SONNETS ÉPIGRAPHIQUES

Le Vœu
 

ILIXONI

DEO

FAB. FESTA

V. S. L. M.

ISCITTÔ DEO

HVNNV

VLOHOXIS

FIL.

V. S. L. M.

Jadis l'Ibère noir et le Gall au poil fauve

Et le Garumne brun peint d'ocre et de carmin,

Sur le marbre votif entaillé par leur main,

Ont dit l'eau bienfaisante et sa vertu qui sauve.

Puis les Imperators, sous le Venasque chauve,

Bâtirent la piscine et le therme romain,

Et Fabia Festa, par ce même chemin,

A cueilli pour les Dieux la verveine ou la mauve.

Aujourd'hui, comme aux jours d'Iscitt et d'Ilixon,

Les sources m'ont chanté leur divine chanson ;

Le soufre fume encore à l'air pur des moraines.

C'est pourquoi, dans ces vers, accomplissant les vœux,

Tel qu'autrefois Hunnu, fils d'Ulohox, je veux

Dresser l'autel barbare aux Nymphes Souterraines.

La Source
 

NYMPHIS AVG. SACRVM

L'autel gît sous la ronce et l'herbe enseveli ;

Et la source sans nom qui goutte à goutte tombe

D'un son plaintif emplit la solitaire combe.

C'est la Nymphe qui pleure un éternel oubli.

L'inutile miroir que ne ride aucun pli

À peine est effleuré par un vol de colombe

Et la lune, parfois, qui du ciel noir surplombe,

Seule, y reflète encore un visage pâli.

De loin en loin, un pâtre errant s'y désaltère.

Il boit, et sur la dalle antique du chemin

Verse un peu d'eau resté dans le creux de sa main.

Il a fait, malgré lui, le geste héréditaire,

Et ses yeux n'ont pas vu sur le cippe romain

Le vase libatoire auprès de la patère.

Le Dieu Hêtre
 

 

FAGÔ DEO.

Le Garumne a bâti sa rustique maison

Sous un grand hêtre au tronc musculeux comme un torse

Dont la sève d'un Dieu gonfle la blanche écorce.

La forêt maternelle est tout son horizon.

Car l'homme libre y trouve, au gré de la saison,

Les faînes, le bois, l'ombre et les bêtes qu'il force

Avec l'arc ou l'épieu, le filet ou l'amorce,

Pour en manger la chair et vêtir leur toison.

Longtemps il a vécu riche, heureux et sans maître,

Et le soir, lorsqu'il rentre au logis, le vieux Hêtre

De ses bras familiers semble lui faire accueil ;

Et quand la Mort viendra courber sa tête franche,

Ses petits-fils auront pour tailler son cercueil

L'incorruptible cœur de la maîtresse branche.

Aux Montagnes Divines
 

GEMINVS SERVVS

ET PRÔ SVIS CONSERVIS.

Glaciers bleus, pics de marbre et d'ardoise, granits,

Moraines dont le vent, du Néthou jusqu'à Bègle,

Arrache, brûle et tord le froment et le seigle,

Cols abrupts, lacs, forêts pleines d'ombre et de nids !

Antres sourds, noirs vallons que les anciens bannis,

Plutôt que de ployer sous la servile règle,

Hantèrent avec l'ours, le loup, l'isard et l'aigle,

Précipices, torrents, gouffres, soyez bénis !

Ayant fui l'ergastule et le dur municipe,

L'esclave Geminus a dédié ce cippe

Aux Monts, gardiens sacrés de l'âpre liberté ;

Et sur ces sommets clairs où le silence vibre,

Dans l'air inviolable, immense et pur, jeté,

Je crois entendre encor le cri d'un homme libre !

L'Exilée
 

MONTIBVS.

GARRI DEO.

SABINVLA.

V. S. L. M.

Dans ce vallon sauvage où César t'exila,

Sur la roche moussue, au chemin d'Ardiège,

Penchant ton front qu'argente une précoce neige,

Chaque soir, à pas lents, tu viens t'accouder là.

Tu revois ta jeunesse et ta chère villa

Et le Flamine rouge avec son blanc cortège ;

Et pour que le regret du sol Latin s'allège,

Tu regardes le ciel, triste Sabinula.

Vers le Gar éclatant aux sept pointes calcaires,

Les aigles attardés qui regagnent leurs aires

Emportent en leur vol tes rêves familiers ;

Et seule, sans désirs, n'espérant rien de l'homme,

Tu dresses des autels aux Monts hospitaliers

Dont les Dieux plus prochains te consolent de Rome.