XXXVI – L'ADIEU

 

Ils allèrent ainsi en silence assez loin de l'hôtel. Hoopdriver entendit un halètement dans la respiration de la jeune fille, et, levant la tête, il vit qu'elle avait les lèvres serrées et, qu'une larme roulait sur sa joue. Elle regardait droit devant elle et son teint était animé et brillant. Ne trouvant rien à dire, malgré ses efforts, il enfonça ses mains dans ses poches et tourna volontairement la tête du côté opposé à Jessie. C'est elle qui, finalement, entama la conversation, et ils échangèrent des propos disjoints sur le paysage et sur les moyens de s'instruire soi-même. Elle prit l'adresse d'Hoopdriver et promit de lui faire parvenir des livres. Mais il sentait bien que la conversation manquait d'entrain, était éclopée, car l'humeur belliqueuse avait disparu. Jessie lui parut préoccupée par le souvenir du combat qu'elle venait de soutenir, et il en fut froissé.

– C'est la fin ! – se dit-il. – C'est fini pour toi, mon vieux, et pour elle.

Ils descendirent un petit vallon, rencontrèrent une pente boisée, et arrivèrent enfin sur une hauteur, d'où la vue commandait une vaste étendue de pays. Là, d'un commun et muet accord, ils s'arrêtèrent, contemplant les longues ondulations de la forêt, qui s'éloignaient de sommet en sommet jusqu'à se fondre dans l'horizon bleu.

Jessie s'était perchée sur un petit monticule, de sorte que, quand elle parla, il dut lever les yeux vers elle pour la voir. Elle était ravissante ainsi, baignée de lumière, légère et gracieuse dans son costume gris, le dos de la main appuyé en arrière, à la taille. Elle semblait abaisser de très haut ses regards jusqu'à lui, et l'attitude était symbolique, pensa-t-il.

– Alors, – commença-t-elle, – nous allons nous dire adieu.

Il resta une demi-minute sans répondre ; puis, prenant son courage et s'éclaircissant la voix :

– Il y a une chose que je veux vous avouer… Mais il en resta là.

– Laquelle ? – demanda-t-elle, surprise.

– Je n'exige pas d'être payé de retour, mais…

Il s'interrompit encore, et leurs regards se croisèrent.

– Je ne dirai rien. À quoi bon ? Ce serait idiot, de ma part, à présent… D'ailleurs, je n'avais rien à dire… Adieu.

Elle l'observait d'un air stupéfait.

– Non, pas adieu, – prononça-t-elle, doucement. – N'oubliez pas que vous allez vous mettre à l'œuvre. Rappelez-vous, frère Christian, que vous êtes mon ami. Vous travaillerez… Que serez-vous ?… Qu'est-ce qu'un homme peut faire de soi-même… en six ans de temps ?

Il s'obstinait à regarder droit devant lui. Pourtant, quelque chose s'agita au plus profond de lui-même, et les lignes qui donnaient à sa bouche son expression faible se raffermirent.

Il savait qu'elle devinait ce qu'il ne pouvait dire, il savait que ces six années avaient la valeur d'une promesse.

– Je travaillerai, – fit-il laconiquement.

Un long moment, ils restèrent ainsi côte à côte. Puis, remuant enfin la tête, il parla :

– Je ne veux pas me retrouver avec eux. Vous serait-il égal de vous en retourner seule ?

Elle réfléchit dix secondes.

– Oui, – répondit-elle, et elle lui tendit la main. – Au revoir, – bégaya-t-elle très bas, en se mordant la lèvre inférieure.

Tout pâle, il fit demi-tour, regarda Jessie dans les yeux, lui prit la main d'un air embarrassé, puis, cédant à une impulsion soudaine, il porta cette main à ses lèvres. Elle fit mine de la lui retirer, mais il la serra davantage. Elle sentit l'effleur d'un baiser, et aussitôt le jeune homme lui lâchait la main, tournait les talons et descendait la pente à grandes enjambées.

Au bout d'une douzaine de pas, son pied glissa sur le bord d'un terrier de lapin ; il trébucha en avant et faillit tomber.

Pas une fois, il ne regarda en arrière. Elle le suivit des yeux, jusqu'à ce qu'il ne fût plus, tout au bas du ravin, qu'une petite forme noire. Alors, lentement, elle s'éloigna, les mains serrées nerveusement derrière son dos.

– Je ne savais pas, – se murmura-t-elle, les lèvres livides. – Je ne comprenais pas… Maintenant même, je ne comprends pas encore…