I.
 
Mes fiançailles avec Cordélia
 

Nos parents nous avaient fiancés dès notre plus jeune âge. Quand j’avais douze ans et qu’elle en avait huit, on disait déjà, autour de nous, que nous formions un couple charmant, et nos mères nous admiraient. Nous aurions voulu nous marier tout de suite, tant nous nous aimions. Nous étions cousins germains et nos familles nous réunissaient pendant les vacances. À cette époque, Cordélia m’avait déjà donné son cœur, son petit cœur de huit ans.

Moi, j’étais un très grand garçon pour mon âge, d’un blond presque roux, très fort, enragé de sport, paresseux à l’étude. La vie au grand air était la seule qui me convînt. J’en avais donné le goût à Cordélia, qui avait plutôt un penchant pour la lecture et les arts. Sa mère était italienne. Mon oncle l’avait épousée au cours d’un voyage d’affaires qu’il avait fait à Turin. À huit ans, Cordélia était déjà bonne musicienne, mais elle nous étonnait surtout par sa facilité à dessiner ou à peindre ce qui la frappait ou l’intéressait. Pour moi tout ce qui sortait des mains de Cordélia me paraissait un miracle.

Je ne l’en aimais que davantage et je ne lui marchandais pas mon admiration. C’est moi qui lui appris à monter à cheval. Elle était intrépide. Quelquefois, elle me faisait peur, mais je n’avais qu’à la suivre : elle faisait de moi tout ce qu’elle voulait. Je n’ai jamais été un rêveur ; soudain elle me disait : « Rêvons ! »… et je faisais à côté d’elle le rêveur, c’est-à-dire que je me taisais. Puis elle me regardait d’un drôle d’air et éclatait de rire en me disant : « Embrasse-moi ! » Je voulais l’embrasser, elle se sauvait.

On s’est amusé comme cela jusqu’à mes dix-neuf ans. J’étais devenu un grand gaillard avec des taches de rousseur. Elle me trouvait le plus beau des hommes. Elle m’a toujours trouvé le plus beau des hommes. Quant à elle, elle était devenue quelque chose d’ineffable. Sa finesse de petite fille mutine présentait, maintenant, une ligne idéale pleine de noblesse et d’agrément. Elle n’était ni brune ni blonde ; elle avait une couleur de cheveux bien à elle, que j’appelais de la vapeur de cheveux. Elle avait des yeux verts pailletés d’or, qui changeaient de nuances à chaque instant. La jolie taille ! Elle était souple comme une liane, ainsi que l’on dit couramment, mais point fragile.

Nous continuions à jouer comme des enfants.

Cependant, un jour, nous nous prîmes la main et nous allâmes ainsi, de compagnie, demander à nos parents de nous marier sans plus tarder. Nous avions une folle envie de faire un voyage de noces à cheval. À notre grand désespoir, on ne voulut pas nous écouter. On remit le voyage à cheval à cinq ans de là et l’on me fit partir pour l’Amérique, ce qui me parut une amère dérision et bien cruelle. Puis je fis mon service militaire. Puis l’on me renvoya en Amérique.