À la vue de Dangle et de Phipps qui revenaient, il croisa les bras. Phipps était ébahi des difficultés que présente le maniement du tandem qu'il menait à présent à la main, et Dangle manifesta des dispositions querelleuses.
– Miss Milton ? – dit-il sèchement.
M. Hoopdriver s'inclina sans décroiser les bras.
– Miss Milton est entrée ? – reprit Dangle.
– Et ne veut pas être dérangée, – déclara M. Hoopdriver.
– Vous êtes un malotru, monsieur, – gronda Dangle.
– À votre service, – répliqua dédaigneusement M. Hoopdriver. – Miss Milton attend l'arrivée de sa belle-mère.
M. Dangle hésita.
– Elle sera ici tout de suite… et voici son amie, Miss Mergle, – ajouta-t-il.
M. Hoopdriver décroisa lentement ses bras et, assumant une tranquillité formidable, enfonça ses mains dans les poches de son pantalon. Alors, victime d'une de ses fatales hésitations, il songea que cette attitude pouvait être considérée comme vulgairement insolente. Il retira ses deux mains, en remit une, et occupa l'autre à tirailler sa moustache. Miss Mergle surgit dans cet instant de confusion.
– Voilà le monsieur ? – demanda-t-elle, s'adressant à Dangle. – Quelle effronterie, monsieur ! Comment avez-vous l'audace de me braver ? La pauvre enfant !
– Vous me permettrez d'observer… – commença M. Hoopdriver, avec son accent faubourien le plus prononcé, et, pour la première fois, il se vit, dans cette affaire, jouant, selon toute apparence, le rôle du traître.
– Pouah ! – fit, les lèvres retroussées. Miss Mergle, et, sans qu'il s'y attendît en aucune façon, elle le frappa en pleine poitrine de ses deux mains étendues, et l'envoya trébucher en arrière jusque dans le vestibule de l'hôtel. – Laissez-moi passer ! – cria-t-elle, superbe d'indignation. – Comment osez-vous me barrer le passage ?
Pendant que Hoopdriver se cramponnait au portemanteau pour reprendre son équilibre, Dangle et Phipps, secoués de leur inertie par la pétulance de Miss Mergle, s'approchèrent prestement, Phipps en tête.
– Vous avez le toupet d'empêcher cette dame de passer ? – s'écria Phipps.
Hoopdriver dédaigna de répondre et prit un air rétif, dangereux même, aux yeux de Dangle.
Au bout du couloir, un garçon, dans une livrée somptueuse, apparut, restant prudemment à l'écart.
– Ce sont les individus de votre espèce, monsieur, qui discréditent leur sexe ! – prononça Phipps.
M. Hoopdriver enfonça solidement ses mains dans ses poches, et, sur un ton furibond, il répliqua :
– Je voudrais bien savoir qui vous êtes, vous, l'insolent.
– Et vous ? – rétorqua Phipps. – Qui êtes-vous donc ? C'est cela qu'il faudrait savoir. Et qui vous a permis de courir le pays avec une jeune fille mineure ?
– Ne condescendez pas à lui adresser la parole, – conseilla Dangle.
– Pensez-vous que je vais raconter mes affaires au premier venu qui a l'impertinence de me questionner ? Ah ! non, par exemple ! – déblatéra M. Hoopdriver, et, du même ton acerbe et courroucé, il ajouta : – Tenez-vous cela pour dit.
Phipps et lui, face à face, campés sur leurs jambes, se dévisageaient hargneusement, et nul ne sait ce qui serait arrivé si le clergyman, surexcité mais résolu, n'était apparu sur le seuil.
– Anachronisme en jupons ! – murmurait le sacerdotal personnage, victime du préjugé suranné qui exigeait une troisième roue et des vêtements noirs pour ecclésiastiques en vacances.
Il observa un instant les deux adversaires ; alors, étendant le bras vers Hoopdriver, il agita trois fois sa main, proférant simultanément et avec vigueur une syllabe évidemment réprobatrice :
– Tchak ! Tchak ! Tchak !
Puis, concluant par un « Pouah ! » souligné d'un geste de répugnance, il entra dans la salle à manger d'où provenait très distinctement la voix de Miss Mergle, déclarant qu'elle ne comprenait rien à cette histoire.
L'énergique vitupération du clergyman eut sur Hoopdriver un effet démoralisant, que compléta la soudaine arrivée du massif Widgery.
– C'est ce monsieur ? – s'enquit-il, lui aussi, d'un air farouche et tirant du plus profond de sa poitrine une voix appropriée à la circonstance.
– Ne lui faites pas de mal ! – implora Mme Milton, les mains jointes. – Quels que soient ses torts… pas de violences !
– Vous êtes encore beaucoup comme cela ? – osa ricaner Hoopdriver acculé contre le portemanteau.
– Où est-elle ? Que lui a-t-il fait ? – gémit Mme Milton.
– Je ne vais pas rester là à me laisser insulter par des tas de gens que je ne connais pas, – déclara M. Hoopdriver. – Ne vous imaginez pas cela. Ne croirait-on pas que j'ai mangé la demoiselle !
– Me voici, mère, – dit Jessie, paraissant tout à coup, sur le seuil de la salle à manger.
Elle était très pâle. Mme Milton déclama quelques mots dictés par la tendresse maternelle, et s'élança pour une étreinte dramatiquement passionnée. L'embrassade s'engouffra dans la salle à manger. Widgery fit mine de suivre, mais se ravisa.
– Je vous engage vivement à déguerpir, à moins que vous ne soyez disposé à répondre à certaines questions qui pourraient vous embarrasser, – dit-il à M. Hoopdriver.
– Je n'en ferai rien, – protesta le jeune homme, la gorge serrée. – Je suis ici pour défendre cette jeune fille.
– Vous l'avez défendue d'une façon suffisamment pernicieuse, je suppose, – tonitrua Widgery.
– Sortez ! – ordonna Phipps menaçant.
– Je vais aller m'asseoir dans le petit jardin, – répondit avec calme et dignité M. Hoopdriver, – et là, j'attendrai.
– Inutile de vous disputer avec lui, – observa pacifiquement Dangle.
Le clergyman sortit de la salle, et la porte se referma doucement sur lui.
M. Hoopdriver, dardant des regards de défi à ses adversaires, se dirigea fièrement vers le jardin. Mais, sous cette façade intrépide, se débattaient des craintes tumultueuses. Pour qui donc le prenait-on ? Pouvait-on lui causer des ennuis ? Assurément il n'avait rien fait de mal. Jessie était-elle pupille légale du Grand Chancelier ?
De la part de la belle-mère, au moins, Hoopdriver s'était attendu à quelque gratitude.