LA NATURE ET LE RÊVE

Médaille antique
 

L'Etna mûrit toujours la pourpre et l'or du vin
Dont l'Érigone antique enivra Théocrite ;
Mais celles dont la grâce en ses vers fut écrite,
Le poète aujourd'hui les chercherait en vain.

Perdant la pureté de son profil divin,
Tour à tour Aréthuse esclave et favorite
A mêlé dans sa veine où le sang grec s'irrite
La fureur sarrasine à l'orgueil angevin.

Le temps passe. Tout meurt. Le marbre même s'use.
Agrigente n'est plus qu'une ombre, et Syracuse
Dort sous le bleu linceul de son ciel indulgent ;

Et seul le dur métal que l'amour fit docile
Garde encore en sa fleur, aux médailles d'argent,
L'immortelle beauté des vierges de Sicile.

Les Funérailles
 

Vers la Phocide illustre, aux temples que domine

La rocheuse Pytho toujours ceinte d'éclairs,

Quand les guerriers anciens descendaient aux enfers,

La Grèce accompagnait leur image divine.

Et leurs Ombres, tandis que la nuit illumine

L'Archipel radieux et les golfes déserts,

Écoutaient, du sommet des promontoires clairs,

Chanter sur leurs tombeaux la mer de Salamine.

Et moi je m'éteindrai, vieillard, en un long deuil ;

Mon corps sera cloué dans un étroit cercueil

Et l'on paîra la terre et le prêtre et les cierges.

Et pourtant j'ai rêvé ce destin glorieux

De tomber au soleil ainsi que les aïeux,

Jeune encore et pleuré des héros et des vierges.

Vendange
 

Les vendangeurs lassés ayant rompu leurs lignes,

Des voix claires sonnaient à l'air vibrant du soir

Et les femmes, en chœur, marchant vers le pressoir,

Mêlaient à leurs chansons des appels et des signes.

C'est par un ciel pareil, tout blanc du vol des cygnes,

Que, dans Naxos fumant comme un rouge encensoir,

La Bacchanale vit la Crétoise s'asseoir

Auprès du beau Dompteur ivre du sang des vignes.

Aujourd'hui, brandissant le thyrse radieux,

Dionysos vainqueur des bêtes et des Dieux

D'un joug enguirlandé n'étreint plus les panthères ;

Mais, fille du soleil, l'Automne enlace encor

Du pampre ensanglanté des antiques mystères

La noire chevelure et la crinière d'or.

La Sieste
 

Pas un seul bruit d'insecte ou d'abeille en maraude,

Tout dort sous les grands bois accablés de soleil

Où le feuillage épais tamise un jour pareil

Au velours sombre et doux des mousses d'émeraude.

Criblant le dôme obscur, Midi splendide y rôde

Et, sur mes cils mi-clos alanguis de sommeil,

De mille éclairs furtifs forme un réseau vermeil

Qui s'allonge et se croise à travers l'ombre chaude.

Vers la gaze de feu que trament les rayons

Vole le frêle essaim des riches papillons

Qu'enivrent la lumière et le parfum des sèves ;

Alors mes doigts tremblants saisissent chaque fil,

Et dans les mailles d'or de ce filet subtil,

Chasseur harmonieux, j'emprisonne mes rêves.