Ainsi se termine notre histoire.
M. Hoopdriver, couché à plat ventre dans la fougère, y reste sans que nous allions l'épier et tâcher de surprendre les mots incohérents qui se mêlent à sa respiration.
De ce qu'il advint des beaux projets caressés, des six années de labeur, et du reste, nous n'en dirons rien ici. En vérité, nous n'en dirons rien nulle part, car une facile comparaison de dates vous informera que ces années sont encore à courir.
Mais si vous avez saisi comment un simple calicot, un jocrisse monté sur roulettes, et un sot par-dessus le marché, en arriva à percevoir les petites insuffisances de la vie, et s'il a, dans une mesure quelconque, gagné votre sympathie, mon but est atteint : sinon, que le Ciel nous pardonne, à vous et à moi.
Nous ne suivrons pas non plus l'aventureuse jeune fille de retour au foyer maternel à Surbiton, où elle eut désormais à tenir tête, en plus de sa belle-mère, à Widgery, promu beau-père ; car, comme la pauvre enfant l'apprendra bientôt, le dévouement du si déférent personnage a reçu sa récompense. Pour Jessie, également, nous quémandons une part de nos sympathies.
Le reste des vacances de M. Hoopdriver – car il est encore libre pour cinq jours, – dépasse les limites de notre plan.
Pourtant vous entrevoyez parfois sa mince silhouette, bien tristement esseulée à présent, avec son complet poussiéreux, ses bas piqués de brins de bruyère, et des souliers qui n'avaient jamais été destinés à pédaler si longtemps. Il retourna vers Londres, par le Hampshire, le Berkshire et le Surrey fort économiquement, et pour cause. Jour après jour, il pédale, allant de droite et de gauche, mais somme toute remontant vers le nord-est. Il a toujours sa poitrine étroite ; son nez courbé est rouge, tanné par le soleil et le grand air ; et le dos de ses mains est bruni. Vous remarquez qu'une expression étonnée et rêveuse s'obstine sur le visage du cycliste. Parfois, il se sifflote tout bas un petit air ; d'autres fois, il monologue à voix haute :
– En tout cas, je vais m'y mettre avec ardeur.
À certains moments, et trop souvent, à mon gré, il prend un air irrité, désespéré, et vous l'entendez grommeler :
– Je sais, je sais. C'est fini, va, et bien fini. Je n'ai pas l'étoffe en moi. Tu n'es pas assez homme, mon vieux Hoopdriver. Regarde tes pattes. Oh ! là, là !
Une rafale de colère l'emporte, et il pédale avec fureur pendant quelques mètres. Il est des instants, toutefois, où ses traits s'adoucissent.
– Quoi qu'il en soit, et si je ne la revois pas, elle me prêtera des livres.
Il extrait de cette pensée toute la consolation possible.
– Des livres ! Quels livres ? Qu'est-ce que des livres ? peste-t-il.
Deux ou trois fois, de triomphants souvenirs des incidents passés animent sa face, et à ces minutes on pourrait presque le dire heureux.
Puis il y a aussi les périodes spéculatives.
– Supposons qu'un type s'y mette de toutes ses forces, qu'il travaille sans arrêt… en combien de temps ?
Notre héros traverse une crise chaotique, et le ciel seul peut savoir ce qui en résultera. Il est beaucoup trop accaparé par ses méditations pour songer à poser encore, et c'est bien rare qu'il adresse la parole aux gens qu'il rencontre.
Vous êtes-vous aperçu, aussi, que la bicyclette qu'il monte a reçu une couche de peinture émail d'un gris terne, et que le guidon est orné d'un timbre formidable ?
Cette silhouette traverse ainsi Basingstoke, Bagshot, Staines, Hampton et Richmond. Enfin, dans la grande rue de Putney, toute flamboyante des lueurs du couchant, grouillante des apprentis fermant les boutiques, des petits ouvriers rejoignant leurs demeures, des commerçants sur le pas de leurs portes, des omnibus blancs pleins d'employés s'empressant de rentrer vers leur dîner, nous prenons congé de lui. Il est de retour. Demain, recommencement : le lever matinal, l'époussetage, la besogne quotidienne, – mais avec une différence : ses souvenirs, merveilleux encore, remplaçant les impossibles chimères.
Au premier tournant, il quitte la grande rue, met pied à terre en soupirant, et pousse sa machine dans la cour des écuries de la Maison Antrobus et Cie, au moment où l'apprenti au grand faux col s'apprête à fermer les portes. Vous entendez quelques mots, compliments et salutations.
– La côte du Sud… Un temps splendide, absolument splendide !… Oui, j'ai troqué mon clou contre cette bécane-ci, avec une couple de souverains. Une machine épatante… et qui roule ! C'est malheureux qu'un idiot se soit amusé à la barbouiller en gris…
Les deux battants de la porte se rejoignent bruyamment, et M. Hoopdriver disparaît à nos regards.