V – LE CHÂTEAU DE L'ÉNERGIE

 

La traversée du Petchili s'était accomplie dans d'excellentes conditions. Après les relâches habituelles à Malte, à Port-Saïd et à Djibouti, le steamer avait débarqué à Colombo, capitale de l'île de Ceylan, le brahme Ardavena et son nouveau collaborateur. De Colombo, ils s'étaient dirigés vers le Karnatic, où se trouve le fameux temple de Chelambrum.

Au cours du voyage, Robert avait fait plus ample connaissance avec Ardavena et il s'était promptement aperçu que le brahme était doué d'une érudition formidable, presque déconcertante, tant elle embrassait de spécialités en apparence incompatibles. Outre le sanscrit, le tamoul et l'hindoustani, les trois grands dialectes de l'Inde, il parlait avec une pureté d'accent remarquable l'anglais, le français et l'italien. Il connaissait l'arabe, le persan et le chinois et il avait lu les auteurs les plus célèbres dans toutes ces langues.

Robert s'aperçut même que son nouveau maître possédait une connaissance suffisamment avancée des découvertes contemporaines dans les principales branches de la science. Mais, ce qui déconcertait le plus le jeune ingénieur, c'était la souplesse intellectuelle du brahme, sa puissance de déduction, la facilité avec laquelle il passait d'un détail infime à une conclusion générale rigoureusement établie. Ardavena analysait avec une incomparable lucidité les problèmes les plus ardus et simplifiait toute chose par la netteté de sa vision intellectuelle.

Robert, malgré ses diplômes et ses découvertes, se sentait bien chétif et bien petit en présence de ce singulier vieillard, qui semblait une vivante encyclopédie des connaissances humaines.

Il était très satisfait, pourtant, même au point de vue des intérêts matériels. Le jour de leur départ, à Londres, Ardavena lui avait remis, à titre d'arrhes, une liasse de bank-notes d'une valeur d'environ deux mille livres sterling. Une seule chose le contrariait. Il se reprochait de n'avoir pas prévenu son ami Pitcher de son départ et de ne point lui avoir fait part de sa bonne chance.

Plusieurs fois, il avait voulu lui écrire ; le brahme Ardavena, qui avait deviné ses intentions, l'en avait toujours dissuadé.

– Il est très important pour ce que nous devons faire, lui disait-il, que personne ne sache ce que vous êtes devenu et que l'on ne s'occupe pas de vous. Toute entreprise connue est manquée à demi. Plus tard, je vous donnerai les moyens de correspondre avec ce Mr. Pitcher. Soyez sûr d'ailleurs qu'il n'est pas trop à plaindre en ce moment.

Robert n'avait pas osé désobéir à son étrange collaborateur ; mais il était très ennuyé de songer que Pitcher pourrait l'accuser d'ingratitude et d'indifférence et, qui pis est, le croire mort et pleurer son trépas.

Cependant, à la longue, l'imprévu d'un voyage en Extrême-Orient, les captivantes conversations d'Ardavena finirent par faire oublier à l'ingénieur son vieux camarade.

En débarquant à Karikal, une des rares possessions de la France dans l'Inde, Ardavena fit comprendre à Robert la nécessité de quitter le costume européen et il lui procura un chomin, un turban blanc et des babouches. Le chomin n'est qu'une pièce de mousseline légère de vingt-cinq à trente mètres de long que l'on s'enroule autour du corps.

Pour compléter sa transformation, Robert rasa entièrement ses moustaches blondes et sa longue chevelure. Avec son visage d'un ovale très allongé, sa maigreur qui faisait saillir ses pommettes et son teint bruni par le soleil, il avait tout à fait l'aspect d'un Hindou. Seuls, ses yeux gris clair, ses gestes énergiques auraient pu le trahir. Mais il était convenu qu'il se mettrait en évidence le moins possible.

Après s'être reposés deux jours à Karikal, les voyageurs prirent à dos d'éléphant le chemin du monastère de Chelambrum.

Le voyage, par des routes bordées de forêts verdoyantes et de villages prospères, fut charmant. À chaque pas, Robert s'émerveillait. Dans ses précédentes excursions à travers le monde, il n'avait jamais vu une nature aussi généreuse et aussi puissante, des paysages d'une beauté plus grandiose. C’étaient des forêts d'arbres en fleur qui répandaient un parfum capiteux, des étangs entourés de temples de marbre rose et bordés de bambous géants, de cycas et de fougères arborescentes. Puis, c'étaient des terres d'argile rouge sans arbres et sans eau, comme calcinées par l'ardeur dévorante du soleil, toute la changeante féerie des paysages orientaux.

Robert respirait avidement le parfum de poésie sauvage de cette nature vierge. Il croyait renaître à une autre existence. Comme un véritable enfant, il cueillait des bouquets d'énormes fleurs, abattait â coups de pierre des noix de cocotier et jetait des projectiles aux singes qui se balançaient nonchalamment, la tête en bas, la queue enroulée autour d'une branche.

Mais ce qui l'étonnait, c'était la façon rapide et luxueuse, comme organisée depuis longtemps à l'avance, dont le voyage s'accomplissait.

À Karikal, des porteurs indous et une voiture attendaient l'arrivée du paquebot. À peine à terre, les voyageurs avaient été accueillis dans le palais d'un riche Babou où leurs chambres étaient préparées. Des serviteurs étaient à leurs ordres et ils prenaient leurs repas dans une salle séparée sans que personne osât leur adresser la parole.

Tout le long de la route, ce fut la même chose. Aux moindres haltes, ils étaient attendus par des serviteurs dociles et dévoués. Tout se passait avec une régularité parfaite et que Robert avait bien rarement remarquée dans les contrées qu'il lui avait été donné de traverser.

Ce fut vers le milieu de l'après-midi qu'on arriva au monastère de Chelambrum. Au-dessus d'une épaisse forêt de palmiers, de magnolias et de bambous, le monastère dressait dans l'azur implacable du ciel ses coupoles ventrues, ses pyramides de dieux et d'animaux et les sveltes colonnes de ses minarets. Les remparts vastes comme ceux d'une ville étaient ornés de sculptures et entourés de fossés où se jouaient de jeunes crocodiles alertes et vifs comme des lézards.

Sitôt la poterne franchie, Robert demeura émerveillé. Tout autour d'un vaste étang couvert de fleurs aquatiques, c'était une succession de palais et de temples de marbre blanc, de granit rose et noir, dont quelques-uns eussent pu rivaliser avec les monuments fameux de l'Égypte. C'étaient des alignements d'éléphants de pierre, portant sur leur dos des divinités, telles que la Vierge de Vanagui et Chrishna enfant, tous hauts d'une vingtaine de mètres, des forêts de colonnes sculptées avec un art plus délicat et plus pur que celui de la Grèce et du Moyen Age, des arceaux élégants, des entassements d'escaliers à lourdes rampes et de balcons légers à faire paraître médiocres les inventions de Piranèse.

Robert s'extasiait à la vue de ces chefs-d’œuvre et guidé par Ardavena venait de traverser une majestueuse cour entourée de piliers et décorée au centre d'une fontaine jaillissante, lorsqu'il poussa un cri d'horreur.

Sur la rive de l'étang sacré où les brahmes font leurs ablutions et où ils lavent les statues des dieux, une centaine d'hommes étaient entassés dans des poses grimaçantes. L'ingénieur sentit une angoisse l'étreindre. Il se crut un instant transporté dans un des cercles de l'enfer chinois.

– Où suis-je ? demanda-t-il à Ardavena qui demeurait impassible.

– C'est ici le lieu où se tiennent les fakirs qui se sont volontairement soumis à des supplices et à des épreuves dans le but de se rendre agréables à la divinité.

« Regardez, en voici un qui, pour être fidèle au vœu du silence, s'est cousu les lèvres en ne ménageant qu'un tout petit trou. Il ne peut manger qu'un peu de bouillie de riz très claire qu'il aspire à l'aide d'un tuyau. Cet autre s'est cloué les oreilles contre un arbre : il y a des années qu'il est là. Le tronc a grossi et distendu les cartilages qui ressemblent maintenant à des ailes de chauve-souris. Celui-ci a gardé si longtemps les deux mains fermées et liées ensemble avec des cordes, que les ongles ont traversé la chair. Il est forcé de ramper comme un animal vers son écuelle de riz.

Robert ne répondit rien. Il se croyait le jouet d'un cauchemar.

Un fakir d'une maigreur effrayante demeurait immobile sur un fût de colonne. On eût dit qu'il était privé de la vie, sa barbe lui descendait jusqu'au ventre et, dans sa chevelure touffue comme un buisson, des oiseaux avaient niché. De petits lézards couleur d'or couraient sur ses fémurs et sautillaient entre ses orteils momifiés.

Plus loin, des fakirs agonisaient sous des piles de pavés, étaient enterrés tout vivants jusqu'au cou dans la fange où des insectes les dévoraient. Quelques-uns se tordaient sur un lit de charbons ardents qu'ils devaient éteindre de leur sang, ou se roulaient sur des pointes aiguës qui leur pénétraient profondément dans les chairs. Une grande roue de bambou qui tournait avec vitesse portait les corps ensanglantés de trois fanatiques dont les reins et les épaules étaient traversés par des crochets de fer.

– Sortons, dit Robert, qui se sentait défaillir.

Dans sa précipitation, il heurta un corps étendu à terre. On eût dit plutôt un cadavre qu'un être encore vivant : ses yeux étaient crevés et il s'était coupé le nez, les oreilles et jusqu'aux lèvres et une partie des joues. Ses dents étaient à découvert. C'était plus que Robert n'en pouvait supporter. Il s'enfuit sans regarder en arrière et sans écouter les explications d'Ardavena qui voulait lui montrer un karavate, sorte de guillotine primitive qui permet au patient de se couper lui-même la tête. Elle se compose d'un croissant d'acier très effilé, glissant entre deux traverses ; des chaînes correspondent au ressort qui fait jouer la machine. Le fanatique allonge le cou, met les pieds dans les étriers qui terminent les chaînes, donne une violente saccade et sa tête roule à terre.

– J'en ai assez de ces horreurs ! s'écriait Robert. Comment tolérez-vous de pareilles monstruosités ?

– Je ne les tolère pas ; mais je ne puis les empêcher. Je perdrais toute autorité sur ceux qui m'obéissent si je m'opposais à ce que ces malheureux fanatiques se torturent ainsi eux-mêmes. D'ailleurs, comme vous le verrez, j'ai beaucoup fait pour restreindre et pour modérer ces martyrs inutiles.

– Je ne puis m'empêcher d'être indigné !

– Nous discuterons cela, plus tard, à loisir. Mais, heureusement, j'ai de plus agréables spectacles à vous offrir.

Robert ne répondit rien. Il regrettait un peu, en lui-même, d'avoir accepté si promptement la proposition d'Ardavena, à la discrétion duquel il se trouvait entièrement. Il se rappelait les vieilles légendes de ceux qui ont vendu leur âme au diable et il se demandait avec un frisson si la façon rapide et singulière dont il avait été captivé par le brahme n'avait pas quelque chose de surnaturel. Puis il commençait à ressentir l'étrange tourment de ne plus pouvoir penser sans que sa pensée fût devinée à l'instant même, d'avoir toujours à ses côtés cet homme aux yeux clairs, qui lisait dans son âme comme dans un livre grand ouvert.

Cette première et fâcheuse impression se dissipa peu à peu.

– Évidemment, se dit-il, Ardavena a dit vrai, puisque je ressens le contre coup de sa puissance. À moi d'étudier, de lutter et de trouver les raisons scientifiques et logiques de ces phénomènes en apparence inexplicables.

Ils étaient arrivés dans la partie du temple qui servait d'habitation particulière au supérieur des brahmes. Cette habitation comprenait un palais et des jardins que n'eût pas désavoués un radjah. Partout, des eaux vives, des ombrages épais et des tapis de fleurs ; partout, des terrasses, de petits kiosques et d'innombrables statues des divinités de l'Olympe brahmanique.

Robert s'aperçut avec plaisir que l'habitation qu'on lui destinait se trouvait dans une sorte de tour tout à fait isolée des autres bâtiments et entourée d'un jardin qui lui était propre et que bordaient de toutes parts d'épaisses haies de cactus, de nopals, d'acacias et d'autres arbustes épineux.

– Comme cela, pensa-t-il, je serai chez moi.

Sa joie ne connut plus de bornes, lorsque, par un escalier d'une centaine de marches taillées en plein granit, Ardavena l'eût introduit dans une haute crypte voûtée et qui recevait du dehors l'air et la lumière par des soupiraux très élevés dissimulés dans les sculptures extérieures. Cette salle était un véritable laboratoire agencé avec tout le confort des découvertes modernes. Une bibliothèque de livres spéciaux, des armoires de produits chimiques, des fours électriques et jusqu'à une petite salle de dissection munie de ses dalles de marbre blanc, rien n'y manquait.

– Vous voyez, dit Ardavena, vous pourrez travailler ; vous êtes bien outillé. D'ailleurs, s'il vous manquait quelque chose, vous n'avez qu'à le dire et je vous le procurerai sous peu de jours.

L'ingénieur remarqua que dans ce vaste laboratoire tout était neuf. Les flacons qui portaient des étiquettes de droguistes anglais ou français n'avaient pas été débouchés, les appareils n'avaient jamais servi et les livres n'étaient pas coupés.

Ce qui fit le plus de plaisir à Robert qui furetait joyeusement d'armoire en armoire, ce fut de découvrir tout un lot de volumes et de photographies qui avaient trait à la planète Mars.

– Vous voyez que j'ai pensé à vous, dit Ardavena, et, vous le savez, vous pourrez vous occuper ici de tout ce qu'il vous plaira. Vous êtes le seul juge de la manière la plus efficace de diriger vos études. De plus, comme je vous l'ai dit, vous n'êtes limité dans vos travaux ni par le temps, ni par l'argent. Il n'y a pas beaucoup de savants dans votre cas.

Robert avait reconquis son enthousiasme primitif. Il arpentait son laboratoire comme pour en prendre possession, rêvant déjà d'expériences inouïes, de découvertes qui changeraient la face des mondes.

En faisant ce rapide inventaire, il fut spécialement charmé de trouver une collection d'ouvrages récents sur la psychologie et la physiologie du cerveau, le livre de Flammarion sur la télépathie, les articles de Baraduc sur la photographie des passions, les communications de Rœntgen et de Curie sur les rayons obscurs qu'émettent certains corps, les travaux de Metchnikoff sur la longévité, les derniers rapports sur les effluves du diamant émis dans certaines conditions et qui ont la propriété de tonifier et de purifier les organes, enfin une foule d'autres documents bien connus des spécialistes.

Les jours suivants, Robert ne vit même pas Ardavena. Il semblait que celui-ci voulût lui imposer sa confiance en lui laissant toute liberté. D'ailleurs, il l'avait prévenu qu'il pouvait sortir des dépendances du monastère.

Un éléphant et son mahout ou cornac étaient toujours à sa disposition pour les promenades qu'il lui plairait de faire dans la forêt.

Robert s'organisa une existence des plus agréables. Deux serviteurs étaient continuellement à ses ordres et un Malais, qui avait été autrefois domestique d'un pharmacien de Singapour, lui servait de garçon de laboratoire.

Dès le matin, le jeune homme descendait faire une promenade dans les jardins, remplis d'oiseaux aux couleurs vives et là il attendait que les rayons du soleil eussent évaporé la rosée. Puis il se rendait à son laboratoire, plein de fraîcheur aux heures brûlantes du jour à cause de sa situation souterraine, il n'en remontait que le soir pour dîner et terminait sa journée par une rêverie au clair de lune à travers les séculaires avenues de bambous géants, de baobabs et de tamariniers.

Assez rarement il allait rendre visite au brahme Ardavena qu'il trouvait toujours occupé à écrire ou à lire dans sa cellule froide et seulement meublée, comme celle de la rue d'Yarmouth, d'une natte de paille et d'une cruche d'eau. Là, il avait retrouvé le tigre Mowdi avec lequel il était en excellents termes.

Mowdi s'approchait en ronronnant sitôt qu'il voyait entrer le jeune homme, qui ne manquait jamais de caresser sa belle fourrure orange et noire.

L'ingénieur se trouvait si bien de cette existence claustrale et paisible qu'il ne regrettait nullement d'avoir quitté Paris pour venir se confiner au pied des montagnes des Ghâts dans un monastère hindou. Ajoutons d'ailleurs qu'Ardavena ne faisait point partager à son hôte les privations qu'il s'imposait.

La chère était délicate et unissait les raffinements de la cuisine européenne et de la cuisine indigène.

S'il avait eu des nouvelles du naturaliste Pitcher, Robert, qui n'avait plus de famille et avait perdu de vue tous ses amis d'autrefois, se fût trouvé parfaitement heureux.

Il s'en plaignit à Ardavena, un soir qu'ils se promenaient à la lueur des torches dans une interminable galerie souterraine dont les murs étaient ornés de gigantesques bas-reliefs taillés en plein granit dans le cœur de la montagne.

Le brahme réfléchit un instant.

– Vous tenez absolument à rassurer votre ami ?

– J'y tiens beaucoup.

– Eh bien ! je vais vous donner satisfaction non seulement vous pourrez le rassurer, mais encore vous le verrez, sans pouvoir lui parler cependant.

Robert, très ému, quoique un peu incrédule, suivit le vieillard jusqu'à une crypte éloignée dont la voûte ogivale était soutenue par des colonnes trapues.

Il crut se trouver dans la nef d'une chapelle gothique ; mais à la place de l'autel il n'y avait qu'un grand miroir éclairé par deux flambeaux de cire végétale que des fakirs venaient d'allumer en se retirant.

Ardavena enjoignit à Robert de garder le plus profond silence et cela sous peine de mort, quels que fussent les objets qu'il verrait.

– Je mets en jeu, déclara-t-il, des forces redoutables, plus difficiles à manier que l'électricité et la vapeur.

Robert s'engagea solennellement à demeurer muet et Ardavena, après avoir disposé en triangle des trépieds d'or remplis de charbons ardents, y jeta des parfums qu'il prenait dans une petite botte pendue à sa ceinture. Bientôt, des fumées épaisses obscurcirent l'atmosphère de la crypte. La flamme des torches pâlit, le miroir se voila comme d'une brume dans laquelle commencèrent lentement à se dessiner des traits confus. Puis la vision se fit plus lumineuse et plus précise, pendant que l'autre extrémité de la crypte était plongée dans les ténèbres. Robert faillit jeter un cri. À quelques pas de lui, il voyait le naturaliste Pitcher dans sa petite boutique de Londres, fort occupé à disséquer un oiseau à la lueur d'une lampe réfléchie par une grosse boule de verre remplie d'eau.

Il assista au travail du naturaliste, l'entendit se parler à lui-même comme il en avait l'habitude. Mrs Pitcher vint en grommelant chercher son fils et l'avertir qu'il était temps d'aller dormir. Pitcher obéit en rechignant et le décor que reflétait le miroir se modifia à mesure qu'il s'éloignait. Pitcher ne tarda pas à se coucher et à s'endormir.

C'est alors qu'Ardavena posa la main sur le front de Robert et celui-ci, obéissant à une volonté à laquelle il était incapable de résister, se trouva dans la maison de son ami, dont il connaissait les moindres détails. Inconsciemment docile à une force supérieure, il alla à l'atelier, prit la plume et l'encre, griffonna quelques lignes et déposa cette lettre sur la table de nuit. Il sentit de nouveau la main du brahme toucher son front et se retrouva en face du miroir qui ne reflétait plus que la lumière pâle des flambeaux et les colonnes de la crypte.

Il voulut parler ; mais Ardavena lui fit signe de se taire et jeta de nouveaux parfums sur les trépieds.

Le miroir se troubla comme la première fois, puis s'éclaircit et Robert aperçut le profil délicat et noble d'Alberte Téramond. Elle paraissait profondément mélancolique et regardait pensivement une photographie de Robert appendue au mur.