Rentrés au château, nous retrouvâmes tout notre monde en extase dans la salle où l’on avait exposé les cadeaux. Dieu sait s’il y en avait !
C’est dans ce moment que le vieux Surdon apparut, portant difficilement un grand paquet plat tout enveloppé de toiles et sur lequel on avait épinglé un petit carré de carton où l’on pouvait lire exactement ceci :
« Mon cadeau pour le panier de noces »… Il n’y avait pas de signature.
Déjà plusieurs invités avaient lu et s’amusaient du « panier » de noces. Ces rires attirèrent notre attention. Mon oncle, Cordélia et moi, nous nous approchâmes, dans le moment que des voix impatientes parlaient déjà d’une surprise et demandaient à la voir tout de suite.
Mon oncle, après avoir lu, releva la tête, très pâle, et regarda Cordélia qui, elle aussi, avait lu. Elle était devenue toute rouge. Cependant, elle ne se troubla point devant le regard de son père et elle sourit même en disant : « C’est bien de lui ; il emploie souvent un mot pour l’autre ; quelquefois même, il le fait avec intention, ça l’amuse. Et puis, c’est son écriture ! »
Pour moi, tout ceci était une énigme. La pâleur du père, la rougeur de la fille, les mots qu’ils échangeaient, tout commençait à m’inquiéter.
– On pourrait voir ce que c’est ! fis-je en montrant le paquet apporté par Surdon.
– À quoi bon ? dit mon oncle ; nous verrons cela plus tard !
Quant à Cordélia, elle s’en était allée dans une autre salle.
Alors, je fus pris d’une grande curiosité et j’ouvris le paquet moi-même. Quand les toiles qui l’enfermaient furent tombées, je ne pus retenir un cri d’admiration et tous ceux qui étaient autour de moi poussèrent des soupirs d’extase.
C’était un portrait… celui de Cordélia… mais quel portrait !…
C’était une image d’un rayonnement merveilleux… Elle semblait peinte avec la plus douce des lumières… Il était absolument impossible de comprendre par quel sortilège de la couleur, un être humain, qui ne dispose que de ses pinceaux et de ce qu’il trouve dans ses tubes de plomb, était arrivé à fixer sur la toile une figure aussi idéale.
Je n’avais jamais rien vu qui pût me faire soupçonner un art pareil. J’ai cependant eu l’occasion de traverser, avec le Tout-Paris qui s’en amusait, une ou deux expositions de peintures qui s’affirmaient nouvelles et prétendaient à révolutionner l’art. Il y avait là de grandes choses symboliques ou encore des dessins de fantômes : une grande farce, quoi ! Je dis les choses tout de go ; tant pis pour ceux qui peuvent s’en froisser. Généralement, ces figures s’enveloppaient d’un nuage derrière quoi brillait une lueur bizarre et incertaine.
Mais ici, comprenez bien le miracle… C’était la figure elle-même qui était peinte avec des rayons et qui rayonnait d’elle-même sans aucun truc intermédiaire.
L’artiste avait réussi à faire voir à l’œil de chair ce que celui-ci ne perçoit généralement point, c’est-à-dire la lumière invisible que le corps rayonne autour de lui… Je puis parler de ces choses, maintenant que j’ai acquis la plus cruelle et la plus redoutable expérience dans ce domaine, mais alors je sentais tout cela sans m’en rendre bien compte et il m’eût été difficile de préciser ma pensée avec des mots que j’ignorais.
Bref, dans ce fulgurant portrait, il semblait que l’âme de Cordélia venait vous saluer tout d’abord avec un sourire céleste qui précédait ses lèvres de chair…
Ah ! maintenant je comprenais ce qu’elle voulait dire quand elle m’écrivait « qu’il y a autre chose à mettre dans un portrait que les lignes de la figure : par exemple, le dessin de l’âme ! »…
Elle connaissait certainement alors une peinture pareille à celle qui nous tenait ce jour en extase et aussi sans doute le maître qui lui envoyait « son petit cadeau pour le panier de mariage »… Il ne m’était plus possible d’en douter !
Je me penchai sur la toile pour y lire une signature. J’y trouvai une lettre : « P ».
Mon oncle et Cordélia n’étaient plus là pour satisfaire ma curiosité. Je les cherchai sans les trouver. On me dit que ma femme venait de se retirer dans sa chambre pour y prendre quelques minutes de repos.
Nos invités commençaient de prendre congé. Mon oncle réapparut. Il n’avait plus cette pâleur qui m’avait frappé. Bien au contraire, il était fort réjoui et très exubérant dans les adieux qu’il adressait à ses hôtes. Il me regardait de temps en temps et me souriait largement comme s’il eût voulu me faire entendre : « Soyons heureux ! tout va bien ! »
Qu’avait-il donc pu craindre à un moment de cette inoubliable journée ?…
Obéissant à ma pensée latente et qui me travaillait ardemment depuis la scène du portrait, je retournai dans la salle des cadeaux. Le tableau avait disparu.
Je demandai au vieux Surdon ce qu’on avait fait de ce chef-d’œuvre. Il me répondit que, sur l’ordre de « Mademoiselle » – il ne pouvait s’habituer à l’appeler Madame – il avait descendu lui-même le portrait à la cave.
Comme je m’en étonnais, il me répondit que c’était une place toute trouvée pour cette peinture du diable !
Je l’arrêtai, comme il s’en allait sur ces mots, et je lui dis : « Surdon, tu connais l’homme qui a fait cette peinture-là ? » Surdon me regarda, fronça les sourcils et dit : « Monsieur a autre chose à faire aujourd’hui qu’à s’occuper de bêtises pareilles ! »
Il voulait m’échapper, je le retins encore : « Écoute, Surdon, je ne vais plus te demander qu’une chose, mais il faut que tu me répondes si tu veux que nous restions bons amis… Quand je suis allé à Hennequeville, j’ai trouvé devant la grille un homme qui regardait la maison fermée. On m’a dit que cet homme était un peintre anglais qui passait pour toqué dans le pays ; n’est-ce point le même que celui qui a envoyé aujourd’hui le portrait de ta maîtresse ? »
Mais Surdon, têtu, se détourna, me répondant encore cette phrase qui m’horripilait : « J’ai déjà dit à Monsieur que tout ça, c’étaient des bêtises !… »
J’étais furieux et stupide.
C’était Surdon qui avait raison. J’étais dans un jour où rien ne devait me préoccuper que mon bonheur et voilà que j’interrogeais un domestique en cachette sur des événements qui n’avaient certainement plus aucune gravité et que l’on désirait de toute évidence me cacher par amitié pour moi.
Je me retirai d’assez méchante humeur, du côté de cette partie solitaire du parc que je n’avais jamais aimée, parce que je la trouvais lugubre. Je fus tout étonné moi-même de m’y trouver en proie à des pensées indignes et de Cordélia et de moi. Mais quelqu’un a dit que l’homme est un sot animal.
Sur ces entrefaites, mon oncle s’avança. Il était en habit de voyage. Il avait décidé de partir en effet, le soir même, pour Caen. Il me déclara tout de suite qu’il avait une confidence à me faire, que la chose était, du reste, de peu d’importance et qu’il ne m’en aurait certainement point parlé si Surdon n’était venu l’entretenir de la curiosité que j’avais montrée à propos du portrait de Cordélia.