LE MOYEN-ÂGE ET LA RENAISSANCE

Vitrail
 

Cette verrière a vu dames et hauts barons
Étincelants d'azur, d'or, de flamme et de nacre,
Incliner, sous la dextre auguste qui consacre,
L'orgueil de leurs cimiers et de leurs chaperons ;

Lorsqu'ils allaient, au bruit du cor ou des clairons,
Ayant le glaive au poing, le gerfaut ou le sacre,
Vers la plaine ou le bois, Byzance ou Saint-Jean d'Acre,
Partir pour la croisade ou le vol des hérons.

Aujourd'hui, les seigneurs auprès des châtelaines,
Avec le lévrier à leurs longues poulaines,
S'allongent aux carreaux de marbre blanc et noir ;

Ils gisent là sans voix, sans geste et sans ouïe,
Et de leurs yeux de pierre ils regardent sans voir
La rose du vitrail toujours épanouie.

Épiphanie
 

Donc Balthazar, Melchior et Gaspar, les Rois Mages,
Chargés de nefs d'argent, de vermeil et d'émaux
Et suivis d'un très long cortège de chameaux,
S'avancent, tels qu'ils sont dans les vieilles images.

De l'Orient lointain, ils portent leurs hommages
Aux pieds du fils de Dieu né pour guérir les maux
Que souffrent ici-bas l'homme et les animaux ;
Un page noir soutient leurs robes à ramages.

Sur le seuil de l'étable où veille Saint Joseph,
Ils ôtent humblement la couronne du chef
Pour saluer l'Enfant qui rit et les admire.

C'est ainsi qu'autrefois, sous Augustus Cæsar,
Sont venus, présentant l'or, l'encens et la myrrhe,
Les Rois Mages Gaspar, Melchior et Balthazar.

Le Huchier de Nazareth
 

Le bon maître huchier, pour finir un dressoir,
Courbé sur l'établi depuis l'aurore ahane,
Maniant tour à tour le rabot, le bédane
Et la râpe grinçante ou le dur polissoir.

Aussi, non sans plaisir, a-t-il vu, vers le soir,
S'allonger jusqu'au seuil l'ombre du grand platane
Où madame la Vierge et sa mère Sainte Anne
Et Monseigneur Jésus près de lui vont s'asseoir.

L'air est brûlant et pas une feuille ne bouge ;
Et saint Joseph, très las, a laissé choir la gouge
En s'essuyant le front au coin du tablier ;

Mais l'Apprenti divin qu'une gloire enveloppe
Fait toujours, dans le fond obscur de l'atelier,
Voler des copeaux d'or au fil de sa varlope.

L'Estoc
 

Au pommeau de l'épée on lit : Calixte Pape.
La tiare, les clefs, la barque et le tramail
Blasonnent, en reliefs d'un somptueux travail,
Le Bœuf héréditaire armoyé sur la chappe.

À la fusée, un Dieu païen, Faune ou Priape,
Rit, engaîné d'un lierre à graines de corail ;
Et l'éclat du métal s'exalte sous l'émail
Si clair, que l'estoc brille encor plus qu'il ne frappe.

Maître Antonio Perez de Las Cellas forgea
Ce bâton pastoral pour le premier Borja,
Comme s'il pressentait sa fameuse lignée ;

Et ce glaive dit mieux qu'Arioste ou Sannazar,
Par l'acier de sa lame et l'or de sa poignée,
Le pontife Alexandre ou le prince César.

Médaille
 

Seigneur de Rimini, Vicaire et Podestà,
Son profil d'épervier vit, s'accuse ou recule
À la lueur d'airain d'un fauve crépuscule
Dans l'orbe où Matteo de Pastis l'incrusta.

Or, de tous les tyrans qu'un peuple détesta,
Nul, comte, marquis, duc, prince ou principicule,
Qu'il ait nom Ezzelin, Can, Galéas, Hercule,
Ne fut maître si fier que le Malatesta.

Celui-ci, le meilleur, ce Sigismond Pandolphe,
Mit à sang la Romagne et la Marche et le Golfe,
Bâtit un temple, fit l'amour et le chanta ;

Et leurs femmes aussi sont rudes et sévères,
Car sur le même bronze où sourit Isotta,
L'Éléphant triomphal foule des primevères.

Suivant Pétrarque
 

Vous sortiez de l'église et, d'un geste pieux,
Vos nobles mains faisaient l'aumône au populaire,
Et sous le porche obscur votre beauté si claire
Aux pauvres éblouis montrait tout l'or des cieux.

Et je vous saluai d'un salut gracieux,
Très humble, comme il sied à qui ne veut déplaire,
Quand, tirant votre mante et d'un air de colère
Vous détournant de moi, vous couvrîtes vos yeux.

Mais Amour qui commande au cœur le plus rebelle
Ne voulut pas souffrir que, moins tendre que belle,
La source de pitié me refusât merci ;

Et vous fûtes si lente à ramener le voile,
Que vos cils ombrageux palpitèrent ainsi
Qu'un noir feuillage où filtre un long rayon d'étoiles.

Sur le Livre des Amours de Pierre de Ronsard
 

Jadis plus d'un amant, aux jardins de Bourgueil,
A gravé plus d'un nom dans l'écorce qu'il ouvre,
Et plus d'un cœur, sous l'or des hauts plafonds du Louvre,
À l'éclair d'un sourire a tressailli d'orgueil.

Qu'importe ? Rien n'a dit leur ivresse ou leur deuil ;
Ils gisent tout entiers entre quatre ais de rouvre
Et nul n'a disputé, sous l'herbe qui les couvre,
Leur inerte poussière à l'oubli du cercueil.

Tout meurt. Marie, Hélène et toi, fière Cassandre,
Vos beaux corps ne seraient qu'une insensible cendre,
— Les roses et les lys n'ont pas de lendemain —

Si Ronsard, sur la Seine ou sur la blonde Loire,
N'eût tressé pour vos fronts, d'une immortelle main,
Aux myrtes de l'Amour le laurier de la gloire.

La Belle Viole
 

À Henry Cros

À vous troupe légère
Qui d'aile passagère
Par le monde volez…

JOACHIM DU BELLAY.

Accoudée au balcon d'où l'on voit le chemin
Qui va des bords de Loire aux rives d'Italie,
Sous un pâle rameau d'olive son front plie.
La violette en fleur se fanera demain.

La viole que frôle encor sa frêle main
Charme sa solitude et sa mélancolie,
Et son rêve s'envole à celui qui l'oublie
En foulant la poussière où gît l'orgueil Romain.

De celle qu'il nommait sa douceur Angevine,
Sur la corde vibrante erre l'âme divine
Quand l'angoisse d'amour étreint son cœur troublé ;

Et sa voix livre aux vents qui l'emportent loin d'elle,
Et le caresseront peut-être, l'infidèle,
Cette chanson qu'il fit pour un vanneur de blé.

Épitaphe
 

Suivant les vers de Henri III.

Ô passant, c'est ici que repose Hyacinthe
Qui fut de son vivant seigneur de Maugiron ;
Il est mort — Dieu l'absolve et l'ait en son giron ! —
Tombé sur le terrain, il gît en terre sainte.

Nul, ni même Quélus, n'a mieux, de perles ceinte,
Porté la toque à plume ou la fraise à godron ;
Aussi vois-tu, sculpté par un nouveau Myron,
Dans ce marbre funèbre un morceau de jacinthe.

Après l'avoir baisé, fait tondre, et de sa main
Mis au linceul, Henry voulut qu'à Saint-Germain
Fût porté ce beau corps, hélas ! inerte et blême ;

Et jaloux qu'un tel deuil dure éternellement,
Il lui fit en l'église ériger cet emblème,
Des regrets d'Apollo triste et doux monument.

Vélin doré
 

Vieux maître relieur, l'or que tu ciselas
Au dos du livre et dans l'épaisseur de la tranche,
N'a plus, malgré les fers poussés d'une main franche,
La rutilante ardeur de ses premiers éclats.

Les chiffres enlacés que liait l'entrelacs
S'effacent chaque jour de la peau fine et blanche ;
À peine si mes yeux peuvent suivre la branche
De lierre que tu fis serpenter sur les plats.

Mais cet ivoire souple et presque diaphane,
Marguerite, Marie, ou peut-être Diane,
De leurs doigts amoureux l'ont jadis caressé ;

Et ce vélin pâli que dora Clovis Ève
Évoque, je ne sais par quel charme passé,
L'âme de leur parfum et l'ombre de leur rêve.

La Dogaresse
 

Le palais est de marbre où, le long des portiques,

Conversent des seigneurs que peignit Titien,

Et les colliers massifs au poids du marc ancien

Rehaussent la splendeur des rouges dalmatiques.

Ils regardent au fond des lagunes antiques,

De leurs yeux où reluit l'orgueil patricien,

Sous le pavillon clair du ciel vénitien

Étinceler l'azur des mers Adriatiques.

Et tandis que l'essaim brillant des Cavaliers

Traîne la pourpre et l'or par les blancs escaliers

Joyeusement baignés d'une lumière bleue,

Indolente et superbe, une Dame, à l'écart,

Se tournant à demi dans un flot de brocart,

Sourit au négrillon qui lui porte la queue.

Sur le Pont-Vieux
 

Antonio di Sandro orefice.

Le vaillant Maître Orfèvre, à l'œuvre dès matines,

Faisait, de ses pinceaux d'où s'égouttait l'émail,

Sur la paix niellée ou sur l'or du fermail

Épanouir la fleur des devises latines.

Sur le Pont, au son clair des cloches argentines,

La cape coudoyait le froc et le camail ;

Et le soleil montant en un ciel de vitrail

Mettait un nimbe au front des belles Florentines.

Et prompts au rêve ardent qui les savait charmer,

Les apprentis, pensifs, oubliaient de fermer

Les mains des fiancés au chaton de la bague

Tandis que d'un burin trempé comme un stylet,

Le jeune Cellini, sans rien voir, ciselait

Le combat des Titans au pommeau d'une dague.

Le Vieil Orfèvre
 

Mieux qu'aucun maître inscrit au livre de maîtrise,

Qu'il ait nom Ruyz, Arphé, Ximeniz, Becerril,

J'ai serti le rubis, la perle et le béryl,

Tordu l'anse d'un vase et martelé sa frise.

Dans l'argent, sur l'émail où le paillon s'irise,

J'ai peint et j'ai sculpté, mettant l'âme en péril,

Au lieu de Christ en croix et du Saint sur le gril,

Ô honte ! Bacchus ivre ou Danaé surprise.

J'ai de plus d'un estoc damasquiné le fer

Et, pour le vain orgueil de ces œuvres d'Enfer,

Aventuré ma part de l'éternelle Vie.

Aussi, voyant mon âge incliner vers le soir,

Je veux, ainsi que fit Fray Juan de Ségovie,

Mourir en ciselant dans l'or un ostensoir.

L'Épée
 

Crois-moi, pieux enfant, suis l'antique chemin.

L'épée aux quillons droits d'où part la branche torse,

Au poing d'un gentilhomme ardent et plein de force

Est un faix plus léger qu'un rituel romain.

Prends-la. L'Hercule d'or qui tiédit dans ta main,

Aux doigts de tes aïeux ayant poli son torse,

Gonfle plus fièrement, sous la splendide écorce,

Les beaux muscles de fer de son corps surhumain.

Brandis-la ! L'acier souple en bouquets d'étincelles

Pétille. Elle est solide, et sa lame est de celles

Qui font courir au cœur un orgueilleux frisson ;

Car elle porte au creux de sa brillante gorge,

Comme une noble Dame un joyau, le poinçon

De Julian del Rey, le prince de la forge.

À Claudius Popelin
 

Dans le cadre de plomb des fragiles verrières,

Les maîtres d'autrefois ont peint de hauts barons

Et, de leurs doigts pieux tournant leurs chaperons,

Ployé l'humble genou des bourgeois en prières.

D'autres sur le vélin jauni des bréviaires

Enluminaient des Saints parmi de beaux fleurons,

Ou laissaient rutiler, en traits souples et prompts,

Les arabesques d'or au ventre des aiguières.

Aujourd'hui Claudius, leur fils et leur rival,

Faisant revivre en lui ces ouvriers sublimes,

A fixé son génie au solide métal ;

C'est pourquoi j'ai voulu, sous l'émail de mes rimes,

Faire autour de son front glorieux verdoyer,

Pour les âges futurs, l'héroïque laurier.

Émail
 

Le four rougit ; la plaque est prête. Prends ta lampe.
Modèle le paillon qui s'irise ardemment,
Et fixe avec le feu dans le sombre pigment
La poudre étincelante où ton pinceau se trempe.

Dis, ceindras-tu de myrte ou de laurier la tempe
Du penseur, du héros, du prince ou de l'amant ?
Par quel Dieu feras-tu, sur un noir firmament,
Cabrer l'hydre écaillée ou le glauque hippocampe ?

Non. Plutôt, en un orbe éclatant de saphir
Inscris un fier profil de guerrière d'Ophir.
Thalestris, Bradamante, Aude ou Penthésilée.

Et pour que sa beauté soit plus terrible encor,
Casque ses blonds cheveux de quelque bête ailée
Et fais bomber son sein sous la gorgone d'or.

Rêves d'Émail
 

Ce soir, au réduit sombre où pleure l'athanor,
Le grand feu prisonnier de la brique rougie
Exalte son ardeur et souffle sa magie
Au cuivre que l'émail fait plus riche que l'or.

Et sous mes pinceaux naît, vit, court et prend l'essor
Le peuple monstrueux de la mythologie,
Les Centaures, Pan, Sphinx, la Chimère, l'Orgie
Et, du sang de Gorgo, Pégase et Chrysaor.

Peindrai-je Achille en pleurs près de Penthésilée ?
Orphée ouvrant les bras vers l'épouse exilée
Sur la porte infernale aux infrangibles gonds ?

Hercule terrassant le dogue de l'Averne
Ou la vierge qui tord au seuil de la caverne
Son corps épouvanté que flairent les Dragons ?