Où Fortune, ne sait plus à quel amour entendre.
Fortune arriva au Châtelet vers dix heures du matin avec sa belle escorte d'exempts, d'archers et de hallebardiers, derrière laquelle venait encore cette portion du public qui veut boire le spectacle.
Le guichetier de la grande geôle, voyant arriver tant de monde, jugea bien qu'il s'agissait d'un personnage d'importance et fit appeler le geôlier. Celui-ci était un bon gros homme à tournure d'aubergiste qui passait pour tenir sa prison un peu comme une hôtellerie.
À l'appel du guichetier, maître janvier Munier, qui achevait son repas du matin, vint avec un verre de vin dans une main et une tartine de raisiné dans l'autre.
– Eh bien ! eh bien ! dit-il en voyant la pompeuse escorte du cavalier Fortune, nous sommes un peu à court de logements, car la pratique donne, c'est une bénédiction ! mais ce jeune gentilhomme a une mine qui ne me déplaît pas. Nous avons trois numéros vacants dans l'ancienne salle des témoins que monsieur le gouverneur a fait cloisonner et transformer en cellule. Parlez au gentilhomme, maître Lombat.
Maître Lombat était le guichetier. Il s'approcha de Fortune, qui se prêta avec une obéissance machinale à toutes les cérémonies de son incarcération, et lui demanda franchement s'il avait de l'argent.
Fortune répondit non avec une égale franchise.
Maître Lombat revint alors à maître janvier Munier qui grommela :
– Je vous avais bien dit tout de suite que ce jeune vagabond avait méchante mine. Pourquoi me dérange-t-on sous de pareils prétextes ! Avant de venir me chercher, une autre fois, informez-vous sur la question de savoir si les prisonniers réclament la pistole. Qu'on mette celui-ci où l'on voudra, et, s'il n'y a pas de place à la grande geôle, qu'on se foule un peu. Il n'est pas dit dans les ordonnances que les coquins sont mis en prison pour y être à leur aise.
Maître janvier Munier mordit dans sa tartine et reprenait déjà le chemin de sa salle à manger, lorsqu'un des exempts, qui racontait à un porte-clés l'aventure de la rue des Cinq-Diamants, prononça le nom de Chizac-leRiche.
Maître janvier Munier s'arrêta, se retourna et but une gorgée de son vin. Il appela maître Lombat et lui dit :
– Sachez un peu ce que le digne M. Chizac fait dans tout ceci.
Lombat revint au bout d'une minute et, certes, les renseignements qu'il apporta n'étaient ni bien clairs ni bien concluants, mais ce Chizac était comme les saints dont les sandales mêmes font des miracles. Maître janvier Munier réfléchit et dit :
– Il vaut mieux risquer une bagatelle que de mécontenter un honnête homme qui possède une rue entière, plus trente autres maisons dans Paris, plus… enfin je m'entends ! qu'on donne à ce garçon une des cellules de l'ancienne salle du témoignage.
– Et, demanda Lombat, aura-t-il le vin et l'ordinaire des pistoliers ?
Le geôlier cabaretier réfléchit encore, puis il s'écria :
– Ma foi ! vogue la galère ! Mieux vaut perdre un jour ou deux de pistole que de désobliger un homme si respectable. On disait, pas plus tard qu'hier, que son revenu montait à plus de cinq millions tournois.
Le dernier mot que Fortune avait entendu venant de la foule était celui-ci :
– Bon espoir ! Chizac-le-Riche veillera sur vous.
À l'insu même de Chizac, cette prédiction se réalisait déjà.
L'écrou de Fortune ayant été dressé dans les formes, on lui enleva ses liens, et maître Lombat le conduisit, à travers un dédale de corridors noirs et humides, jusqu'à la cellule qui lui était destinée.
La cellule portait le n° 37 : elle s'ouvrait à l'extrémité d'un couloir très étroit dont elle occupait l'extrémité.
Dès que la porte fut ouverte, Fortune entra dans une sorte de boîte carrée dont l'ameublement était semblable à celui de la chambre à coucher du pauvre Guillaume Badin, qui coûtait de loyer 4 800 livres par année.
Il y avait une escabelle au lieu de billot, une paillasse sur un cadre et une cruche de grès au col de laquelle pendait une écuelle de fer.
Cette boîte était fort étroite dans le sens de sa surface horizontale, mais on n'y manquait point d'air parce qu'elle avait une énorme hauteur d'étage.
Maître Lombat repassa le seuil et la grosse clé cria dans la serrure.
Fortune se laissa tomber sur l'escabelle.
Ce n'était pas la première fois qu'il allait en prison.
Peut-être même avait-il habité en sa vie errante et aventureuse des cachots bien autrement lugubres que cette boîte bâtie en planches neuves de trois côtés et abondamment éclairée, d'abord par le haut, ensuite du côté du mur par une moitié de fenêtre grillée.
L'autre moitié de la fenêtre devait servir à la cellule voisine portant sans doute le n° 38, puisqu'elle était la dernière de la série des nombres pairs.
Mais Fortune, il faut bien le dire, n'accordait aucune attention à tout cela. Vous eussiez dit un homme qui a reçu un pavé sur la tête.
Il y a des sensations rétrospectives. En écoutant tout à l'heure parler à maître Lombat, Fortune s'était dit : Voilà le premier signe de vie qui me soit donné de ce côté.
Mais, maintenant, il avait conscience d'avoir entendu déjà ce bruit sourd et patient qui le frappait : seulement étourdi qu'il était, perdu dans le désordre de ses pensées, il n'avait pas fait d'abord attention à ce bruit.
Cela ressemblait au travail lent d'un rongeur qui use le bois d'un arbre.
Fortune avait vu du pays ; il sourit et pensa :
– Monsieur le cavalier se creuse un trou de taupe dont on pourra profiter le cas échéant ; c'est décidément un voisin agréable.
Sur les trente-huit cellules, il y en avait sans doute quelques-unes de vides, et d'ailleurs maître Lombat ne vendait pas de vin à tous les prisonniers. Au bout de dix minutes, la clé tourna dans la serrure de Fortune, et le bienfaisant guichetier parut avec son panier qui ne contenait plus qu'une seule assiette.
C'était le déjeuner si impatiemment attendu. Maître Lombat déposa l'assiette sur le pied du lit et fit sauter le bouchon d'une bouteille.
Après quoi il tira de sa poche une feuille de papier, une plume et un écritoire.
– Voilà votre affaire, mon jeune coq, dit-il.
Fortune avait déjà découvert l'assiette qui contenait une bonne portion d'oie rôtie.
– Allons ! fit-il, la France est la reine des nations, décidément ! À Rome, on ne m'eût donné que de la ratatouille.
– Vous savez écrire ? demanda maître Lombat.
– Comme père et mère, répondit Fortune.
– Alors, mon camarade, il faut faire un bout de lettre pour Chizac-le-Riche, qui vous porte de l'intérêt, à ce qu'on dit, ou pour tout autre de vos amis à votre choix. Je suis père de famille et ne puis vous donner à crédit plus d'un jour. Si seulement ce bon M. Chizac vous envoie une cinquantaine de pistoles, vous mangerez de l'oie tous les jours et vous serez dans le paradis.
– Et si ce bon M. Chizac que je ne connais ni d'Ève ni d'Adam, interrogea Fortune, ne m'envoie rien ?
– J'en serai pour un déjeuner, répliqua le guichetier, pour un dîner et les deux bouteilles de vin, à moins que vous n'ayez l'honnêteté de me signer un écrit qui me donne droit à votre défroque quand vous n'en aurez plus besoin.
Fortune le regarda de travers.
– Il paraît, poursuivit maître Lombat paisiblement, que votre histoire n'est pas bonne. Monseigneur le régent est ennuyé de toutes les coquineries qui se commettent au quartier Quincampoix, et MM. du Bailliage sont bien décidés à faire un exemple.
Fortune versa du vin dans son verre jusqu'au bord.
– J'avais une étoile, grommela-t-il ; à quoi elle songe, corbac ! je n'en sais rien ; mais si elle me laisse conduire jusqu'au gibet, que le diable l'emporte ! À votre santé, bonhomme. Il vida son verre et reprit :
– Est-ce que mon voisin, que vous avez appelé Monsieur le chevalier, est aussi en passe d'être pendu ?
– Le n° 38 ? Non pas, c'est une histoire de cour. Il en a pour jusqu'à la fin de sa vie, voilà tout.
– Il est jeune.
– Oh ! tout jeune.
– Beau garçon ?
Maître Lombat jeta sur Fortune un regard où il y avait de la compassion.
– Après M. le duc de Richelieu et vous, répondit-il, c'est le plus joli brin d'homme que j'aie rencontré.
– Et vous le nommez ?
– Parbleu ! celui-là peut dire son nom à ses amis et à ses ennemis. C'est le petit Bourbon, comme on l'appelle, le chevalier Pierre de Courtenay, qui est deux ou trois fois cousin de Sa Majesté.
– Bon ! pensa Fortune ; alors, s'il épouse Mlle Aldée, ce ne sera pas une mésalliance.
Il attaqua vaillamment son déjeuner, et maître Lombat, reprenant son panier, se dirigea vers la porte.
– Écrivez, dit-il en passant le seuil, écrivez plutôt deux lettres qu'une. Un poli garçon comme vans ne doit pas être au dépourvu dans Paris, et pour le peu que vous avez à vivre, je n'aimerais pas vous voir vivre de pain sec.
Il sortit. Pendant le quart d'une minute la mâchoire de Fortune ralentit son mouvement.
– La mule du pape ! pensa-t-il, le bonhomme n'y va pas par quatre chemins ! Il a l'idée que je vais être pendu, et il doit s'y connaître.
– Après tout, se dit-il en dépêchant à belles dents sa portion ; je suis innocent comme l'enfant qui vient, de naître. Je vais écrire à Chizac… Mais quel diable de tic il a, ce Crésus, et quel singulier regard ! On aurait dit qu'il avait peur de ce drôle de corps maître Bertrand, l'inspecteur, avec sa figure d'innocent, je vais écrire, à Muguette ; elle ne peut rien pour moi, mais c'est égal. Et encore elle ne peut rien ! maintenant qu'elle connaît tant de grandes dames ! … Je vais écrire à Thérèse Badin, quand ce ne serait que pour lui dire : « Je ne peux pas aller à notre rendez-vous… » Je voudrais bien savoir si je l'aime mieux que Muguette ?… Je vais écrire à la duchesse du Maine… à La Pistole… au Parlement… au régent !
Il s'arrêta, la bouche pleine, et se versa un troisième verre.
– Tiens ! dit-il après avoir bu, on n'avait pas entendu la mécanique du petit Bourbon pendant que le guichetier était là ; mais voilà qu'il reprend sa besogne ! Achevons notre déjeuner d'abord, nous ferons ensuite notre correspondance, et puis nous entamerons la conversation avec ce joli cœur.
Pour ce qui regarde le déjeuner, ce ne fut pas long.
Fortune, ayant rongé sa cuisse d'oie jusqu'à l'os, essuya la dernière goutte de sauce avec son dernier morceau de pain et but le fond de sa bouteille.
– Là ! fit-il en secouant les miettes qui étaient tombées sur son pourpoint, je ne me suis jamais senti plus dispos et ce serait grand dommage si messieurs du Châtelet me condamnaient à la mort subite. Voyons ce qu'il y a au fond de notre écritoire.
Il approcha l'escabeau du lit et s'arrangea de son mieux pour libeller sa lettre.
Ce n'était pas un clerc bien habile que notre ami Fortune, mais il en savait cependant assez long pour remplir une page ou deux avec des fautes d'orthographe. C'était beaucoup pour le temps. Il y avait alors de parfaits gentilshommes qui eussent été bien embarrassés pour écrire la fameuse lettre du conscrit.
Fortune avait une grande diablesse d'écriture tremblée et lourde qui tenait beaucoup de place.
– Cet idiot de maître Lombat, pensa-t-il, ne m'a donné qu'une feuille de papier, je ne pourrai pas écrire aujourd'hui à tout le monde. Voyons ce que je vais dire à Chizac-le-Riche.
Il s'appliqua comme un malheureux et traça en tête de sa feuille.
« Monsieur Chizac, la présente est à fin de vous apprendre…
Il s'arrêta pour essuyer la sueur de son front.
– Pour lui apprendre quoi ? se demanda-t-il. Il en sait aussi long que moi… et peut-être plus long !
Ce dernier mot fut prononcé d'un air pensif. Chez tout autre que Fortune, il eût amené très certainement une réflexion ou un calcul.
Mais Fortune ne réfléchissait qu'à la dernière extrémité.
– Par la corbleu ! gronda-t-il, je n'aime pas le tic de ce blafard et je préfère écrire à Muguette.
Il déchira bien proprement le haut de sa feuille de papier et recommença son travail de calligraphie.
« Ma chère petite Muguette, la présente est à fin de te dire…
Il s'arrêta encore ; la sueur perlait sous ses cheveux.
– Corbleu ! fit-il, j'aimerais mieux aller à pied d'ici jusqu'à Fontainebleau, et au pas de course encore. Faut-il lui apprendre que mon voisin envoie des lettres à Aldée ? Comment lui avouer que j'ai perdu mes quinze cents pistoles ! Je me suis présenté hier comme un vainqueur, disant : Je vais vous apporter l'aisance ; et maintenant, faut-il lui demander quelques louis ?
Bien proprement encore, il déchira le haut du papier.
– S'en donne-t-il, au moins, ce petit Bourbon ! pensa-t-il en prêtant l'oreille. Je voudrais bien avoir fini ma correspondance pour lui demander où en est sa besogne.
Sa plume, trop chargée d'encre, fit un beau pâté, mais il écrivit nonobstant :
« Ma chère mademoiselle Thérèse, la présente est à fin de vous informer… »
Au lieu de continuer, il rougit.
– Corbac ! fit-il, celle-là me tient au cœur ! il n'y a pas dans l'univers entier une si belle fille ! et c'est drôle, oui, chaque fois que je pense à elle, le pauvre petit minois de Muguette passe devant mes yeux, et il me semble qu'elle pleure. J'aime bien Muguette, mais je le lui ai dit à elle-même : ce n'est pas de l'amour, tandis que Thérèse… il n'y a pas à dire, elle m'a fait pleurer comme un enfant, là-bas. Si elle me commandait d'aller au Palais-Royal et de prendre monsieur le régent par le bout du nez… mais s'il fallait me jeter à l'eau pour Muguette aussi… Eh bien, non ! il faut être juste ! je n'écrirai pas à Thérèse puisque je n'ai pas écrit à Muguette.
Le papier fut déchiré, encore, et vous pensez qu'il diminuait. déplorablement.
Fortune se dit :
– Il s'agit d'écrire la bonne lettre, cette fois.
Et il traça cet en-tête :
« Mademoiselle la sœur d'Apollon, la présente est à cette fin de vous mettre à même de me rendre un grand service… »
Il s'interrompit brusquement pour écouter ; le bruit qui se faisait dans la cellule voisine avait changé de nature.
Au lieu de creuser le sol ou d'user la pierre, M. le chevalier de Courtenay semblait s'attaquer au bois même de la cloison mitoyenne, et le bruit qu'il faisait maintenant changeait à chaque instant de place. Cela montait, montait…
Fortune mit sa tête entre ses mains comme un poète qui cherche une rime rebelle et fit un effort désespéré pour continuer la lettre.
Il en résulta un second pâté et une seconde phrase ainsi conçue :
« Ledit service consiste en ce qu'il m'est arrivé un accident malheureux, dont j'ai l'espérance que vous voudrez bien m'appuyer favorablement auprès de Mme la duchesse du Maine pour…»
Impossible d'aller au-delà ! Fortune fit à son imagination un appel terrible, mais derrière ce pour il n'y avait rien !
Et le papier était désormais trop raccourci pour qu'il fût possible de recommencer une autre lettre.
Fortune était en train de s'arracher les cheveux, lorsqu'un joyeux éclat de rire retentit au-dessus de sa tête.
Il se leva en fureur et regarda au plafond où il vit un blond et charmant visage penché au-dessus de la cloison, dans, l'espace laissé libre par la courbe de la voûte.
La colère de Fortune ne tint pas contre l'inattendu de cette apparition ; par un singulier effet de bascule, le blond visage se contracta, exprimant un soudain courroux.
– De par tous les diables ! dit la voix sonore et mâle que Fortune avait déjà entendue parlant à maître Lombat, est-ce bien vous que je retrouve ici !
Fortune ouvrit de grands yeux et rassembla ses souvenirs, se demandant où et quand il avait pu exciter la colère de M. le chevalier de Courtenay.
Celui-ci poursuivait :
– Si vous n'avez pas d'armes, moi je possède tout ce qu'il faut dans ma cellule. Vous plaît-il de monter ou souhaitez-vous que je descende ? Cette fois, monsieur le duc, nous allons en découdre pour tout de bon !
– À la bonne heure ! fit notre cavalier, je n'ai pas besoin de me creuser la tête, c'est le quiproquo éternel.
« Monsieur le chevalier, ajouta-t-il en élevant la voix, si je n'avais eu de nombreuses dépêches à rédiger, mon intention était d'entrer plus tôt en relations avec vous.
– Palsambleu ! s'écria Courtenay, nos relations sont tout entamées. À défaut de rapières, j'ai deux couteaux et ma lime. Nous tirerons au sort, et si ces armes ne te conviennent pas, duc de malheur, nous jouerons à qui de toi ou de moi étranglera l'autre !
Il avait l'air méchant, ce petit Bourbon, et ses yeux bleus lançaient des éclairs.
Au fond de l'âme, Fortune était tout particulièrement ravi de trouver un ennemi de ce duc qui était sa bête noire.
– Monsieur le chevalier, répondit-il, regardez-moi plus attentivement, je vous prie. Je ne me reconnais coupable d'aucune offense envers vous, si ce n'est peut-être d'avoir perdu mes 15000 livres, hier au soir, au lieu de gagner la dot de 100 000 écus que je vous destinais dans ma magnificence.
– Est-ce que je me tromperais, murmura Courtenay qui se mit à cheval sur la cloison, ou se moque-t-on de moi ?
– Vous n'êtes pas le premier à vous tromper ainsi, ni le centième non plus, monsieur le chevalier, répliqua Fortune ; pour mon malheur, il paraît que je ressemble à ce duc qui tourne la tête à toutes les coquines de Paris, bourgeoises ou princesses, et même à quelques honnêtes femmes, dit l'histoire.
– Est-ce bien possible ! murmura le chevalier. Palsambleu ! je veux en avoir le cœur net !
Il glissa rapidement sur le faîte des planches jusqu'à l'angle droit formé par les deux cloisons. Arrivé là, il jeta sa seconde jambe en dedans, puis s'aidant des pieds et des mains avec une merveilleuse prestesse qui eût fait la réputation d'un funambule, il se laissa couler le long des madriers.
Fortune n'eut que le temps de pousser un cri de surprise et d'effroi. Le petit Bourbon était déjà en face de lui et lui plantait ses deux mains sur ses épaules.
– Par la morbleu ! s'écria-t-il en retrouvant soudainement sa gaieté, c'est pourtant vrai !… mais voilà une ressemblance qui tient du miracle ! Seulement vous êtes plus gros, plus brun… et vous n'avez pas ce regard de femme… et encore ce misérable duc a l'air d'un coquin, tandis que, j'en ferais serment, vous êtes un honnête garçon !
– C'est mon avis, monsieur le chevalier, dit Fortune qui se laissait regarder avec un rire de bonne humeur.
– Enfin, poursuivit le petit Bourbon, vous auriez une barbe de sapeur, si vous vouliez, et ce misérable bellâtre n'a pas un poil sur la joue. Par la morbleu ! vous me plaisez, et pour peu que cela vous convienne, nous allons être une paire de camarades tous les deux !