Cependant, la folle expérience imaginée par Robert Darvel avait réussi autant qu'elle pouvait réussir.
L'olive d'acier vanadié traversa, c'est le cas de le dire, avec la vitesse de la pensée, les couches de l'atmosphère terrestre qui portèrent au rouge, par le frottement, l'enveloppe d'amiante, heureusement refroidie presque aussitôt en traversant les noirs et lugubres espaces de l'Éther. Elle se recouvrit d'une épaisse couche de glace aussitôt fondue en arrivant dans l'atmosphère saturée de chaude humidité de la planète.
La planète Mars est une de celles que nous connaissons le mieux. Elle est environ six fois et demie plus petite que la Terre. Son volume n'est guère que les seize centièmes de celui de notre globe. Avec les récents télescopes aux lentilles et aux réflecteurs perfectionnés et surtout depuis les études de M. Schiaparelli et de M. Camille Flammarion, on sait que Mars présente avec la Terre un grand nombre d'analogies. Les saisons s'y présentent à peu près de la même façon que celles qui règnent chez nous ; mais chacune, à cause de la durée de l'année martienne qui est de 687 jours, est d'une longueur deux fois plus considérable et même un peu plus.
Là-bas comme chez nous, il existe deux zones tempérées, une zone torride et deux zones glacées. Ces dernières, grâce à la calotte de glace dont elles sont enveloppées pendant les hivers, et dont l'extrême limite est distante d'environ cinq degrés de chaque pôle, sont visibles au télescope et même photographiables, grâce à leur blancheur qui fait tache sur le manteau vert et rouge de la planète.
L'étendue de ces amas de banquises qui doivent certainement former des mers paléocrystiques dépend de la saison qui règne dans chaque hémisphère de Mars. Nos astronomes terrestres les voient augmenter et diminuer d'une façon régulière, pendant le cours d'une révolution (687 jours).
Les savants actuels possèdent la certitude que la planète est entourée d'une atmosphère fort semblable à la nôtre, quoique moins dense et dans laquelle sont répandues de grandes quantités de vapeur d'eau, de même que dans notre ciel terrestre. Pendant de longues périodes de l'année, cette atmosphère est parcourue par d'épais nuages parfaitement visibles de la terre et qui semblent former de vastes anneaux au Nord et au Sud de la planète, dans les régions les plus éloignées de l'équateur où elles font défaut durant des mois entiers. On a toujours supposé que ces masses nuageuses planaient au-dessus des bas-fonds et des marais. On les voit se déplacer au gré des vents, s'amonceler et se dissiper, et il est certain qu'elles ont une constitution très peu différente de nos nuages terrestres et qu'on doit pouvoir les classer en cirrus, en cumulus et en nimbus.
L'observatoire de Paris possède depuis longtemps des cartes et des photographies très complètes des mers et des continents martiens. Au télescope, les mers offrent une coloration verte plus ou moins accentuée. L'on en a déduit que leurs eaux sont très riches en chlorures alcalins et qu'elles nous apparaissent d'autant plus sombres qu'elles sont plus profondes.
Quant aux îles et aux continents qui forment à droite et à gauche une bande ininterrompue autour de l'équateur de la planète, où ils occupent plus d'étendue que les océans, ils présentent ces tons éclatants de rouge et de jaune orange, qui sont la couleur distinctive de la planète. Elles lui auraient valu son nom, qui est, dans la mythologie païenne, celui du dieu de la guerre auquel elle avait été consacrée. Les mers, surtout dans la partie septentrionale, ne sont guère que des Méditerranée, des Caspienne, des lacs intérieurs ou des détroits, des espèces de Manche, qui mettent en communication les régions envahies par les eaux. On ne trouve dans Mars aucun océan comparable au Pacifique et à l'Atlantique. Seules les mers boréales et australes ont beaucoup de rapport avec les nôtres.
Mars possède des montagnes, mais en petite quantité et certainement moins élevées que les nôtres. L'apparition, à des époques régulières, de certaines taches blanches, démontre évidemment leur existence, les hauts sommets demeurent probablement couverts de neige, même après la mauvaise saison.
Mais le trait le plus singulier de la géographie martienne, c'est qu'on n'y a jamais aperçu de fleuves et que toute la surface solide de la planète est sillonnée d'immenses canaux dont la longueur varie de mille à cinq mille kilomètres et dont la largeur atteint souvent cent vingt kilomètres. Ces canaux affectent des formes régulières et géométriques. Ils semblent avoir été tracés avec intention par des êtres doués d'intelligence.
La raison d'être de ces canaux découverts par M. Schiaparelli, de Milan, en 1877, n'a jamais pu être expliquée complètement. Ils font encore le désespoir des astronomes. Le plus extraordinaire, c'est qu'à côté de la ligne formée par certains de ces canaux, il s'en produit une seconde parallèle et toute semblable et qui devient invisible un certain temps après.
Une autre singularité de Mars, c'est que, plus favorisée que la Terre, qui n'a que la lune pour satellite, elle en possède deux de taille minuscule, il est vrai, que les astronomes ont nommés Phobos et Deïmos. De ces deux astres en miniature, l'un, Deïmos, n'a que douze kilomètres de diamètre et il parcourt son orbite en trente heures dix-huit minutes ; l'autre, Phobos, n'a qu'un diamètre de dix kilomètres et termine sa course en sept heures trente-neuf minutes. Phobos et Deïmos, pressentis par Voltaire dans Micromégas et même par Swift, le célèbre auteur des Voyages de Gulliver, ont été découverts par l'astronome américain Hall.
En raison de son éloignement du Soleil, la chaleur et la lumière que Mars en reçoit sont d'une intensité moitié moindre que sur la Terre. Mais ce désavantage, si c'en est un, est compensé par la longueur des années à peu près doubles des nôtres.
En observant les taches qui existent à sa surface, on a démontré qu'elle tourne sur elle-même en vingt-quatre heures, 37 minutes, 33 secondes, ce qui fait que la journée y surpasse d'environ une demi-heure la durée du jour terrestre.
C'est dans ce monde inconnu que le projectile-cercueil vint s'abattre en pleine nuit martienne, traçant dans les ténèbres un sillon lumineux comme un bolide.
Les flots houleux et battus par la pluie d'un Océan couvert de brume se refermèrent sur l'obus de métal et, contre toutes les prévisions du brahme Ardavena et de l'ingénieur Robert Darvel lui-même, aucun choc ne vint frapper les extrémités allongées de l'olive et ne déclencha les ressorts qui auraient permis au prisonnier de revenir à la vie et à la liberté.
Grâce à son creux, grâce aussi à son enveloppe de bois et surtout à la diminution de l'attraction planétaire, le sphéroïde d'acier ne tomba pas au fond de l'eau ; mais il ne remonta pas non plus à la surface. Il flotta entre deux eaux, lamentable épave dont se jouaient les vents orageux.
Trois jours durant, il fut ainsi ballotté, jusqu'à ce qu'une lame plus forte que les autres, en se brisant sur une falaise de porphyre rouge, le lançât dans l'ouverture d'une espèce de grotte, au-dessus du niveau des eaux, où il demeura accroché, suspendu comme par miracle entre les mandibules des rocs ébréchés par les flots. Mais le choc avait été suffisant. Le ressort avait fonctionné et la calotte de l'olive s'était détachée.
Quand Robert revint au sentiment de l'existence, il eut l'horrible impression d'être enterré vivant. L'énergique fluide dont Ardavena avait pour ainsi dire imprégné son suaire, avant de l'insérer dans le cercueil capitonné, le sauva, en lui communiquant, pendant quelques minutes, une vigueur extrahumaine. D'un seul coup de ses ongles, que les fakirs avaient laissé pousser et apointis en griffes, il déchira le sac de coton qui l'enveloppait et, comme il étouffait, il arracha d'un mouvement instinctif la cire qui lui bouchait les narines. Puis, toujours sans s'en rendre compte, avec la décision du désespoir, il fit reprendre à sa langue sa position naturelle et aspira une large bouffée d'air.
Mais l'effort avait été trop violent. Robert perdit connaissance et tomba dans un sommeil proche du coma, sans avoir encore pu rassembler ses idées, ni s'inquiéter du lieu où il était.
Il fut réveillé par une sensation de douce chaleur. Il lui semblait qu'il était assis et tournait le dos aux pâles rayons d'un soleil d'hiver. Il ouvrit les yeux et n'aperçut devant lui qu'une série de rochers rouges fantastiquement dentelés et la bouche d'une caverne qui semblait s'enfoncer dans les entrailles du sol.
Engoncé jusqu'aux épaules dans son cercueil d'acier, il pouvait cependant tourner la tête. Il frémit en se rendant compte du péril auquel il se trouvait exposé. L'olive qui lui servait de prison n'était retenue que par quelques pointes acérées du roc dans un équilibre imparfait et hasardeux. Le moindre faux mouvement pouvait le précipiter dans les flots d'une mer verte et grise dont les lames clapotaient sous la clarté d'un soleil rougeâtre, voilé de brume, qui lui parut plus petit qu'à l'ordinaire.
Il fallait à tout prix quitter cette position difficile.
Robert se rapetissa et avec mille précautions, il essaya de se glisser au dehors, sans toutefois tomber dans l'abîme qui grondait au-dessous de lui. Il réussit pleinement dans son entreprise. À sa grande surprise, il se sentait doué d'une élasticité et d'une vigueur extraordinaires. Il s'étira sur le sable rougeâtre qui formait le sol de la grotte avec un véritable bonheur. Ses oreilles étaient remplies d'un bourdonnement confus. Il en eut l'explication en tâtant les bouchons de cire qui les obstruaient et dont il se délivra immédiatement.
Alors, il put percevoir le bruissement mélancolique du ressac contre la falaise et les ululements du vent. Il avait froid, il avait faim. Un étrange vertige l'accablait, comparable à celui dont sont frappés les explorateurs et les excursionnistes, quand ils atteignent de hautes altitudes. Cette faiblesse anormale se trouvait d'ailleurs compensée par l'accroissement de la force musculaire.
Robert ferma les yeux, ébloui, et il chercha à coordonner ses idées. Il lui sembla tout d'abord qu'il avait dû dormir pendant plusieurs jours et la première pensée qui lui vint fut qu'il se trouvait sur les bords de l'Océan Indien, où il était sans doute venu en compagnie d'Ardavena pour quelque promenade.
Son malaise se dissipait peu à peu. Il essaya de rassembler ses souvenirs et ce lui fut un effort atrocement pénible. Il alla jusqu'au bord d'une flaque d'eau qui luisait dans l'ombre de la grotte et se regarda. Mais il ne reconnaissait plus sa face hâve et amaigrie, son torse squelettique.
Et pourquoi donc avait-il ces ongles démesurés ?
Il crut qu'il était devenu fou ou qu'il rêvait. Il prit ses tempes entre ses mains avec une sorte de désespoir, puis il se leva et se mit à marcher, contemplant la mer et le ciel couvert de nuages. Il grelottait. Il pensa que son cauchemar continuait en constatant la longueur des enjambées qu'il faisait.
Tout à coup, ses regards s'arrêtèrent sur l'olive dont le bois effrité et carbonisé se découpait en noir sur le sable rouge.
– Oui, balbutia-t-il, ce doit être une farce d'Ardavena. Comme il me tarde de revenir à Chelambrum où je suis si heureux avec mon laboratoire et mon jardin ! Mais je veux demander des explications au brahme. Il y a dans tout ceci quelque chose d'incroyable…
Son cerveau affaibli n'arrivait pas à réunir d'idées plus nettes. La faim, la soif et le froid le dominaient. Il s'enveloppa de son mieux dans les débris du linceul de coton. Il puisa un peu d'eau dans la flaque où il s'était miré. Cette eau, sans doute jetée là par la mer, était affreusement amère et salée.
Allait-il donc mourir de faim et de soif, dans cette caverne suspendue aux flancs du roc de porphyre entre le ciel et l'eau ?
Il regarda autour de lui avec des yeux brillants et découvrit enfin dans un coin du rocher une petite touffe de plantes bleuâtres, mais il ne s'étonna pas de leur couleur. C'étaient, à ce qu'il pensa, des espèces de cristes marines ou de perce-pierres, d'une variété qui lui était inconnue. Il en arracha une poignée et en savoura le suc rafraîchissant avec délices. Il les mâchait et en rejetait les fibres ligneuses et il continua ainsi à paître à quatre pattes sur le roc jusqu'à ce qu'un tiraillement de son estomac l'avertit qu'il avait pour le moment assez mangé.
Robert avait été privé de nourriture pendant si longtemps, qu'il fut littéralement enivré par les quelques gorgées de suc d'herbes qu'il avait absorbées ; sa tête s'appesantissait, ses jambes étaient vacillantes et ses yeux se fermaient. Il eut cependant la force et la présence d'esprit de tirer en sûreté sur le sable sec l’olive de métal d'où il était sorti comme un poussin qui brise la coquille de son œuf. Après l'avoir accotée entre deux rocs, il s'y enfonça la tête la première à la façon des autruches, s'entortilla les jambes de son linceul et ne tarda pas à s'endormir d'un sommeil réparateur.
À son réveil – ô désastre, il n'avait guère les idées plus nettes qu'auparavant ; mais il était torturé par une faim atroce.
– C'est toujours la même chose, s'écria-t-il avec découragement. Depuis que je suis réveillé, je ne songe plus qu'à manger. Si seulement il y avait quelques plantes comestibles dans le voisinage.
Heureusement, Robert avait été réconforté par le long somme qu'il venait de faire. Les vertiges qui l'oppressaient avaient disparu. Il ne se sentait plus qu'un grand appétit et une extraordinaire légèreté dans tous les membres. D'un saut, il franchissait six ou sept mètres. Il se figura un moment qu'il avait des ailes et il dut se surveiller pour ne pas dégringoler, par inattention, du haut de la falaise dans la mer.
À l'entrée de la caverne, il trouva dans le roc une série de degrés et d'anfractuosités naturellement creusées par le flot et il lui vint à l'idée de descendre par cette voie jusqu'à la surface de l'eau pour juger de sa profondeur et voir s'il ne lui serait pas possible, en côtoyant le rocher avec de l'eau jusqu'à la ceinture, de gagner une région plus hospitalière et de se faire rapatrier, jusqu'à son cher laboratoire de Chelambrun dont, malgré les évidences, il ne se croyait pas très éloigné.
Tout à coup, il poussa un cri de joie et sa voix répercutée par les rochers lui parut aussi sonore que le son d'un cor de chasse. Il s'arrêta, épouvanté lui-même de sa tonitruante.
Il venait d'apercevoir, flottant au ras de l'eau, parmi les algues, des chapelets de bivalves assez proches de la moule, mais plus arrondis et qui se tenaient attachés à la pierre par leur byssus.
– Je suis sauvé, dit-il.
Et il fit une ample récolte de mollusques et remonta dans sa caverne pour se régaler. Il sentait ses forces revenir, pour ainsi dire, de minute en minute.
Deux jours se passèrent ainsi, coupés de longs sommeils et de repas au menu reconstituant, mais monotone.
– Je ne peux pourtant pas, songea-t-il, vers le soir du deuxième jour, passer un plus long temps perché sur cette falaise comme un goéland dans son nid, à brouter et à manger des bivalves. Ce serait vraiment trop ridicule.
Robert passa une bonne partie de la nuit à réfléchir. De singuliers soupçons se glissaient en lui. L'aspect du ciel, la présence de l'engin qui lui servait de lit, l'absence de toute créature humaine, de tout navire sur cet océan couvert de brouillards, tout lui démontrait avec évidence qu'il se trouvait bien loin de l'Hindoustan et qu'on avait profité de son sommeil et de sa catalepsie pour l'abandonner sur un rivage désert.
– Peut-être, songea-t-il avec effroi, Ardavena, désireux de s'approprier mes découvertes, m'a-t-il fait transporter au nord de la Sibérie, pour se débarrasser de moi.
Ce qui fortifiait en lui cette supposition, c'est qu'il avait remarqué, quoique privé de son chronomètre, qu'Ardavena lui avait emprunté sans façon, la longueur inusitée des jours et des nuits.
Cependant, cette hypothèse ne le satisfaisait pas.
Quand les jours sont longs, se disait-il, avec beaucoup de logique, dans les contrées polaires, les nuits sont courtes et réciproquement. Il y a là quelque chose que je ne m'explique pas.
D'ailleurs, l'ingénieur ne pouvait porter sur ces choses un jugement précis. Depuis qu'il n'était plus sous l'influence des drogues stupéfiantes que lui avaient fait absorber les fakirs, il ressentait un continuel besoin de sommeil et il ne se réveillait guère que pour manger et se recoucher presque immédiatement.
Ce soir-là, il avait sans doute repris une vigueur suffisante, car le sommeil ne venait pas. La nuit lui parut interminable. Il projeta, sitôt que le jour serait levé, de gagner le sommet de la falaise. Mais il dormit, se réveilla, dormit encore et les ténèbres l'enveloppaient toujours. Il trembla un moment de se trouver perdu dans la grande nuit du pôle arctique.
Enfin, la lueur rougeâtre du soleil rapetissé perça lentement le voile des brumes. Robert se leva, déjeuna et, sans plus délibérer, commença de gravir les rocs de porphyre rouge qui s'élevaient au-dessus de la caverne. Il mit plus d'une heure à ce travail, s'arrêtant pour se reposer à toutes les plates-formes propices et profitant des moindres buissons, des moindres touffes d'herbes roussâtres pour se hisser un peu plus haut. Arrivé au sommet de la falaise, il demeura émerveillé. Une haute forêt, aux larges feuilles jaunes et rouges et où il reconnut des hêtres et des noisetiers, se balançait tout autour de lui.
Mais il n'y avait trace ni de routes, ni de sentiers vers l'intérieur. Des ronces rousses, des framboisiers aux feuilles vermeilles, des mousses brunes croissaient dans un fouillis de végétations inextricables. À l'horizon voilé de brume, la mer s'étendait entre deux caps de porphyre qui bordaient la perspective de ce côté.
Bien que surpris de la couleur rougeâtre, qui dominait dans le paysage, Robert éprouva une joie enfantine à se retrouver en pleine forêt. Il pensait être au Canada, car il avait lu qu'on trouve dans ce pays un grand nombre d'essences au feuillage rouge.
Son plan fut tout de suite fait.
– Je vais, dit-il, me lancer à travers cette forêt, en me dirigeant toujours vers le Sud. Je me guiderai sur le soleil et les étoiles. De cette façon, je suis forcé d'arriver dans la partie méridionale de ce pays, où se trouvent les grandes villes et les chemins de fer. M'eût-on déposé près du cercle polaire, je ne ferai certainement pas huit jours de marche sans rencontrer un campement d'Esquimaux ou une caravane de chasseurs de fourrures ou de chercheurs d'or.
Avant de se mettre en route, Robert résolut de se reposer longuement dans la forêt. Il mangea de grosses framboises couleur d'or et des groseilles noires. Il cueillit des noisettes rouges, et des myrtilles violettes ; puis il se mit en chemin.
À son approche, s'enfuirent divers oiseaux, qui ressemblaient aux moineaux et aux grives, et il eut la joie de découvrir une clairière couverte de champignons blancs, du genre des mousserons, qui lui fournirent un déjeuner magnifique.
À la grande surprise de Robert, le soleil semblait immobile au milieu de ce manteau de brouillard. Cette forêt vêtue de frondaison rousse lui apparaissait comme l'Éden interminable. Des insectes jaunes sautillaient dans les herbes. À peine de temps en temps un cri d'oiseau. Robert sentait l'engourdissement le gagner. Il rêvait de toujours vivre dans une paix profonde au milieu de ce paysage de sommeil et de silence. La mer battait la monotone chanson de son ressac entre les falaises de porphyre.
Une fois de plus vaincu par le sommeil, Robert s'appuya entre les racines d'un grand hêtre rouge et s'endormit accablé sur la mousse. Quand il se réveilla, le soleil était au bas de l'horizon. De grands nuages lilas et verts flottaient, et cette perspective de futaie rougeâtre se mariait si bien avec la couleur des nuages et les reflets agonisants du soleil, qu'il craignit un moment que tout le décor qui l'entourait ne s'évanouît brusquement avec sa magnificence comme dans une féerie.
Mais le soleil, après avoir oscillé longtemps, si longtemps que Robert ne se rappelait pas avoir jamais rien vu de pareil, sombra derrière des nuages couleur d'encre et de plomb et disparut. Une vive clarté lunaire remplaça presque aussitôt la lumière de l'astre évanoui.
Robert s'émerveillait déjà de voir des lampyres se glisser dans les buissons, lorsqu'en se retournant du côté de la mer, une extraordinaire vision le cloua sur place.
Deux lunes éclatantes et blanches, d'une dimension énorme, se reflétaient paisiblement dans les flots.
– Je ne suis pas fou, dit-il, ni halluciné.
Il ferma les yeux, se laissa tomber sur la mousse et réfléchit. En une seconde, la vérité lui apparut merveilleuse et terrible. Ce cercueil de métal, ces feuillages rouges, ce soleil triste et diminué, et ces deux lunes (Phobos et Déïmos, sans doute) tout concordait.
– Je suis le premier homme qui soit parvenu dans la planète Mars ! s'écria-t-il, avec un orgueil mêlé d'épouvante.