VII.
 
Suite de la nuit de noces
 

Mathilde et Surdon accoururent et furent aussi épouvantés que moi d’apercevoir Cordélia dans cet état de pierre. Tout ce dont nous pouvions nous assurer, c’est qu’elle n’était point morte. Je ne sais plus tout ce que nous tentâmes, Mathilde et moi, « pour lui faire reprendre les sens », tandis que Surdon était allé quérir le médecin le plus proche.

Nous portâmes Cordélia, toujours endormie, sur le balcon. Nous la rentrâmes. Nous essayâmes du froid et du chaud.

Nous lui mîmes des briques brûlantes aux pieds et des compresses glacées sur le front. Ce qui nous effrayait par dessus tout, c’était de la sentir dans nos bras toujours raide comme un bâton sans que rien parvînt à la détendre. Précédemment, je me suis servi d’un terme dont j’ignorais alors toute la puissance. J’ai dit que Cordélia dormait sur mon épaule son effrayant sommeil cataleptique. C’était vrai, mais je ne fus à peu près renseigné pour la première fois sur la catalepsie que par le médecin du village que m’amena Surdon.

Et, encore, je ne compris rien à ce qu’il me disait, sinon que c’était une maladie nerveuse et que la crise avait dû être déterminée par une grande fatigue du corps et de l’esprit et par les exceptionnelles émotions d’une journée matrimoniale. Il ne nous apprenait rien de nouveau, à ce point de vue : c’était bien ainsi que nous comprenions l’événement. Et quoi donc aurions-nous accusé dans notre ignorance, en dehors de l’émotion et de la fatigue ?

Le malheur fut que cet âne bâté se montra incapable de réveiller Cordélia. Après lui avoir vainement soufflé sur les yeux, il parut fort embarrassé… Il en savait peut-être plus long que nous, mais il n’en pouvait davantage. À nos objurgations, à mes soupirs, il ne sut que répondre ceci : « Elle se réveillera d’elle-même comme elle s’est endormie. » Et il me prêcha la patience.

La patience !… Il était bon, lui !… Je lui demandai avec angoisse combien de temps cela pouvait durer. Il ne me répondit que par un hochement de tête. Il m’horripilait.

– Mais, enfin ! en avons-nous encore pour une heure ? deux heures ?

– On ne peut pas savoir !… On ne peut pas savoir !…

– Tout de même ! m’écriai-je, exaspéré, cela ne peut pas durer deux jours ?

– Eh ! eh ! On a vu des cas… mais généralement…

Ah ! je l’aurais tué ! je l’aurais tué !… C’était pourtant un brave homme qui essaya de me rassurer, de me prouver que ce n’était pas très grave, de me faire espérer que nous nous trouvions en face d’un phénomène qui pouvait, avec quelques précautions, ne plus se renouveler, enfin, que cela se guérirait, et qui me renvoya au bout du compte à un spécialiste des maladies nerveuses. Sur quoi, il me planta là. J’envoyai sur le champ Surdon, dans l’auto, à Rouen, d’où il devait ramener le docteur Thurel, célèbre dans tout le département pour certaines cures bizarres qui touchaient au miracle.

J’avais rejeté Mathilde hors de la chambre, car ses cataplasmes et le médecin n’ayant servi de rien, elle nous croyait la proie du diable et me fatiguait maintenant avec ses jérémiades et ses exorcismes. J’eus toutes les peines du monde à l’empêcher d’aller chercher le curé. Quelle nuit de noces !…

Resté seul en face de la couche nuptiale, où Cordélia allongeait son corps de statue, je fus moins entrepris par le désespoir pitoyable où aurait dû me jeter le spectacle de ma bien-aimée que par une sorte de rage presque enfantine contre le destin qui me jouait un aussi mauvais tour ! Mon Dieu ! que j’étais à plaindre ! Avoir tant attendu cette heure-là et la passer en face d’une femme de pierre ! Par quelle fatalité Cordélia s’était-elle endormie, debout dans mes bras, dans le moment même que je l’embrassais ? Ah ! c’était bien là, comme disait mon oncle, « une histoire à dormir debout ! »

Dans mon affreux égoïsme, maintenant que je savais que la vie de Cordélia ne courait aucun danger, je pleurais mon malheur avant celui de ma bien-aimée. La victime, c’était moi !… Voilà bien les hommes, quand ils sont frustrés de certaines joies ou quand l’objet de leur désir leur échappe : ils deviennent des brutes. J’ai honte de moi quand je me revois, injuriant le Ciel dans la chambre où Cordélia et moi nous nous trouvions « enfin seuls ». Je dois dire, cependant, à mon honneur, que, peu à peu, cet aveugle ressentiment qui me soulevait contre la nature entière fit place uniquement à une grande pitié et à une grande douleur pour celle qui ne se réveillait pas.

Au fur et à mesure que les heures s’écoulaient, une angoisse grandissante m’étouffait. Maintenant, je veillais Cordélia comme une morte et je m’étais mis à genoux devant ce grand mystère, aussi effrayant que l’autre… Pauvre, pauvre, pauvre Cordélia !…