, mais de l’horizon même.
Un instant, la surprise seule se manifesta, puis le doute et les soupçons lui succédèrent.
On voulut s’expliquer cette absence. La première version qui s’offrit à l’esprit fut que, séduits par la tentation de s’approprier le brick et son contenu, les deux hommes laissés à sa garde avaient levé l’ancre et s’étaient enfuis vers le sud, sur le navire devenu leur butin.
Mais cette opinion fut promptement abandonnée.
Outre que la manœuvre du brick, en une navigation aussi tortueuse, exigeait l’union d’un plus grand nombre de concours, les deux matelots nantais ne pouvaient nourrir l’espoir de passer inaperçus, soit devant le poste de Boké, soit à leur sortie des bouches du Tiguilinta.
Ils ne pouvaient ignorer les rigueurs du Code maritime en temps de guerre. Or, depuis le pillage des factoreries, le territoire de Rio Nuñez était placé sous le régime de la loi martiale. Pris, les deux délinquants eussent été exécutés sans jugement.
On abandonna donc a priori cette hypothèse. On n’eut, d’ailleurs, que trop tôt, l’explication de la disparition du navire et des deux hommes.
À moins d’un mille du lieu où avait mouillé la Grâce de Dieu, la petite troupe abandonnée, en descendant la rive, eut l’horrible solution de ses incertitudes.
Lié à un arbre du rivage, un cadavre leur barrait le chemin. C’était celui de l’un des deux matelots nantais. Il était presque méconnaissable, tant l’aveugle rage de ses meurtriers s’était acharnée sur lui. En outre des blessures mortelles, par lesquelles s’étaient vidées les artères en une flaque rouge, sur le sol, la face du malheureux était tailladée de plus de vingt coups de couteau. Les yeux arrachés, les oreilles coupées gisaient aux pieds de la lamentable dépouille.
L’infortuné était-il tombé sous les coups de son compagnon, dont on ne retrouvait les traces nulle part, ou avait-il succombé sous l’attaque de toute une bande survenant à l’improviste ?
Alain et le docteur Perrot étaient partagés d’avis. Ils furent promptement mis d’accord par la concise sentence d’Ervoan, mis à son tour en présence du cadavre.
« Ricardo Lopez, prononça gravement le Breton. Le Cacique est dans la rivière. Nous sommes aux mains de nos ennemis.
– Que Dieu nous sauve ! » conclut religieusement Mme Hénault.
Yves Plonévez avait raison. Ricardo Lopez et le Cacique étaient passés par là, accomplissant leur hideuse besogne.
Le yacht maudit avait mis à profit les fonds subsistants de la crue pour se porter, à toute vitesse, à la rencontre de la Grâce de Dieu.
Gonzalo Wickham ne se dissimulait point que la prise du brick ne serait pas facile. Bien qu’il ignorât le chiffre de son équipage, il ne pouvait douter que celui-ci fût composé d’hommes robustes et courageux, prêts à lui vendre chèrement leurs vies.
Mais jamais occasion meilleure ne s’était offerte à lui de mettre la main, d’un seul coup, sur d’aussi précieux otages. Mme Hénault morte ou prisonnière, Pablo reconquis pour être, ultérieurement, revendu ou dépossédé, une telle proie valait bien qu’on risquât quelques mauvais coups pour s’en rendre maîtres.
Et, quant à ce qu’il adviendrait par la suite, le brigand n’y voulait pas songer encore. Ou plutôt, il se disait qu’un bateau de la vitesse du Cacique pourrait toujours déjouer les poursuites de ses ennemis et franchir, de nuit, la zone dangereuse entre Boké et la mer.
Au delà, c’était l’espace, c’était la liberté.
Il vint donc droit à la crique où s’abritait le brick.
Il s’était attendu à la résistance. Grande fut sa joie en se trouvant en présence d’un navire vide, n’ayant que deux hommes pour le défendre.
Et, pourtant, même dans ces conditions, exceptionnellement favorables, la capture n’alla pas sans dommage pour l’assaillant.
En effet, les deux hommes restés à bord de la Grâce de Dieu s’apprêtèrent à une furieuse défense.
Mais le nombre était trop considérable. Vingt-cinq pirates montèrent à l’abordage du brick. Surpris et tournés, les matelots eurent à peine le temps de décharger une ou deux fois leurs revolvers. L’un d’eux fut abattu d’un coup de poignard qui lui ouvrit le bras. L’autre, un hercule, se défendit, un quart d’heure, une hache au poing, et atteint de dix blessures, fut traîné à terre où, après l’avoir lié à un tronc d’arbre de la rive, les bandits l’égorgèrent avec un raffinement infernal de cruauté.
Ce fut ce cadavre que retrouvèrent Mme Hénault et ses compagnons.
La première victime ne fut point immolée.
Ricardo Lopez avait donné un conseil de prudence à son chef.