ROME ET LES BARBARES

Pour le Vaisseau de Virgile
 

Que vos astres plus clairs gardent mieux du danger,
Dioscures brillants, divins frères d'Hélène,
Le poète latin qui veut, au ciel hellène,
Voir les Cyclades d'or de l'azur émerger.

Que des souffles de l'air, de tous le plus léger,
Que le doux Iapyx, redoublant son haleine,
D'une brise embaumée enfle la voile pleine
Et pousse le navire au rivage étranger.

À travers l'Archipel où le dauphin se joue,
Guidez heureusement le chanteur de Mantoue ;
Prêtez-lui, fils du Cygne, un fraternel rayon.

La moitié de mon âme est dans la nef fragile
Qui, sur la mer sacrée où chantait Arion,
Vers la terre des Dieux porte le grand Virgile.

Villula
 

Oui, c'est au vieux Gallus qu'appartient l'héritage
Que tu vois au penchant du coteau cisalpin ;
La maison tout entière est à l'abri d'un pin
Et le chaume du toit couvre à peine un étage.

Il suffit pour qu'un hôte avec lui le partage.
Il a sa vigne, un four à cuire plus d'un pain,
Et dans son potager foisonne le lupin.
C'est peu ? Gallus n'a pas désiré davantage.

Son bois donne un fagot ou deux tous les hivers,
Et de l'ombre, l'été, sous les feuillages verts ;
À l'automne on y prend quelque grive au passage.

C'est là que, satisfait de son destin borné,
Gallus finit de vivre où jadis il est né.
Va, tu sais à présent que Gallus est un sage.

La Flûte
 

Voici le soir. Au ciel passe un vol de pigeons.

Rien ne vaut pour charmer une amoureuse fièvre,

Ô chevrier, le son d'un pipeau sur la lèvre

Qu'accompagne un bruit frais de source entre les joncs.

À l'ombre du platane où nous nous allongeons

L'herbe est plus molle. Laisse, ami, l'errante chèvre,

Sourde aux chevrotements du chevreau qu'elle sèvre,

Escalader la roche et brouter les bourgeons.

Ma flûte, faite avec sept tiges de ciguë

Inégales que joint un peu de cire, aiguë

Ou grave, pleure, chante ou gémit à mon gré.

Viens. Nous t'enseignerons l'art divin du Silène,

Et tes soupirs d'amour, de ce tuyau sacré,

S'envoleront parmi l'harmonieuse haleine.

À Sextius
 

Le ciel est clair. La barque a glissé sur les sables.

Les vergers sont fleuris. et le givre argentin

N'irise plus les prés au soleil du matin.

Les bœufs et le bouvier désertent les étables.

Tout tenait. Mais la Mort et ses funèbres fables

Nous pressent, et, pour toi, seul le jour est certain

Où les dés renversés en un libre festin

Ne t'assigneront plus la royauté des tables.

La vie, ô Sextius, est brève. Hâtons-nous

De vivre. Déjà l'âge a rompu nos genoux.

Il n'est pas de printemps au froid pays des Ombres.

Viens donc. Les bois sont verts, et voici la saison

D'immoler à Faunus, en ses retraites sombres,

Un bouc noir ou l'agnelle à la blanche toison.